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Les Fils de Caïn
Pauvres et vagabonds dans la littérature européenne
( XVe- XVII siècle)
de Bronislaw Geremek
Fathallah Hind
Zidi Myriam
812
Les Fils de Caïn
Pauvres et vagabonds dans la littérature européénne
( XVe- XVII siècle)
de Bronislaw Geremek
BRONISLAW GEREMEK
Bronislaw Geremek (1932-2008), de son véritable nom Benjamin Lewertow, fut professeur
d'histoire, spécialiste de l'histoire médiévale française, et homme politique polonais, membre du
syndicat Solidarité et conseillé de son leader, Lech Walesa. Geremek fut l'un des principaux artisans
des transformations démocratiques qui ont précipité la chute du communisme en Europe de l'Est. En
Pologne démocratique, Bronislaw Geremek dirige la diplomatie polonaise de 1997 à 2000. Après
l'adhésion de la Pologne à l'UE en mai 2004, il se fait élire député au Parlement européen sur les
listes d'un parti réformateur issu de Solidarité, mandat qu'il assumait toujours au moment de sa
mort. Il publia, en 1976, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, puis en 1987, La
Potence et la pitié. L'Europe des pauvres, du Moyen Age à nos jours. C'est en 1991 que fut publié
Les Fils de Caïn, pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne. En 1992 parut Passions
communes, et Geremek participa à un ouvrage collectif intitulé Regards sur la France .
OEUVRE
La représentation littéraire implique d'emblée la volonté de retrouver, à travers les images délivrées
par la littérature, le reflet des réalités du XVème au XVIIè siècle. La littérature, comme outil
privilégié, permet, dans une certaine mesure, de décrire des réalités du milieu des pauvres et des
vagabonds et d'offrir une image générale des attitudes « idéologiques » et des comportements
sociaux vis à vis de l'indigence et des milieux marginaux. Les fils de Caïn, titre énigmatique et
symbolique, renvoie au premier « errant et fugitif sur la Terre »: Caïn, fils d'Adam, exclu du Paradis
après avoir tué son frère Abel. Geremek nous propose ainsi une réflexion mettant en rapport
l'espace européen et l'évolution des représentations, inhérente à chaque pays. S'appuyant
toujours sur une profusion d'exemples littéraires, Geremek, à travers 6 chapitres, expose
successivement l'émergence de la « littérature de la misère », la définition et les structures
intrinsèques de l'organisation du milieu des indigents et la typologie du milieu des vagabonds en
Angleterre, en Espagne et en Pologne.
APPARITION DE LA « LITTÉRATURE DE LA MISÈRE » ET CONTEXTE
Avec la démocratisation du livre, la littérature et l’écriture cessent d’être des domaines
exclusivement réservés à l’élite. Dès lors, la littérature accueille des thèmes empruntés à la vie
quotidienne et se donne un rôle supplémentaire, celui de divertir. Le courant dit réaliste se
développe à mesure que le milieu bourgeois prend de l’importance. Cependant, le didactisme reste
fort: sous l’emprise de l’Eglise, la littérature doit enseigner et non représenter.
On peut parler d’une « synchronie historique » dans l’apparition de ce genre littéraire car il se
développe sur différents territoires à la fois.
La question est de savoir s’il existe une relation directe entre la littérature « de gueuserie » et le
développement du paupérisme. Une telle interprétation peut être contestée certes, mais Geremek
s’attache cependant à démontrer que cette littérature puise dans le réel et qu’elle en est un reflet
relativement fidèle.
Il est vrai néanmoins que ce genre littéraire est présent dès l’Antiquité, dans le théâtre
d’Aristophane (Vè siècle av JC) et sous les plumes de Pétrone (Ier siècle, Satiricon) et d’Apulée
(IIè siècle, L’Ane d’or); leurs personnages représentant les prototypes du personnage du vagabond.
Il convient d’évoquer les aspects de la réalité sociale de l’époque puisqu’elle détermine en partie
l’image littéraire du nécessiteux. Dès la fin du XIVème siècle s’établit un rythme à peu près
commun dans la conjoncture économique des pays européens. Cette conjoncture est marquée par
deux moments de crises graves. Au XIVè le fléau de la peste noire (qui décime 1/3 de la
population européenne) et au XVIIè une crise brusque qui s’étend sur tout le territoire. On assiste à
un « enrichissement des riches et un appauvrissement des pauvres » (Braudel). Les villes étant les
moins touchées par la crise, les vagabonds tentent d’y trouver refuge, sans succès. Les masses de
misérables entrent ainsi dans le paysage social de l’Europe pour en devenir un des éléments
permanents. C’est la fin de l’exaltation de la pauvreté volontaire et, par extension, de la pauvreté
par nécessité (Moyen-âge) : la misère apparaît désormais comme un fléau social, le misérable est
un individu dangereux.
