paradoxe sur le comédien - Fi

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PARADOXE SUR LE COMÉDIEN
Diderot
Paris, 1992, Armand Colin (1965)
Introduction & notes : Stéphane Lojkine. Préface : Georges Benrekassa.
Introduction
2 attitudes de Diderot / Jeu de l’acteur :
- théorie de l’enthousiasme qui cherche à briser la déclamation rhétorique et ampoulée parfois
encore en usage et à privilégier une expression gestuelle de l’acteur, invité à jouer selon ce qu’il
sent et non selon les stéréotypes appris. Les Entretiens sur le Fils naturel.
Exigence de naturel est figurée, dans les Entretiens et dans la pièce même du Fils naturel, par la
fiction d’un théâtre confondant le réel et la représentation.
Les acteurs sont les protagonistes de l’histoire vraie, dont la représentation solennelle constitue un
rite familial où, chaque année, sont réaffirmées les valeurs fondamentales autour desquelles la
famille s’est soudée. Par l’expression théâtrale de cet enthousiasme ritualisé, la société bourgeoise
exprime et renouvelle ses valeurs fondatrices.
- Le Paradoxe sur le comédien, nouveaux principes, semble abandonner la notion d’enthousiasme.
Mise en avant du sang-froid de l’acteur : paradoxalement, c’est au moment où l’acteur joue la
plus grande effusion émotionnelle qu’il fait le plus preuve d’art, de technique, de métier ; le
naturel, au théâtre, est le comble de l’artifice.Diderot ne demande pas à l’acteur d’être sensible,
ni de produire sur la scène une réalité fondamentale du réel et du représenté : l’acteur reproduit
artificiellement, de façon maîtrisée et concertée, ce qui dans la nature est vécu ou produit de
façon contingente et spontanée.
Pour marquer cette hétérogénéité, Diderot oppose constamment le salon et la scène théâtrale qui
étaient confondus dans les Entretiens. Le salon est le lieu où se racontent dans la chaleur et
l’enthousiasme des anecdotes et des contes dont le succès éphémère tient à la circonstance fortuite
dans laquelle ils ont été amenés. Au théâtre, au contraire, l’acteur reproduit froidement un jeu
élaboré à l’avance et pour ainsi dire scientifiquement. Il peut réitérer indéfiniment une performance
que le conteur de salon n’est capable d’exécuter qu’une fois.
(p.13-14)
De l’œuvre de propagande au laboratoire d’idées
Le théâtre, principe d’écriture et moyen d’expression idéologique
La méthode d’élaboration théorique dans le Paradoxe : le parasitage des idées
L’agrandissement théâtral
MONSTRUOSITÉ DE LA REPRÉSENTATION DRAMATIQUE
Le grotesque et l’horrible
Le modèle idéal cesse d’être idéal
Les références théâtrales sous-jacentes
LA REMISE EN CAUSE DU MODÈLE IDÉAL
Faut-il mettre en scène une réalité brute ?
De la belle nature au stéréotype…
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Diderot contre la Domestic Tragedy ?
CETTE PRODIGIEUSE VÉRITÉDE NATURE
Quitter Corneille pour Dallas ?
Effet du réel et effet de l’art
Présence sous-jacente d’un enjeu socio-politique
De la grandeur stylisée à la grandeur idéologique
La distance du regard
SCISSION DU « MOI » DE L’ACTEUR
Le regard scissionniste de l’acteur
Aliénation partielle du grand comédien
Distanciation universalisante (Diderot) et distanciation particularisante (Brecht)
MODÈLE IDÉAL ET DISTANCIATION
Idéalisme platonicien et matérialisme sous-jacents à la théorie du modèle idéal
Le modèle idéal s’élabore collectivement
DISTANCIATION ET OUBLI DE SOI
Un impossible compromis entre sensibilité et sang-froid
Le sublime est désormais associé au jeu sensible et, du même coup, condamné
Plaidoyer pour une aliénation ludique du comédien
Des spectateurs citoyens
La performance de l’acteur
LE REGARD DU DEHORS
STATUT SOCIAL DU COMÉDIEN
Ce qu’est le comédien : une espèce qui travaille
Ce que l’image du pantin et la comparaison du comédien et du courtisan permettent de saisir, c’est
l’ambiguïté de la position sociale du comédien et, par là, sa relation contradictoire avec un système
idéologique qu’il représente et subvertit, conforte par cette subversion et dénonce tout en le
confortant.
(p.50)
« L’espèce, dit Duclos, terme nouveau, mais qui a un sens juste, est l’opposé de l’homme de
considération ; l’espèce est celui qui n’ayant plus le mérite de son état se prête encore à son
avilissement.» (Cité par Gohin.)
(p.50)
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L’espèce, c’est le caractère hors caractères et la condition hors conditions ; mais de cette
exterritorialité, elle tire l’aptitude à porter tous les masques ; elle est susceptible de représenter
n’importe qui : dans cette suprême mutabilité, on reconnaît le type du comédien. Le « moi » du
comédien, comme celui du bouffon, s’identifie donc à ce regard du dehors depuis lequel il observe
le réel pour le singer, regard par lequel il s’exclut de l’espace social et, dans le même temps,
renvoie à celui-ci une image qui tout à la fois le constitue et le subvertit. Cependant le comédien a
ceci de différent avec le bouffon-parasite que son jeu, sinon sa personne, s’appuie sur une
reconnaissance collective, est attaché à un lieu public - le théâtre - et se monnaye régulièrement
contre un salaire : hors de l’illusion dramatique, l’exterritorialité du comédien constitue une
révoltante anomalie ; celle du bouffon définit le bouffon, et pour lui il n’y a pas d’illusion. Seul le
rire protège son discours excentrique.
