1 Résumé et commentaires de Mind : a brief introduction (Searle, 2004) (à étudier avant d’aborder le point 4.2.2 du chapitre 4, p. 39) Ce livre est la seule introduction générale que Searle ait écrite sur la philosophie de l’esprit. Toutefois, la plupart des arguments ont été développés ailleurs, notamment dans The rediscovery of the mind (1992). Le petit livre Liberté et neurobiologie contient aussi un grand nombre des thèmes récurrents discutés par Searle. Ce livre d’une grande limpidité, très bref (105 pages en format de poche et typographie aérée) constitue une excellente introduction à beaucoup de thèmes auxquels je ferai allusion dans ce qui suit. Voici la table des matières de Mind : a brief introduction : Introduction: pourquoi j’ai écrit ce livre 1.Une douzaine de problèmes en philosophie de l’esprit 2. le tournant matérialiste 3. Arguments contre le matérialisme 4. La conscience - partie 1: La conscience et le problème esprit-corps 5. La conscience - partie 2: La structure de la conscience en neurobiologie 6. L’intentionnalité 7. La causalité mentale 8. Le libre arbitre 9.L’inconscient et l’explication du comportement 10. La perception 11. Le moi Epilogue: la philosophie et la vision scientifique du monde Dans ce qui suit, je résume et je commente l’introduction et les 5 premiers chapitres du livre. Les chapitres 8 et 11 ne seront pas traités. Les contenus des chapitres 6, 7, 9 et 10 font déjà largement partie des matières rédigées du chapitre 4 à partir de la page 40. 1. Résumé et commentaires de l’introduction La thèse de Searle est que la philosophie de l’esprit contemporaine demeure beaucoup trop tributaire d’une série d’hypothèses qu’il juge erronées sur la manière dont la conscience et d’autres phénomènes mentaux sont connectés entre eux et avec le reste du monde. Dans les premiers chapitres, Searle va argumenter contre les conceptions actuelles d’inspiration dualiste (aussi bien le dualisme de substance que le dualisme de propriétés), matérialiste, physicaliste, computationnaliste et fonctionnaliste (et quelques autres). Le problème est qu’aucune de ces conceptions ne permet de 2 rendre compte de trois types d’expérience consciente : percevoir une sensation, effectuer une action intentionnellement et penser à quelque chose. Le problème esprit-corps. Les objets du monde ont une existence objective. Ils existent indépendamment du fait que certains organismes peuvent les expérimenter de manière consciente. Actuellement, nous savons que ces objets sont entièrement constitués des particules décrites par la physique atomique et qu’aucun vécu qualitatif n’est associé au fait d’être une particule physique, d’être une montagne, d’être une rose ou d’être une table. Ces faits constituent une invitation à l’adoption d’une position dualiste : le mental en tant que tel n’est pas physique, le physique en tant que tel n’est pas mental. Par exemple, on éprouve une légère douleur dans le bras gauche. Comment l’expérience subjective de cette douleur peut-elle exister dans un monde entièrement constitué de particules physiques ? Comment certaines particules physiques qui font partie de la matière cérébrale peuvent-elles causer une expérience mentale ? Le problème de la causalité mentale. Comment l’intention de se pincer le bras gauche avec la main droite peut-elle causer le déplacement des diverses masses corporelles impliquées dans cette action ? Le problème de l’intentionnalité de l’esprit. Comment nos pensées peuvent-elles référer à des objets et des situations de fait dans le monde ? Par exemple, comment peut-on penser à la situation politique à Pékin ou à Paris ? Searle termine son introduction en insistant sur deux distinctions qu’il juge très importantes : Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants de l'observateur et ceux qui sont dépendants ou relatifs à l'observateur Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée Commentaires : Trois caractéristiques de la distinction objectif-subjectif 1. Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants de l'observateur et ceux qui sont dépendants ou relatifs à l'observateur. - Les forces, les masses, les particules élémentaires, le système solaire, la photosynthèse, ... ne dépendent pas de nous pour exister. Tous ces éléments existent indépendamment de l'existence d'êtres doués de conscience et d'intentionnalité. - La monnaie, la propriété, le mariage, le gouvernement, le football n'existent qu'en vertu de notre manière d'envisager, de penser ces notions. Toutes ces notions sont relatives à l'observateur. Par exemple, une pièce de monnaie n'a de valeur monétaire que parce qu'on lui attribue cette valeur. 3 - Toutefois, les états mentaux des observateurs qui engendrent des faits dépendant de l'observateur sont eux-mêmes indépendants de l'observateur. - Donc, c'est le fait que j'attribue une valeur monétaire à la pièce qui fait qu'elle a cette valeur monétaire, pas son existence en tant qu'objet physique qui est indépendante de tout observateur. - Mais, mon état intentionnel, malgré son caractère personnel et subjectif (du point de vue épistémologique) est aussi un fait indépendant de l'observateur qui existe dans le monde (du point de vue ontologique, cf. plus bas). 2. Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée Quand il s'agit de l'esprit, il est nécessaire d'effectuer une distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée. - Je connais le chemin pour me rendre de chez moi à mon bureau. Ces informations mentales sont intrinsèquement intentionnelles. La carte que je vous montre contient aussi ces informations. Mais le fait que différents symboles puissent référer à des quartiers de la ville et des rues dérive de l'intentionnalité intrinsèque de l'éditeur de carte et le fait que vous et moi comprenions cette intentionnalité dérivée dépend de notre intentionnalité intrinsèque. - Comme la carte, le langage humain dérive aussi son intentionnalité de l'intentionnalité intrinsèque de l'esprit. - D'une manière encore plus générale, la distinction ontologie - épistémologie (cf. point 1.1 de la partie I du cours) doit être continuellement présente à l'esprit quand on lit Searle. Searle argumente surtout d’un point de vue ontologique, rarement d'un point de vue épistémologique. Or, la plupart des philosophes des sciences actuels adoptent plutôt un point de vue épistémologique, souvent de manière implicite. 