Problèmes de Philosophie Morale

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Problèmes de Philosophie Morale
À lire (de Guy Haarscher) :
- Le Fantôme de la Liberté
- La Laïcité (deux derniers chapitres)
- Les Démocraties survivront-elles au Terrorisme ?
Introduction
Traduit du Grec, Philosophie signifie « amour (ou recherche) de la sagesse ».
La question de la philosophie
La question clef de la philosophie est, comme le souligne Aristote, « Comment bien vivre ? »
Aristote se différentiait de ses prédécesseurs, tel Pythagore, en ce sens qu’il ne se considérait pas comme un
sage, mais comme un homme à la recherche de la sagesse.
L’instrument du philosophe
L’instrument du philosophe est la raison (le Logos). La raison est aussi l’outil privilégié des sciences dites
exactes. Ce n’est pas étonnant puisque autrefois ces sciences faisaient partie intégrante de la philosophie.
Mais si les sciences modernes ont pour but de comprendre ce qui « est », la philosophie essaye de définir ce
qui « devrait être ».
Ses origines
L’origine de la philosophie remonte au VIIe – VIe siècle avant J.-C. avec ce qu’on appelle les
présocratiques. On considère 399 avant J.-C. comme une date clef. En effet, cette date correspond à la
condamnation de Socrate. Dans sa foulée suivront Platon et Aristote. Le contexte de l’époque est celui
d’une civilisation en déclin qui se fera d’ailleurs conquérir par les macédoniens conduits par Alexandre le
Grand. Ces philosophes classiques cherchaient à répondre à la question « comment bien vivre » et, dans ce
dessein, ils avaient aussi tendance à accumuler le savoir, à en acquérir une connaissance encyclopédique.
La notion de « Philosophie Morale »
La notion de « Philosophie Morale » constitue un pléonasme puisque la morale, c’est distinguer le bien du
mal, or la philosophie c’est rechercher le bien. Parler de « Philosophie Morale » revient à préciser que l’on
s’intéresse au cœur de la philosophie, puisque celle-ci s’intéressait aussi à des domaines aussi vastes que la
nature (physique, chimie), le langage ou la médecine. Un pléonasme est souvent utile à la clarification.
C’est vers le XVIIe siècle, époque de Galilée et de Newton, que la science a taillé des croupières à la
philosophie. Mais la question centrale, le comment bien vivre reste au cœur de la philosophie dite morale.
De ce fait, les sciences modernes sont entrées en concurrence avec la philosophie, des tensions se sont
créées, bien que les philosophes et les scientifiques soient des défenseurs de la raison.
Raison et liberté
L’usage de la raison présuppose la liberté, à moins qu’elle ne soit utilisée par des sophistes. Dans ce cas,
elle peut servir les causes fascistes, communistes ou religieuses.
Bien que des sciences, comme la physique ou la biologie, puissent entrer en conflit avec la religion
(Copernic, Galilée, Darwin), la philosophie se trouve en première ligne sur le champ de bataille car elle en
est plus proche. La religion aussi s’intéresse au « comment bien vivre », puisque c’est Dieu qui nous
l’apprend. Le philosophe sera condamné pour impiété puisqu’il se permet de donner son avis de profane
dans des domaines où l’on est censé se référer à la puissance supérieure, à Dieu. Au Moyen Age les
philosophes furent donc persécutés par l’Eglise catholique (bien plus intolérante en ces temps-là, que ne
l’était l’Islam).
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La réflexion doit être libre et son résultat est imprévisible. Le philosophe à besoin de liberté et celle-ci est
fragile. La condition de base pour être libre est de pouvoir survivre face à la violence de la nature et à celle
des hommes. L’homme a créé la politique pour pouvoir vivre en société. La politique est une contrainte qui
peut nuire à la liberté.
La laïcité (Laos = peuple). - Lire le chapitre 3 de la « La Laïcité » par Guy Haarscher
La laïcité est un moyen d’organiser la société tout en permettant aux citoyens de rester politiquement
libre. L’état doit être l’état de tout le peuple et pas celui d’une partie du peuple, qui imposerait par exemple
sa religion (Talibans) ou son athéisme (URSS). Dans l’histoire, l’état a rarement été laïque, il a toujours
voulu imposer sa conception de la « vie bonne ». Dans un tel contexte, les individus se trouvent avantagés
ou désavantagés en fonction de ce qu’ils pensent. L’avantage de l’état laïque est qu’il n’intervient pas dans
ces questions. Il y a persécution dans le chef d’un état lorsque celui-ci cherche à imposer sa volonté
(religieuse, …).
Il faut se rendre compte qu’actuellement, dans nos sociétés, les états perdent de leur souveraineté
(lentement mais sûrement). La situation était tout autre dans l’Europe du XIXe siècle. Par exemple, une cour
pénale internationale est prévue pour 2003, elle servira à juger les cas graves tels que les crimes contre
l’humanité. Toutefois le rôle des états peut rester prépondérant. Prenons par exemple le lendemain du 11
septembre. Les contacts pris par G. Bush avec les dirigeants européens ne se sont pas faits avec la Belgique
(en particulier avec Louis Michel), alors qu’elle siégeait à la présidence de l’Union Européenne, mais bien
avec Blair, Chirac et Schröder. La mondialisation contribue aussi à affaiblir les états. Soulignons qu’au
moment de ce cours de philosophie deux sommets sont organisés : celui de Davos et celui de Porto Alegre.
Retenons que le pouvoir des états se voit amputer par les organisations politiques internationales, la
mondialisation de l’économie et la révolution des systèmes de communication (Internet).
Notons qu’en Belgique, le pouvoir de l’état est non seulement affaibli par le haut, mais aussi par le bas
(fédéralisme). Il ne lui reste à peu près plus que le contrôle de la Justice et de la police.
Justice et police sont des fonctions fondamentales pour un état. Il faut une justice sereine car la pire des
justices est celle des victimes. Partout où il y a eu justice populaire, il y a eu abus et injustice.
Le « deal » est le suivant. Les gens abandonnent le droit de se protéger l’état qui accepte d’assumer ce rôle.
Le citoyen recouvre le droit de se défendre, lorsque l’état est incapable d’intervenir. Il y a alors légitime
défense. Ce droit est et doit être limité. Il faut prouver qu’il y ait eu légitime défense et il faut que la
réaction soit proportionnelle à l’agression. Par exemple, on ne tue pas pour la violation d’une propriété
privée.
Quand il y a trop d’état, il y a tyrannie ; quand il y en a trop peu, il y a anarchie et, on est à la merci de son
voisin. L’état laïque garanti à l’individu de faire librement ses choix tout en étant protégé.
Affaire Salman Rushdie
Salman Rushdie est un écrivain anglais d’origine indienne (famille musulmane de Bombay). Pour Rappel,
l’Inde et le Pakistan se sont scindés après la seconde guerre mondiale (le Pakistan accueillant les
musulmans).
