Les Fils de Caïn Pauvres et vagabonds dans la littérature européenne ( XVe- XVII siècle) de Bronislaw Geremek Fathallah Hind Zidi Myriam 812 Les Fils de Caïn Pauvres et vagabonds dans la littérature européénne ( XVe- XVII siècle) de Bronislaw Geremek BRONISLAW GEREMEK Bronislaw Geremek (1932-2008), de son véritable nom Benjamin Lewertow, fut professeur d'histoire, spécialiste de l'histoire médiévale française, et homme politique polonais, membre du syndicat Solidarité et conseillé de son leader, Lech Walesa. Geremek fut l'un des principaux artisans des transformations démocratiques qui ont précipité la chute du communisme en Europe de l'Est. En Pologne démocratique, Bronislaw Geremek dirige la diplomatie polonaise de 1997 à 2000. Après l'adhésion de la Pologne à l'UE en mai 2004, il se fait élire député au Parlement européen sur les listes d'un parti réformateur issu de Solidarité, mandat qu'il assumait toujours au moment de sa mort. Il publia, en 1976, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, puis en 1987, La Potence et la pitié. L'Europe des pauvres, du Moyen Age à nos jours. C'est en 1991 que fut publié Les Fils de Caïn, pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne. En 1992 parut Passions communes, et Geremek participa à un ouvrage collectif intitulé Regards sur la France . OEUVRE La représentation littéraire implique d'emblée la volonté de retrouver, à travers les images délivrées par la littérature, le reflet des réalités du XVème au XVIIè siècle. La littérature, comme outil privilégié, permet, dans une certaine mesure, de décrire des réalités du milieu des pauvres et des vagabonds et d'offrir une image générale des attitudes « idéologiques » et des comportements sociaux vis à vis de l'indigence et des milieux marginaux. Les fils de Caïn, titre énigmatique et symbolique, renvoie au premier « errant et fugitif sur la Terre »: Caïn, fils d'Adam, exclu du Paradis après avoir tué son frère Abel. Geremek nous propose ainsi une réflexion mettant en rapport l'espace européen et l'évolution des représentations, inhérente à chaque pays. S'appuyant toujours sur une profusion d'exemples littéraires, Geremek, à travers 6 chapitres, expose successivement l'émergence de la « littérature de la misère », la définition et les structures intrinsèques de l'organisation du milieu des indigents et la typologie du milieu des vagabonds en Angleterre, en Espagne et en Pologne. APPARITION DE LA « LITTÉRATURE DE LA MISÈRE » ET CONTEXTE Avec la démocratisation du livre, la littérature et l’écriture cessent d’être des domaines exclusivement réservés à l’élite. Dès lors, la littérature accueille des thèmes empruntés à la vie quotidienne et se donne un rôle supplémentaire, celui de divertir. Le courant dit réaliste se développe à mesure que le milieu bourgeois prend de l’importance. Cependant, le didactisme reste fort: sous l’emprise de l’Eglise, la littérature doit enseigner et non représenter. On peut parler d’une « synchronie historique » dans l’apparition de ce genre littéraire car il se développe sur différents territoires à la fois. La question est de savoir s’il existe une relation directe entre la littérature « de gueuserie » et le développement du paupérisme. Une telle interprétation peut être contestée certes, mais Geremek s’attache cependant à démontrer que cette littérature puise dans le réel et qu’elle en est un reflet relativement fidèle. Il est vrai néanmoins que ce genre littéraire est présent dès l’Antiquité, dans le théâtre d’Aristophane (Vè siècle av JC) et sous les plumes de Pétrone (Ier siècle, Satiricon) et d’Apulée (IIè siècle, L’Ane d’or); leurs personnages représentant les prototypes du personnage du vagabond. Il convient d’évoquer les aspects de la réalité sociale de l’époque puisqu’elle détermine en partie l’image littéraire du nécessiteux. Dès la fin du XIVème siècle s’établit un rythme à peu près commun dans la conjoncture économique des pays européens. Cette conjoncture est marquée par deux moments de crises graves. Au XIVè le fléau de la peste noire (qui décime 1/3 de la population européenne) et au XVIIè une crise brusque qui s’étend sur tout le territoire. On assiste à un « enrichissement des riches et un appauvrissement des pauvres » (Braudel). Les villes étant