18e dimanche A – 3 août 2008 (Is 55, 1-3 ; Rm 8, 35-39 ; Mt 14, 13-21)
Curieusement, l’interpellation de dimanche dernier se prolonge aujourd’hui. Si, la semaine dernière,
nous étions dans l’univers des paraboles, certains vous diront que la multiplication des pains c’est un conte
de fées (le monde de Narnia ?). Or, c’est une redoutable question qui nous est posée ici - si on veut bien
l’encaisser comme telle. Est-ce que nous-mêmes, à la suite de Jésus, nous ne serions pas ici confrontés au
terrible problème de la faim dans le monde ? Que faire lorsqu’on est dépassé par un événement imprévu
d’une telle ampleur : (NB : tant pis pour les chiffres ; les évangélistes ont l’habitude de les gonfler) 5000
personnes autour de Jésus, tandis qu’autour de nous, parmi le milliard d’hommes qui souffrent de la faim, 30
millions en meurent chaque année. Alors, que faire en vue d’une égale répartition de la faim dans le monde ?
Effectivement, nous nous trouvons devant les deux situations les plus dramatiques qui soient. C’est
la confrontation mondiale Nord-Sud, illustrée par la parabole suivante :
Un riche et un pauvre soutenaient leurs ventres des deux mains : chacun souffrait d’ulcère.
« J’ai trop mangé » dit l’un. « J’ai trop faim » dit l’autre.
- Aurais-tu un remède pour moi ? dit le riche.
- Bien sûr, répond le pauvre : faisons table commune !
- Marché de dupe ! s’écrie le riche : qui s’y laisserait prendre ?
- Tu refuses mon remède parce que tu préfères ton mal à mon bien. Sans doute, j’envie ce que tu as mais
toi, tu as peur de ce que je suis. C’est au cœur que nous avons l’ulcère.
Nous, nous savons bien où se situe l’ulcère de l’Occident : c’est le drame de celui qui est
physiquement si repu qu’il n’a plus aucune faim spirituelle. C’est le drame d’un système social qui a réussi ce
tour de force de transformer les humains en machines à consommer. Est-ce qu’on s’étonnerait encore, dans
un tel contexte, d’être entourés de spectateurs/boulotteurs, si fatigués d’avoir trop zappé et trop mangé,
que le drame des sans-papiers sur les grues de chantier ne devient qu’un objet de plus qui prête à dérision ?
En guise de préalable à notre méditation sur la « multiplication des pains », autrement appelée aussi
« multiplication du partage du pain », il faut dire ceci : de grâce, ne nous laissons pas piéger par un
sentiment de culpabilité plutôt morbide face aux drames de la faim, mais laissons-nous saisir par
l’incontournable sentiment d’impuissance qui peut devenir un porche d’entrée dans la compassion. Ceci nous
permettra de nous demander si la faim est une catastrophe ou, au contraire, une grâce, et de découvrir
quelle sorte d’appel il y a là-dedans pour nous. Autrement dit, il faut choisir entre deux types de regard sur
l’événement que Matthieu nous rapporte ici. Soit un regard très humain : « Il y a un problème à résoudre. »
Soit un regard spirituel (celui de Jésus) : « Il y a une évidence, à laisser germer. »
Mettons-nous d’abord dans la peau des disciples - on aurait eu la même réaction qu’eux ! Ils
assistent à un des nombreux débarquements de Jésus sur notre planète terre. Combien de fois en effet
Jésus a-t-il traversé ce lac de Tibériade ? À l’image de son Père, ce nomade, il a la bougeotte lui aussi. Bref,
il débarque, il fait la tournée des malades, puis comme toujours il distribue la nourriture spirituelle que
chacun attend au fond de son cœur, et ensuite ... On s’aperçoit que ces braves gens ont tellement faim de sa
Parole qu’ils n’ont même pas préparé de casse-croûte pour eux ni de quatre heures pour les enfants.
Que faire ? « Seigneur, renvoie cette foule : que ces gens-là se débrouillent ! » Les clandestins,
séduits par les images de surabondance vues à la télé dans leur pays, débarquent sur nos côtes
européennes : qu’allons-nous leur offrir : un billet de retour, comme s’ils étaient des objets jetables ? (La
vie humaine n’est-elle pas en train d’être considérée comme ‘’jetable’’ au même titre qu’une cartouche
d’encre ou un rasoir ?) Ou un avenir et une dignité ? Il y a 150 000 sans-papiers en Belgique. Depuis 1988, 13
000 émigrés sont morts aux frontières de l’Europe, principalement en Méditerranée et aux Canaries. Oui,
que faire ? Pour les disciples de Jésus comme pour nous, c’est un problème de consommation ; donc,
logiquement, une solution doit être apportée à des consommateurs. Pour eux, la solution est celle-ci : 1° Il
faut de grandes quantités ; 2° Cela doit venir d’ailleurs.
Jésus, lui, n’a pas l’air de s’affoler. Le Fils de Dieu sait prendre de ces airs négligents pour vous
rappeler que la vie est très simple et que les problèmes n’existent pas. Avec désinvolture, il leur renvoie (il