3. Distinction entre ontologie à la première personne et ontologie à la troisième personne A la fin du XIX siècle, William James avait, avec raison, insisté sur le caractère irrémédiablement personnel et subjectif des états mentaux, donc sur ce que l'on peut appeler leur ontologie à la première personne. Ceci veut dire que nul autre qu'une personne elle-même ne peut avoir une connaissance détaillée de ses états mentaux. Il s'agit d'une connaissance pour laquelle chacun d'entre nous est son meilleur expert. On parle aussi de connaissance immédiate, par opposition à la connaissance qui concerne les objets du monde. Cette connaissance, qu'elle concerne l'individu ou la science, est médiatisée par l'intermédiaire des organes des sens, d'instruments de mesures, etc. Il s’agit d’une connaissance objective qui a une ontologie à la troisième personne. Toutefois, le caractère subjectif des états mentaux au sens épistémologique du terme subjectif ne doit pas nous faire ignorer que ces états mentaux existent au sens ontologique, au même titre que 4 n'importe quel autre phénomène naturel. Il n'est pas certain que cette distinction ait été comprise par les behavioristes. Au minimum, on peut sans doute affirmer que c'est parce qu'ils n'étaient pas conscients de cette distinction qu'ils semblent parfois non seulement douter de la possibilité d'avoir une science des états mentaux (à cause de difficultés réelles de nature épistémologique), mais même douter aussi de leur existence au sens ontologique (ce qui est absurde). Ce faisant, ils se sont mis dans une position comparable à celles des philosophes grecs qui, malgré les apparences, niaient la possibilité du mouvement. Ce faisant, ils niaient l'existence du phénomène. Un grand progrès a été accompli quand la physique antique a décidé qu'il fallait que la théorie « préserve» le phénomène. C'est exactement dans cet état d'esprit-là que Searle dit que le caractère privé et subjectif des états mentaux n'empêchent pas leur existence. Ils sont non seulement subjectifs du point de vue épistémologique mais aussi du point de vue ontologique. Donc, ils ont une ontologie à la 1ère personne. Ceci les rend difficiles à étudier, plus que les objets qui ont une ontologie à la 3ème personne, mais cela ne veut pas dire qu'ils n'existent pas (cf. plus bas résumé du chapitre 4). 2. Résumé du Chapitre 1 : une douzaine de problèmes en philosophie de l’esprit Dans l’introduction de ce chapitre Searle souligne que contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaines de la philosophie, il y a sans doute en philosophie de l’esprit une différence importante entre ce que pense le milieu professionnel des philosophes et ce que pense le profane. Searle suppose que la plupart des gens dans le monde occidental souscrivent à une forme de dualisme. La plupart des gens pensent qu’ils ont à la fois un corps et un esprit (ou une âme). Ceci s’oppose à la position de la plupart des professionnels en philosophie, en sciences cognitives, en neurobiologie et en intelligence artificielle qui adhèrent à une forme ou une autre de matérialisme. D’où vient cet rupture ? Essentiellement de l’énorme difficulté de sortir des catégories qui nous ont été léguées par Descartes. La première partie du chapitre s’intitule « Descartes et autre désastres ». Elle énumère 8 problèmes légués par Descartes. A ceux-là s’ajoutent 4 problèmes plus contemporains. Remarque 1 sur l’étude de la partie II du cours consacrée à Descartes. Je n’interrogerai pas sur l’intermède historique des pages 22 à 27. Cependant, ces pages méritent d’être lues parce qu’elles permettent de comprendre le rôle central de Descartes dans la philosophie occidentale. En particulier, il est important de souligner que Descartes a été éduqué dans une optique scolastique qui repose essentiellement sur le modèle aristotélicien. Ceci justifie mon approche dans ce cours qui consiste à écraser le temps en envisageant une continuité immédiate entre la philosophie d’Aristote qui date du IVe siècle avant J.C. et le XVII siècle. Remarque 2 sur l’étude de la partie II du cours consacrée à Descartes J’ai dû cette année traiter très rapidement de Descartes et mon exposé des pages 28 à 34 du cours est très insatisfaisant. Vous pouvez laisser tomber la partie sur les passions, pp. 33 et 34. En 5 revanche, le rapport entre la figure 3.1 de la page 32a et le modèle aristotélicien de la figure 1.12 p. 18a est très important. En particulier, la boîte imagination de la figure 1.12 est la même que la ligne imagination de la figure 3.1. Il s’agit de la phantasia d’Aristote, c’est-àdire des contenus mentaux tels qu’ils sont présentés à la conscience. S’agissant des contenus mentaux perceptifs, ils sont en grande partie causés par l’interaction entre le cerveau et le monde physique. Il s’agit des « présentations » (à la conscience, représentation si vous préférez), c’est-à-dire des contenus mentaux riches en propriétés secondaires qui n’ont pas d’existence réelle. Ce qui a une existence réelle, ce sont les descriptions abstraites de l’intellect (= la raison, l’entendement). Les capacités cognitives qui nous permettent d’extraire ces descriptions abstraites ne dépendent pas de l’expérience sensible. Elles nous sont données à la conception par une intervention divine. L’intervention divine porte sur trois catégories de contenus mentaux innés : la connaissance de l’existence de Dieu, la connaissance de sa propre existence en tant qu’être pensant et les connaissance logicomathématiques. C’est grâce à ces dernières que dans l’intellect, les objets n’existent pas avec leurs propriétés secondaires mais seulement avec leurs propriétés primaires, c’est-à-dire leur description en tant qu’objet occupant un certain espace et ayant une certaine forme descriptible dans les coordonnées cartésiennes. Donc, au-delà du monde perceptif existe un monde de la raison basé sur des principes logico-mathématiques. Ces principes rationnels nous permettent de formuler des jugements, c’est-à-dire des énoncés qui peuvent être vrais ou faux et qui ne reposent pas sur les images perceptives conscientes mais sur leur interprétation dans l’intellect. Remarque 3. La physiologie cartésienne est plutôt farfelue en regard de ce que nous connaissons maintenant. Toutefois, il faut comprendre que la position cartésienne est une position strictement scientifique sur le plan de l’explication des phénomènes physiques et biologiques. Ceci veut dire qu’aucune force obscure n’est à l’œuvre dans les explications de ces deux catégories de phénomènes. La vie s’explique par des phénomènes mécanistes. En revanche, en ce qui concerne l’esprit, il est nécessaire de postuler un autre type de substance et d’autres principes explicatifs. On peut qualifier la position de Descartes de dualisme de substances, par opposition aux formes plus modernes de dualisme qui peuvent être qualifiées de dualisme de propriétés. Ceci nous ramène à la première partie chapitre 1 de Searle dont j’adore le titre. Descartes et autres désastres Voici le tableau résumé de la conception cartésienne que Searle fournit avant de s’engager dans la spécification de huit problèmes de philosophie de l’esprit que nous lègue Descartes. 