les moins touchées par la crise, les vagabonds tentent d’y trouver refuge, sans succès. Les masses de misérables entrent ainsi dans le paysage social de l’Europe pour en devenir un des éléments permanents. C’est la fin de l’exaltation de la pauvreté volontaire et, par extension, de la pauvreté par nécessité (Moyen-âge) : la misère apparaît désormais comme un fléau social, le misérable est un individu dangereux. L'ÉMERGENCE DES INDIGENTS « Il n’existe pas, répétons-le, de corrélation directe entre littérature et histoire. La littérature a toutefois fait écho à l’histoire, aux moments cruciaux des grands changements, qui font figure de jalons dans l ‘évolution de la civilisation européenne. » Ainsi, les grands revirements sociauxéconomiques et idéologiques de l’époque ont déteint sur la réflexion intellectuelle. Il s’agit, au XIVè, de l’augmentation du nombre de pauvres et de la pénurie de main d’œuvre (suite à la peste); puis au XVIè de la crise idéologique de l’Eglise qui, avec son mouvement réformateur, provoque un durcissement des attitudes vis-à-vis des pauvres; enfin au XVIIè les guerres génèrent de nouvelles catégories de vagabonds, les soldats mercenaires qui, une fois démobilisés, se livrent au brigandage. UNE TYPOLOGIE DES INDIGENTS Les termes de vagabond et mendiant dans l'œuvre sont indifférenciés. Les individus vivant de la mendicité sont principalement des moines, des ermites, des pèlerins et des étudiants. Le monde des voleurs regroupe toutes sortes de personnes, des mendiants mais aussi des nobles déchus. Mais les bandits peuvent également être d’anciens soldats. Enfin, on y trouve des femmes: Shakespeare évoque les prostituées, les « dolls » et les « doxies ». William Harrison, dans La description de l’Angleterre, consacre un chapitre à « l’assistance publique et au secours de la misère », il décrit donc l’univers de la misère dans l’Angleterre du XVIème. Il existe selon lui (et selon l’opinion commune) trois groupes de pauvres : ceux qui le sont par nécessité, ceux qui ont subi un revers de fortune et ceux qui ne le sont que par débauche. LE « VIVRE VAGABOND » Cartologie de l'errance Le vagabond est un nomade, sans foyer, sans attache et sans maître, il erre à la recherche de futurs donateurs, et trouve sa satisfaction dans l'errance. Ainsi, Geremek cite La Tragédie des Mendiants, pièce de théâtre polonaise: « Ils errent, passant d'une foire à l'autre, recherchant les kermesses, essayant d'êtres présents lors des fêtes offertes à des saints, le jour de dédicace. C'est en suivant ce rythmes que les gueux établissent leur itinéraire pour toute l'année, bien programmé dans le temps et l'espace » La ville est donc un endroit privilégié pour les miséreux. « La concentration apparaît comme un tableau à deux dimensions, verticale (les pauvres logeaient dans des caves ou sous les toits) et horizontale (certains quartiers ou rues étaient habités uniquement par les indigents ». Mais ils avaient aussi des lieux communs, le vagabond investit l'espace public. Sauval, présente, dans Histoire de Paris, l'existence des « Cours des Miracles », comme à Paris, rue de la Truanderie: il s'agit de véritables enclaves de miséreux urbains, tanières de vagabonds et de délinquants. Geremek précise que cette « appellation (...) ironique, ne signifiait rien d'autre que les fourberies et les ruses qu'utilisaient les vagabonds et les «faux mendiants». » Voilà comment Sauval décrit la Grande Cour des Miracles de Paris: «[La Grande Cour des Miracles] consiste en une place d'une grandeur très considérable, et en un très-grand cul de sac puant, boueux, irrégulier, qui n'est point pavé. (...) Pour y venir, il se faut souvent égarer dans les petites rues, vilaines, puantes, détournées. » Un Etat dans l'Etat L'auteur explique que la littérature insiste sur la notion d'organisation du milieu des mendiants par spécialisations distinctes. La classification montre combien la corporation est structurée et hiérarchisée. On le voit également dans les règles concernant le mariage par exemple: la fille d’un voleur appartenant à un certain groupe ne pourra épouser qu’un voleur de ce groupe. On a donc, dans la littérature, un système qui se calque sur les modèles corporatiste et politique de l’époque. En effet, Geremek affirme: « Aux yeux de l'opinion, les marginaux, mendiants, vagabonds, criminels constituent tout à la fois une communitas et une civitas, autrement dit une communauté (“peuple”) et une collectivité (“Etat”)». On peut penser alors que le milieu des mendiants est très organisé, cependant il s’avère finalement que la vie du monde marginale telle qu’elle est présentée dans les œuvres picaresques reste éloignée de ces codes de conduite stricts. Hiérarchie Dans Les deux Gentilshommes de Vérone, de Shakespeare, les bandits font de Valentin leur « general, captain, commander, King ». Le titre de roi souligne la volonté d’indépendance du groupe par rapport à la société; ils érigent un royaume à part. Dès lors, « le récit édulcoré rejoint la réalité sociale, celle des milieux marginaux qui refusent de se soumettre aux règles sociales communément admises, et créent leur propre morale ». Geremek propose une relecture de cette organisation hiérarchique du milieu des marginaux et opère une analogie avec le monde des merciers, c'est-à-dire, des marchands ambulants. En effet, il semble que l'organisation des merciers soit similaire à la corporation des vagabonds, à savoir que la tête de la hiérarchie est sédentarisée à Paris tandis que la majeure partie des membres commercent à travers le pays. De plus, le monde des merciers était considéré comme « une société étonnante, ésotérique et suspecte ». Spécialisation les supercheries: Le milieu des vagabonds déploie un vaste éventail d'artifices élaborés afin d'abuser de la naïveté humaine. Le vagabond mendiant est un être intelligent, ou plutôt rusé, qui manie l'art de la parole et des apparences. Il lui faut, pour être persuasif, toujours gémir, porter des vêtements rapiécés; il peut feindre la lèpre, se provoquer des œdèmes aux jambes… Plus encore, certains feignaient d'être fous, un subterfuge réellement utilisé par les mendiants de l’asile de Sainte Mary of Bethlehem de Londres. D'autres, appelés les lycanthropes, se faisaient passer pour des loups, afin d'extorquer de la nourriture aux habitants effrayés. Aussi, pendant la nuit, on échange les nouvelles ruses et les bonnes adresses; la solidarité est un élément essentiel du monde des mendiants. Et l’ingéniosité, une qualité nécessaire. Le mendiant sait tour à tour susciter de la compassion ou horrifier, répugner les passants afin d'obtenir leur aumône. Geremek, à partir du Liber Vagatorum, donne une définition du vagabond comme « observateur perspicace des réalités de son temps (qui) enregistre les réactions de ses contemporains pour faire ressortir les points faibles de leurs sensibilité, voire de leur sensiblerie (...). C'est en fonction de ces sensibilités qu'ils inventent leurs astuces. Ils ont ainsi découvert intuitivement les ressources miraculeuses de la parole: la grandiloquence, les récites interminables et romanesque, les déclamations font partie de leur technique. Ils ont aussi compris la force de l'écrit : ils portent sur eux des livres, et, surtout divers documents, des certificats, des lettres, munis de sceaux pour impressionner les donateurs éventuels. » la violence, le vol de cheval, le vol d’argenterie, les vols à la tire, les cambriolages. Les mendiants sont rusés et rivalisent d'ingéniosité en inventant différentes manières de voler au jeu, c'est le « conny-catching ». Par exemple, la « versing law » permet de dépouiller un paysan naïf : celui-ci croit pouvoir gagner face au « suffier », un complice qui feint l’ivresse. le proxénétisme, Geremek parle d’ « anti-culture », sur le plan sexuel (débauche, inceste, homosexualité, prostitution), familial et conjugal (polygamie, divorces) et religieux (mécréance, hérésie). Le Jargon A travers la littérature comme dans les archives judiciaires, l'existence d'une langue propre au milieu des mendiants est constamment rappelée. Frubesco, gergo en Italie, le cant en Angleterre, le rotwelsch en Allemagne, l'argot ou le jargon en France, le germanía en Espagne, le langage, aussi bien en terme de mots mais aussi de signes, joue le rôle de critère d'appartenance au groupe social. Celui ci est codé, la notion du secret ajoute à la cohésion du groupe en leur permettant l'exercice de leur profession, et attise la curiosité des populations aussi bien que celle des