3ème Année Licence Sciences économiques Année universitaire

2 - La crise de l’emploi dans la transition actuelle de paradigme techno - économique
La crise du mode de production fordiste (consommation et production de masse) depuis le milieu des
années 70 entraîne une mutation de l’emploi dans les sociétés développées qui connaissent une transition de
paradigme techno - économique. Deux phénomènes négatifs s’additionnent :
- l’importance actuelle du chômage imputable à l’ancien paradigme ;
- la création insuffisante d’emplois dans le nouveau paradigme des technologies de l'information.
a - Le chômage imputable à l’ancien paradigme
L’importance du chômage des années 80-90 peut s’expliquer par un processus endogène
de développement. Ainsi, l’élasticité - prix de la demande de nombreux biens de consommation durables a
baissé dans le temps à mesure que les ménages, grâce à leurs patrimoines, accumulaient des biens durables. A
partir des années 50 jusqu’à la fin des années 70, on observe dans les pays industrialisés un taux de chômage
faible, une croissance de l’emploi dans les activités industrielles à forte productivité, une hausse des revenus et
une baisse des inégalités de salaires. Des gains de productivité sont réalisés dans les divers secteurs industriels et
se traduisent par une augmentation sensible de l’emploi. Les économies capitalistes industrialisées, notamment
européennes, connaissent une croissance économique exceptionnelle. Deux types d’activités enregistrent des
gains de productivité :
- les secteurs à productivité élevée et croissante (industrie manufacturière) ; ils se caractérisent par une
attraction forte de main - d’œuvre et l’octroi de salaires plus élevés que dans le reste de l’économie ;
- les autres secteurs moins productifs qui ont, eux aussi, offert des salaires plus élevés pour recruter la
force de travail nécessaire à l’entreprise.
Les hausses salariales réelles ont eu tendance à s’aligner sur l’augmentation moyenne de la productivité
dans l’économie ; plus précisément, les rémunérations ont augmenté moins vite que la productivi dans les
secteurs la croissance de celle-ci était supérieure à la moyenne et plus vite que la productivité dans les
secteurs la croissance de celle-ci était inférieure à la moyenne. Par conséquent, les prix relatifs ont évolué à
la baisse dans les secteurs à forts gains de productivité et à la hausse dans les autres secteurs. Les premières
activités ont connu une forte expansion du fait d’une forte élasticité - prix de la demande de biens et services les
caractérisant tandis que les secondes ont vu leur croissance entravée par la hausse de leurs prix relatifs. C’est
dans l’industrie manufacturière que les gains de productivité assis sur des gains d’économies d’échelle se sont
révélés être les plus forts. L’expansion de l’emploi a alors été permise par la conjonction des facteurs suivants :
la baisse des prix relatifs combinée à une demande de produits manufacturés élastique par rapport au
prix a entraîné une expansion de la demande qui a plus que compensé les économies d’emploi permises
par les hausses de productivité. L’augmentation sensible du niveau de vie moyen dans les économies
occidentales a été affectée à l’acquisition des biens de ces industries productives, essentiellement dans la
fabrication de biens durables.
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A la fin des années 70 et dans les années 80, apparaissent dans les pays industrialisés des tendances
divergentes dans l’emploi et dans les rémunérations des salariés. Le changement majeur concerne la stagnation
voire la baisse de l’emploi dans les secteurs à forts gains de productivité. Progressivement, au cours des années
70, les gains élevés de productivité ont engendré une diminution de la demande de travail dans les industries de
pointe. Ce sont alors les activités à gains réduits de productivité qui ont enregistré l’élévation de l’emploi la
plus significative. Dans les pays l’emploi a augmenté, c’est le secteur des services (activités à productivité
relativement moins élevée) qui a enregistré des créations de postes de travail suffisantes pour compenser le
déclin de l’emploi dans le secteur manufacturier. Dans les pays où ce transfert s’est avéré insuffisant, l’emploi a
stagné ou a régressé. Le changement de nature de la relation gains de productivité - emploi repose sur la
modification de l’élasticité - prix de la demande des biens de consommation durables. La saturation
progressive des besoins et les nouveaux achats expliquent une faible croissance des ventes aux agents
économiques (demande d’acquisition des nouveaux acheteurs et demande de renouvellement des agents déjà
équipés). La demande de biens de consommation durable antérieurement très élastique est devenue inélastique
au fur et à mesure que les ménages s’équipaient. Les données de l’OCDE pour les pays du G7 montrent que
l’emploi dans l’industrie s’est abaissé au cours des deux dernières décennies, soit en termes absolus (Allemagne,
Italie), soit en part de l’emploi total (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Canada, Japon). Dans ces pays, toute
augmentation de l’emploi est à imputer à l’augmentation de la part de la population active employée dans les
services.