6 Substances Essence Propriétés Esprit Pensée, conscience Connaissance directe Libre Indivisible Indestructible Corps Extension (dans les dimensions de l’espace) Connaissance indirecte Déterminé Infiniment divisible Destructible 3 1. Problème du lien esprit-corps Cf. plus haut, p. 2 pour l’énoncé de ce problème. Searle souligne que le problème ne se pose pas de la même manière pour Descartes et pour nous. Descartes ne se demande pas comment le cerveau peut engendrer de la conscience. Pour lui, la conscience est une substance séparée qui s’attache au corps. Son problème est de savoir comment des pensées ou des émotions peuvent se produire dans l’âme en étant causées par des événements qui se produisent dans le corps. En postulant deux substances dont l’une est étendue dans l’espace et l’autre pas, Descartes se condamnait à ne jamais pouvoir trouver une solution satisfaisante à leur interaction. Aussi, il envisageait que l’âme imprègne tout le corps (elle n’est pas comme un pilote dans son navire) mais ceci aussi est une contradiction. Comment quelque chose de non spatial peut-il s’étendre dans l’espace du corps. 2. Problème de l’esprit de l’autre Pour chacun d’entre nous, la seule âme à laquelle on ait un accès direct est la nôtre. Comment savoir que les autres ont aussi une âme ? La seule solution est d’attribuer une âme à l’autre en se fondant sur l’analogie entre ses comportements et les nôtres. Mais cette solution n’est pas satisfaisante parce qu’elle est impossible à vérifier indépendamment (contrairement à une hypothèse scientifique). 3 & 4. Le problème du scepticisme quant à l’existence du monde extérieur et le problème de la perception Pour Descartes, les seules choses dont on puisse être certain sont nos propres perceptions, émotions et pensées. Mais comment savoir si ce que l’on perçoit sont les choses comme elles sont réellement. Descartes ne pense pas que ce soit possible. Les seules choses que l’on perçoivent directement sont nos contenus mentaux. Ceci revient à dire que l’on perçoit son expérience visuelle, que cette expérience est causée par l’objet, mais qu’on ne peut jamais savoir comment l’objet est réellement. Searle considère ceci comme le plus grand désastre en philosophie durant ces 4 derniers siècles. Il adopte lui-même une position réaliste (cf. 2ème position par défaut p. 29 de la partie 1 du cours). Il argumente pour cette position dans le chapitre 10 mais nous n’aurons pas le temps de traiter 7 ce problème très complexe. Sachez cependant que la plupart des philosophes même contemporains ne croient pas qu’on ait une perception directe des objets tels qu’ils sont réellement dans le monde. La solution de Descartes consiste à utiliser l’argument rhétorique selon lequel le monde extérieur n’existe pas mais qu’un démon malveillant nous fait croire à son existence en créant toutes nos impressions perceptives. Descartes se sert de la réfutation de cet argument pour prouver l’existence de Dieu. Il est impensable que Dieu, dans sa perfection, agisse de manière à nous tromper. Donc, le monde extérieur existe et c’est le monde extérieur qui cause nos perceptions. Cependant nous n’en avons pas une représentation précise. Par exemple, nos perceptions contiennent toute une série de qualités secondaires qui n’existent pas dans les objets du monde réels mais qui sont créées par l’interaction de ces objets avec notre système perceptif. 5. Problème du libre arbitre 6. Problème du moi et de l’identité personnelle 7. Problème de l’esprit chez les animaux 8. Problème de l’état de sommeil Ces quatre problèmes ne seront pas traités cette année. Searle termine le chapitre 1 en énonçant 4 problèmes contemporains de philosophie de l’esprit que Descartes n’a pas traités directement mais qui sont devenus centraux depuis un siècle. 9. Problème de l’intentionnalité Référez vous au point 4.2.2.1 de la partie 2 du cours pp. 39 à 40 pour la définition de l’intentionnalité et plus loin pour la distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée (cf. aussi p. 3 ci-dessus). 10. Causalité mentale et epiphénoménalisme Comme on l’a vu ci-dessus p. 2, le problème esprit-corps a deux versants : celui de comprendre comment le monde peut affecter l’esprit et celui de comprendre comment l’esprit peut causer quelque chose dans le monde. Le problème de la causalité mentale est traité dans le chapitre 7 mais nous n’aurons pas l’occasion de traiter d’autres points que ce qui est expliqué dans le cours pp. 47 à 49. 11. L’inconscient Le problème du statut des états mentaux quand ils sont inconscients fait l’objet du chapitre 9 du livre. Il s’agit essentiellement du principe de connexion (point 4.2.2.6, pp. 50 à 52 des notes) 12. Explication en psychologie et sociologie Searle s’interroge ici sur les raisons des échecs relatifs des approches scientifiques dans les 8 sciences humaines par comparaison avec les sciences de la nature. Il dira aussi quelques mots sur ce thème dans les 4 pages d’épilogue du livre. 3. Résumé du chapitre 2 : le tournant matérialiste Les difficultés du dualisme : dualisme de substances vs. dualisme de propriétés Actuellement, le dualisme de substance dans sa forme cartésienne reste de mise pour des raisons religieuses mais sa défense sur le plan scientifique est très problématique parce que les réponses au problème principal du dualisme cartésien restent peu convaincantes. Ce problème est celui de la causalité entre le corps et l’esprit (cette causalité étant à envisager dans les deux sens). En revanche, la notion de dualisme de propriétés est largement répandue. Au lieu de postuler deux types de substances, on postule deux types de propriétés : des propriétés matérielles et des propriétés mentales (non physiques). Searle considère cette forme faible du dualisme encore plus problématique que le dualisme de substances parce qu’on voit mal comment les propriétés physiques de la matière peuvent causer quelque chose de non physique et réciproquement, comment quelque chose de mental peut agir causalement sur le monde physique. Devant ces difficultés, la tendance actuelle est de se tourner vers une des deux formes de monisme : le matérialisme. Cependant, il est très difficile de formuler une théorie matérialiste qui permette de rendre compte de la conscience et de l’intentionnalité. Les approches matérialistes de la psychologie ont donc pris des formes diverses durant tout le XXe siècle parmi lesquelles le behaviorisme, la théorie de l’identité et le fonctionnalisme sont les principales. 