En 1989, Salman Rushdie publie « les versets sataniques », un roman burlesque. La réaction du monde
arabe fut d’une brutalité terrible. Des stocks entiers de livres furent détruits par des pillards. Les
commerçants, de peur de voir leur magasin saccagé, durent le vendre à la dérobé. Rushdie fut même
condamné à mort par les plus hauts dignitaires de l’Islam.
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Qu’il y ait eu divergence d’opinion, c’est tout à fait acceptable et compréhensible, mais l’utilisation de la
violence, elle, ne l’est pas. L’état laïque se doit de respecter la liberté d’expression des citoyens et de la
protéger, mais il ne doit pas entrer dans le débat.
Cependant, il y a des limites à la liberté d’expression dans un état laïque. On ne peut pas divulguer des
secrets d’états. On ne peut pas diffamer ou calomnier car il y a, dans ce cas, une atteinte à la réputation
d’autrui et dans une certaine mesure à sa liberté. Celui qui lance des accusations doit être en mesure de les
prouver. Soulignons ici la différence entre une attaque directe sur une personne vivante et une attaque
contre des idées ou des symboles (le Christ, Mohammed, Moïse, Marx), où la diffamation n’est pas de
mise.
Haarscher distingue trois cas :
-
-
La diffamation individuelle qui doit être condamné par l’état laïque.
La libre expression des idées qui doit être permis, sans pour autant devoir en aller jusqu’au
politiquement correcte à la mode aux Etats-Unis. Anecdote : ne plus parler de SK (« Serial Killer »),
mais de DMP (« Difficult to Meet Person »).
Les injures racistes peuvent être considéré comme des attaques individuelles calomnieuses, même si
elles sont indirectes.
Le problème du négationnisme est plus difficile, c’est un cas limite. Il ne devrait cependant pas être
condamnable, puisque ce sont des idées. Les historiens sont là pour détruire les arguments des
négationnistes.
Revenons à Salman Rushdie, on ne peut pas l’accuser d’avoir calomnier quiconque, ni d’avoir tenu des
propos racistes (d’autant plus qu’il est lui-même musulman). Il n’a fait qu’exprimer ses idées.
Limites imposées aux hommes
-
Les limites de la nature : elles sont souvent repoussées par les sciences appliquées.
Les limites politiques (blocages externes) : elles sont établies par les hommes (dans un régime laïque,
ces limites sont repoussées plus loin que dans un autre type de régime).
Les limites non matérielles : il s’agit de bocages internes qui relèvent du domaine psychologique.
En conclusion, seul un état laïque donne un espace de liberté propice à la recherche de la « vie bonne ». Il
est en quelque sorte une condition à l’activité philosophique.
(Ici, il ouvre une parenthèse sur le port du voile – controverse du dimanche 10/02/2002).
Le 11 septembre 2001, une attaque a été perpétrée contre des symboles du monde occidental. Fait bien plus
grave que le port d’un voile, d’une kipa ou d’une croix, puisque plus de 4000 civils y ont laissé leur vie. En
temps de guerre, on admet les inéluctables « dommages collatéraux ». Il s’agit des dommages involontaires
(autour d’une cible). Dans le cas du 11 septembre, il ne peut s’agir de dommages collatéraux ne fut-ce que
par la présence de civile dans les bombes volantes qu’étaient devenus les avions de ligne.
Le terrorisme c’est chercher à créer la terreur afin d’arriver à un résultat. Et, la logique d’efficacité
maximale consiste à s’en prendre plutôt aux civiles qu’aux responsables. Il y a deux raisons à cela. Les chefs
d’états sont des cibles plus difficiles mais aussi plus distantes par rapport à la population qui se sent moins
concernée. On peut plus facilement se mettre à la place d’un des employés qui travaillait dans le World
Trade Centre qu’à la place de G. Bush.
Le terroriste viole beaucoup d’intérêts moraux. S’en prendre uniquement à une personne « responsable » est
déjà un acte grave. C’est un acte qui rentre comme nous l’avons vu dans le cadre d’une justice sauvage.
Mais s’en prendre à des innocents qui n’ont pas d’assignation de responsabilité, c’est encore franchir une
étape supplémentaire.
Voici deux références qui permettent de situer le débat :
-
Les disproportions entre les faits et les commentaires de Benoît Poelvoorde dans le film « C’est arrivé
près de chez vous » fait furieusement pensé à l’enregistrement de Ben Laden (pour autant qu’il soit
authentique) trouvé par l’armée américaine. En effet, on y voit un Ben Laden cynique parler des
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attentats comme s’il s’agissait d’un match de football.
-
Dans sa pièce « Les Justes » Albert Camus campe le personnage d’un terroriste, Kaliayev. L’action se
déroule dans la Russie de 1905. Kaliayev fait partie d’un complot « terroriste » et, il est censé lancer
une bombe dans la calèche du Grand Duc Serge. Au moment propice, il renonce à son acte car il voit
deux enfants à ses côtés. Au « débriefing » du comité et après une longue discussion, après avoir
considéré l’avantage qu’eu pu avoir l’impact de la mort des deux enfants sur l’opinion publique ; on
finit par lui donner raison.
Ici, les terroristes en sont resté au premier stade. Ce qui n’est pas le cas de Ben Laden. Il y a donc
terrorisme et… Terrorisme. Camus définissait Kaliayev, comme un « meurtrier délicat » qui garde un
certain sens des proportions. De manière prémonitoire, Camus avait pressenti le passage du terrorisme
au second stade.
Le refus de la violence est une position éminemment respectable mais difficile à gérer. On est vite accusé,
dans un régime non laïque, d’être complice ou de jouer le jeu du régime en place. La position opposée
consiste à répondre à la violence par la violence, de plonger ses mains dans le cambouis de l’histoire, quitte
à passer au second stade de la terreur. Le héros de Camus va au-delà de ce dilemme car il agit tout en
s’imposant des limites (bien que hors-la-loi). Il reprend ses droits de justicier car il vit dans un régime sans
justice. Dans sa tête, il y a deux logiques : celle de l’efficacité et celle de la morale.
Quelles sont les causes des évènements tragiques du 11 septembre ? D’abord considérons les deux réponses
caricaturales.
-
« C’est la faute à l’Islam » comme le pense le « moins respectable » des chefs d’états européens ; à
savoir Sylvio Berlusconi.
L’Amérique, c’est « l’empire du mal » (terme employé à l’époque par Ronald Reagan envers
l’U.R.S.S.) Mondialisation, dépravation, gendarme du monde, souteneur de salopards comme Ariel
Sharon,…
Utiliser des arguments historiques ne sert à rien pour arriver à une solution, c’est le meilleur moyen pour
arriver à un blocage. Une voie vers la solution à terme de cette crise serait d’arriver à pouvoir donner un
enseignement critique et sans parti pris de la situation aux jeunes palestiniens et israéliens.