b - L'emploi dans les paradigmes néo - technologiques
Une grande actualité est donnée dans la période contemporaine aux analyses en termes d’ondes
économiques longues ou cycles d’activité économique. Pourquoi ? La période de croissance de l'après Seconde
Guerre mondiale a déboucsur un retournement de conjoncture au début des années 70. Celui-ci a ouvert une
longue période (encore inachevée) de contraction de l'activité économique. La question suivante se pose : est-on
en présence d'un schéma de cycles longs d'activité (25 ans de croissance et 25 ans de dépression) ? Des
recherches récentes tentent d’en préciser l’existence et de définir les caractéristiques d'un nouveau cycle long
d'activités. C'est notamment le cas des travaux inspirés par J. Schumpeter qui mettent l’accent sur le rôle des
innovations techniques dans le développement économique. Ainsi, les travaux de Ch. Freeman pour qui les
cycles longs d’activités correspondent à une succession de paradigmes techno - économiques. Précisons tout
d’abord l’analyse de J. Schumpeter (économiste autrichien du début du siècle précédent).
- L’apport de l'analyse schumpéterienne
Les apports analytiques de Schumpeter sont principalement contenus dans sa Théorie de l'évolution
économique de 1911. Il apparaît une opposition entre l'économie de circuit et l'économie de l'évolution. La
première est une économie stationnaire (qui se reproduit à l'identique) et qui concerne une économie sans
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accumulation de capital, c'est-à-dire sans investissements productifs : il n'y a ni crédits aux entreprises ni profits.
A l'équilibre, les firmes ne font ni bénéfices ni pertes. De plus, chaque agent étant censé être à l'équilibre, il n'y a
aucun motif ni d'ailleurs aucun moyen de prêter ou d'emprunter, qu'il s'agisse des producteurs ou des ménages.
L'évolution naît de deux conditions :
- une condition nécessaire : l'innovation que Schumpeter définit comme une "combinaison
nouvelle" des facteurs ou plus tard, comme "la mise en œuvre d'une nouvelle fonction de production". Elle peut
revêtir une des cinq formes suivantes : fabrication d'un nouveau bien (qualinouvelle d'un bien), introduction
d'un nouveau procédé (nouveau procédé commercial ou reposant sur une découverte scientifiquement nouvelle,
ouverture d'un nouveau débouché, conquête d'une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-
ouvrés, nouvelle forme d'organisation (concentrations, création d'un monopole). J. Schumpeter distingue deux
fonctions apparemment voisines : l'innovation et l'invention. L'inventeur est un technicien ; l'innovateur est un
entrepreneur, c'est-à-dire un chef d'entreprise qui prend la responsabilité d'exécuter, de mettre en œuvre
l'innovation en engageant dans cette démarche tous les moyens dont il dispose. Il permet au progrès technique
de s'incarner dans le processus économique. De plus, Schumpeter insiste sur le fait que l'innovateur va "faire
l'éducation" du consommateur en lui révélant une demande virtuelle donc à laquelle il n'avait pas songé.
