Comédien imbibé Monologue – durée approximative : 7 minutes 1 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays. ISBN : 978-1-326-16068-5 Dépôt légal : Janvier 2015 © Daniel Pina Lulu.com Éditeur Standard Copyright License 2 « Comment ça qu’est-ce que je fais sur cette scène, mais que voulez-vous donc que j’y fasse ? Je m’imprègne, je m’insinue, je ne fais qu’un avec la salle, avec le public, avec le décor. Je vois bien qu’il n’y a pas de public je ne suis pas complètement saoul, du moins pas encore, bon, faut dire qu’il n’est que neuf heures du matin. Avec ou sans public nous les comédiens restons des comédiens, mais vous ne pouvez pas comprendre vous n’êtes que le ?... directeur du théâtre et le metteur en scène ! Ah oui quand même ! Alors ne cherchez plus vous avez trouvé le bon comédien. Votre pièce se joue ce soir donc vous n’avez plus besoin de personne, comme moi… surtout comme moi. Pourquoi surtout comme moi ? Vous savez donc qui je suis ? Pour ceux qui ne me connaissent pas je suis Alain Fournier. Pour ceux qui me connaissent je suis aussi Alain Fournier, le même pareil. C’est vrai on m’appelle le grand Morne, et alors ? Vous êtes bien placé pour savoir que dans ce métier on ne se fait pas de cadeau pas vrai ? Est-ce que je bois toujours autant ? Il m’est arrivé de m’égarer de temps en temps mais, ça fait bien 15 minutes que je n’ai pas bu une goutte. Vous voulez savoir quel bon vin m’amène ? Ah ah ! Est-ce que je recherche une pièce en vers, c’est amusant. Vous êtes un comique vous ! Je préfère boire à la bouteille car vous devriez savoir que le vert porte malheur au théâtre. Plus sérieusement je cherche un rôle. Bof heu ! N’importe quoi, de toute manière pour vous je suis n’importe qui et je joue n’importe comment n’est-ce pas ? Oui, j’ai oublié n’importe où. Vous me considérez comme un bon à rien, un raté, vous ne pouvez pas le cacher. Oh je ne vous en veux pas, allez ! Vous pensez être mieux que moi. 3 Avant j’étais un comédien, un bon comédien. Aujourd’hui je suis tacteur. Si si, je dis bien tacteur. Tout est dans la gestuelle, dans le verbe, moi je fais dans le tact, je suis un tacteur véritable, entier, pur… pur malt si vous voulez, mais pour servir le public, pour servir le théâtre. Vous me demandez si je suis imbibé ? Mais bien évidemment que je le suis, comment voulez-vous vivre la vie des autres sans vous souciez de la vôtre sans soutien… logistique ? Montez sur scène et se mettre à nu devant une salle comble pour des gens qui paient pour nous voir jouer la comédie, vous croyez que c’est facile ? Tartuffe ! C’est vrai, pour moi c’est devant une salle vide… c’est un comble ! De toute façon le public quand il est là je ne le vois pas et quand il est absent je l’imagine, et je le vois. Oui j’aurais pu jouer Roméo, Cyrano ou Hamlet. Mais pas Richard trois hein, j’aurais été complètement bourré avant d’avoir tout lu. N’empêche que c’est dur de ne pas être reconnu par la profession. Bon ! Pour être REconnu il faut déjà être connu, c’est pas con ! J’aurais pu être le connu magnifique, ou le dindon de la force. Au lieu de ça je suis à la ramasse, j’erre de théâtre en théâtre, balloté telle une bouteille dans l’océan des illusions perdues. Je n’ai plus aucune proposition depuis longtemps. La seule chose que je reçoive c’est le RMI, la Revue Mensuelle des Intermittents. Je suppose que grâce à vous demain la critique va m’en mettre plein la gueule, ceux qui ne sont jamais venus me voir m’enterreront définitivement. Oui monsieur le directeur du théâtre metteur en scène, vous commencez à me saouler avec votre morale. 4 Ok ok ! Je m’en vais ! Un dernier regard aux fauteuils, au rideau et aux projecteurs, une dernière pensée à tous ceux qui ont cru en moi, un jour. Le grand Morne vous salue. Malgré mes déboires je ne suis pas fini et je reste persuadé que je remontrai sur les planches, ne vous en déplaise. Je suis sûrement un comédien imbibé je ne le nie pas, mais j’ai eu mon heure de gloire, et à l’époque mon débit n’était pas que de boissons. Oui c’est bon je pars, une chose est sûre c’est que je ne peux pas vous faire de l’ombre, vous voulez savoir pourquoi ? Mais parce que vous n’êtes pas une lumière, monsieur le directeur metteur en scène. Ce n’est pas la peine de crier. Vous n’êtes qu’un imbécile, monsieur le directeur metteur en scène. Si vous l’êtes, sinon vous ne diriez pas que je ne suis qu’un bouffon ! C’est un honneur d’être un saltimbanque, un baladin, je pensais en arrivant ici que vous l’auriez remarqué. Un bon directeur metteur en scène aurait senti immédiatement que je suis un artiste, certes décadent, mais un artiste. Qu’est-ce que vous dites ? Et si on discutait pour un rôle éventuel ? Non merci pour la charité. C’est vous le bouffon, hypocrite. Je voulais revoir ce théâtre qui m’a fait tant vibrer avant de tirer ma révérence. Je vais trinquer à moi, à ce que je ne suis plus. Alain Fournier vous salue bien. Vous me demandez qui je suis vraiment ? Vous ne comprenez décidément rien. Pas facile d’être un comédien qui a trop vieilli, et mal. Cette scène se passe de commentaire alors je vais me taire et subir mon destin, celui d’une étoile qui s’éteint et qui va essayer de briller ailleurs, dans une autre galaxie. Sur scène chaque comédien donne une part de lui-même, mais certains dont vous faites partie ne donne rien, que du négatif. Je n’irai pas plus loin, car par trop de stress et d’alcools je ne me souviens plus de mon texte. Mais par contre avant de partir, j’aimerais vous dire que vous le vouliez ou non, je demeure un véritable comédien de théâtre. 5 Aussi, monsieur le directeur metteur en scène, avec grandiloquence, avec tout le respect, et le tact que je vous dois, je vous emmerde. Et je vais de ce pas, certes non assuré, lever un verre au théâtre, et à ma santé ! Par contre, je dis merde aux acteurs qui joueront ce soir, de la part d’un comédien qui fait relâche, et qui a pris, bien trop rapidement, de la bouteille. » © Daniel Pina Lulu.com Éditeur Standard Copyright License 6 7