1. Le Behaviorisme Le behaviorisme s’est d’abord développé en psychologie sous la forme d’une position qui est principalement méthodologique (c’est-à-dire une position épistémologique). Il s’agit d’une tentative de rendre la psychologie scientifique en évitant de postuler des entités inobservables. Il s’agit d’une application assez stricte des principes de l’empirisme logique (cf. partie 1). On ne peut observer que les états du monde et leur corrélats comportementaux et il est inutile de postuler des états mentaux si ces derniers ne peuvent être entièrement réduits à des comportements observables. Schématiquement, c’est la position adoptée par Watson et par Skinner. On peut y voir l’acceptation normative des conceptions de l’empirisme logique et de l’opérationnisme sur la signification des concepts théoriques (cf partie I, point 2.2.3, pp. 14 à 16). Le behaviorisme logique s’est développé en philosophie. Il s’agit d’une tentative de réduction des contenus mentaux intentionnels à des comportements potentiels. Cette position est ontologique. Par exemple dire que quelqu’un « croit qu’il va pleuvoir » est équivalent à l’énumération d’une série de dispositions de la personne à se comporter en conséquence comme 9 une disposition à « fermer la fenêtre », à « remiser les outils du jardin », à « sortir avec un parapluie et un imperméable »,…. Ces équivalences se présentent sous forme d’énoncés hypothétiques : si la personne croit que … alors tels ou tels comportements ou telles ou telles dispositions à se comporter s’en suivent. Ryle et Hempel sont les représentants principaux de cette approche. Trois objections importantes au behaviorisme sont : 1. que le behaviorisme logique n’évite pas la circularité. L’explication de la croyance qu’il va pleuvoir par les comportements effectifs ou potentiels énumérés ci-dessus ne tient que si on postule d’autres états mentaux, comme par exemple le désir de rester sec. Donc, la réduction de la croyance (qui est un état mental) qu’il va pleuvoir n’est pas une réduction à des comportements seulement mais à des comportements + d’autres états mentaux. Pour expliquer le désir de rester sec, il faudra faire appel à des comportements potentiels + la croyance qu’il va pleuvoir. Donc on se trouve dans un cercle vicieux dont les états mentaux n’ont pas été éliminés. 2. que le behaviorisme logique va à l’encontre de nos intuitions qui nous disent que nos comportements sont causés par nos états mentaux. 3. plus généralement, que l’assimilation de l’étude des états mentaux à l’étude des comportements est aussi absurde que le serait l’assimilation de l’étude de la physique à l’étude des valeurs des mesures fournies par divers instruments de mesure. Il est clair que le comportement ou les valeurs des mesures sont des indicateurs de phénomènes à expliquer, ils ne constituent pas ces phénomènes. Remarque historique. Le behaviorisme a étendu ses influences au-delà de la psychologie, pas seulement en philosophie de l’esprit mais aussi en linguistique. Par exemple, Bloomfield (1887-1949), le chef de file de la linguistique structuraliste américaine des années 1920 à 1950 est le représentant le plus illustre de ce courant. Durant les années 50, la plupart des linguistes s’écartaient déjà à des degrés divers de cette optique, disons de manière douce et évolutive. Du côté de la psychologie, Skinner publiait Verbal behavior en 1957. Il s’agissait d’une tentative d’application des lois du conditionnement opérant à l’apprentissage du langage. Chomsky s’est livré à une critique dévastatrice des idées courantes en linguistique, provoquant une réelle révolution dans cette discipline. Il a aussi critiqué l’approche de Skinner dans un article de 1959 qui s’intitule : A review of B. F. Skinner’s Verbal behavior. Les conceptions propres de Chomsky concernant la connaissance du langage faisait l’objet du chapitre 6 du livre de 1957 Syntactic structure puis, plus tard, du chapitre 1 de Aspects of a theory of syntax (Chomsky, 1965). On trouve ici la première formulation de la conception 10 selon laquelle la possession d’un langage humain consiste en la possession de systèmes de règles implicites qui sont capables d’engendrer les énoncés corrects (du point de vue phonologique, syntaxique et sémantique) d’une langue particulière, à l’exclusion des énoncés erronés. Cette grammaire générative est donc considérée comme une théorie de la compétence linguistique de l’adulte. Comme l’apprentissage de la langue maternelle repose sur des exemples non systématiques, non explicites et incomplets des règles sous-jacentes, Chomsky postule qu’une des caractéristiques cognitives de l’esprit humain est de posséder une dispositif inné d’acquisition du langage qui ne demande qu’à être activé et calibré par les exemples épars d’une langue particulière fournis pas le milieu social. Je pense que cette approche vous est familière parce qu’elle est bien développée dans votre cours d’Approche cognitive des théories du développement de Jesus Alegria. 2. La théorie de l’identité Durant les années 60, les difficultés insurmontables du behaviorisme ont conduit certains philosophes matérialistes à adopter une position physicaliste aussi appelée théorie de l’identité. L’objectif est de rejeter radicalement à la fois le dualisme de substance à la Descartes et le dualisme de propriétés. Il s’agit d’une position ontologique qui postule l’identité entre les états mentaux et les états cérébraux correspondants. Cette position est une position empirique (pas une position logique) : les états mentaux sont des états du cerveau au même titre que l’eau est constituée de molécules d’H 20 et que les éclairs lors d’un orage sont des décharges électriques. On verra dans le compte rendu du chapitre 4 qu’il s’agit d’une conception réductionniste dans laquelle on dit que l’eau n’est rien d’autre que des molécules d’ H2O et que les états mentaux ne sont rien d’autre que des états du cerveau. Remarque historique. La théorie de l’identité est étroitement associée à deux publications : un article de Place (1956) intitulé Is consciousness a brain process? et un article de Smart (1965) intitulé Sensation and Brain processes. Il y a aussi un article de Feigl (1958) intitulé The mental and the physical dans lequel on trouve la liste originale des attributs physiques et mentaux dont Searle discute une version modifiée dans le chapitre 4 (cf. plus bas). Identité entre états mentaux et états cérébraux : avoir une douleur dans l’épaule se confond avec avoir de l’activation dans certains faisceaux de fibres nerveuses d’un certain type (les fibres de type C). Il s’agit d’une position ontologique à propos des états mentaux, pas d’une analyse conceptuelle des états mentaux. L’identité n’est pas un problème de définition comme dans le behaviorisme logique. Il s’agit d’un fait à propos de l’identité réelle ou à découvrir entre états mentaux et états du cerveau. 