DIEU, L’INTERPERSONNEL TRANSCENDANT
I. LA CONSCIENCE DE NOTRE FINITUDE
A. L’IDEE DE L’ETRE ET LA FINITUDE DE L’ETRE.
Nous n’avons aucune expérience-d’être qui ne soit relation-
nelle. Et on ne peut prétexter le pouvoir de penser l’ensemble-de-
l’être comme un ensemble unique ou comme une totalité, pour
contester cette rité. La pensée du « tout », si elle peut dans sa
détermination de « totalité » ne pas signifier une relation, n’est
cependant pas présente à ma conscience sur le mode de « l’iden-
tité » avec mon activité de pensée, comme une totalité qui en moi
serait consciente d’elle-même comme du « tout ». J’ai en effet
conscience de ne pas être cette totalité. Au contraire l’idée de
totalité, de totalité de l’être, est présente à ma conscience sur le
mode de la « distinction », en statut d’objectivité sur le plan de
l’exercice de pensée, même si, en tant que je suis pour moi-
même un « contenu de pensée », je me représente ma « place »
dans cette totalité. C’est bien sur le mode de la « distinction »
dont je suis réflexivement et exercitivement conscient que je
me place comme « pensée que je suis pensant » mais non
comme pensant en acte dans une totalité de l’être selon un
concept transcendantal de généralité ultime.
Pour une conscience qui se donne une compréhension
objectiviste de l’être, sa réalité individuelle est une « partie » de
sa nature spécifique, ou une « participation » de celle-ci, ou
encore elle en est un exemplaire individué ; et sa nature est elle-
même à son tour en une relation plus ou moins semblable à
l’égard de l’être en sa totalité, ou par rapport à l’être comme tel.
Les rapports ontologiques sont alors pensés à partir des rapports
logiques du langage discursif, ou plutôt ces derniers sont, par
manque d’analyse critique de leur véritable fonction dans l’acti-
vité consciente, directement ontologisés selon trois composantes
de notre idéation discursive, comprises comme trois niveaux
caractéristiques de l’observation des choses : premièrement
l’individuel singulier et particulier, deuxièmement le spécifique
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comme faisceau de déterminations et troisièmement le caractère
absolument commun de « l’être » de tout ce qui est objet de
pensée. Selon une telle optique l’appréciation de notre finitude
humaine obéit à des schémas fortement quantitatifs et en quelque
sorte spatialisés. Les philosophes classiques s’en sont bien rendu
compte, même s’ils n’ont pas pu remédier valablement à cet état
de choses.
L’infini d’une telle totalité de l’être que ma finitude
implique alors n’est qu’un « faux » infini, un indéfini, parce qu’il
n’est pas doué comme tel d’actualité. Il est un indéfini qui est en
fait le champ du potentiel sans limites de ma pensée
universalisante, l’horizon indéfini d’affirmations possibles
d’objets distincts de moi ; mais il n’est pas un infini d’être de
pleine actualité éprouvé en l’actualité d’une relation parfaite, ou
au moins en l’actualisation d’une relation selon son aspect de
perfection, comme dans la relation intersubjective entre les
consciences et les libertés.
Tout au plus ce « faux » infini d’inactualité de la pensée et
d’actualité impossible, mais auquel le langage donne un certain
statut d’objectivité, peut-il servir de « symbole » donc
foncièrement inadéquat et qualitativement impropre pour
exprimer la transcendance de l’infini de pleine actualité par
rapport à ma finitude-en-accomplissement d’elle-même !
D’une part, comme être, et même si je m’imaginais doué de
la puissance divine, je ne puis atteindre l’actualité de l’indéfini.
Il y aurait contradiction à l’affirmer. C’est donc impossible. En
effet son actualité n’est pas alisable comme perfection
d’existence puisqu’elle découle de mon imperfection d’être.