L'ÉMERGENCE DES INDIGENTS
« Il n’existe pas, répétons-le, de corrélation directe entre littérature et histoire. La littérature a
toutefois fait écho à l’histoire, aux moments cruciaux des grands changements, qui font figure
de jalons dans l ‘évolution de la civilisation européenne. » Ainsi, les grands revirements sociauxéconomiques et idéologiques de l’époque ont déteint sur la réflexion intellectuelle. Il s’agit, au
XIVè, de l’augmentation du nombre de pauvres et de la pénurie de main d’œuvre (suite à la peste);
puis au XVIè de la crise idéologique de l’Eglise qui, avec son mouvement réformateur, provoque un
durcissement des attitudes vis-à-vis des pauvres; enfin au XVIIè les guerres génèrent de nouvelles
catégories de vagabonds, les soldats mercenaires qui, une fois démobilisés, se livrent au brigandage.
UNE TYPOLOGIE DES INDIGENTS
Les termes de vagabond et mendiant dans l'œuvre sont indifférenciés. Les individus vivant de la
mendicité sont principalement des moines, des ermites, des pèlerins et des étudiants.
Le monde des voleurs regroupe toutes sortes de personnes, des mendiants mais aussi des nobles
déchus. Mais les bandits peuvent également être d’anciens soldats. Enfin, on y trouve des femmes:
Shakespeare évoque les prostituées, les « dolls » et les « doxies ».
William Harrison, dans La description de l’Angleterre, consacre un chapitre à « l’assistance
publique et au secours de la misère », il décrit donc l’univers de la misère dans l’Angleterre du
XVIème. Il existe selon lui (et selon l’opinion commune) trois groupes de pauvres : ceux qui le
sont par nécessité, ceux qui ont subi un revers de fortune et ceux qui ne le sont que par
débauche.
LE « VIVRE VAGABOND »
Cartologie de l'errance
Le vagabond est un nomade, sans foyer, sans attache et sans maître, il erre à la recherche de
futurs donateurs, et trouve sa satisfaction dans l'errance. Ainsi, Geremek cite La Tragédie des
Mendiants, pièce de théâtre polonaise: « Ils errent, passant d'une foire à l'autre, recherchant les
kermesses, essayant d'êtres présents lors des fêtes offertes à des saints, le jour de dédicace. C'est en
suivant ce rythmes que les gueux établissent leur itinéraire pour toute l'année, bien programmé dans
le temps et l'espace »
La ville est donc un endroit privilégié pour les miséreux. « La concentration apparaît comme un
tableau à deux dimensions, verticale (les pauvres logeaient dans des caves ou sous les toits) et
horizontale (certains quartiers ou rues étaient habités uniquement par les indigents ». Mais ils
avaient aussi des lieux communs, le vagabond investit l'espace public.
Sauval, présente, dans Histoire de Paris, l'existence des « Cours des Miracles », comme à Paris,
rue de la Truanderie: il s'agit de véritables enclaves de miséreux urbains, tanières de vagabonds et
de délinquants. Geremek précise que cette « appellation (...) ironique, ne signifiait rien d'autre que
les fourberies et les ruses qu'utilisaient les vagabonds et les «faux mendiants». » Voilà comment
Sauval décrit la Grande Cour des Miracles de Paris: «[La Grande Cour des Miracles] consiste en
une place d'une grandeur très considérable, et en un très-grand cul de sac puant, boueux, irrégulier,
qui n'est point pavé. (...) Pour y venir, il se faut souvent égarer dans les petites rues, vilaines,
puantes, détournées. »
Un Etat dans l'Etat
L'auteur explique que la littérature insiste sur la notion d'organisation du milieu des mendiants par
spécialisations distinctes. La classification montre combien la corporation est structurée et
hiérarchisée. On le voit également dans les règles concernant le mariage par exemple: la fille d’un
voleur appartenant à un certain groupe ne pourra épouser qu’un voleur de ce groupe. On a donc,
dans la littérature, un système qui se calque sur les modèles corporatiste et politique de l’époque. En
effet, Geremek affirme: « Aux yeux de l'opinion, les marginaux, mendiants, vagabonds,
criminels constituent tout à la fois une communitas et une civitas, autrement dit une
communauté (“peuple”) et une collectivité (“Etat”)». On peut penser alors que le milieu des
mendiants est très organisé, cependant il s’avère finalement que la vie du monde marginale telle
qu’elle est présentée dans les œuvres picaresques reste éloignée de ces codes de conduite stricts.