Le discours de Ben Laden est totalement biaisé. Bien que le conflit israélo-arabe soit important et
symbolique, il est minime par rapport à l’ensemble des problèmes du monde arabe. De plus, on ne peut pas
donner de crédit à des gens incapables de s’autocritiquer, ni à ceux qui se « shootent » à l’idéologie.
Dans un de ses livres l’écrivain musulmane bangladeshi, Taslima Nasreen, dénonce les violences commises
par les musulmans sur les indous. Conspuée et menacée de mort par ses pères, elle du s’exiler. Notons que
des hommes modérés tels que Yitzhak Rabin, Mohamed Anwar El Sadat ou Gandhi, furent tous assassinés
par des extrémistes de leurs « camps ». Taslima Nasreen a décidé de balayer devant sa propre porte, de
commencer par retirer la poutre qu’il y avait dans son œil, bien qu’elles connaissent les violences adverses,
des hindous vis-à-vis de son peuple. Cependant, elle a eu raison d’agir de la sorte car, la critique est
beaucoup plus forte quand elle émane d’un membre de la société critiquée. La seule manière de tisser des
liens avec les autres est de commencer par s’autocritiquer.
Autre exemple de complicité entre modérés, Haarscher, l’athée et Ringlet, vice-recteur de l’UCL et auteur
de « L’évangile d’un libre-penseur », face à l’intolérance d’individus comme Monseigneur Léonard,
conservateur à Namur (dans son livre Ringlet traite l’Eglise de grand-mère acariâtre).
Reprenons quelques critiques des musulmans à l’égard des Etats-Unis d’Amérique :
- D’être la cause des inégalités dans l’ordre mondial, la mondialisation, le soutien de certains régimes.
- Le mépris occidental pour le monde musulman, la sécularisation.
- Le soutien unilatéral d’Israël (récent, Clinton ayant été plus neutre).
- La persécution du régime (embargo) de Saddam Hussein (un dictateur de la pire espèce) laissé au
pouvoir à la fin de la guerre du golfe par les alliés pour éviter le chaos dans cette région.
Aucun de ces arguments ne peut justifier les attentats du 11 septembre. Mais que faire avec des gens qui
acclament le discours de Ben Laden, qui le prenne pour un héros ? Comment jeter des ponts vers ces gens ?
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Remémorons nous l’affaire Dreyfus qui alimenta la chronique sous la plume de Zola au début du XXe
siècle.
Quelques mots-clefs : France - IIIe République - 1894 - « anti-judaïsme » (position chrétienne) devient
« antisémitisme » (position pseudo scientifique : langues sémites), plus de conversion possible, racisme pur
- le juif Dreyfus, Capitaine à l’état-major - espionnage - papier avec canon secret dans une corbeille à
l’ambassade d’Allemagne - femme de ménage - la voie ordinaire - soupçons sur Dreyfus car juif - écriture
vaguement ressemblante - cruellement dégradé devant écrivain Herzl qui commence à se dire que la seule
solution pour les juifs serait d’avoir leur propre état - condamnation - île du Diable - quelques années plus
tard Colonel Picard trouve un nouveau document avec même écriture - document n’arrange personne - on
fait comme si de rien était - Zola et Clemenceau s’emparent de l’affaire - Dreyfus revient et est recondamné
- Zola « Accuse » et il est condamné (la question ne sera pas posée…) pour diffamation - il doit s’exiler en
Angleterre - Dreyfus finit par demander grâce et il l’obtient - il sera réhabilité dix ans plus tard.
En 1917, Lord Balfour estime qu’il faut créer un état juif en Palestine. Il y a installation progressive malgré
une résistance arabe. Après la Shoah pendant la seconde guerre mondiale, la création de l’état d’Israël
devient inévitable. Cinq pays arabes refusèrent de reconnaître l’état d’Israël, il s’ensuivit les conflits que
l’on connaît. Il en résultera un nouvel ordre mondial, les territoires occupés, les échecs des négociations
d’Oslo en 1990 et plus tard de Camp David. Il y a aujourd’hui un risque d’internationalisation du conflit
israélo-palestinien. Sagesse et volonté sont les vertus nécessaires à la réduction des tensions actuelles.
Ben Laden accuse les Etats-Unis de séculariser le monde (ex. clergé séculier = dans le siècle >< clergé
régulier – moines, Bénédictins, Dominicains,…).
En effet, de plus en plus d’activités deviennent séculaires (c’est-à-dire sans référence aux Eglises). La
sécularisation la plus importante est celle de l’état, mais elle existe aussi dans la vie quotidienne (comme
chez nous, le mariage civil, avant le mariage religieux ; le divorce ; l’euthanasie,…). Il s’agit d’une
sécularisation bénéfique dont l’emblème est la laïcité de l’état. Si c’est à cette sécularisation-là que Ben
Laden s’en prend, il n’y a aucun compromis à faire.
Mais il y a un autre type de sécularisation dans laquelle on peut distinguer trois gradations.
1) Prétendre que seul le séculier compte et que la religion est une illusion, qu’elle est l’enfance de
l’humanité. Cette opinion est, bien entendu, tout aussi louable que celle de ceux qui croient en Dieu.
Dans ce cas, l’état n’a pas à se mêler à un tel débat.
2) Prétendre, comme certains, que la religion est une chose dangereuse et dire à l’image de Marx « qu’elle
est l’opium du peuple ». Cette position, plus radicale, peut légitimement être tenue et, faire partie du
débat.
3) Utiliser le pouvoir de l’état pour supprimer les religions constitue un excès inverse, comme celui
commis par les dirigeants de l’URSS (Staline principalement). Il s’agit ici d’un comportement
inacceptable, en opposition avec le principe laïque.
Que les musulmans disent qu’ils sont contre cette sécularisation-là, c’est tout à fait honorable. Certains
musulmans l’ont vécue. Quand les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan en 1979, et bien qu’ils y aient
soulagé quelque peu la condition précaire des femmes, ils ont imposé leur athéisme. Les moudjahidin
se sont donc révoltés, soutenus par les USA. C’est à cette époque que Ben Laden fut formé par les
Américains. L’URSS branlante finit par se retirer en 1989. Mais peut-on dire que les Etats-Unis sont à
mettre dans le même panier que l’URSS et qu’ils imposent leur athéisme ? Assurément non puisqu’ils
ne sont pas athées. Comment le seraient-ils avec des devises comme « In God We Trust » ou « God
Bless America » ? Les athées aux USA sont bien moins acceptés, quoique non persécutés, qu’en
Europe. Il faut dire qu’au départ, l’Amérique a été fondée par différentes communautés religieuses. Il
en est resté une neutralité de l’état vis-à-vis des différentes Eglises. Au contraire, la sécularisation de
l’état aux USA est nécessaire pour que les différents cultes coexistent en paix. Seuls les athées et les
agnostiques peuvent se sentir quelque peu frustrés dans le régime Américain, mais il faut dire que leurs
mouvements y sont peu structurés et manque de vigueur. Ce n’est pas demain la veille que les
Américains choisiront pour président un athée.
