Saint Sacrement C 29 mai 2016 Evangile : Luc 9, 11-17
Jésus parlait du règne de Dieu à la foule, et il guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à
baisser. Les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent: «Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages et
les fermes des environs pour y loger et trouver de quoi manger: ici nous sommes dans un endroit désert.» Mais
il leur dit: «Donnez-leur vous-mêmes à mangerIls répondirent: «Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux
poissons… à moins d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce monde.» Il y avait bien cinq mille
hommes. Jésus dit à ses disciples: «Faites-les asseoir par groupes de cinquante.» Ils obéirent et firent asseoir
tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et
les donna à ses disciples pour qu’ils distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les
morceaux qui restaient: cela remplit douze paniers.
1 Une page se tourne, une autre s'ouvre.
Pour éviter le risque de planer, faisons halte en bordure de cette petite phrase : « Le jour
commençait à baisser. » En effet, voilà deux mille ans que Jésus « nous parlait du règne de Dieu » et
que sa Parole de Vie avait illuminé d'un jour nouveau la vie de millions de chrétiens, et ... est-ce que ce
jour-là ne serait pas en train de baisser au point de nous faire sombrer dans des ténèbres plus épaisses
que celles provoquées par les incendies de Fort Mc Murray ? ... Au vu de ce qui se passe dans nos prisons
et chez nos décideurs politiques, ne croirait-on pas que la dignité humaine est en grave déclin ? ... Que se
passe-t-il à Lesbos et à Lampedusa ? ... (Allongez vous-même la liste)
Or, il ne s'agit pas d'une accumulation impressionnante de drames et de problèmes. Mais (ceci
est le fruit des réflexions de philosophes contemporains), si nous participons au déclin d'une civilisation,
celui-ci annonce une civilisation nouvelle, que nos plus savants calculs sont inaptes à définir. L'aurions-
nous oublié : chaque soir de notre vie, le jour se met à baisser, nous contraignant à entrer dans une nuit
qui, elle-même, est prélude à un jour inconnu.
Oui, le jour baisse, la peur s'invite et la faim tenaille. Nous avions faim et soif de sa Parole, il
nous a rassasiés et abreuvés : c'était si bon de nous savoir ainsi comblés. Car il nous parlait du rêve de
Dieu sur le monde et il pacifiait les gens qui étaient mal dans leur peau, nous faisant ainsi rêver, nous
aussi, en nous révélant que l'impossible devenait possible. Le jour baisse, oui mais c'était le Grand Soir !
2 Un peuple de mourants ou de vivants ?
Et si nous avions l'audace de nous examiner, nous Européens, Occidentaux, et, honnêtement, de
poser la question qui nous habite à la jointure de deux époques : sommes-nous « un vivant qui s'endort ou
un mourant qui s'éteint » ? [Image empruntée à Eloi Leclerc, lui qui vient de rejoindre son Seigneur, dont il a si
bien chanté « Le royaume caché »].
La question est gigantesque : elle touche autant les chrétiens que tous les chercheurs de bonne
volonté. La mondialisation, sous tous ses aspects, annonce-t-elle l'enterrement de tout ce qu'il y a
d'humain dans l'humanité, ou cache-t-elle la promesse d'une unité entre les peuples et d'une fraternité
telle que le monde n'en a jamais connu de pareille ?
3 Le désert du refus.
Si, à nos yeux, c'est une agonie, si c'est le coucher d'un soleil qui ne se lèvera plus, alors disons :
« Renvoie cette foule, Seigneur » et rentrons chez nous : tu vois bien que notre cœur est trop étroit
pour accueillir toutes ces foules d'hommes et de femmes qui se sont enfuis de chez eux pour trouver
refuge chez nous ... Or, qu'ont-ils découvert ? « Ici nous sommes dans un endroit désert. »
Si ce constat ne ressemble pas à un aveu de sécheresse du cœur, qu'est-ce alors ? Ce ne sont pas
de hautes études qui nous préparent et nous amènent à cette douloureuse prise de conscience ! Pour
arriver à reconnaître que, chez nous, le terrain est aride et qu'il y pousse de l'ivraie, une bonne dose de
courage et d'humilité est nécessaire, même si un avis d'expulsion (Renvoie cette foule) est prononcé.