- une condition suffisante : le crédit bancaire qui permet par une création monétaire ex
nihilo d'émettre un pouvoir d'achat qui sera mis à profit par les entrepreneurs pour concrétiser leurs
combinaisons productives nouvelles et en tirer un profit que l'on appelle "surplus ou rente de monopole". Le
profit découle de l'innovation tant que cette dernière n'est pas généralisée. Le banquier "a une position
intermédiaire entre ceux qui veulent exécuter de nouvelles combinaisons et les possesseurs des moyens de
production. Il est donc une composante de l'évolution". Ce profit permettra d'acquitter un intérêt sur les crédits
consentis, intérêt dont le niveau résulte tout simplement de l'offre et de la demande de capitaux (approche
monétaire de fonds prêtables). Le couple innovation - crédit suffit ainsi à expliquer non seulement le
"développement" (la croissance) mais aussi, les fluctuations. En effet, les innovations surviennent par grappes et
se généralisent en se diffusant à partir des entrepreneurs les plus dynamiques qui ont recours au crédit pour
rompre avec l’économie de circuit et jouent ainsi un rôle-clé dans la croissance. La mise en œuvre et la diffusion
de l’innovation génératrice de profit correspondent à la période de l’expansion. La généralisation de
l’innovation étant faite, la croissance des investissements innovants s’achève et les perspectives de profit se
détériorent. La crise puis la dépression vont alors survenir. J. Schumpeter exprimera son scepticisme quant à la
survie du capitalisme du fait d’une bureaucratisation accrue, issue d'un ralentissement du processus d'innovation
et de l'affaiblissement de l'esprit d'entreprise, entraînant la disparition progressive du profit.
On peut souligner que Schumpeter distingue des cycles longs assis sur l'évolution technologique qu'il
nomme Kondratieff. Ils ont une durée de 55 à 60 ans (les économistes ne sont pas tous d'accord quant à leur
existence). J. Schumpeter pense en avoir relevé trois, chacun étant associé à un ensemble d'innovations
majeures. Le premier s'étendrait de 1780 environ à 1842 et correspondrait à la révolution industrielle. Le
deuxième Kondratieff, de 1842 à 1897, serait celui de la vapeur et de l'acier. Le troisième Kondratieff irait de
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1898 à 1950 environ et correspondrait à l'électricité, à la chimie et aux moteurs à explosion. Un quatrième
Kondratieff peut-il associé aux technologies de l'information et des télécommunications ?
- Les paradigmes techno - économiques
Ces analyses ont été développées par Ch. Freeman à l’Université du Sussex. Il considère que les
cycles longs d'activité correspondent à une succession de paradigmes techno - économiques semblables aux
ondes longues décrites par J. Schumpeter. Le principe du changement de paradigme repose sur une
transformation radicale du système de pensée qui prévalait dans presque toutes les industries en matière
technique et de gestion pour l’obtention d’une productivité et de profits élevés. Le nouveau paradigme apparaît
et se développe d’abord à l’intérieur de l’ancien et démontre progressivement ses avantages décisifs au cours de
la dépression longue. Il est appelé à l’issue de cette période, à entraîner de nombreuses innovations radicales et
des innovations d’amélioration ainsi qu'à contribuer à de nouveaux systèmes technologiques. Par conséquent, il
va aboutir à un nouveau régime technologique dominant. Une telle situation ne survient qu’après une crise
d’ajustement structurel qui implique le remplacement des branches motrices de l’économie ainsi que de
profonds changements institutionnels et sociaux. En effet, la dépression serait un processus de destruction
créatrice non seulement dans la sphère productrice mais aussi, dans les sphères sociales et institutionnelles.
- la transition actuelle de paradigme
C. Freeman précise qu’au sein de chaque nouveau paradigme, se trouve un intrant ou un
ensemble d’intrants particuliers qui apparaît comme le facteur déterminant du paradigme et qui remplit trois
conditions :
- un coût relatif peu élevé qui s’abaisse rapidement ;
- une disponibilité apparemment presque illimitée en longue période ;
- une capacité à être utilisée dans de nombreux processus productifs.