En conclusion, on peut retenir que :
- L’Amérique est plus religieuse que l’Europe et, les régimes athées ont à peu près disparu de la surface
de la terre. Il n’y a donc pas de phénomène de sacralisation condamnable.
- Il est nécessaire de s’ouvrir au débat et à la discussion, mais pas à n’importe quel prix et donc, sans
remettre en question les valeurs gagnées par la laïcité.
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Nous avons vu que les limites naturelles avaient un trait commun, ce sont des limites matérielles. Mais il existe
une troisième forme de limites, les limites intérieures, qui sont en quelque sorte des limites psychologiques.
En guise d’introduction à ce type de limite, lire la description de la vision d’un habitant de Sirius au début de la
page 10 du « Fantôme de la Liberté ».
Autre anecdote ; l’histoire d’un dissident soviétique habitué à de nombreux contrôles et au sentiment de sécurité
qu’ils peuvent conférer, qui se retrouve en plein Paris et qui décide de louer une voiture. Il aura le sentiment de
se trouver en pleine anarchie.
Nous disons ici au revoir à la philosophie politique, qui est une branche de la philosophie morale et, qui est la
recherche par la raison des orientations collectives, pour nous tourner vers l’individu. Soulignons que la
philosophie authentique est le retour au concret, à l’essentiel : « Qu’est-ce que c’est ? ».
La liberté n’est pas nécessairement ce que les gens désirent. Les gens n’aiment pas que l’on décide à leur place
(états non laïques), mais, paradoxalement, ils n’aiment pas devoir prendre des décisions. Il y a par exemple des
gens qui font tout pour se faire plaquer de peur de devoir assumer les responsabilités d’une séparation. Décider
est angoissant pour beaucoup de gens. L’angoisse est un phénomène fondamental dans les philosophies
existentielles (philosophie qui s’intéresse à l’existence individuelle). Sartre (1905-1980), dont une des qualité
était de pouvoir s’exprimer de nombreuses manières (romans, essais, pièces, etc.), intitule son roman d’accès à la
liberté : « La Nausée »…Dans ce roman, Sartre mettra en exergue une citation de Céline extraite de sa pièce
« L’Eglise » qui dit : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu ». Cette
phrase est, dans la pièce, prononcée par un huissier qui introduit le personnage représentant Céline à un membre
éminent de la « Société des Nations », alors qu’il venait faire son rapport au retour d’une mission en Afrique.
Chapitre : Un garçon sans importance (Page 19 ; FL)
Dans son autobiographie intitulée « Les Mots » et publiée en 1963, Sartre met en scène un épisode de son
enfance, alors qu’il devait avoir entre cinq et dix ans. Dans cet épisode, décrit dans « Le Fantôme de la Liberté »
page 19 et suivantes, le jeune Sartre rêve d’un jour pouvoir avoir de l’importance aux yeux de la collectivité,
devenir un super Simonnot. Ici une question se pose, est-ce que la collectivité est importante ?
Pour argumenter au cours, Haarscher fait référence à :
- Une formule de Groucho Marx reprise plus tard par Woody Allen : « Cela ne m’intéresse pas d’être
accepté dans un club qui admettrait… des types comme moi » (FL page 23). Autrement dit, c’est
lorsqu qu’on est nié par des gens qu’on leur accorde de l’importance (Sartre et les amis de son grandpère).
- L’ « effet vitrine » (FL page 24) et l’amour de Swann (Proust) pour Odette de Crécy (FL page 25) à
laquelle il avait associé une peinture de Botticelli et une musique de Vinteuil. Autrement dit, parfois
c’est l’interdit qui crée le désir (plus que l’objet lui-même).
En réalité, on a jamais une importance collective. C’est une illusion, c’est éphémère. Sartre écrivait dans « La
Nausée » : « Je suis de trop dans l’éternité ».
L’enfant va chercher à satisfaire son besoin de sécurité mentale (≠ sécurité matérielle) en se construisant une
place dans le monde. C’est un désir profondément religieux : marcher dans le droit chemin pour atteindre la
paix éternelle. La Nausée, c’est l’histoire du désenchantement des désirs de l’enfant. L’enfant, devenu adulte,
se demande pourquoi, il a fait tout ce qu’il a fait.
Chapitre : Figures de l’ambiguïté et de la fuite (Page 29 ; FL)
Première étape
Antoine Roquentin – Sartre, vingt ans plus tard va connaître des conflits internes alors qu’il est devenu, à son
insu, une espèce de super Simonnot auquel on demande d’effectuer des recherches sur le marquis de Rolbon.
Au contraire de l’autodidacte de la « bibliothèque » qui élimine les angoisses de sa vie en adoptant un
comportement quasi mécanique (étude des ouvrages par ordre alphabétique), Roquentin va naviguer à la limite
de la révolte et de l’acceptation de sa vie. Ses mini révoltes vont se traduire par des comportements « bizarre »,
comme l’agressivité qu’il manifeste envers le galet ramassé, sa fuite du parc peuplé de gens étranges, les
bretelles non assorties de l’homme du bistro ou, justement, sa répulsion pour les mains moites de l’autodidacte.
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Freud aurait considéré que tous ces comportements bizarres proviennent de mécanismes de défense, d’un
compromis. Roquentin opère une sorte de révolte contenue, il est à la limite de son monde. Il y a une censure
individuelle ou auto censure (refoulement), semblable à la censure politique (presse, prisons,…)
Que ce serait-il passé si Roquentin avait été voir un psychanalyste à ce moment-là ?
Par la libre association (= discours libre qui diminue l’effet de la censure et qui semble aller dans tous les sens,
mais qui tourne autour du nœud du problème), le psychanalyste aurait découvert l’importance de Simonnot dans
l’état de Roquentin. Bien sûr, Roquentin aurait nié cette importance, tout comme le président Schreiber en plein
délire à Vienne se serait offusqué si Freud lui avait révélé son homosexualité.
Soulignons ici les deux déviations possibles de la psychanalyse :
- L’implication moralisatrice du directeur de conscience (le rôle du petit autre, de l’ami). Le
psychanalyste doit rester silencieux, il doit être le grand autre. Hors de vue de l’analysant, son discours
reste en apesanteur, il ne peut pas s’appuyer sur un interlocuteur. C’est la déviation la plus fréquente.
- L’encouragement au laissé aller, à la libération totale. C’et la société qui est malade.