Ce n'est pas tout. Au conseil qui lui est donné (ils pourront aller dans les villages et les fermes
des environs pour y loger et trouver de quoi manger), la réponse de Jésus est cinglante : «Donnez-leur
vous-mêmes à manger Lorsque nous entendons nos prophètes actuels nous assurer que la terre
dispose de ressources naturelles suffisantes pour nourrir les milliards d'êtres humains qui peuplent la
planète, ne sommes-nous pas dans la même situation que celle des disciples, renvoyés à leurs
responsabilités ?
4 Féconde impuissance ...
Ce long préambule était nécessaire pour nous faire découvrir ce que Jésus attend de nous pour
que son œuvre puisse se réaliser : il attend que nous lui apportions notre impuissance ! Tel est le mot-c
qui ouvre la porte à Celui dont l'amour est tout puissant. « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. »
[Jn 15, 5] « C'est malheureux, mais il n'existe pas de formation universitaire qui prépare à
l'impuissance » [Marion Muller-Colard, « L'autre Dieu »]. Or, ce passage est incontournable : tout comme la
goutte d'eau se mêle au vin de l'offertoire pour nous rendre participants de la divinité de Celui qui est
venu se mêler à notre humanité, ainsi l'offrande insignifiante de cinq pains et deux poissons suffit : à
présent Jésus peut agir.
5 L'Amen tant attendu.
Et son action est unique, il n'y en a pas d'autre. Pourquoi donc serait-il venu nous rejoindre au
rivage de notre humanité, sinon pour sceller l'Alliance conclue par son Père avec nous dès les origines ?
La réponse du Fils à l'acte créateur du Père, au nom de tous les fils et filles de Dieu, c'est l'action de
grâces : il accueille les fruits de la création qu'on lui apporte et, levant les yeux au ciel, il les bénit. Le
projet d'amour de son Père n'était-il pas d'inaugurer une Liturgie ? Et voici que son Fils, en notre nom,
répond « Amen » en parole et, ici, en acte.
Est-ce un hasard si ce passage d'Evangile a été choisi cette année pour illustrer la « fête du
Saint Sacrement » ? J'imagine qu'en prononçant cette bénédiction, Jésus brûlait déjà du désir de dire
en vérité : « Ceci est mon corps », qui serait la mise en acte de l' « Amen » qui en est la parole.
6 L'autel et le frère.
Mais ce n'est pas tout. Son geste évoque déjà la « fraction du pain » par laquelle, aux premières
heures de l'Eglise, nos ancêtres dans la foi définissaient l'Eucharistie. C'est un geste de partage, le
sacrement de l'autel se révèle comme sacrement du frère [cfr Olivier Clément] : il les rompit et les donna
à ses disciples pour qu’ils les distribuent. Là, nous rejoignons encore le rêve de Dieu, son projet
d'amour dont nos lointains descendants devraient pouvoir constater un jour : « C'est bien vrai : tous
mangèrent à leur faim ! » Et même, il en reste : cela remplit douze paniers. Car, quand Jésus s'en mêle,
ça déborde, sans doute pour nous dire que la distribution doit continuer par nos mains, selon ce que le P.
Arrupe déclarait au Congrès eucharistique de Philadelphie en 1976 : « Si la faim existe quelque part dans
le monde, notre célébration de l'Eucharistie est alors, en quelque sorte, incomplète partout. »
P. Marc Chodoire
Membre de l’équipe d’aumônerie
à St-Joseph / Espérance
mchodoire@jesuites.be
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