Hiérarchie
Dans Les deux Gentilshommes de Vérone, de Shakespeare, les bandits font de Valentin leur
« general, captain, commander, King ». Le titre de roi souligne la volonté d’indépendance du
groupe par rapport à la société; ils érigent un royaume à part. Dès lors, « le récit édulcoré rejoint la
réalité sociale, celle des milieux marginaux qui refusent de se soumettre aux règles sociales
communément admises, et créent leur propre morale ».
Geremek propose une relecture de cette organisation hiérarchique du milieu des marginaux et opère
une analogie avec le monde des merciers, c'est-à-dire, des marchands ambulants. En effet, il
semble que l'organisation des merciers soit similaire à la corporation des vagabonds, à savoir que la
tête de la hiérarchie est sédentarisée à Paris tandis que la majeure partie des membres commercent à
travers le pays. De plus, le monde des merciers était considéré comme « une société étonnante,
ésotérique et suspecte ».
Spécialisation
 les supercheries: Le milieu des vagabonds déploie un vaste éventail d'artifices élaborés afin
d'abuser de la naïveté humaine. Le vagabond mendiant est un être intelligent, ou plutôt rusé, qui
manie l'art de la parole et des apparences. Il lui faut, pour être persuasif, toujours gémir,
porter des vêtements rapiécés; il peut feindre la lèpre, se provoquer des œdèmes aux


jambes… Plus encore, certains feignaient d'être fous, un subterfuge réellement utilisé par les
mendiants de l’asile de Sainte Mary of Bethlehem de Londres. D'autres, appelés les
lycanthropes, se faisaient passer pour des loups, afin d'extorquer de la nourriture aux habitants
effrayés. Aussi, pendant la nuit, on échange les nouvelles ruses et les bonnes adresses; la
solidarité est un élément essentiel du monde des mendiants. Et l’ingéniosité, une qualité
nécessaire. Le mendiant sait tour à tour susciter de la compassion ou horrifier, répugner les
passants afin d'obtenir leur aumône. Geremek, à partir du Liber Vagatorum, donne une
définition du vagabond comme « observateur perspicace des réalités de son temps (qui)
enregistre les réactions de ses contemporains pour faire ressortir les points faibles de leurs
sensibilité, voire de leur sensiblerie (...). C'est en fonction de ces sensibilités qu'ils inventent
leurs astuces. Ils ont ainsi découvert intuitivement les ressources miraculeuses de la parole: la
grandiloquence, les récites interminables et romanesque, les déclamations font partie de leur
technique. Ils ont aussi compris la force de l'écrit : ils portent sur eux des livres, et, surtout
divers documents, des certificats, des lettres, munis de sceaux pour impressionner les donateurs
éventuels. »
la violence, le vol de cheval, le vol d’argenterie, les vols à la tire, les cambriolages. Les
mendiants sont rusés et rivalisent d'ingéniosité en inventant différentes manières de voler au jeu,
c'est le « conny-catching ». Par exemple, la « versing law » permet de dépouiller un paysan naïf
: celui-ci croit pouvoir gagner face au « suffier », un complice qui feint l’ivresse.
le proxénétisme, Geremek parle d’ « anti-culture », sur le plan sexuel (débauche, inceste,
homosexualité, prostitution), familial et conjugal (polygamie, divorces) et religieux (mécréance, hérésie).
Le Jargon
A travers la littérature comme dans les archives judiciaires, l'existence d'une langue propre au
milieu des mendiants est constamment rappelée. Frubesco, gergo en Italie, le cant en Angleterre, le
rotwelsch en Allemagne, l'argot ou le jargon en France, le germanía en Espagne, le langage, aussi
bien en terme de mots mais aussi de signes, joue le rôle de critère d'appartenance au groupe social.
Celui ci est codé, la notion du secret ajoute à la cohésion du groupe en leur permettant l'exercice
de leur profession, et attise la curiosité des populations aussi bien que celle des autorités.
L'existence d'une langue à part, c'est l'expression d'un milieu à part.
