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participons pas. Mais ainsi serions-nous restés fidèles aux attentes et à la dynamique du
Christ? Je ne le crois pas.
Pendant longtemps, vous avez visé une société conduite par un monarque chrétien, comme
l'avaient demandé les visions de Marguerite Marie Alacoque.
Moi-même, pendant longtemps, je rêvais les choses qui étaient désormais derrière nous, j'ai
pensé avec nostalgie au bon vieux temps où le christianisme a conditionné toute fibre de la vie
sociale. Oui, encore aujourd'hui cette pensée conserve pour moi quelque chose de fascinant.
Et pendant longtemps, j'ai été à côté des catholiques qui se sont engagés en faveur du retour à
la société d'hier. A l'époque, on les appelait contre-révolutionnaires. Mais le Christ a vécu le
présent, il l'a aimé, l'a changé et l'a amélioré. En 1900, j'ai demandé aux prêtres dans un
congrès à Bourges: avons-nous aimé suffisamment notre société d'aujourd'hui, ou nous
sommes-nous retirés en la boudant? La question reste ouverte jusqu'aujourd'hui.
Il semble que, au cours de votre vie, vous avez vécu une grande évolution.
C'est ça. Pour tout dire, comme étudiant et jeune prêtre, j'ai été un défenseur ardent de la
monarchie. Mais le prix de cela aurait été élevé et cela m'était devenu clair avec le temps.
Parce que peu importe qu'un pays soit gouverné par un monarque, un président ou un
parlement. Ce qui compte c'est que la justice et la solidarité assurent à tous les hommes une
vie digne. Le peuple en France voulait la république – il était de mon devoir de lutter pour une
république qui soit dans la mesure du possible d'empreinte chrétienne, et dans laquelle l'Eglise
soit reconnue comme alliée des faibles, surtout des ouvriers, et de leur espérance de justice.
Si j'ai bien compris, vous avez payé un prix élevé pour cet engagement : des amis qui l'ont
abandonné, des confrères qui ne l'ont pas compris…
Jeune étudiant et jeune prêtre, je n'aurais jamais imaginé d'être un jour critiqué et rejeté par un
évêque comme “républicain obstiné”. Oui, les abbés démocrates avec Lemire, Naudet, Six,
moi-même et d'autres n'étaient pas bien vus dans plusieurs endroits du monde catholique de
France. Même avec des hommes comme La Tour du Pin, dont j'étais un ami, les contacts ont
diminué parce qu'il restait monarchiste et ne voulait pas se salir les mains dans la nouvelle
société. Quand je lis aujourd'hui ce que j'ai écrit dans les années ‘90, dans les articles, les
discours, les lettres et les livres, je suis surpris moi-même par mon évolution et par la clarté de
mes positions. Mais je répète : le Christ ne s'est jamais retiré dans un ghetto social pour
bouder – auquel cas il aurait pu tout de suite renoncer à l'incarnation. Il s'est mis à côté des
hommes simples, méprisés et marginalisés. J'ai cherché à faire la même chose.