autorités. L'existence d'une langue à part, c'est l'expression d'un milieu à part. UN REFUS GÉNÉRALISÉ La littérature picaresque est en fait le reflet assez fidèle d’une société qui rejette le code de conduite traditionnel, les rôles et fonctions sociales propres à chaque classe. Pícaro, le fripon, le vagabond, incarne le porteur idéal de ce message. Exemple d’œuvre picaresque: Guzmán de Alfarache, de Mateo Alemán : la confession d’un vagabond, Guzmán, montrant les vicissitudes de son existence; le genre autobiographique permettant ici de voir comment le personnage progresse dans son milieu naturel et de comprendre comment on s’imagine la transformation d’un individu social en personnage marginal. Comme tous les pícaros, ses premiers pas dans la vie sont marqués par le poids de l’hérédité: c’est un enfant illégitime puisque son père est banquier mais sa mère prostituée. Refus du Travail Au XVIè, une ordonnance axée sur le travail est adressée « aux individus de basse condition » et « vivant d'artisanat ou de travaux agricoles » de ne pas se dérober aux travaux s'ils sont aptes. Or, le rejet de l'éthique du travail va de pair avec la négation des normes élémentaires de l'ordre social. Le vagabond vie au présent, il n'a aucun projet. Néanmoins, la mendicité peut être considérée comme une activité. Les œuvres traitant de la mendicité présentent cet état comme une véritable activité professionnelle. Refus de la Foi La foi apparaît comme le critère ultime de leur aliénation sociale. Les mendiants refusent de respecter les règles de la vie chrétienne, comme les trois sacrements. L'impiété des mendiants se développe à travers cette anti-culture, qui comprend prostitution, proxénétisme et parfois association au diable. Les mendiants conservent néanmoins une attitude de respect envers la religion et plus particulièrement envers les religieux, puisqu'ils leur permettent de mendier au devant des églises. La littérature illustre ici le “syncrétisme” populaire et le rôle social du mendiant. Refus de la Morale Les miséreux sont décrits comme “assaillis par la saleté, la puanteur, la boue, la pourriture” par Sauval dans Histoire de Paris. Aussi, Geremek insiste sur le principe de symétrie quant à l'hygiène physique et l'hygiène morale. Le discours sur les mendiants les présente comme des individus amorales, que l'on soupçonne de comploter avec Satan. Refus de la socialisation Le pícaro est rejeté par la société (par son appartenance aux bas fonds sociaux, son manque de dignité, l’impureté de son sang, ses mœurs dissolues), et se trouve alors contraint de la rejeter à son tour. Les pícaros sont des migrants et leur aversion pour le travail vient du fait qu’ils refusent de se soumettre à une socialisation dans des conditions nouvelles. Mais le vagabondage est aussi synonyme de liberté; d’où le choix de certains de devenir marginaux. Apparaît ici une sublimation de la condition marginale, que l'on ne retrouve évidemment pas dans la réalité. Geremek nous explique que « le vagabondage n’est pas une forme de désocialisation mais plutôt une forme d’entrée dans la vie asociale, dans des structures de type différent. […]. C’est un modèle de socialisation asociale. » DICHOTOMIE DES ATTITUDES SOCIALES À L'ÉGARD DES PAUVRES Fascination et bienfaisance Certaines œuvres ont valeur de véritables reportages sociologiques, répondant ainsi à une demande de la population du XVIème, fascinée par « le crime et le châtiment ». C'est le cas de l'œuvre de Harman, The Caveat or Warening for Commen Cursetors, vulgaresly called Vagabondes (Remarques ou avertissements pour les vagabonds d’ordre commun) : l'auteur, atteint d'une maladie, décide, pour découvrir le milieu des marginaux, d’inviter les vagabonds chez lui afin que ces derniers lui racontent leur mode de vie. Il peut ainsi montrer leur organisation interne, les techniques de tricherie et leur langage secret. Peu à peu apparaît même une glorification du crime: de nombreux récits exaltent les exploits des bandits au XVIIème siècle, c’est le début de la légende populaire du bandit justicier. Et si la réalité du brigandage est bien plus prosaïque, cette légende est néanmoins très significative. Le crime est célébré dans des ballades populaires à la gloire des bandits. Cette fascination touche