11 Parmi les différentes objections à la théorie de l’identité, je me contenterai de résumer l’objection de bon sens. Je passe ici sur l’objection basée sur la notion d’identité type-type et d’identité exemplaire-exemplaire (token-token) que j’ai résumée au cours. Cette objection qui est plus technique aboutit à la même conclusion. L’objection de bon sens. Si l’identité est une identité de fait, dont la preuve empirique n’est pas contestée, on dispose de deux séries de propriétés qui sont en relation d’identité en vertu du fait qu’elles désignent une seule et même chose. Donc, si on dit que l’eau est identique avec des molécules d’H2O, on identifie le même élément deux fois, une fois en termes descriptifs en rapport avec des propriétés apparentes et l’autre fois en termes de propriétés chimiques. Mais ceci n’élimine pas un type de propriété. La relation d’identité nous permet d’utiliser une description ou l’autre. Si on applique le même raisonnement à l’identité entre états mentaux et états cérébraux, on retombe dans une forme de dualisme de propriétés. En effet, s’il y a deux types de propriétés indépendantes dans l’identité, les propriétés mentales de la douleur et les propriétés physiologiques de la douleur, les unes n’éliminent pas les autres. Or, l’objectif de la théorie matérialiste de l’identité est précisément de se débarrasser de la notion de dualisme de propriétés en disant que la douleur n’est rien d’autre que des états matériels. Donc, le projet matérialiste échoue. 3. l’approche fonctionnaliste L’approche fonctionnaliste essaie d’éviter les écueils des autres approches matérialistes en adoptant une caractérisation fonctionnelle des états mentaux. Dans une caractérisation fonctionnelle, ce qui est important ce sont les liens de causalité qui s’établissent entre les stimuli externes, des états mentaux et des comportements. En reprenant l’exemple développé plus haut : le fait de percevoir qu’il pleut cause la croyance qu’il pleut. Cette croyance combinée au désir de rester sec causent les comportements d’enfiler un imperméable et de déployer un parapluie. Qu’est-ce qu’avoir un état mental comme la croyance qu’il pleut dans ce qui précède. Cet état mental est défini entièrement par le réseau des relations causales dans lequel il se trouve. La perception a causé la croyance, la croyance + le désir ont causé le comportement. L’état mental est donc défini non pas par des propriétés intrinsèques mais de manière fonctionnelle en termes de relations causales. Il en va de même pour les autres états mentaux évoqués. Le désir de rester sec et la perception de la pluie sont également définis fonctionnellement en termes du réseau des relations causales dans lequel ces états mentaux se trouvent imbriqués. La position fonctionnaliste semble résoudre plusieurs des objections précédentes. 1. La circularité de l’argumentation behavioriste dans laquelle il est impossible de réduire les 12 états mentaux intentionnels comme les croyances et les désirs à des comportements sans entrer dans un cercle vicieux dans lequel la croyance est définie en termes de désirs et réciproquement tombe complètement. En effet, dans l’interprétation fonctionnelle, la croyance et le désir sont envisagés simultanément dans leurs relations causales réciproques. 2. L’objection selon laquelle le behaviorisme ne dit rien sur la causalité du comportement tombe aussi. En effet, les états mentaux sont définis partiellement dans leur capacité à causer des comportements externes. 3. Un attrait particulier de l’approche fonctionnaliste des états mentaux est qu’elle se rapproche de l’analyse fonctionnelle de systèmes artificiels comme les carburateurs, les thermostats, les horloges. Tous ces artefacts sont définis par leur fonction, pas par leur structure physique puisqu’ils peuvent être réalisés physiquement d’un grand nombre de manières différentes. Par exemple, une horloge est un dispositif qui mesure le temps et qui donne l’heure. Peu importe pour la réalisation de ces fonctions qu’il s’agisse d’une horloge à pendule, à ressort ou à quartz. Remarque historique et lien avec la deuxième partie du cours. La dernière assertion semble justifier une position philosophique, ou même psychologique, dans laquelle on ne se préoccupe pas de la manière dont les états mentaux sont réalisés dans le système nerveux. On peut appeler cela une approche fondée sur la « boîte noire ». En quelque sorte, et c’est bien commode, l’approche fonctionnaliste est une approche anti-réductionniste qui nous permet de justifier une approche systémique de phénomènes complexes comme la pensée, la conscience, l’intentionnalité, sans nous préoccuper le moins du monde de la manière dont ces phénomènes sont implémentés dans le monde physique. Cependant, il est intellectuellement plus satisfaisant de pouvoir aussi dire quelque chose sur le contenu de cette boîte noire. C’est ici qu’intervient un événement historique extérieur à la philosophie et à la psychologie mais qui est d’importance capitale pour nous qui vivons à la fin du XXe et au début du XXIe siècle : le développement des disciplines informatiques. Ceci a favorisé l’émergence d’une nouvelle métaphore de l’esprit : l’esprit envisagé comme un système computationnel. Cette métaphore se traduit par l’équation : l’esprit est au cerveau comme le programme d’ordinateur (le ‘software’) est à la quincaillerie sous-jacente (le ‘hardware’). Voyez les pages 35 à 39 du chapitre 4 et mettez-les en relation avec l’argument de la chambre chinoise de la page 50. 