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Une vision rétrécie, limitée aux seuls domaines de la production et de l'échange, lui
interdisant de situer les événements dans leur cohérence globale, elle ne connaît, hors de son
champ, que des faits isolés : la catastrophe lui semble être accident et la multiplication de ces
" accidents " lui apparaît comme une déviation —caractérisant une crise— par rapport à un
ordre des choses qu'elle décrit comme normal.
Or, ce n'est pas la notion de crise, mais celle de mutation, qui nous paraît caractériser la
situation dans laquelle se trouve engagé le monde contemporain.
La crise suggère l'existence d'un état normal momentanément rompu et appelé à se rétablir. La
mutation, au contraire, évoque les bouleversements irréversibles situés dans la logique d'une
évolution ; c'est ici la norme même qui se transforme, un ordre qui s'efface et un autre qui se
dessine.
Et la " crise " actuelle est trop générale, les crises spécifiques se révèlent trop nombreuses,
pour ne pas traduire une transformation fondamentale des mécanismes sur lesquels
fonctionnent les sociétés, en même temps qu'une régression des systèmes de valeurs dont elles
tirent leur justification.
De la dégradation de l'environnement, illustrée par l'explosion d'une centrale nucléaire ou le
naufrage d'un pétrolier géant, au malaise des consciences individuelles, en passant par
l'épuisement des ressources naturelles, le sous-emploi ou les outrances de certains
particularismes, tout se tient :
— l'accident ne peut être considéré comme tel qu'au niveau de l'événement isolé ; replacé
dans son contexte, il apparaît comme la conséquence statistiquement inévitable d'une certaine
logique de l'efficacité matérielle ou de la rentabilité, ignorante des solidarités aussi bien que
du risque social ;
— là où la poursuite des valeurs communes rassemblait les hommes, la conquête des richesses
matérielles les oppose et conduit chacun à négliger les dommages qu'il inflige à autrui.
Ce qui se trouve mis en cause derrière ces événements, c'est le primat de l'économique posé
comme finalité des conduites individuelles et critère ultime des grandes décisions publiques.
Or, les activités de production, échange, consommation, grâce à la combinaison efficace des "
moyens rares à usages alternatifs ", ne constituent en fait qu'une première sphère des activités
humaines. Celle-ci représente bien cet ensemble finalisé d'éléments en interdépendance par
lequel on s'accorde généralement à définir un système. Elle est en effet :
— orientée par sa finalité : satisfaire les besoins humains ;
— animée par ses agents (les ménages, les entreprises, l'État…) au sens propre, des entités qui
agissent, des effecteurs ;
— caractérisée par ses interdépendances et coordonnée par ses régulations : offre et demande
déterminent le prix, mais le prix fixe le niveau d'ajustement de l'offre et de la demande…
Cependant, pour aussi fondamentales qu'elles soient, ces activités ne sauraient englober
l'ensemble des préoccupations humaines : par-delà le domaine du calcul, il existe tout un