La psychanalyse doit se borner à aider à la « Connaissance de Soi », à aider à la prise de décision en
connaissance de cause, mais elle doit rester neutre (ce qui suppose que le psychanalyste a déjà réglé ses propres
problèmes et qu’il est disposé à subir un transfert). Le psychanalyste est un médiateur entre soi et soi.
Deuxième étape
Son ancienne maîtresse Anny (FL p.32-33), va opposer à sa nostalgie des « moments parfaits » (moments
passivement attendus), les « moments privilégiés » (moments où de nouvelles ouvertures se présentent et qui
engagent à une action). La force d’un homme, c’est d’oser agir, de prendre des risques. L’idée des moments
privilégiés reflète l’idée philosophique de la recherche de la liberté. Anny est existentialiste.
Troisième étape
Roquentin va entendre un vieux disque de Jazz rayé intitulé « Some of these days, you’ll miss me honey »
(analogie avec son besoin de se mettre en évidence aux yeux de ses parents).
Il y a donc deux dimensions à la philosophie morale :
1) Individuelle. L’inconscient nous empêche de savoir ce que l’on veut véritablement.
En fait, il y a problème d’opacité (voir chapitre : Discours sur le peu de réalité Page 11 ; FL) :
o On est, comme Roquentin, opaque à soi-même. C’est le « Connais-toi toi-même » que l’on
peut considérer comme le but de la philosophie individuelle. Dans les pays libres, la quantité
de choix possible est telle, que les orientations de vie se font la plupart du temps au petit
bonheur la chance. C’est sur des petits détails (l’existence d’un Simonnot), que se choisissent
les orientations de nos vies. Les choix se font généralement dans l’émotion.
o Les autres nous sont opaques (comme le sont les intentions des deux noires, sur la bretelle
d’autoroute, dans « Le Bûcher des Vanités » de Tom Wolfe : voir page 16 ; FL), ils ne nous
envoient que des signes partiels et partiaux (souvent contradictoires comme dans le cas de
Dreyfus qui transpire lors de son exercice d’écriture). Or les relations avec autrui sont
centrales. Il ne faut pas se fier aux apparences.
o Le passé nous est opaque. Il ne reste que des traces. Il est révolu et ne reviendra pas. C’est
pourquoi, en démocratie, le doute profite aux accusés. Notre monde est pour nous quasi
invisible et, tenter de rendre l’invisible visible, c’est, dans le langage du philosophe,
interpréter. Interpréter, c’est aller au-delà des signes. Comme l’illustre bien l’affaire Mc Coy,
la vérité ne correspond pas toujours à l’explication la plus vraisemblable.
Souvent, on souhaiterait reconstruire son passé afin qu’il puisse servir à notre présent. C’est
d’ailleurs ce que fait le service des archives de Big Brother dans « 1984 », le roman de
George Orwell. C’est aussi ce qui se fait dans les régimes totalitaires : Staline, le Petit Père, a
non seulement fait assassiné Trotski, mais il a aussi fait en sorte d’effacer les traces de son
passé (en trafiquant par exemple des photos d’archives). C’est ce qu’Orwell appelle
« vaporiser » le passé.
Autres exemples :
 Chirac qui nie avoir jamais rencontré Didier Schuller (affaire des HLM) alors que, le
lendemain, « Le Monde » publie la photo de ce dernier sortant du bureau du Maire de
Paris.
Article publié le 14 Février 2002 : « Sur la photo » par PIERRE GEORGES
« AH LA PHOTO, quelle plaie, la photo ! Un engin explosif, d'un maniement
redoutable. Toujours prêt à vous sauter à la figure, à faire sens comme disent ceux, et
7
o
ils sont nombreux, qui ont été amenés à réfléchir sur l'utilisation de cette arme de
presse. Donc, hier, en page 9, Le Monde a publié une photo abominable, un document
atroce, hors toute convention du genre, bref un cliché, somme toute très banal, mais
qui, dans l'actualité politique agitée du temps, a provoqué la fureur, l'indignation des
supporteurs du chef de l'Etat. »
 Clinton qui commence par nier toute relation sexuelle avec Monica Lewinski.
 Interdiction de faire des photocopies en ex-URSS.
Notons que la manipulation du passé fonctionne très bien chez les gens qui ont une mauvaise
connaissance du passé. Un inculte est une personne qui a peu de traces du passé. C’est la
stratégie utilisée par les fondamentalistes musulmans, manipuler des incultes en se chargeant
de leur éducation.
Même au présent les illusions sont nombreuses car nous n’avons ni le don d’ubiquité, ni le
don d’extra lucidité.
Il n’est pas évident nous orienter confronté à ces quatre types d’opacités. On réalise pourquoi la liberté
individuelle fait si peur et pourquoi bien des gens ne font que tourner autour.
2) Collective (la philosophie politique). Est-ce que choix décidé à l’unanimité est toujours le bon ? Non,
prenons par exemple la loi sur la compétence universelle qui permet de juger les crimes contre
l’humanité. Elle semble évidente et judicieuse, cependant elle a des effets pervers et il est impossible de
pouvoir émettre un jugement objectif. De plus il est rare d’obtenir une cohérence politique. Il faut
éloigner le plus possible les limites politiques sans aller trop loin sans quoi on se retrouve en pleine loi
de la jungle.
Les Premiers Philosophes (ou présocratiques ou philosophes physiciens).
La philosophie est née au 7e-6e siècle avant J.-C. sur la côte Turque actuelle. Avec les premiers philosophes
commencent la désanthropomorphisation et la démythologisation car :
-
Pour Thalès de Milet, « tout est eau ».
Pour Anaximène, « tout est air ».
Pour Héraclite, « tout est feu ».
Pour Démocrite, se ramène au vide et à l’atome, particule insécable.
Et pour Xénophane de Colophon, les hommes ont inventé des dieux à forme humaine.
Cette manière de penser met indirectement le pouvoir en danger, car celui-ci est assuré par les aristocrates qui
justifient leur pouvoir par la théogonie, la généalogie des Dieux (jusqu’à Jules César). Les philosophes sapaient
donc l’autorité à la base. On les a accusés d’avoir ruiné les fondements de la société à la manière, plus tard, de
Voltaire et Rousseau.
Lire pages 37 et suite du Fantôme de la Liberté.
Attention aux anachronismes, le « peuple » dans la Grèce antique ne représentait pas tous les habitants de la cité.
En effet, les femmes, les étrangers et, bien sûr, les esclaves n’avaient pas trois à la citoyenneté. C’est la raison
pour laquelle Socrate préférait rester avec la « masse » sur l’agora plutôt que de monter sur la Pnyx avec les
autres citoyens.
(Parenthèse suite à son passage télé : la manière dont un débat est mené n’est pas sans conséquences. Les leaders
intégristes sont des manipulateurs peu cultivés qui entraînent des personnes encore moins cultivées.)