particulièrement les personnes aisées, comme le montre le roman picaresque qui, malgré l'utilisation de la culture populaire (jovialité, bonhomie et même vulgarité), reste un produit de la culture de l’élite. Cependant, les masses populaires connaissent cette littérature, mais plus en tant qu’auditeurs. Outre la littérature, il semble que les autorités judiciaires étaient elles aussi particulièrement intéressées par l'existence de ce monde à part. Les archives judiciaires montrent l'intérêt manifeste des autorités quant à la définition des vagabonds et de leurs modes d'existence. Ainsi, Geremek met en avant l'importance du Rapport de Bâle sur le langage, présentant 26 catégories de mendiants et proposant de « dénoncer les artifices et les fourberies des vagabonds et des aveugles ». Le rejet Le rejet du monde de la mendicité et du vagabondage s'ancre toujours dans une atmosphère moralisatrice. D'abord sont mises en place des mesures afin d'éloigner, d'éradiquer les mendiants des villes, aussi certaines autorités, comme en Suisse, mettent en place des lois « permettant à chaque mendiant d'obtenir une sorte d'allocation s'élevant à 5 shillings à condition de quitter la localité qui leur avait accordé ce subside ». Les autorités n'opèrent plus dans le cadre de la charité mais bien plutôt dans l'optique de se débarrasser des gueux qui polluent les villes. En effet, les pauvres sont considérés comme une population inutile, des fainéants qui constituent un vrai fléau pour la société. Aussi, c'est par la rigidité des règles éthiques en vigueur, le respect de la propriété privée, la loyauté vis à vis des institutions et de l'Etat, le souci de défense de l'ordre public que s'établit la condamnation de cette « anti-société ». De là, se développent et s'exacerbent les attitudes répressives à l'égard de toute forme de marginalité. D'autant que les situations de crise économique favorisent l'afflût dans les villes de masse d'affamés. « En présentant ainsi leurs coutumes, la littérature ne faisait qu'exacerber l'hostilité sociale vis à vis du monde des miséreux et des vagabonds, et a nettement contribué à la mise en place d'une politique répressive qui a abouti au XVIIe au « grand enfermement ». LE GRAND « ENFERMEMENT » Au XVè et XVIè la répression se fait de plus en plus intense, comme on peut le voir à travers différents traités. En 1495 en Angleterre, un traité ordonne d’arrêter les vagabonds, de les clouer au pilori, de les mettre à l’eau et au pain sec pendant trois jours avant de les chasser de la ville. L’édit de 1547 ordonne que les vagabonds (c’est-à-dire pour la justice tous ceux qui ne travaillent pas depuis plus de trois jours) soient marqués au fer rouge et laissés pendant deux ans au service de ceux qui les ont arrêté et, en cas de fuite, ils seront condamnés à l’esclavage. Des 1520, avec Luther, réformateur protestant, commence le recensement des pauvres dans les villes allemandes. Il s'agit d'appliquer le principe: « n'aider que les pauvres que l'on connaît ». Ainsi, c'est la proximité spatiale qui prime, seuls les pauvres ayant obtenus de la part de la municipalité une lettre de recommandation sont libres de mendier. Ces mesures entrent dans le champ d'application d'une nouvelle organisation de l'Assistance Sociale. Ainsi, on notera que la Réforme courbera davantage et plus tôt les mesures prises contre les indigents dans les pays du centre de l'Europe. Nous pourrions aller plus loin encore dans l'interprétation non plus d'une typologie mais d'une véritable topographie des indigents, c'est-à-dire, que c'est relativement aux pays, aux localités, sur des critères géographiques, que se distingueraient divers attitudes, mentalités, influences religieuses envers le monde des indigents, révèler par et dans la littérature. En 1561, Pie IV interdit la mendicité dans les rues de Rome, sous peine de prison, de bannissement ou d'envoi aux galères. Se développe ensuite l'idée d'enfermement des mendiants dans des hospices, ou des quartiers; ce que mettra en œuvre Pie V. En 1572 en Angleterre, un acte établit que les vagabonds doivent sévèrement être punis et les vrais miséreux assistés: ce principe définira désormais la politique de l’Etat à l’égard des pauvres. Des rafles sont organisées; et on lutte