Kyoto et les USA

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Les Etats –Unis et la lutte contre le réchauffement climatique :
le protocole de Kyoto
Le 29 mars 2001 George W. Bush qui venait d’être élu président des Etats –Unis a
annoncé le refus des Etats –Unis de ratifier le protocole de Kyoto. Cette déclaration a
provoqué de très nombreuses critiques plus particulièrement de la part des pays de l’Union
européenne. Les Etats-Unis ont été accusés encore une fois de jouer le cavalier seul et de
menacer, ainsi, l’avenir de la planète.
Cependant, il est nécessaire de signaler que les gouvernements américains ont
commencé à s’intéresser aux problèmes de réchauffement climatique dès la fin des années
1980. C’est notamment un Américain, Maurice Strong, fondateur du Programme des EtatsUnis en environnement, qui a été derrière la conférence de la Terre de Rio de 1992.
Paradoxalement, les Etats-Unis ont également été le premier pays industrialisé qui a ratifié la
Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
Il est donc peu utile et très simpliste d’estimer que le gouvernement américain rejette
toute démarche multilatérale en matière d’environnement et qu’il préfère privilégier ses
intérêts nationaux devant l’intérêt de la planète. Deux affirmations sont souvent évoquées. La
première consiste à dire que le rejet américain est étroitement lié à l’administration Bush et
qu’en changeant de président les Etats-Unis changeraient également de politique. La
deuxième qualifie la position américaine d’impasse mettant en péril l’application du protocole
de Kyoto. Pour essayer de comprendre mieux la politique environnementale des Etats-Unis, il
faudrait aller au-delà de ces affirmations. Il est nécessaire de s’intéresser tout d’abord aux
prémices et aux raisons du rejet américain du protocole de Kyoto. On pourrait voir ensuite les
caractéristiques de la politique américaine de lutte contre les changements climatiques et la
possibilité pour cette politique de devenir une alternative au protocole de Kyoto.
I.Un « non » américain justifié ?
A.Les prémices du refus américain : une société divisée
Selon de nombreux spécialistes des Relations internationales, la politique extérieure
d’un Etat est en grande partie déterminée par la politique interne. Cette affirmation s’applique
sans aucun doute aux Etats-Unis et plus particulièrement dans le domaine de l’environnement.
Cependant, il est nécessaire de souligner la difficulté de déterminer « une » politique interne
américaine de lutte contre le réchauffement climatique.
En effet, la protection de l’environnement est devenu un enjeu important de politique
interne aux Etats-Unis. La société américaine se caractérise plus particulièrement par une
division assez profonde sur ce sujet. Cette division se manifestait déjà pendant la présidence
de Clinton et peut être perçue comme un présage du rejet du protocole de Kyoto par Bush. La
division est très visible dans trois principaux espaces : l’espace politique, l’espace des acteurs
du secteur privé et l’espace de l’opinion publique.
Dans le domaine politique au sens restreint du terme ( c'est-à-dire surtout au niveau
institutionnel ) la lutte contre le réchauffement climatique et plus précisément la manière dont
cette lutte devait être menée était loin de faire l’unanimité en 1997. Cela amène le professeur
de Denver George Pring à affirmer que pendant les négociations du protocole de Kyoto
l’administration américaine n’avait presque pas de position commune.
En effet, le 25 juin 1997, avant même le début des négociations, le Sénat ( l’institution
qui est chargé de la ratification des traités internationaux aux Etats-Unis ) avait voté à
l’unanimité la résolution Byrd-Hagel qui précisait que les Etats-Unis ne devaient signer aucun
protocole qui menacerait l’économie américaine et qui n’imposerait pas des obligations aux
pays en voie de développement. Cependant, en novembre 1998 le vice-président Al Gore a
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signé le Protocole de Kyoto. Cette signature doit être considérée essentiellement comme un
geste symbolique puisque peu de temps après, le président Clinton s’est engagé devant le
Sénat de ne pas commencer à mettre en place des mesures d’application du protocole et de ne
pas le soumettre à une ratification tant que les pays en voie de développement n’y soient pas
inclus.
Mais la division n’était pas visible uniquement dans la classe politique. Les acteurs
privés se sont également affrontés sur le sujet environnemental. D’une part, les grandes
entreprises ont été généralement très hostiles au protocole de Kyoto. Cette hostilité s’est
manifestée le plus fortement dans le secteur de l’énergie. D’après George Pring, les lobby de
l’industrie de l’énergie ont lutté très activement auprès des institutions, essentiellement auprès
des sénateurs et ont réussi à imposer l’idée que le protocole constitue une menace pour
l’économie nationale ( ce serait, d’ailleurs, une des raisons qui expliquerait la résolution ByrdHagel ). D’autre part, de nombreuses ONG se sont mobilisés pour défendre le protocole de
Kyoto, aussi bien des ONG dont l’action est assez radicale que des ONG plus modérées.
L’opinion publique américaine, elle aussi, est divisée sur la question de la lutte contre
les changements climatiques. D’après les sondages, la majorité des Américains sont
conscients du fait que le réchauffement de la planète constitue une menace sérieuse.
