l'impression que, tout en décrivant une situation qui d’une certaine manière existe - du moins sous certains
aspects -, il ne saisit pas une réalité qui est pleine de signes extraordinaires de fidélité à un idéal qui a marqué
la vie de nombre de nos frères et sœurs, et qui a trouvé et trouve encore des expressions très différentes dans
la géographie variée de nos Instituts. Nous connaissons tous un nombre important de frères qui ont une
qualité humaine et spirituelle qui nous surprend toujours. Nous avons vu l'engagement courageux de tant de
nos confrères qui vivent chaque instant de leur vie en se donnant généreusement à ceux vers qui ils ont été
envoyés. Nous avons été enrichis et confortés par le témoignage de nombreux frères âgés qui, ayant vécu
pleinement leur vie, aujourd’hui récoltent et partagent les fruits de cette paix et sagesse qui sont des dons de
l'Esprit. Nous sentons l'enthousiasme des jeunes qui rêvent de nouveaux projets au service de l'Église et du
monde. La vie consacrée est aujourd'hui, comme toute autre réalité, pleine de lumières et d'ombres. Quoi
qu'il en soit, nous continuons à croire, avec humilité et réalisme, qu’elle exprime toujours, malgré toutes ses
limites et ses imperfections, cette primauté de Dieu qui crée la liberté dans le cœur et l'engagement à la tâche
de l'édification du Royaume. Et cela est tout aussi vrai en Amérique latine qu’en Afrique, en Asie, en Europe
et en Océanie, bien que sans doute avec des expressions différentes. Il me semble important d'affirmer cette
réalité qui est la base des réflexions que nous avons écoutées et qui devrait nourrir le dialogue qui suivra.
Cependant, une infinité de questions continuent de nous harceler, elles nous forcent à persévérer dans notre
quête de voies qui nous fassent sentir la joie de vivre cette forme de vie chrétienne et qui la rendent, à son
tour, «significative», - un mot qui a été mentionné à plusieurs reprises dans les conférences - pour les
personnes avec qui nous partageons la tâche de donner un sens à ce moment historique que nous vivons.
Qu’est-ce que cela suppose et exige en Amérique latine et dans le monde?
QUELQUES QUESTIONS À PARTIR DE CE QUE NOUS AVONS ÉCOUTÉ
Dans sa réflexion, le père Alex Zatyrka nous rappelle l'attitude de Jésus face à la foule « lasse et prostrée»,
sa façon de la regarder avec compassion et sa réponse à cette situation. Grâce à cette façon d’agir de Jésus,
nous découvrons une manière d'être qui manifeste le mystère de Dieu qui est Amour « avec un langage
existentiel accessible à notre entendement humain ». D'où l'invitation à ceux qui ont été appelés à la vie
consacrée à apprendre ce langage à l'école d'une communion profonde avec Jésus, dans laquelle nous nous
con-figurons petit à petit à Lui, en surmontant ainsi la dé-figuration que notre existence a subie à cause de
l'égoïsme. Seule une vie guidée par le dynamisme kénotique de Dieu peut révéler son Amour et aider à
réorienter la vie de chaque personne et de l'histoire humaine selon le plan de Dieu.
C’est certainement notre contribution majeure à un monde où beaucoup de personnes vivent prisonnières de
ce cercle vicieux que le père Alex nous indique: a) désorientation et malaise culturel à une époque marquée
par la déception face à l'échec de projets qui semblaient pouvoir répondre aux aspirations les plus profondes
de bonheur et de communion de tous les êtres humains, b) la recherche de solutions rapides et faciles à une
situation qui déstabilise et provoque l'agitation, que ce soit à travers la consommation, le travail ou mille
autres succédanés c) la nouvelle expérience de frustration plus radicale du fait de constater que la médecine
ne guérit pas la maladie, au contraire, l’aggrave. La question se pose avec une grande force provocatrice:
comment être de véritables signes d'espérance dans ce contexte? Le mot «espérance» revêt une grande
importance en ce moment historique. Le frère Carlos Gomez Restrepo nous l’a dit : « L'obsession pour la
réussite devrait céder la place à l’espérance qui prend des risques et qui prend le parti de ceux qui
sont exclus de l'histoire et de ceux qui souffrent de l'injustice et du dépouillement.» Il s’agit d’une
espérance qui naît « de la liberté que donne l'abandon à la Providence de Dieu. » Je pense, cependant, que,
pour être réalistes, il y a deux aspects à considérer.
Le premier, c’est prendre conscience que nous vivons et grandissons dans l’humus culturel du moment. Nous
respirons l'air du moment historique dans lequel il nous a été donné de vivre. La lettre du Provincial qui est
citée au début, nous en avertit. En effet, plus nous sommes conscients du drame que tout cela suppose dans
notre vie, plus nous sommes en mesure d'aider les autres à s’acheminer pour chercher des réponses qui
donnent un sens à leur vie. Nous devons aborder la question, l'étudier, prier et la commenter dans nos
communautés, mais nous avons tant de mal à faire cela! Trop souvent nous programmons des actions sans
bien réfléchir sur ce que nous nous vivons. Pour vivre «en profondeur» - un autre aspect sur lequel les
interventions ont insisté – il faut être conscient des circonstances qui nous entourent et nous conditionnent.
Or, sans cette profondeur, tout espoir sera vain.