UN REFUS GÉNÉRALISÉ
La littérature picaresque est en fait le reflet assez fidèle d’une société qui rejette le code de conduite
traditionnel, les rôles et fonctions sociales propres à chaque classe. Pícaro, le fripon, le vagabond,
incarne le porteur idéal de ce message. Exemple d’œuvre picaresque: Guzmán de Alfarache, de
Mateo Alemán : la confession d’un vagabond, Guzmán, montrant les vicissitudes de son existence;
le genre autobiographique permettant ici de voir comment le personnage progresse dans son milieu
naturel et de comprendre comment on s’imagine la transformation d’un individu social en
personnage marginal. Comme tous les pícaros, ses premiers pas dans la vie sont marqués par le
poids de l’hérédité: c’est un enfant illégitime puisque son père est banquier mais sa mère
prostituée.
Refus du Travail
Au XVIè, une ordonnance axée sur le travail est adressée « aux individus de basse condition » et
« vivant d'artisanat ou de travaux agricoles » de ne pas se dérober aux travaux s'ils sont aptes. Or, le
rejet de l'éthique du travail va de pair avec la négation des normes élémentaires de l'ordre social. Le
vagabond vie au présent, il n'a aucun projet. Néanmoins, la mendicité peut être considérée comme
une activité. Les œuvres traitant de la mendicité présentent cet état comme une véritable activité
professionnelle.
Refus de la Foi
La foi apparaît comme le critère ultime de leur aliénation sociale. Les mendiants refusent de
respecter les règles de la vie chrétienne, comme les trois sacrements. L'impiété des mendiants se
développe à travers cette anti-culture, qui comprend prostitution, proxénétisme et parfois
association au diable. Les mendiants conservent néanmoins une attitude de respect envers la
religion et plus particulièrement envers les religieux, puisqu'ils leur permettent de mendier au
devant des églises. La littérature illustre ici le “syncrétisme” populaire et le rôle social du mendiant.
Refus de la Morale
Les miséreux sont décrits comme “assaillis par la saleté, la puanteur, la boue, la pourriture” par
Sauval dans Histoire de Paris. Aussi, Geremek insiste sur le principe de symétrie quant à l'hygiène
physique et l'hygiène morale. Le discours sur les mendiants les présente comme des individus
amorales, que l'on soupçonne de comploter avec Satan.
Refus de la socialisation
Le pícaro est rejeté par la société (par son appartenance aux bas fonds sociaux, son manque de
dignité, l’impureté de son sang, ses mœurs dissolues), et se trouve alors contraint de la rejeter à son
tour. Les pícaros sont des migrants et leur aversion pour le travail vient du fait qu’ils refusent de se
soumettre à une socialisation dans des conditions nouvelles. Mais le vagabondage est aussi
synonyme de liberté; d’où le choix de certains de devenir marginaux. Apparaît ici une sublimation
de la condition marginale, que l'on ne retrouve évidemment pas dans la réalité. Geremek nous
explique que « le vagabondage n’est pas une forme de désocialisation mais plutôt une forme
d’entrée dans la vie asociale, dans des structures de type différent. […]. C’est un modèle de
socialisation asociale. »
DICHOTOMIE DES ATTITUDES SOCIALES À L'ÉGARD DES PAUVRES
Fascination et bienfaisance
Certaines œuvres ont valeur de véritables reportages sociologiques, répondant ainsi à une demande
de la population du XVIème, fascinée par « le crime et le châtiment ». C'est le cas de l'œuvre de Harman,
The Caveat or Warening for Commen Cursetors, vulgaresly called Vagabondes (Remarques ou
avertissements pour les vagabonds d’ordre commun) : l'auteur, atteint d'une maladie, décide, pour découvrir
le milieu des marginaux, d’inviter les vagabonds chez lui afin que ces derniers lui racontent leur mode de vie.
Il peut ainsi montrer leur organisation interne, les techniques de tricherie et leur langage secret. Peu à peu
apparaît même une glorification du crime: de nombreux récits exaltent les exploits des bandits au
XVIIème siècle, c’est le début de la légende populaire du bandit justicier. Et si la réalité du
brigandage est bien plus prosaïque, cette légende est néanmoins très significative. Le crime est
célébré dans des ballades populaires à la gloire des bandits. Cette fascination touche
particulièrement les personnes aisées, comme le montre le roman picaresque qui, malgré l'utilisation
de la culture populaire (jovialité, bonhomie et même vulgarité), reste un produit de la culture de
l’élite. Cependant, les masses populaires connaissent cette littérature, mais plus en tant
qu’auditeurs. Outre la littérature, il semble que les autorités judiciaires étaient elles aussi
particulièrement intéressées par l'existence de ce monde à part. Les archives judiciaires montrent
l'intérêt manifeste des autorités quant à la définition des vagabonds et de leurs modes d'existence.