Cependant, les efforts qui sont demandés doivent être faits aujourd’hui, alors que les
bénéfices ne seront récoltés que par les futures générations. A cela s’ajoute le facteur
culturel : la façon de penser et le mode de vie américains constituent une des raisons
essentielles du rejet par les Etats-Unis du protocole de Kyoto.
B.Les raisons du refus américain du protocole de Kyoto
Avant d’évoquer les raisons qui ont justifié le refus de George Bush de soumettre à
ratification le protocole de Kyoto, il est nécessaire de rappeler que les Etats-Unis sont le
premier émetteur de gaz à effet de serre de la planète. C’est pourquoi, l’effort de réduction de
ces gaz qui est demandé par le protocole à l’Etat américain est beaucoup plus important que
celui demandé à n’importe quel autre Etat, y compris aux Etats de l’Union européenne.
Pour comprendre la position des Etats-Unis relative au protocole de Kyoto, il est
indispensable de s’intéresser au facteur culturel. La société américaine est traditionnellement
une société qui consomme beaucoup d’énergie et à des prix réduits. Pour les Américains,
augmenter les prix de l’énergie ( qui sera inévitablement une des conséquences de
l’application du protocole de Kyoto ) signifierait de porter atteinte au mode de vie américainun mode de vie où l’automobile, symbole de la liberté de se déplacer, occupe une place
centrale. En plus, la société américaine est une société qui a toujours promu la valeur de la
liberté individuelle, en laissant un peu en arrière plan celle du bien collectif.
Une deuxième raison évoquée par le président Bush dans son refus de ratification est
celle de l’incertitude des connaissances scientifiques dans le domaine des changements
climatiques. En effet, s’il est sûrement établi qu’un réchauffement global de la planète est en
cours, de nombreuses questions persistent toujours quand au rythme d’évolution de ce
processus, à l’impact exact de l’activité humaine et aux moyens de lutte qui seraient efficaces.
Sur ce point, Bush a reçu récemment l’appui inattendu de l’Académie des Sciences de la
Russie dont un des membres a affirmé que la décision du président Poutine de ratifier le
protocole de Kyoto était purement politique et n’avaient aucune justification scientifique.
Un autre élément-clé dans la décision américaine de refuser la ratification du protocole
est l’évocation de la sauvegarde de la souveraineté nationale. En effet, un sénateur a déclaré
en 1997 que la ratification du protocole de Kyoto par les Etats-Unis donnerait un pouvoir de
contrôle à l’ONU sur l’énergie américaine. Historiquement les Etats-Unis ont toujours été très
réticents à l’abandon d’une part de leur souveraineté au profit d’une organisation
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multinationale. Cette réticence n’a pas du tout disparu aujourd’hui. Mais il faut se questionner
sur la pertinence de ce type de crainte : le protocole de Kyoto donne-t-il réellement un
pouvoir supranational aux Nations Unies ?
Le président Bush, par un autre de ces arguments, rejoigne l’avis du Sénat de 1997. Il
qualifie le protocole comme « injuste » puisqu’il n’impose pas de restrictions d’émissions de
gaz à effet de serre aux pays en voie de développement. D’après Bush, le protocole faillit,
ainsi, à sa prétention d’une lutte globale contre le réchauffement puisque 80% du monde en
sont exclus. En plus, les Etats exclus ( notamment l’Inde et la Chine ) sont ceux qui, d’après
les prévisions, deviendront dans les années à venir les premiers pollueurs du monde.
L’exclusion des pays en voie de développement du protocole, d’après Bush, aura aussi
comme effet de leur donner des avantages compétitifs dans le domaine économique.
Et c’est notamment le domaine économique qui est mis en avant par les Etats-Unis
dans leur rejet de ratifier le protocole. Bush déclare : « Je suis opposé au protocole de Kyoto
parce qu’il porterait gravement atteinte à l’économie des Etats-Unis ».
Ainsi, l’administration américaine qualifie le protocole de Kyoto comme entièrement
inefficace puisqu’il ne se donne pas des objectifs à long terme, puisque les objectifs qu’ils se
donne sont irréalistes, puisque les institutions qu’il instaure ne sauront pas garantir le respect
du jeu par tout le monde et puisqu’en ruinant l’économie mondiale, il va provoquer un effet
inverse à celui qui est recherché notamment une augmentation des gaz à effets de serre. Le
président Bush propose, en conséquence, un plan interne de lutte contre le réchauffement
climatique.
II.L’alternative américaine au protocole de Kyoto
A.Une approche graduée
Le reproche qu’on fait souvent à George Bush de menacer l’avenir de la planète en
ignorant les problèmes environnementaux est sans fondements réels. En fait, l’administration
Bush a développé une politique environnementale qui, d’après certains, pourrait même
représenter une alternative au protocole de Kyoto.