La naissance de la démocratie en Grèce engendre une deuxième catégorie de philosophes, les philosophes de la
démocratie, les sophistes. Au début de la démocratie, leur rhétorique sera perçue positivement, ils vont faire de
la démagogie (flatter le peuple) ; mais plus tard, leur rhétorique prendra une image négative.
Un peu d’histoire :
- De –460 à –430, la démocratie à Athènes est incarnée par Périclès, grand stratège militaire.
- Puis, guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte.
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Vers –405, la démocratie à Athènes est complètement dégradée, d’ailleurs, Socrate (-440 - -399) en
aura toujours eu une piètre opinion.
La démocratie à Athènes était de forme directe, aujourd’hui elle de forme représentative. L’exécutif, mandaté
par l’assemblée, était confié à une magistrature où, les magistrats assuraient une fonction publique. À l’époque,
la fonction juridique n’existait pas. Les magistrats étaient tirés au sort (afin d’éviter un retour à un système
aristocratique) à l’exception des stratèges militaires, car cette fonction nécessitait un certain savoir-faire. C’est
pourquoi Périclès était constamment réélu. Il mourra pendant la guerre du Péloponnèse et le pouvoir
démocratique sera de plus en plus entre les mains des sophistes.
-
En fait, il faut distinguer deux types de discours :
1)
Les discours descriptifs (à l’indicatif). Il s’agit d’exposer des faits.
2)
Les discours normatifs (à l’impératif). Il parle de normes, d’idéaux et des valeurs. Il faut distinguer
deux niveaux : en amont, le contexte de l’énonciation (aristocratie) et en aval (démocratie), son
contenu, et donc la discussion y est centrale, si elle se passe bien tout va bien, sinon tout va mal.
Exemple des dix commandements : l’amont est de première importance (Dieu) et l’aval est à peu près facultatif,
il n’y a pas à se poser de questions sur son contenu.
Il faut mettre en évidence deux types d’erreur de raisonnement :
- Les paralogismes : les erreurs involontaires (contre la raison).
- Les sophismes : les erreurs délibérées (à des fins de manipulation).
Les sophistes sont les professeurs de la sagesse démocratique, ils apprennent à discuter, la rhétorique est leur
art. À l’époque où la démocratie marchait bien, les sophistes étaient essentiels aux orientations collectives. Ils
devinrent les piliers de la démocratie. Au déclin de la démocratie, au moment de la montée en puissance
d’Alexandre le Grand, les sophistes souffriront la critique de philosophes comme Aristote et Platon. En fait, ils
vont continuellement tromper l’assemblée par des discours plus vraisemblables que vrai (cf. Sherman MC Coy).
Or dans une démocratie, les seuls qui ont le pouvoir sont ceux qui argumentent et qui convainquent, sans avoir
pour autant les meilleures raisons. Lorsque le contenu de l’énoncé se trouve au premier plan on parle du Primo
du contenu de l’énoncé ; mais lorsque le charisme de l’orateur prévaut, on parle du Prima de l’énonciation.
Les sophistes vont se voir dénoncer par Socrate (il les décrit comme des corrupteurs de jeunesse), puis par
Aristophane, un réactionnaire du bon vieux temps de la démocratie. Il dira que : « Le sophiste est celui qui fait
prévaloir la cause la plus faible sur la cause la plus forte ». Si la raison du plus fort est toujours la meilleure,
comme l’illustre bien la fable de La Fontaine « Le Loup et l’Agneau » (FL page 49) ; on peut aussi dire que la
raison du meilleur orateur est toujours la meilleure, et ce sans violence. L’orateur, formé par un sophiste, arrive à
faire faire au peuple tout ce qu’il veut et ce sans la force.
De manière ironique (l’ironie constitue une protection), Socrate prétendait avoir un bon démon dans la tête qui
lui disait de ne pas faire telle ou telle chose, comme celle de participer aux assemblées. Il interpelle donc les gens
à la sortie de l’assemblée et les interroge sur ce qu’il s’y est passé, il souhaite entendre une rhétorique courte ;
une dialectique qui s’oppose à une rhétorique longue. Il mettra souvent son interlocuteur mal à l’aise en lui
montrant que « l’orateur à l’assemblée prétendait connaître, toi tu prétendais avoir appris et que moi, je sais que
je ne sais rien ». Il n’empêche que malgré son ton ironique, Socrate finira par se faire beaucoup d’ennemis.
Guy Haarscher propose un exemple fictif de discussion entre Socrate et un homme revenant de la Pnyx.
Contexte : Un « ami » de l’orateur est armateur et une guerre navale contre Sparte servirait ses intérêts.
Socrate :
L’homme :
Socrate :
L’homme :
Socrate :
« Que s’est-il passé à l’assemblée ? »
« Il nous a dit que dans l’intérêt général nous devons nous défendre des spartiates ».
« Il a raison, mais qu’a-t-il dit d’autre ? »
« Il a dit que la reprise des hostilités par les spartiates était imminente. »
« S’il y a une menace, il faut en effet agir, mais, a-t-il argumenté pour établir que cette menace était
imminente ? »
L’homme : « Je ne me rappelle pas, je ne sais pas ».
Socrate : « Pourquoi as-tu accepter l’idée d’une menace ? »
L’homme : « Il nous a parlé des conséquences de cette menace, il nous a expliqué qu’ils violeraient nos femmes
et tueraient nos enfants… ». On constate ici que l’orateur qui n’a pas d’arguments, au moment où
le discours devient faible, va jouer sur les émotions. Il y a donc une distorsion dans l’argumentation
afin d’atteindre le but recherché. Ensuite, il va revenir sur son raisonnement :
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«…et qu’il faut nous montrer courageux, que nous ne sommes pas des lâches ». Affirmation qui ne
se discute pas en publique même si, dans leur for intérieur, les gens pensent déjà à la désertion.
Autre exemple de réactions émotionnelles : les thèses (quasi négationnistes) de Raphaël Meyssan
(Réseau Voltaire) à propos du Boeing écrasé sur le Pentagone. Il n’y a rien pour étayer cette thèse, à
l’exception, peut-être d’un mobil. En effet, le « crime » profite au lobby militaro-industriel.
Il faut, cependant, garder à l’esprit que :
- Tout acte terroriste favorise les positions conservatrices. On se rappellera, ici, des Brigades
Rouges dont les actions terroristes étaient destinées à entraîner un durcissement du régime
afin d’amener le peuple à se révolter.
- Internet favorise la rapidité de circulation de l’information et sa quantité. Ce phénomène
n’aide en rien à la nécessité de garder un point de vue critique par rapport aux bruits qui
circulent.