Ainsi, Geremek met en avant l'importance du Rapport de Bâle sur le langage, présentant 26
catégories de mendiants et proposant de « dénoncer les artifices et les fourberies des vagabonds et
des aveugles ».
Le rejet
Le rejet du monde de la mendicité et du vagabondage s'ancre toujours dans une atmosphère
moralisatrice. D'abord sont mises en place des mesures afin d'éloigner, d'éradiquer les mendiants
des villes, aussi certaines autorités, comme en Suisse, mettent en place des lois « permettant à
chaque mendiant d'obtenir une sorte d'allocation s'élevant à 5 shillings à condition de quitter la
localité qui leur avait accordé ce subside ». Les autorités n'opèrent plus dans le cadre de la charité
mais bien plutôt dans l'optique de se débarrasser des gueux qui polluent les villes. En effet, les
pauvres sont considérés comme une population inutile, des fainéants qui constituent un vrai fléau
pour la société. Aussi, c'est par la rigidité des règles éthiques en vigueur, le respect de la propriété
privée, la loyauté vis à vis des institutions et de l'Etat, le souci de défense de l'ordre public que
s'établit la condamnation de cette « anti-société ». De là, se développent et s'exacerbent les attitudes
répressives à l'égard de toute forme de marginalité. D'autant que les situations de crise économique
favorisent l'afflût dans les villes de masse d'affamés. « En présentant ainsi leurs coutumes, la
littérature ne faisait qu'exacerber l'hostilité sociale vis à vis du monde des miséreux et des
vagabonds, et a nettement contribué à la mise en place d'une politique répressive qui a abouti au
XVIIe au « grand enfermement ».
LE GRAND « ENFERMEMENT »
Au XVè et XVIè la répression se fait de plus en plus intense, comme on peut le voir à travers
différents traités. En 1495 en Angleterre, un traité ordonne d’arrêter les vagabonds, de les clouer au
pilori, de les mettre à l’eau et au pain sec pendant trois jours avant de les chasser de la ville. L’édit
de 1547 ordonne que les vagabonds (c’est-à-dire pour la justice tous ceux qui ne travaillent pas
depuis plus de trois jours) soient marqués au fer rouge et laissés pendant deux ans au service de
ceux qui les ont arrêté et, en cas de fuite, ils seront condamnés à l’esclavage. Des 1520, avec
Luther, réformateur protestant, commence le recensement des pauvres dans les villes allemandes. Il
s'agit d'appliquer le principe: « n'aider que les pauvres que l'on connaît ». Ainsi, c'est la proximité
spatiale qui prime, seuls les pauvres ayant obtenus de la part de la municipalité une lettre de
recommandation sont libres de mendier. Ces mesures entrent dans le champ d'application d'une
nouvelle organisation de l'Assistance Sociale. Ainsi, on notera que la Réforme courbera davantage
et plus tôt les mesures prises contre les indigents dans les pays du centre de l'Europe. Nous
pourrions aller plus loin encore dans l'interprétation non plus d'une typologie mais d'une véritable
topographie des indigents, c'est-à-dire, que c'est relativement aux pays, aux localités, sur des
critères géographiques, que se distingueraient divers attitudes, mentalités, influences religieuses
envers le monde des indigents, révèler par et dans la littérature.