13 4. Résumé du chapitre 3 : arguments contre le matérialisme Je ne résume pas ce chapitre, sauf la conclusion, parce que le seul point que j’ai traité au cours est l’argument de la chambre chinoise. Le chapitre 3 se termine par des spéculations sur les raisons de notre malaise par rapport à l’existence de la conscience et la tendance de la part de la philosophie à rejeter les notions intuitives selon lesquelles nous avons réellement des états intentionnels comme des croyances et des désirs, que ces états sont causés par le cerveau et qu’ils agissent causalement sur notre comportement et par là sur le monde. Il faut distinguer entre deux aspects de l’esprit : la conscience et l’intentionnalité. Les tenants de l’approche fonctionnaliste sont en général d’accord pour admettre qu’ils n’ont pas grand chose à dire sur la conscience mais qu’en revanche, cette approche explique l’intentionnalité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à représenter la réalité et à traiter de l’information. C’est cet aspect de l’approche fonctionnaliste qui est critiqué dans l’argument de la chambre chinoise. Comme cet argument frappe au cœur de l’approche computationnelle-fonctionnelle de l’esprit, il n’est pas étonnant qu’il ait suscité un très grand nombre de réactions depuis plus de 20 ans, beaucoup plus que le reste de l’argumentation de Searle qui est pourtant tout aussi polémique, voire plus. (Pour ceux que cela intéresse, il faut lire Wiews into the Chinese room : New essays on Searle and artificial intelligence edité par John Preston & Mark Bishop, 2002, Oxford, Clarendon Press). Le problème plus large qui se trouve à l’arrière-plan de cette discussion est celui de savoir dans quelles conditions le réductionnisme est désirable et dans quelles conditions il est néfaste. La réponse est simple : quand il existe un seul phénomène qui admet des descriptions à des niveaux différents, le réductionnisme ne pose pas de problème. Quand il y a deux phénomènes, la réduction n’est pas possible. Mais si le réductionnisme matérialiste (en particulier le réductionnisme de type fonctionnaliste) échoue nécessairement, la seule solution est-elle de retomber dans une forme de dualisme ? La réponse de Searle est négative. Il pense qu’il faut essayer de surmonter ce dilemme en se rendant d’abord compte qu’à le fois ce que le dualisme essaie de dire et ce que le matérialisme essaie de dire sont corrects. Le matérialisme dit correctement que le monde consiste entièrement en particules physiques dans des champs de force. Le dualisme dit correctement qu’il existe des états mentaux intentionnels et conscients qui sont définitivement non réductibles et non éliminables. Pour concilier ces points de vue, il faut dépasser les catégories cartésiennes et reformuler le problème entièrement. 5. Résumé du Chapitre 4 : La conscience, partie 1 - la conscience et le problème esprit-corps Searle utilise l’exemple de la soif et des comportements qu’elle cause pour spécifier ce qu’il 14 appelle son approche du naturalisme biologique de problème. 1. les états conscients, avec leur ontologie subjective à la première personne sont des phénomènes réels du monde. Il est impossible de se livrer à une réduction éliminative de la conscience. Il est impossible aussi de la réduire à ses bases neurologiques parce qu’une telle réduction à la 3ème personne laisse de côté l’ontologie à la première personne de la conscience. Cette hypothèse pose que le mental et la physique sont des catégories ontologiques mutuellement exclusives. 2. Les états conscients sont entièrement causés par des processus neurobiologiques plus élémentaires. Causalement, ils sont réductibles à des processus neurobiologiques ; ils ne constituent donc pas quelque chose qui est en dehors ou au-dessus des processus neurobiologiques. 3. Les états mentaux sont réalisés dans le cerveau comme des propriétés du cerveau ; ils existent à un niveau supérieur au neurone et aux synapses. 4. Comme les états mentaux sont des propriétés réelles du monde réel, il peuvent fonctionner causalement dans le monde. Voyons comment cette approche permet de surmonter ce que Searle tient pour 4 hypothèses erronées de l’approche traditionnelle. Hypothèse 1. La distinction entre le physique et le mental. L’hypothèse est que le physique et le mental constituent deux catégories ontologiques mutuellement exclusives. Pour pouvoir dépasser cette optique, Searle discute en le modifiant légèrement le tableau des propriétés du mental et du physique de Feigl (1958). 1 2 3 4 5 6 Mental Subjectif Qualitatif Intentionnel Non localisé et non étendu dans l’espace Pas explicable par des processus physiques Incapable d’agir causalement sur le physique Physique Objectif Quantitatif Non intentionnel Spatialement localisé et étendu Causalement expliqué par la microphysique Agit causalement Les propriétés1 à 3 de la colonne mental sont parfaitement compatibles avec les propriétés 4 à 6 de la colonne physique. En effet, les états mentaux subjectifs, qualitatifs et intentionnels sont localisés dans le cerveau, il sont causalement explicables par des processus biologiques de niveau inférieur et ils peuvent agir causalement. Quant aux propriétés 4 à 6 du mental, elles ne sont en rien nécessaires à la définition du mental. Il n’y a aucune nécessité à ce que les états mentaux soient non spatiaux, inexplicables par des micro-processus et inertes causalement. Ces trois propriétés ne sont pas non plus impliquées par les propriétés 1 à 3 du mental. Donc, selon Searle, les 3 premières 15 propriétés du mental sont des propriétés nécessaires : les états mentaux sont subjectifs, qualitatifs et intentionnels. Les 3 dernières propriétés n’ont rien de nécessaires, elles constituent seulement des legs cartésiens erronés. Du côté de la colonne physique, c’est le contraire : les propriétés 3 à 6 sont nécessaires à la définition du physique alors que les propriétés 1 à 3 n’ont rien de nécessaire. Au contraire, des organismes physiques comme l’être humain et certains animaux possèdent des états qualitatifs, subjectifs et intentionnels. Donc, contrairement à la tradition cartésienne, Searle ne voit aucune contradiction entre le fait d’être mental en tant que mental et le fait d’être physique en tant que physique. Notez que la stratégie qu’il utilise pour aboutir à cette conclusion consiste à accepter les intuitions préscientifiques selon lesquelles nous avons des états mentaux comme des croyances et des désirs et que ces états mentaux causent nos comportements et nos actions (comme je le disais plus haut, Searle veut préserver le phénomène de la conscience au même titre que Démocrite voulait préserver le phénomène du mouvement). Hypothèse 2 : la réduction Il faut distinguer entre réduction causale et réduction ontologique Réduction causale. On dira d’un phénomène de type A qu’il est causalement réductible à un phénomène de type B si et seulement si le comportement de A est entièrement expliqué par le comportement de B et que A n’a aucune capacité causale en plus des celles de B. Ex : La solidité d’un objet, c’est-à-dire son impénétrabilité, sa capacité à supporter d’autres objets, etc, est entièrement explicable par sa structure moléculaire. La solidité n’a aucun aspect causal supplémentaire par apport à ce qui est explicable par la structure moléculaire. Réduction ontologique. Un phénomène de type A est ontologiquement