(p.51)
Soumis à un même travail de la négativité au bas-bout social de la table, le bouffon et le comédien
ont des fortunes opposées : le premier se nourrit de l’abjection même qui le pervertit et désire
qu’elle se perpétue ; il incarne la négativité même qui le détruit ; le second prétend à autre chose et
se révolte contre une exclusion sociale contraire à son activité artistique. Le fait même qu’il joue de
sang-froid prouve que son jeu est un travail ; le bouffon, lui, ne travaillait pas. Or ce travail là n’a
rien à voir avec le travail de la négativité.
(p.51-52)
Quand l’acteur et le bouffon rompent les règles garantissant leur exterritorialité
De même que Rameau seul voit les ridicules de la société aux crochets de laquelle il vit, mais que,
par ce regard qu’il porte sur elle, il lui offre, dans le spectacle de son humiliante gesticulation,
l’image rassurante de sa puissance, de même le comédien en se faisant un recueil de tout ce qu’il
voit s’exclut de ce qu’il observe, se bannit de l’espace social. Pourtant le regard que, par le
discours dramatique qu’il porte sur la scène, il offre à cet espace social dont son public constitue le
condensé, procure à celui-ci la représentation rassurante des valeurs en train de triompher.
Cependant, le bouffon a sa dignité : il peut, le moment venu, faire éclater, par l’exercice de ce sens
commun que lui procure son exterritorialité, les ridicules d’une socialité dont il se nourrit
ordinairement. Alors la subversion modérée et réglée qui lui était concédée, par laquelle même il
avait conquis sa position de regardant, cesse d’être digérée par l’appétit sordidement narcissique de
l’espace social corrompu. De la même façon le comédien peut venir à privilégier, dans le regard
ambigu que véhicule son discours, la corruption de l’espace social sur le triomphe des valeurs,
c’est-à-dire la distance accusatrice sur le credo régénérateur. Alors il ne tend à rien d’autre qu’à
exercer une fonction idéologique autonome, ce que l’espace social lui dénie : cessant de renvoyer à
l’espace social l’image que celui-ci désire, l’acteur infléchit alors insupportablement cette image,
désorganise le jeu, mais dans le même temps accomplit pleinement les potentialités de ce regard
dont il joue : « Dans tous les lieux où l’on veut se rendre maître des esprits, […] ce que la passion
elle-même n’a pu faire, la passion bien imitée l’exécute. »
Mais alors que le bouffon, en rompant les règles de son exterritorialité, par sa place de bouffon,
c’est cette rupture même, sans cesse réitérée, qui définit le jeu du comédien.
(p.52)
En faisant jouer le sens du texte, l’acteur remplit une fonction idéologique
« J’organise les déplacements des gens, j’organise sur l’espace scénique le trajet du désir d’un
personnage vers un autre personnage ; j’organise l’espace de la jalousie ; le temps et le rythme
selon lesquels vont se dévoiler les désirs cachés […]. Par le théâtre, je réorganise ma vie propre et
la vie du monde. La vie politique aussi. Ou le mélange entre les conflits politiques et des conflits
sentimentaux. Les uns peuvent se cacher derrière les autres. Le théâtre me permet de le dire en me
servant de textes ou de prétextes. » (De Chaillot à Chaillot, A.Vitez.)
(p.53)
Le pacte tacite et la fiction moralisatrice du message théâtral
3
[…] le discours sur l’hypocrisie théâtrale est fondé sur une conception cathartique de la tragédie ;
Rousseau la critique, ais ne la remet pas en cause. Le Paradoxe, lui, évite la référence
aristotélicienne. Évoquant tantôt le plaisir esthétique du jeu, tantôt la valeur pédagogique des
représentations, il élude, sans la critiquer ouvertement, la fonction historique de purgation des
passions que la tradition aristotélicienne avait dévolue au théâtre. Si le théâtre ne prétend plus à
une fonction cathartique qui le cantonnait au domaine moral et l’excluait du politique, on ne peut
plus l’accuser de contribuer hypocritement à asseoir la domination des « méchants » sur une fiction
d’ordre moral qu’utiliserait machiavéliquement un espace politique extérieur et distinct.
(p.55)
Ce que le comédien devrait être : un prédicateur
Cesser de jouer le bouffon, c’est risquer de se couper du monde réel
La métamorphose de l’acteur implique une métamorphose du public
Effraction et voyeurisme : le dialogue comme texte théâtral
Le quatrième mur
EFFRACTION DE L’ESPACE SCÉNIQUE
Rupture de l’illusion dramatique
Le regard voyeuriste
Antoine - […] Je fais aux acteurs des remarques sur eux-mêmes, sur leur corps, sur leur
comportement, que je ne me permettrais pas en d’autres circonstances, mais la médiation du théâtre
nous donne, à eux comme à moi, une protection.
Émile - […] Le risque est réduit. Mais on aboutit à une effraction ; acteur je te confie quelque
chose d’intime, ne vas-tu pas le trahir ? Une effraction comme celles que subissent les jeunes gens
déshabillés obligatoirement devant le conseil de révision. Violés. […]
Antoine - On a beaucoup parlé de cela depuis que le monde est monde. Prostitution de l’acteur ou
pas ? Prostitution ou art ? En quoi consiste l’art ? A moins d’inverser le problème ! Roger Vaillant
exalte l’art de la prostituée.
Émile - Évitons le Paradoxe sur le comédien de Diderot. Il reste tout de même une métamorphose
produite par effraction de la personne qui devient acteur.
(De Chaillot à Chaillot)
EFFRACTION DE L’ESPACE DIALOGIQUE
Une parole menacée
La rupture fondatrice
Effraction narratologique
Conclusion
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