En 1561, Pie IV interdit la mendicité dans les rues de Rome, sous peine de prison, de bannissement
ou d'envoi aux galères. Se développe ensuite l'idée d'enfermement des mendiants dans des hospices,
ou des quartiers; ce que mettra en œuvre Pie V. En 1572 en Angleterre, un acte établit que les
vagabonds doivent sévèrement être punis et les vrais miséreux assistés: ce principe définira
désormais la politique de l’Etat à l’égard des pauvres. Des rafles sont organisées; et on lutte tout
particulièrement contre les gitans, considérés comme les membres d’une ethnie violente pratiquant
la sorcellerie. Les mesures pour diminuer le nombre de marginaux sont souvent liées au travail: on
crée des maisons de redressement, comme la fondation royale de Bridewell, où le travail est
obligatoire, c’est la naissance de l’ethos du travail. Finalement, « toutes les mesures confirment la
« peur du vagabond » qui, selon R.H. Tawney, se répand de plus en plus au sein des sociétés
modernes à partir du XVIème siècle. »
Plus particulièrement, le Concile de Trente (1545–1563), réaction contre l'émergence du
protestantisme, donne lieu à la Contre-réforme ou Réforme catholique. Les prescriptions concernant
l'aumône se font de plus en plus sévères. Les hospices censées accueillir les mendiants deviennent
des maisons du travail puis des prisons. C'est le début de la théorie sur l'institutionnalisation de la
charité. « Le grand enfermement marque le triomphe des règles sociales en vigueur. Le royaume
d'une morale « à rebours » s'écroule sous les coups d'une politique qui, pour « assainir la société,
crée des prisons pour pauvres. »
L'évolution du genre littéraire en Europe
Allemagne
Der Schelmenroman:
1340s = premières œuvres;
XVè descriptions détaillées;
XVIè œuvre maîtresse = Liber vagotorum, auteur inconnu, réédité plusieurs fois;
+ Personnage Tyl Eulenspiegel : misérable, errant mais amusant, espiègle  d’abord
récit oral puis publié et traduit dans plusieurs langues;
Dès XVIè thème des mendiants s’installe pour de bon dans la littérature allemande.
XVIIè 2 œuvres importantes de Von Grimmelshausen = Les aventures de Simplicius
Simplicissimus et L’Aventurière courage
XVIIIè vagabonds disparaissent du premier plan
France
La littérature « de gueuserie»:
Dès XIIIè personnages qui font rire, rire méchant cf leur infirmité et leur
comportement  théâtre, roman et poésie: ex ballades d’Eustache Deschamps
XV-XVIè théâtre: personnages vagabonds ne sont là que pour susciter le rire + poésie
notamment Villon (lui-même vagabond)  reflète ambivalence des attitudes envers
les pauvres: appel à la pitié et mise en garde à la fois.
Autre ex XVIè Propos rustiques de Noël Du Fail : personnage Tailleboudin
description (une des premières) du milieu
XVIIè monarchie à son apogée se met en guerre VS vagabonds : littérature,
jusqu’alors fascinée, en détourne les yeux.
Italie
Espagne
A partir du XIVè le thème prend de l’ampleur : Boccace, dans le Décaméron,
sympathie.
Mais 2è moitié XIVè et XVè visions sarcastiques. Au théâtre personnage répugnant
et dérisoire, sert seulement à faire rire pendant les intermèdes.
XVè une œuvre exclusivement consacrée au thème, pour le dénoncer = Speculum
Cerretanorum de Teseo Pini, en latin. Puis 1620 Il vagabondo, de Giacinto De
Nobile, qui en fait une traduction de l’œuvre de Pini.  succès aux 2 époques
Le picaresque:
XIVè Libro de buen amor de Arcipreste de Hita :sous forme ludique.
XVIè ton change: sarcasmes et animosité.
Mais apparaît Lazarillo de Tormes, prototype de cette littérature, publié
anonymement, immédiatement énorme succès.
Fin XVIè œuvre maîtresse = Guzman de Alfarache, de Mateo Aleman. Grand
succès.
XVIIè Quevedo, Historia del Buscon llamado don Pablos
+ Cervantes Don Quichotte
Le picaresque marque aussi fortement le théâtre (intermèdes).
2nde moitié XVIIè le genre se raréfie pour s’éteindre lentement
Angleterre
The literature of roguery:
Dès 2nde moitié XIVè chez Langland et Chaucer critiques des hommes d’Eglise via
comparaison aux mendiants. Mais faut attendre XVIè pour précision, notamment
grâce traductions. 1520s The hye way to the Spytfellhous, de Robert Copland,
inaugure série de pamphlets anglais. Puis 1560s Thomas Harman : The Caveat or
Warening for Commen Cursetors, vulgarely called Vagabondes, le plus riche,
approche sociologique. Dans théâtre rare sauf Shakespeare.
XVIIè décadence du genre
Europe de l'Est
Le thème des misérables apparaît également dans la littérature hollandaise et
scandinave, mais aussi polonaise et tchèque. Dans ces deux derniers pays, les auteurs
s’intéressent moins aux « faux-mendiants » que leurs homologues européens. Quant à
la littérature russe, elle donne une image curieuse du gueux: il suscite tantôt l’hilarité
tantôt un respect quasi religieux.
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