réductible à un phénomène de type B si et seulement si A n’est rien d’autre que B. Ex : un coucher de soleil n’est rien d’autre que l’apparence causée par la rotation de la terre. D’habitude en science, on effectue un réduction ontologique sur la base d’une réduction causale. Par exemple, la solidité n’est plus définie par ses propriétés apparentes mais par ses propriétés moléculaires. C’est précisément cette réduction ontologique sur la base d’une réduction causale qui échoue dans le cas de la conscience parce qu’une telle réduction supprime ce qu’il y a de spécifique à la conscience. Donc, on peut dire que la conscience est causalement explicable par des processus neurobiologiques mais on ne peut pas dire que la conscience n’est rien d’autre que ces processus neurobiologiques au même titre qu’on peut dire que la solidité n’est rien 16 d’autre que l’apparence due à une certaine structure moléculaire. En disant que la conscience n’est rien d’autre que les processus neurobiologiques qui la cause, on supprime l’ontologie à la première personne de la conscience, donc le concept lui-même. Il faut aussi distinguer entre le réductionnisme éliminatif et le réductionnisme non éliminatif. Dans le cas du coucher de soleil, on peut dire que sa réduction au mouvement de rotation de la terre élimine le phénomène. Dans ce cas, la réduction montre que lé phénomène n’est qu’une apparence. Mais dans le cas de la solidité, le réductionnisme n’est pas éliminatif parce que les propriétés de la structure moléculaire expliquent mais ne suppriment pas l’apparence (d’impénétrabilité, de pouvoir supporter d’autres objets, etc). Dans le cas de la conscience, le réductionnisme éliminatif n’est pas possible parce que ce réductionnisme repose sur la distinction entre l’apparence et la réalité. Or, dans le cas de la conscience, l’apparence est la réalité. Si je suis conscient, je le suis réellement, donc la conscience existe vraiment avec ses propriétés apparentes à la 1ère personne. J’ai mis tout ce qui précède en gras parce que cette analyse du réductionnisme joue un rôle absolument central dans l’ensemble de l’argumentation de Searle et, en particulier, dans le principe de connexion. C’est aussi l’argument le mieux articulé et le plus puissant que vous puissiez trouver contre le réductionnisme en psychologie. Le chapitre se termine par deux hypothèses supplémentaires qui ne seront pas discutées cette année. Conclusion : ni matérialisme, ni dualisme L’objectif de Searle est de préserver ce qui est correct et d’éliminer ce qui est erroné dans les catégories traditionnelles qui nous sont léguées par Descartes. Voici son résumé de la situation. A la fois les matérialistes et Searle disent : la conscience est juste un processus cérébral. o mais les matérialistes impliquent par là que la conscience comme phénomène à la 1ère personne, qualitatif, subjectif n’existe pas. o Alors que Searle veut dire c’est que précisément, le fait que la conscience soit juste un processus cérébral n’empêche pas qu’elle ait une ontologie à la 1ère personne avec ses qualités subjectives et qualitatives. A la fois les dualistes et Searle disent que la conscience est irréductible à des processus neurobiologiques à la 3ème personne. o Mais les dualistes impliquent par là que la conscience ne fait pas partie du monde physique ordinaire ; elle constitue une substance séparée. o Alors que Searle veut dire que la conscience est causalement réductible au monde 17 physique mais pas ontologiquement réductible. C’est tout pour cette année. Le chapitre 5 énumère une série de propriétés de la conscience dont la plupart sont traitées à différents endroits du cours. Une lecture rapide des autres chapitres n’impose pas de modifications importantes aux notes du cours sur l’intentionnalité, la causalité intentionnelle et le principe de connexion. De toute manière, vous disposez d’à peu près tout ce qui a été traité au cours cette année-ci. 18 Histoire, concepts et méthodes de la psychologie (Daniel Holender) 3ème et dernière partie des notes (17-05-05) Ce document contient : Des pages 16bis et 30bis à insérer dans la partie II du cours. Une table des matières La suite du résumé du livre Mind : A brief introduction (Searle, 2004). Cette suite commence avec une page 4 complétée (sur les deux sites web, j’ai mis l’entièreté de ce document depuis la page 1. Les sites web sont www.ulb.ac.be/cours/holender/html (c’est le site de mon cours de stat de 1ère candi) et www.psyulb.be La table des matières contient 1 ou 2 titres supplémentaires et des corrections de numérotation des parties quand c’était nécessaire. A vous de corriger dans votre texte. Matière Finalement toute la matière de la partie II a été vue, y compris Aristote et Descartes. Toutefois, sur Descartes, vous pouvez laisser tomber les pages 33 et 34 et vous contenter de lire les points sur la conception classique des mathématiques et sur l’algèbre de Descartes, pp. 31-32. Vous pouvez vous contenter de lire l’intermède historique pp. 22 à 27 mais il est quand même important de comprendre dans quel contexte intellectuel Descartes avait été formé pour comprendre à quoi il s’oppose. Comme je l’ai dit sur le document et page 39, il vaut mieux étudier le résumé des 5 premiers chapitres de Mind avant d’aborder la suite sur Searle. N’oubliez pas non plus que vous devez avoir des pages 41a à 41h insérées après la page 41 (les pages 41c à 41h – le lexique de Searle – manquaient à la partie 2 des notes le jour de son dépôt à la coopérative, elles n’y ont été insérées que le lendemain). Correction : p. 46, para 3. Attention, l’action a une direction d’ajustement du monde vers l’esprit (pas de l’esprit vers le monde) et une direction de causalité de l’esprit vers le monde. En cas de doute sur les directions de causalité et d’ajustement, le tableau 3 p. 41b peut toujours vous sortir d’embarras. Bonne session Daniel Holender 19 Voici une page 16bis pour la partie II du cours. Correction. Page 15, dans le paragraphe qui suit la cause finale, je commence bien puis je dis que cette conception quadripartite de la causalité sert aussi d’explication pour les phénomènes du monde inanimé. Ceci est incorrect mais je suis loin d’être le seul à être tombé dans ce panneau. Aristote ne pensait pas que les phénomènes naturels comme les avalanches ont une cause finale. En fait, la plupart des exemples d’Aristote concerne la manufacture d’objets ou d’œuvres d’art. La téléologie joue aussi un rôle important dans l’initiation du mouvement en vue d’un but chez les animaux, comme en témoigne une des citations suivantes. Enfin, la téléologie n’implique pas toujours un agent conscient. Il faut