tout particulièrement contre les gitans, considérés comme les membres d’une ethnie violente pratiquant la sorcellerie. Les mesures pour diminuer le nombre de marginaux sont souvent liées au travail: on crée des maisons de redressement, comme la fondation royale de Bridewell, où le travail est obligatoire, c’est la naissance de l’ethos du travail. Finalement, « toutes les mesures confirment la « peur du vagabond » qui, selon R.H. Tawney, se répand de plus en plus au sein des sociétés modernes à partir du XVIème siècle. » Plus particulièrement, le Concile de Trente (1545–1563), réaction contre l'émergence du protestantisme, donne lieu à la Contre-réforme ou Réforme catholique. Les prescriptions concernant l'aumône se font de plus en plus sévères. Les hospices censées accueillir les mendiants deviennent des maisons du travail puis des prisons. C'est le début de la théorie sur l'institutionnalisation de la charité. « Le grand enfermement marque le triomphe des règles sociales en vigueur. Le royaume d'une morale « à rebours » s'écroule sous les coups d'une politique qui, pour « assainir la société, crée des prisons pour pauvres. » L'évolution du genre littéraire en Europe Allemagne Der Schelmenroman: 1340s = premières œuvres; XVè descriptions détaillées; XVIè œuvre maîtresse = Liber vagotorum, auteur inconnu, réédité plusieurs fois; + Personnage Tyl Eulenspiegel : misérable, errant mais amusant, espiègle d’abord récit oral puis publié et traduit dans plusieurs langues; Dès XVIè thème des mendiants s’installe pour de bon dans la littérature allemande. XVIIè 2 œuvres importantes de Von Grimmelshausen = Les aventures de Simplicius Simplicissimus et L’Aventurière courage XVIIIè vagabonds disparaissent du premier plan France La littérature « de gueuserie»: Dès XIIIè personnages qui font rire, rire méchant cf leur infirmité et leur comportement théâtre, roman et poésie: ex ballades d’Eustache Deschamps XV-XVIè théâtre: personnages vagabonds ne sont là que pour susciter le rire + poésie notamment Villon (lui-même vagabond) reflète ambivalence des attitudes envers les pauvres: appel à la pitié et mise en garde à la fois. Autre ex XVIè Propos rustiques de Noël Du Fail : personnage Tailleboudin description (une des premières) du milieu XVIIè monarchie à son apogée se met en guerre VS vagabonds : littérature, jusqu’alors fascinée, en détourne les yeux. Italie Espagne A partir du XIVè le thème prend de l’ampleur : Boccace, dans le Décaméron, sympathie. Mais 2è moitié XIVè et XVè visions sarcastiques. Au théâtre personnage répugnant et dérisoire, sert seulement à faire rire pendant les intermèdes. XVè une œuvre exclusivement consacrée au thème, pour le dénoncer = Speculum Cerretanorum de Teseo Pini, en latin. Puis 1620 Il vagabondo, de Giacinto De Nobile, qui en fait une traduction de l’œuvre de Pini. succès aux 2 époques Le picaresque: XIVè Libro de buen amor de Arcipreste de Hita :sous forme ludique. XVIè ton change: sarcasmes et animosité. Mais apparaît Lazarillo de Tormes, prototype de cette littérature, publié anonymement, immédiatement énorme succès. Fin XVIè œuvre maîtresse = Guzman de Alfarache, de Mateo Aleman. Grand succès. XVIIè Quevedo, Historia del Buscon llamado don Pablos + Cervantes Don Quichotte Le picaresque marque aussi fortement le théâtre (intermèdes). 2nde moitié XVIIè le genre se raréfie pour s’éteindre lentement Angleterre The literature of roguery: Dès 2nde moitié XIVè chez Langland et Chaucer critiques des hommes d’Eglise via comparaison aux mendiants. Mais faut attendre XVIè pour précision, notamment grâce traductions. 1520s The hye way to the Spytfellhous, de Robert Copland, inaugure série de pamphlets anglais. Puis 1560s Thomas Harman : The Caveat or Warening for Commen Cursetors, vulgarely called Vagabondes, le plus riche, approche sociologique. Dans théâtre rare sauf Shakespeare. XVIIè décadence du genre Europe de l'Est Le thème des misérables apparaît également dans la littérature hollandaise et scandinave, mais aussi polonaise et tchèque. Dans ces deux derniers pays, les auteurs s’intéressent moins aux « faux-mendiants » que leurs homologues européens. Quant à la littérature russe, elle donne une image curieuse du gueux: il suscite tantôt l’hilarité tantôt un respect quasi religieux.