D’autre part comme être fini, selon les pouvoirs en ma finitude,
je ne puis pas atteindre non plus à l’actualité de l’infini
véritable, mais c’est pour une autre raison ; parce que la
perfection d’actualité de l’infini véritable n’étant pas dans
l’ordre du devenir, elle ne peut être égalée par aucune
« réalisation » qui, de par son devenir, garderait une potentialité
ouverte sur de l’indéfini.
Entre mon actualité d’être fini et le faux infini de l’indéfini,
il n’y a pas de rapport en actualité. Entre l’infini en actualité
parfaite et mon actualité d’être fini il y a bien rapport et même
rapport nécessaire d’actualité en l’existence, mais rapport entre
des actualités de nature différente : rapport analogique entre le
fini contingent et l’Infini nécessaire selon la conscience réflexive
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que le sujet fini a de son être relationnel propre. Pour l’être fini
relationnel à d’autres de même nature, son actualité est ouverte
indéfiniment à d’autres semblables possibles mais inactuels,
tandis que l’actualité de l’Infini d’être relationnel est totalement
actuelle sans actualisation possible au-delà d’elle-même.
C’est cependant sur l’horizon d’un indéfini d’être et de
possibilité d’être que j’affirme l’actualité de l’infini véritable. En
effet, l’indéfini de mon idée de l’être n’est pas spécifique seule-
ment des êtres finis que j’affirme en statut d’objectivité, en sorte
que, si c’était le cas, je ne pourrais affirmer Dieu dans le cadre de
cette idée de l’être, mais ce caractère d’indéfini est spécifique de
mon affirmation de tout être quel qu’il soit, fini ou infini, en
sorte que, selon ma manière d’affirmer l’être bien qu’elle soit
affectée d’indéfinitude, parce que précisément elle est celle d’un
être fini je puis affirmer Dieu dans le cadre d’une telle idée.
Dès lors on voit combien il faut se garder d’amalgamer les deux
idées d’indéfini et d’infini.
Toutefois bien que portée dans le cadre de mon idée
transcendantale d’être, qui est affectée d’indéfinitude, mon
affirmation de l’infini de l’être en parfaite actualité se fait elle
aussi, comme pour l’affirmation de tout être fini, sur la base de
l’actualité en tant qu’actualité de ma conscience relationnelle
universalisante, selon la perfection de sa relationnalité et non
selon son aspect d’indéfinitude qui l’affecte nécessairement. Elle
se fait donc sur la base d’une relation actuelle avec l’infini
véritable de l’être.
B. L’IDEE DE L’ESSENCE SPECIFIQUE ET LA FINITUDE
INDIVIDUELLE.
En observant tout autour de lui une grande variété de multi-
plicités d’êtres semblables, tels les animaux « chacun selon leur
espèce », les végétaux Error! Reference source not found.
aussi, et les amas des minéraux, l’homme s’applique à lui-même
aussi les schémas d’une telle constatation. Il est homme parmi
des hommes de même nature, de nature « humaine ». Sur le fond
de ces similitudes entre les individualités (réelles ou simplement
perçues) l’homme forme des idées multiples de nature, « une »
chacune, aux déterminations parfois complexes. Les données de
son expérience sont accordées ainsi aux nécessités de sa pensée
formatrice de concepts. Mais il perçoit aussi des différences
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entre les individus et celles-ci font apparaître des propriétés
tantôt favorables, tantôt défavorables, heureuses ou désastreuses
pour l’individu, dont la ressemblance aux autres se trouve par
altérée.
Ainsi, de la comparaison des choses entre elles et de
l’adaptation de ces choses à ses besoins, l’homme se construit
une idée de la perfection de nature de ces diverses choses. En
fonction de cette représentation « idéale » de leur nature, il juge
de la perfection relative des choses individuelles et singulières.
D’autre part, l’homme, comme conscience et liberté, découvre en
lui les exigences éthiques et se forge un « idéal » de perfection
morale.
Ces deux démarches d’élaboration d’un idéal de perfection
sont méthodologiquement différentes. Mais cette différenciation
n’est aperçue que progressivement et dans le cadre seulement de
la constitution d’un idéal, lui-même différencié, de la pensée
philosophique et d’une compréhension réflexive de notre être.