Le président américain ne rejette pas entièrement le protocole de Kyoto. Il est d’accord
avec son idée générale : la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. George
Bush reconnaît la gravité du problème, ainsi que l’implication du facteur humain. Il va même
jusqu’à ne pas rejeter la responsabilité des Etats-Unis en tant que premier émetteur de gaz à
effet de serre. Mais le président américain désapprouve les moyens mis en œuvre dans le
protocole pour lutter contre le réchauffement planétaire.
Face à la thérapie de choc qui est proposée par le protocole de Kyoto, l’administration
américaine présente une approche graduée. L’objectif de cette approche est toujours la
limitation des émissions des gaz à effet de serre, mais il s’agit dans un premier temps de
chercher à ralentir l’augmentation des émissions de ces gaz plutôt que de la stopper. Ainsi,
l’approche graduée se base beaucoup plus sur l’incitation, notamment fiscale, à destination
des entreprises que sur la contrainte. Dans son cadre est prévue également une augmentation
des investissements dans le domaine de la recherche et du développement. L’approche
graduée devrait, donc, permettre de réduire les gaz à effet de serre tout en respectant la
croissance économique, en se basant sur les savoirs scientifiques et en prenant plus de temps
pour développer les technologies nécessaires (comme par exemple les énergies
renouvelables).
Le plan « Clear skies and global climate change » présenté par Bush en février 2002
prévoit l’application de l’approche graduée. Il donne des objectifs précis notamment la
diminution de l’intensité de gaz à effet de serre du PIB de 18% au cours de la décennie
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prochaine et la diminution des émissions de gaz des trois zones les plus polluantes des EtatsUnis de 70% jusqu’à 2018.
La politique de Bush de lutte contre le réchauffement climatique se situe
essentiellement sur un plan interne, mais elle prévoit aussi le développement de relations
bilatérales avec des pays tiers notamment par l’assistance dans les domaines où cela se révèle
nécessaire. Le plan ne prévoit aucune participation multilatérale dans le domaine
environnemental. Cependant, il ne se réfère pas qu’à l’Etat fédéral comme acteur de la lutte
contre le réchauffement mais aussi aux Etats fédérés, aux acteurs locaux et privés.
B.Les acteurs américains de lutte contre les changements climatiques
Le problème environnemental, en dehors de l’Etat fédéral, mobilise trois types
d’acteurs aux Etats-Unis.
Les Etats fédérés, tout d’abord, ont été les uns des premiers à prendre des mesures
concrètes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. De nombreux programmes ont été
développés à ce niveau. En 2002, 26 Etats ont mis en place des politiques aboutissant à des
baisses sensibles des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Fin septembre, par exemple, le
Conseil californien de l’air, avec l’appui du gouverneur Arnold Schwarzenegger, a adopté une
norme en matière d’émission de gaz à effet de serre pour tous les nouveaux véhicules vendus
dans l’Etat à partir de 2009. Un autre exemple : les Etats du Nord-Est se sont efforcés
d’adopter un système de maxima et d’échanges pour les émissions de gaz carboniques.
Les initiatives se multiplient également au niveau des municipalités des grandes villes
américaines. La municipalité d’Austin, par exemple, une des villes dont la croissance
économique est très importante, a adopté dès 1995 un Plan local d’action pour réduire les
émissions de gaz de 20% par rapport à celles de 1990 et ceci avant 2010. Par ailleurs, 78
villes américaines participent au programme Cities for Climate Protection, développé par le
Comité international pour les initiatives environnementales au niveau local et destiné à fournir
une assistance technique et une formation aux municipalités engagées dans la lutte contre le
réchauffement.
L’évolution la plus marquée dans le domaine environnemental est peut-être celle des
acteurs privés. De plus en plus d’entreprises commencent à comprendre que les économies
d’énergie et la diminution des rejets de gaz à effet de serre peuvent apporter du profit. Un
constructeur automobile a développé, par exemple, un modèle 4/4 permettant d’économiser de
15 à 25% de carburant. De plus, de milliers d’entreprises américaines ont des filiales dans des
pays signataires du protocole de Kyoto, notamment en Union européenne. Après l’entrée en
vigueur du protocole en 2005, ces entreprises devront redéfinir leur stratégie industrielle dans
les usines d’outre-mer. Cependant, les grands groupes n’ont pas intérêt à entreprendre une
telle mutation stratégique sans le faire aux Etats-Unis. Des dirigeants de Ford ont, ainsi,
travailler pour définir une stratégie de réduction des émissions de dyoxide de carbon à
l’échelle de l’ensemble du groupe. Il se dessinerait, donc, une possibilité inattendue pour les
Etats-Unis d’entrer dans le jeu multilatéral du protocole de Kyoto : les entreprises
américaines.
En conclusion, on peut souligner que les Etats-Unis sont loin d’être insensibles au
problème environnemental, et plus précisément, au réchauffement de la planète. Cependant,
pour le moment, l’administration américaine privilégie une approche essentiellement
unilatérale ou bilatérale du sujet à une approche multilatérale. Mais la mondialisation
permettra-t-elle aux Etats-Unis et aux entreprises américaines de rester en dehors de l’effort
multilatéral ? Et si le protocole de Kyoto est une réussite, jusqu’à quand le gouvernement
américain pourra l’ignorer ?
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