distinguer deux types d’explication téléologique. Explication téléologique objective. x se produit dans le but de y. Il s’agit d’une explication fonctionnelle au sens scientifique du terme (qui ne présuppose pas d’agent conscient). Exemples: la croissance se produit dans un organisme O d’une certaine manière parce que O est un lion (donc dans le but de réaliser la forme du lion) ; la fonction de l’œil est la vision. Explication téléologique subjective. O a fait x dans le but de y. Nécessite la conscience d’un objectif à atteindre. Ex: le lion est entré dans la bergerie pour obtenir de la viande (= pour obtenir l’objet du désir présenté à la conscience, c’est-à-dire présenté à la phantasia) Voici 3 citations en rapport avec l’âme et ses différents rôles chez l’animal et chez l’homme. L'âme est la "réalisation première d'un corps naturel qui a potentiellement la vie", c'est-à-dire d'un "corps doué d'organes", un corps "qui a en soi son principe de mouvement" (de anima). Puis une citation qui indique ce qui cause le mouvement d’un objet inanimé, une causalité de type billes de billard. « Toutes les choses non vivantes sont mues par quelque chose d’autre et la cause pour chaque chose qui est ainsi mise en mouvement est quelque chose qui se meut lui-même (De motu, 700a 15-20). A contraster avec les causes du mouvement chez l’animal dans la citation suivante. « Tous les animaux initient le mouvement et sont mus dans le but de quelque chose; ce qui est la limite de leur mouvement, c’est la chose dans le but de laquelle. Maintenant nous voyons que les moteurs de l’animal sont le raisonnement et la phantasia et le choix et le souhait et le besoin (‘appetite’). Tout ceci peut se réduire à la pensée et au désir. Parce que à la fois la phantasia et la perception sensorielle ont la même nature que la pensée, puisqu’elles sont concernées par le fait de faire des distinctions…Donc le premier moteur est l’objet du désir et aussi de la pensée (De motu, 700b 10-25). Donc, ici vous avez un animal qui est parfaitement conscient de l’objet de son désir. C’est pour satisfaire à ce désir qu’il se meut dans le milieu et une fois l’objectif atteint, le mouvement s’arrête. Notez aussi l’importance de la faculté discriminative qui permet de discriminer l’objet du désir d’autres objets dans le milieu. Cette aptitude provient d’abord des organes des sens qui délivrent une représentation consciente - phantasia – dans laquelle les distinctions peuvent s’opérer au même titre que dans la pensée. Tout ceci a des accents étrangement searliens 20 HISTOIRE, CONCEPTS ET METHODES DE LA PSYCHOLOGIE D. HOLENDER TABLE DES MATIERES PARTIE 1 : LA PHILOSOPHIE DES SCIENCES AU XXe SIECLE 1 1. Généralités 1.1. Distinction ontologie-épistémologie 1.2. Types de question et d’explication scientifiques 1 1 2 2. Sciences déductives et inductives 2.1. Sciences déductives : logique et mathématique 2.1.1. Objet de la logique 2.1.2. Logique d’Aristote 2.1.3. Méthode déductive et axiomatisation 2.2. Sciences inductives : sciences empiriques 2.2.1. Objet des sciences empiriques 2.2.2. Logique de la découverte scientifique 2.2.3. Définition opérationnelle des concepts théoriques Problème de la démarcation : vérifiabilité ou réfutabilité des théories 2.2.4.1. Position inductiviste 2.2.4.2. Le problème de l’induction 2.2.4.3. La réfutabilité comme solution du problème de l’induction et de la démarcation Kuhn : la structure des révolutions scientifiques Le réductionnisme 2.2.6.1. Caractérisation de la position réductionniste 2.2.6.2. Résistance au réductionnisme en biologie 4 4 5 6 7 12 12 13 14 16 3. Transition vers la partie II du cours 27 PARTIE 2 : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE 1 Avant-propos 1. Psychologie et philosophie de l’esprit dans l’Antiquité grecque 1.1. Repères historiques et géographiques 1.2. Le matérialisme présocratique 1.3. Platon (428-347) : l’idéalisme et le rationalisme 1.3.1. L’écroulement du programme pythagoricien et les fondements de la physique de Platon 1.3.2. L’idéalisme de Platon 1.4. Aristote (384-322) : le réalisme 1.4.1. Cosmologie et physique d’Aristote Biologie et psychologie d’Aristote 1 3 3 7 8 8 2. Intermède historique 2.1. Postérité de Platon et Aristote jusque 1600 environ 2.2. Du XVIIe au XIXe siècle 22 22 23 3. Descartes (1596-1650) 28 16 19 20 22 24 25 26 11 13 13 14 21 4. La conscience et l’inconscient dans la psychologie contemporaine 4.1. Naissance de la psychologie cognitive 4.2. Contenus mentaux conscients et inconscients 4.2.1. Position de Fodor (1983) : la modularité de l’esprit 4.2.2. Position de Searle sur l’inconscient cognitif 4.2.2.1. L’intentionnalité 4.2.2.2. Intentionnalité et conscience 4.2.2.3. Intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée (pages 41a à 41h insérées) 4.2.2.4. Théorie de l’intentionnalité de l’esprit 4.2.2.5. L’argument de la chambre chinoise 4.2.2.6. Le principe de connexion 35 35 36 38 39 39 40 41 42 50 50 Résumé et commentaires de Mind : a brief introduction (Searle, 2004) Résumé et commentaires de l’introduction Commentaires : Trois caractéristiques de la distinction objectif-subjectif 1. Distinction entre les faits du monde qui sont indépendants de l’observateur et ceux qui sont dépendants ou relatifs à l’observateur 2. Distinction entre intentionnalité intrinsèque et intentionnalité dérivée 3. Distinction entre ontologie à la première personne et ontologie à la troisième personne Résumé du chapitre 1 Résumé du chapitre 2 4. Résumé du chapitre 3 5. Résumé du chapitre 4 --ooOOoo-- 1 2 2 3 3 4 8 12 13 22 Cette page 30 bis reprend 2 transparents qui résument les propriétés des deux substances chez Descartes. 1. Descartes (1596-1650) Le corps et l'esprit correspondent à deux substances différentes Substance matérielle Etendue et divisible à l'infini donc corpusculaire mais pas atomique causalité mécanique, pas vitaliste Propriétés primaires : étendue, masse, mouvement Description mathématique, notion de mesure Objets = concentration de matière Propriétés secondaires : interaction avec organes des sens = apparence Connaissance non sensible, a priori = raison Organismes vivants obéissent à des lois mécaniques Substance immatérielle - Non étendue, libre - « Je pense donc je suis» = preuve de l'existence d'une substance pensante immatérielle " - Pensée consciente et volonté - Volonté peut agir sur le corps - sensibilité peut agir sur l'esprit - L'âme est unitaire et limitée au corps - Interaction: glande pinéale - Moyen: mouvement des esprits animaux (fluides mais action mécanique) - Expérience sensible = idées dérivées - Connaissance mathématique = idées innées, a priori, claires et évidentes