- Au plus on laisse parler ses émotions, au plus on devient bête par rapport aux choses qui
sortent de nos compétences. Face à cette masse d’infos, les gens ont tendance à faire des
choix, les plus originaux possible, et de se les approprier.
Socrate : « Sais-tu ce qu’est le courage ? »
L’homme : « Oui, il nous a donné l’exemple de soldats face à l’adversaire. Ceux qui restent et se battent sont
courageux et ceux qui fuient sont des lâches ». Il faut toujours se méfier des exemples.
Socrate : « Selon toi Enée était-il courageux ? »
L’homme : « Oui ».
Socrate : « Te rappelles-tu l’épisode où, en fin stratège, il renonce à une attaque immédiate ».
L’homme : « Oui ».
Socrate : « Alors, il te faut choisir ! Soit Enée était en fait un lâche, soit la définition du courage que t’a
donné l’orateur est mauvaise ».
Le courage sans l’intelligence, c’est de la témérité. Et, intelligence nous dicte d’agir au bon moment (Kairos). Il
faut parfois savoir reculer pour mieux sauter. L’idée de recul est ambiguë, il peut montrer soit de la lâcheté, soit
une double vertu, courage et intelligence. Sans connaître la fin de l’histoire d’Enée, nul n’aurait pu conclure à de
la lâcheté (ou à du courage).
Sartre nous montre un bel exemple de cette ambiguïté dans sa pièce « Huis Clos », dans laquelle il campe trois
personnages décédés qui ne peuvent plus voir leur image mais qui peuvent dialoguer. Il y a un révolutionnaire,
journaliste de formation, qui s’est fait arrêté et exécuté alors qu’il quittait un pays d’Amérique Latine en pleine
guerre civile. Il quittait le pays, non par lâcheté mais, parce qu’il pensait que son action, en tant que journaliste,
pouvait être plus utile en allant solliciter de l’aide à l’extérieur. Il y a aussi une Estelle, une belle femme, qui a
besoin de s’entendre dire qu’elle est belle et Inès, une homosexuelles. Cette pièce illustre aussi le fameux mot de
Sartre : « L’enfer, c’est les autres ». En effet, mort, on ne peut se défendre du jugement des toujours vivants.
On voit donc que si l’orateur avait donné une définition complète de la notion de courage, il n’aurait pas atteint
son but. Il y a deux sophismes dans le discours sur la colline :
- Une affirmation non argumentée.
- Une définition appauvrie et pervertie à partir d’un exemple trompeur, partial et partiel.
Pour Socrate, l’assemblée était un théâtre d’ombres. C’est une notion que Platon, son élève, va reprendre dans
« La République », œuvre de maturité (seconde période), où il décrit l’allégorie bien connue de la caverne (voir
FL page 65). Les philosophes doivent acclimater les gens avant de les amener à la lumière.
On peut aisément comparer les ombres de la caverne avec la télévision d’aujourd’hui. Télévision qui a du mal à
scinder le divertissement de l’information. On parle d’infotainment, mot-valise à la façon de Lewis Carroll qui
est une contraction d’information et d’entertainment.
Pascal, philosophe chrétien du XVIIe siècle, définissait le divertissement comme une échappatoire à ses
responsabilités, une fuite de soi-même. Pour lui, le divertissement était la misère de l’homme.
Platon (qui fut ébranlé par le procès de Socrate) a souvent écrit sous la forme de dialogues entre Socrate et une
tierce personne, on a même cru, à un moment que Socrate était un personnage créé par Platon. Il faut distinguer,
chez Platon, trois périodes. Dans la première, ses dialogues de jeunesse sont fortement emprunts de Socrate.
Considérant, d’une certaine façon que Socrate a essuyé un échec, Platon va changer certaines choses dans son
approche de la politique. Il va inciter les gens à faire de longs détours de manière à sortir de l’ignorance pour ne
plus se laisser manipuler (cf. courage).
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Il y a deux niveaux dans la description d’une chose :
- La définition des attributs essentiels (nécessaires car si on les enlève, il n’y a plus d’objets).
- La définition des attributs accessoires ou contingents (ex. : la couleur de la table).
Exemple : le fait de reculer n’est pas un attribut essentiel dans la définition du courage, mais un attribut
accessoire.
Le fait de devoir utiliser des termes généraux (des noms communs) rend le langage infirme. C’est pourquoi,
paradoxalement, la philosophie est plus concrète que le langage qui rendu abstrait par la nécessité d’utiliser les
mots. Passer de l’exemple à l’essence, c’est philosopher, passer au plan métaphysique. C’est la condition pour
pouvoir s’approcher de la réalité. Cette approche de la philosophie était aussi bien partagée par Platon que par
Socrate.
Procès de Socrate (décrit par Platon dans ses dialogues de jeunesse « L’apologie de Socrate »)
Officieusement, il fut jugé pour deux raisons :
- Les gens n’aiment pas qu’on leur mette leur nez dans leur ignorance (surtout devant autrui).
- Il y avait de gros intérêts en jeu, bien que Socrate n’ait peut-être pas eu conscience des lobbys qui
tiraient les ficelles de la démocratie.
Officiellement, on l’a accusé :
- D’impiété, de ne plus croire en l’existence des Dieux. Ce sont les physiciens qui commirent ce « délit »
(tel Anaxagore qui fut banni). Socrate n’est pas un physicien, il ne fait que s’attacher au mieux-vivre.
C’est vrai qu’ironiser en parlant de son démon n’était pas très malin.
- D’avoir corrompu la jeunesse. Un comble, quant on sait comment les sophistes manipulaient le
peuple et, les jeunes en particulier.
Il fut donc condamné sur base d’un double quiproquo. Pour se défendre, Socrate affirmera qu’il ne faisait que
dialoguer pour une meilleure démocratie. Quand on lui demandera de choisir sa peine, il demandera qu’on lui
érige une statue pour avoir contribué au mieux-vivre de la cité. Il fut donc condamné à mort, mais comme ça
n’arrangeait personne, on lui proposa le bannissement. N’ayant pas peur de la mort, la considérant comme une
délivrance, il refusera en soulignant qu’une loi votée était votée. Et, il but la ciguë.
Platon va donc changer de discours politique. Sa philosophie politique aura une grande influence jusqu’à Karl
Marx.
S’il existait un principe de légitimation de l’aristocratie, force est de constater, dans la démocratie de Socrate et
de Platon, le prima de l’énonciation (du charisme de l’orateur) sur celui de l’énoncé. Le contenu du discours se
retrouve au second plan. Socrate disait oui à la démocratie mais, pas sans l’action de philosophes agissant tel un
contre poison à la sophistique. Platon réalise qu’il est très difficile de faire de la philosophie, il présente
d’ailleurs l’accès à la philosophie comme une longue ascension. Pour arriver au sommet, il faut :
- Un naturel philosophe.
