structures archaïques de la société espagnole pourraient être tenues pour
responsables de la violence, du crime gratuit. Dans sa cellule de condamné à mort, le
héros du roman, Duarte, raconte sa vie, parsemée d'assassinats: celui de sa chienne,
celui de la jument qui a provoqué l'avortement de sa femme, et pour finir celui de sa
mère. Dès sa publication, ce tourbillon de sang s'impose comme une œuvre
novatrice et emblématique de l'après-guerre: la confession d'un être, certes fruste,
dont la conscience malheureuse est prisonnière de la fatalité, ne peut qu'émouvoir
dans un pays où presque tout le monde se débat pour survivre. Cette première œuvre
annonce le renouveau du roman espagnol: écrivant à partir de la réalité
contemporaine, Cela ouvre la voie à ce qui pourra être le roman social, même si, en
dépit des apparences, il ne dénonce rien, figeant ses personnages dans un monde
absurde, hors de l'histoire.
L'après-guerre
Au sortir de la guerre, Cela contracte la tuberculose; le sanatorium sera la matière de
Pavillon de repos, publié en 1943. A-t-il lu la Montagne magique de Thomas Mann?
Après ce livre, qui est d'abord l'expérience de l'auteur, Cela publie Nouvelles
Tribulations et Mésaventures de Lazarillo de Tormes, pastiche du picaresque
Lazarillo de Tormes.
L'immédiat après-guerre est le temps de l'élaboration de l'œuvre maîtresse de Cela,
la Ruche, qui lui vaut à la fois controverses et consécration. Interdite par la censure
en 1946 – et son auteur, qui lui-même fit partie un temps de la censure franquiste,
expulsé de l'association de presse de Madrid –, elle ne sera publiée qu'en 1951, à
Buenos Aires, tandis que l'édition espagnole se fera attendre jusqu'en 1963, quand
s'ébauchera la sortie du pays de son autarcie.
Éthique et esthétique des voyages
En 1948 paraît Voyage en Alcarria, qui sera suivi d'autres livres de voyages, de Du
Miño à la Bidassoa (1952) et Juifs, Maures et Chrétiens (1956) à Voyage andalou
(1959) et Voyage dans les Pyrénées de Lérida (1965). Renouant avec la tradition des
écrivains du début du siècle – Miguel de Unamuno y Jugo, Antonio Machado – qui,
en période de crise de l'Espagne, essayaient de retrouver leur pays dans le paysage
géographique et humain, Cela redécouvre l'Espagne profonde, dénonce, tout en
gardant son humour, les plaies et misères de la campagne, stigmatise ses injustices
humaines et structurelles, dans un style incisif à la limite de la caricature, qui atteint
sa perfection dans Histoires d'Espagne: les aveugles, les sots (1958).
Un autre voyage lui fera découvrir l'Amérique, autre terre d'hispanité. Reçu
officiellement au Venezuela, il y écrira la Catira (1955). Mais son activité littéraire
ne se limite pas à l'écriture: de Majorque il dirige et édite une revue littéraire,
Papeles de Son Armadans. Élu membre de l'Académie royale espagnole en 1957,
Cela reçoit les plus grandes récompenses littéraires de son pays, et, finalement, le
prix Nobel de littérature, en 1989.