Aussi l’homme en un premier temps amalgame-t-il ces deux
manières de comprendre « sa » propre perfection : premièrement,
celle de sa nature humaine, pensée spontanément sur le mode
d’une donnée objective et souvent comparée selon ses propriétés
idéales aux entités mathématiques ; comme en témoignent le
platonisme et presque toutes les philosophies classiques qui s’en
inspirent plus ou moins même sans en dépendre directement,
mais parce qu’en lui s’est exprimée une démarche bien typique
de l’esprit, lorsqu’il estime trouver dans la forme du langage une
intelligibilité de sa réalité propre et deuxièmement, celle de sa
perfection éthique aux racines plus réflexives mais plus secrètes,
voire cachées à sa mentalité empiriste ; comme on peut le voir
dans le développement de la tradition biblique, si du moins on ne
lui superpose pas des idéaux de « nature » et si on ne fige pas son
dynamisme. Par manque de différenciation, la perfection éthique
comme idéal est alors pensée comme identique à la perfection
d’une nature humaine, « participative » seulement de la
perfection de l’être. Elle est comprise comme étant la perfection
d’une nature spirituelle certes, mais relative et limitée par rapport
à la perfection totale de l’être, qu’elle n’a pas à prendre comme
norme propre.
L’exigence éthique pour l’individu concret consistera alors à
réaliser une perfection de « nature », une perfection donc limitée
par rapport à la perfection infinie de l’être dans son absolu. On
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arrive à cette conclusion pratique du fait que l’amalgame de
l’idéal éthique avec l’idéal de la nature spécifique est lié à la
confusion entre l’être en général et l’Absolu de l’être, c’est-à-
dire entre « l’infini » indéfini de l’idée de l’être et l’affirmation
d’un Infini actuel d’être. Et la perfection éthique comme
réalisation personnelle résidera dans l’adéquation plus au moins
grande de l’action de l’individu singulier à cette nature pensée
selon son idéal. Elle est ainsi la fin de ses actions et la pratique
du bien consistera à tendre vers cette fin « naturelle ».
L’idée du mal moral sera, en conséquence, comprise comme
une sorte de désordre introduit par le sujet individuel dans
l’harmonie de cette nature et dans la conformité de ses actes à
leur fin naturelle. La réparation du mal consistera dans la restau-
ration de l’ordre et dans la réorientation de ses actes à leur fin.
Vivre en conformité avec sa nature d’homme selon son intégra-
tion dans le tout de l’être sera pour lui la voie de la sagesse.
Nous voyons de nouveau en cette démarche l’influence
conjuguée de l’objectivisme (sous sa double forme : juger de
l’activité de conscience suivant la manière de percevoir les
choses et projeter sur un réel « objectif » les aspects observables
du langage) et des postulats implicites de l’Un-indivis : à savoir
que l’idée de « perfection éthique » est comprise dans
l’immanence de la nature humaine, pensée comme spécifique
« en statut d’objet » à partir du langage, indépendamment d’une
relation intrinsèque nécessaire à la constitution de l’être comme
tel et à la Perfection absolue d’être dans l’être. C’est donc
dénaturer radicalement ou n’avoir pas encore compris
l’originalité de l’exigence éthique humaine que de l’apprécier
selon un mode d’idéal objectif propre aux choses et d’une part de
situer le bien moral (la vertu) dans une adéquation de l’action
individuelle avec cet idéal objectivement pensé et de placer
d’autre part le mal dans un décalage, dans une divergence et dans
une opposition entre ce que réalise un individu particulier et ce
qu’il devrait réaliser par rapport à l’idéal universel de sa
« nature ».
Cette conception immanentiste et close de la morale persiste
dans les mentalités et « emprisonne » la conscience et la liberté,
même si l’on estime que la « nature » de l’homme comporte une
finalité de connaissance et d’amour de Dieu. Cette finalité de
connaissance et d’amour de Dieu, empruntée aux conceptions
religieuses de l’éthique, ne suffit pas premièrement à fonder
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