- Savoir et vouloir cultiver ce naturel philosophe (comme une danseuse du Bolchoï).
Et si on ne trouve personne pour atteindre le sommet, il existe un moindre mal, une « second best » solution, qui
passe par la mise en place d’un équilibre des pouvoirs (« checks and balances »).
Dans « Le Banquet », un dialogue de maturité de Platon, Socrate et Aristophane se mesurent dans un concours
oratoire sur l’amour (lire FL pages 56, 57 et de 63 à 67, « Le maître des orientations »).
Le démocrate dit : « pouvoir de la majorité » et, le philosophe dit : « pouvoir de la vérité ». Mais donner le
pouvoir absolu au philosophe pose un problème. Comment être certain qu’il est et qu’il restera un despote
éclairé ? Comment faire la différence entre un vrai philosophe et un faux ? Comment contrôler le pouvoir du
philosophe ?
La pensée marxiste nous fournit l’une des versions les plus dures et les plus radicales de la monarchie
« philosophique ». Karl Marx (1818-1883), juriste de formation, est un des premiers à se rendre compte des
conséquences de la révolution industrielle en cours (phénomène qui ne s’était plus reproduit depuis la révolution
agricole, vieille de dix mille ans). L’auteur du « Capital » faisait partie des intellectuels libéraux allemands qui
luttaient contre la tyrannie et pour les droits de l’homme. Il était admiratif de la Révolution Française et,
conscient du retard politique allemand (à l’exception de la Prusse et de l’Autriche, l’Allemagne était morcelée) ;
mais il se rendait compte que la Révolution Française ne pouvait constituer qu’une étape vers le principe de
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« Liberté, Egalité, Fraternité », car la révolution industrielle engendrait des inégalités dans la répartition des
richesses (voir « Germinal » de Zola) et, l’exploitation des travailleurs était contraire aux droits de l’homme.
Marx va donc s’attacher à la lutte contre le capitalisme tout en considérant le développement des moyens de
production de biens et de médicaments comme un immense progrès (rappelons que, pour Malthus, si la
croissance de la production des biens est arithmétique, la croissance démographique est géométrique). Marx va
donc devoir lutter sur deux fronts. Exilé à Bruxelles, vers 1848, il va écrire en collaboration avec Engels,
« le manifeste communiste ». Ils partent de l’idée qu’on ne peut pas laisser les individus qui recherchent leurs
intérêts privés s’enrichir. C’est donc l’état qui doit assurer le contrôle des moyens de production. L’idée est
généreuse, mais elle fait naître un nouveau défaut, le danger d’une conjonction du pouvoir politique et du
pouvoir économique.
Ses idées communistes vont se réaliser en 1917 quand Lénine prendra le pouvoir à Petrograd (Ex SaintPétersbourg et futur Leningrad). En occident, on connaîtra un mouvement parallèle, plus nuancé et acceptant des
compromis : celui des socialistes ou des sociaux-démocrates dont le but était d’humaniser le capitalisme sans,
pour autant, l’étouffer. Il ne s’agissait pas, ici, de détruire la machine, mais de faire bénéficier le profit engendré
à tous, par un système de compensations (enseignement gratuit et obligatoire, sécurité sociale, pensions,
allocations familiales,…) Bien que les socialistes aient eu une rhétorique quelque peu révolutionnaire, ils ont
évolué dans le respect de la démocratie et, en arrière plan, accepté le principe du capitalisme. Aujourd’hui,
beaucoup pensent qu’ils ont été trop loin dans les compensations, qu’il y a une trop grande démotivation à
entreprendre.
On peut dire que Marx a beaucoup hésité entre communisme et socialisme. La logique de Marx était de
procéder par étapes. Il était à la base du matérialisme historique, il considérait qu’il fallait d’abord mettre en
évidence le moteur, la fondation des événements. Voici, par exemple, comment Marx interprétait l’origine de la
Révolution Française. En France, avant 1989, le développement industriel était bloqué de par, la multitude de
douanes intérieures (c’était encore le cas dans l’Allemagne de Marx), le protectionnisme local et, l’insécurité
des routes. La pression du capitalisme a fini par favoriser la simplification du système juridique, le
démantèlement des corporations, une plus grande sécurité et une augmentation du libre-échange. Tous ces
facteurs étaient propices au déclenchement de la Révolution Française. Mais pour Marx, si le capitalisme était
un bien pour sortir de l’ancien régime, il devait vite conduire à l’anarchie et au chaos, d’où la nécessité de
passer à une étape supérieure grâce au communisme ou au socialisme, afin de garantir une redistribution des
biens de productions. Cependant Marx n’avait pas prévu les deux étapes supplémentaires de la révolution
industrielle, d’abord celle du pétrole et de l’électricité, puis, celle de l’atome (du nucléaire et de
l’électronique).
Pour Marx, le véritable combat repose sur les besoins de base (besoins matériels). Et, c’est la rareté des biens
qui crée la lutte des classes. Il faut donc laisser faire le capitalisme jusqu’à ce que le niveau de biens soit
suffisant, puis, passer à l’étape supérieure, c’est-à-dire à la révolution qui abolira le capitalisme. Marx n’a
jamais imaginé que cette révolution puisse avoir lieu en Russie, il la voyait plutôt en Angleterre. Le capitalisme
n’était pas suffisamment développé en Russie. C’était brûler une étape.
Lénine, politicien génial, considère que les sociaux-démocrates ont trahi l’idéologie marxiste en acceptant
d’entrer en guerre en 1914 et donc, en passant à côté d’une internationalisation pacifique. Il espérait que la
révolution Russe, en 1917, serait l’étincelle qui allait entraîner des révolutions dans les autres pays capitalistes.
Ce qui, à quelques exceptions près, ne s’est pas produit. Lénine avait compris qu’on ne pouvait pas sauter des
étapes, il va d’ailleurs être à l’origine de la NEP (nouvelle économie politique), une sorte de capitalisme à la
Russe, un vague compromis. Quand Lénine meurt, en 1924, la hache de guerre va être déterré entre Trotski et
Staline, qui ira poursuivre son ennemi jusqu’au Mexique pour le faire assassiner au Mexique en 1940. Staline
restera au pouvoir entre 1927 et 1953, il fera de l’U.R.S.S. une dictature qui deviendra la deuxième puissance
mondiale (avec l’aide des alliés à la fin de la seconde guerre mondiale) jusqu’à la fin des années ‘80.
En conclusion, on peut dire que la version communiste de l’idéologie marxiste a échoué, mais que la version
socialiste à conquit ses lettres de noblesse, bien qu’elle soit aujourd’hui menacée par le phénomène de
mondialisation. Les multinationales peuvent facilement décentraliser leur production dans des pays (à la
démocratie douteuse ou inexistante) où la main d’œuvre, de plus en plus qualifiée, est meilleur marché.
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