Quelques exemples : pour Ch. Freeman, le rôle de facteur - clé aurait été successivement joué par le faible coût
du travail et par le coton lors de la révolution industrielle, par le bas coût du charbon et des transports à vapeur
au milieu du XIXème siècle, par le faible coût de l’acier pour la troisième expansion longue au début du
XXème siècle et par le faible coût du pétrole et des matériaux à fort contenu en pétrole (pétrochimie, chimie de
synthèse) pour l’expansion d’après 1945. Cependant, pour Ch. Freeman, chacun de ces facteurs - clés existe et
est utilisé bien avant que le nouveau paradigme ne se développe. Comment expliquer alors la crise
d’aujourd’hui ? Pour Ch. Freeman, la crise actuelle serait précisément une transition entre d'une part, un régime
technologique fondé sur le pétrole bon marché et les matériaux issus du pétrole et conduit par des firmes
géantes orientées vers la production de masse, et d'autre part, un régime nouveau en cours de constitution
sur la base d’instruments micro- informatiques à faible coût (appelé encore à diminuer) utilisés dans une
organisation productive intensive en information. Celle-ci lierait à la fois le design, la production, la gestion et le
marketing en systèmes de travail intégrés au niveau informatique. Capables de produire de façon flexible et
rapidement changeante avec des équipements intégrant de plus en plus largement l’ordinateur, les secteurs de
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l’électronique et de l’informatique deviennent ainsi les nouvelles industries motrices. Les éléments de ce
nouveau régime technologique destiné à devenir dominant dans les années 2000 se sont constitués
progressivement au sein même de l’ancien paradigme ; ils constituent un nouveau paradigme techno-
économique mais ne sont pas encore dominants.
- l’investissement public nécessaire
La machine à vapeur, l'énergie électrique ou plus récemment, l'informatique (qui touche toutes
les branches d'activité) ont eu et continuent d'avoir de profondes conséquences sur les comportements
d'investissements au fur et à mesure de leur incorporation dans le système économique. L'analyse des
comportements d'investissement révèle une influence sur les cycles de moyen et long terme. Outre les décisions
d’investissement des firmes, le comportement des consommateurs influence fortement les investissements et
joue un rôle majeur dans les cycles économiques. Autrement dit, c'est l'investissement qui enregistre les plus
grandes fluctuations et qui constitue la principale source d'instabilité dans le système économique. La confiance
influence fortement les comportements d'investissement. Celle-ci n'est pas exclusivement liée à la stabilité
politique ou à l'action gouvernementale mais aussi aux changements technologiques. Keynes dans le Treatise on
Money de 1930 : "En matière de capital fixe, il est facile de comprendre la raison pour laquelle des fluctuations
interviennent dans les taux d'investissement. Les industriels sont tentés de se lancer dans la production de capital
fixe, ou dissuadés de le faire, en fonction des bénéfices escomptés. A l'exception de nombreuses causes
secondaires de fluctuation dans un monde en mutation, l'explication des grands mouvements que donne J.
Schumpeter peut être acceptée sans réserve". En matière de politique économique, il apparaît la cessité de ne
plus se fonder uniquement sur une action par les taux d'intérêt. Ainsi, au début de 1990, les Etats-Unis et le
Japon ont pratiqué des taux d'intérêt réels quasiment nuls sans obtenir une réponse positive de l'investissement.
Ch. Freeman en conclut à la nécessité de programmes d'investissements publics pour la diffusion de nouvelles
technologies, en particulier celles relevant de linformatique.
Cet effort est d'autant plus nécessaire qu'une des sources principales d'investissement de la
Guerre froide disparaît. Mais, une politique alternative s'appuyant sur le changement technologique et
institutionnel pour relancer les investissements ne donnera de résultats satisfaisants que si elle concerne de
nombreuses firmes (large diffusion et effets multiplicateurs sont indispensables). L'investissement public
(notamment dans les infrastructures) et le changement institutionnel pendant les longues périodes de crise sont
essentiels. Précisons : la pénétration de nouvelles technologies exige une nouvelle gamme de qualifications, de
nouvelles techniques managériales et de nouvelles structures organisationnelles (elle nécessite aussi de
nouveaux types de réglementations des marchés et la création de normes nationales et internationales comme
pour le chemin de fer, l'énergie électrique et aujourd'hui, les télécommunications). Le paradigme techno -
économique doit largement se diffuser et adapter l'ensemble du système économique et social. En premier lieu,
l’ajustement doit concerner le cadre national. L'ajustement du cadre institutionnel international (création de
structures permettant la diffusion et le transfert de technologies) ainsi que l'ensemble des ajustements nationaux
au potentiel des technologies de l'information et de la communication (TIC) pourraient créer dans les années 90
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