jambes… Plus encore, certains feignaient d'être fous, un subterfuge réellement utilisé par les
mendiants de l’asile de Sainte Mary of Bethlehem de Londres. D'autres, appelés les
lycanthropes, se faisaient passer pour des loups, afin d'extorquer de la nourriture aux habitants
effrayés. Aussi, pendant la nuit, on échange les nouvelles ruses et les bonnes adresses; la
solidarité est un élément essentiel du monde des mendiants. Et l’ingéniosité, une qualité
nécessaire. Le mendiant sait tour à tour susciter de la compassion ou horrifier, répugner les
passants afin d'obtenir leur aumône. Geremek, à partir du Liber Vagatorum, donne une
définition du vagabond comme « observateur perspicace des réalités de son temps (qui)
enregistre les réactions de ses contemporains pour faire ressortir les points faibles de leurs
sensibilité, voire de leur sensiblerie (...). C'est en fonction de ces sensibilités qu'ils inventent
leurs astuces. Ils ont ainsi découvert intuitivement les ressources miraculeuses de la parole: la
grandiloquence, les récites interminables et romanesque, les déclamations font partie de leur
technique. Ils ont aussi compris la force de l'écrit : ils portent sur eux des livres, et, surtout
divers documents, des certificats, des lettres, munis de sceaux pour impressionner les donateurs
éventuels. »
la violence, le vol de cheval, le vol d’argenterie, les vols à la tire, les cambriolages. Les
mendiants sont rusés et rivalisent d'ingéniosité en inventant différentes manières de voler au jeu,
c'est le « conny-catching ». Par exemple, la « versing law » permet de dépouiller un paysan naïf
: celui-ci croit pouvoir gagner face au « suffier », un complice qui feint l’ivresse.
le proxénétisme, Geremek parle d’ « anti-culture », sur le plan sexuel (débauche, inceste,
homosexualité, prostitution), familial et conjugal (polygamie, divorces) et religieux (mécréance, hérésie).
Le Jargon
A travers la littérature comme dans les archives judiciaires, l'existence d'une langue propre au
milieu des mendiants est constamment rappelée. Frubesco, gergo en Italie, le cant en Angleterre, le
rotwelsch en Allemagne, l'argot ou le jargon en France, le germanía en Espagne, le langage, aussi
bien en terme de mots mais aussi de signes, joue le rôle de critère d'appartenance au groupe social.
Celui ci est codé, la notion du secret ajoute à la cohésion du groupe en leur permettant l'exercice
de leur profession, et attise la curiosité des populations aussi bien que celle des autorités.
L'existence d'une langue à part, c'est l'expression d'un milieu à part.
La littérature picaresque est en fait le reflet assez fidèle d’une société qui rejette le code de conduite
traditionnel, les rôles et fonctions sociales propres à chaque classe. Pícaro, le fripon, le vagabond,
incarne le porteur idéal de ce message. Exemple d’œuvre picaresque: Guzmán de Alfarache, de
Mateo Alemán : la confession d’un vagabond, Guzmán, montrant les vicissitudes de son existence;
le genre autobiographique permettant ici de voir comment le personnage progresse dans son milieu
naturel et de comprendre comment on s’imagine la transformation d’un individu social en
personnage marginal. Comme tous les pícaros, ses premiers pas dans la vie sont marqués par le
poids de l’hérédité: c’est un enfant illégitime puisque son père est banquier mais sa mère
prostituée.
Refus du Travail
Au XVIè, une ordonnance axée sur le travail est adressée « aux individus de basse condition » et
« vivant d'artisanat ou de travaux agricoles » de ne pas se dérober aux travaux s'ils sont aptes. Or, le
rejet de l'éthique du travail va de pair avec la négation des normes élémentaires de l'ordre social. Le
vagabond vie au présent, il n'a aucun projet. Néanmoins, la mendicité peut être considérée comme
une activité. Les œuvres traitant de la mendicité présentent cet état comme une véritable activité
professionnelle.