Camilo José Cela Trulock
Romancier espagnol (Padrón, La Corogne, 1916).
Celui qui s'est battu dans les rangs nationalistes pendant la guerre civile est un
provocateur dans ses écrits, à contre-courant de l'idéologie dominante: les rêves
d'une nouvelle grandeur espagnole s'accommodent mal de sa description réaliste de
la misère, dans une langue affranchie de toutes les censures.
Parfois controversé, en partie à cause de liens non tranchés avec le pouvoir
franquiste, ce touche-à-tout littéraire a su enrichir sa prose de trouvailles verbales
puisées dans la langue dite vulgaire. En lui décernant le prix Nobel, en 1989,
l'Académie suédoise a voulu honorer la figure la plus éminente de la rénovation
littéraire dans l'Espagne de l'après-guerre.
Fier de ne pas être un pur-sang
La famille paternelle de Camilo José Cela est galicienne. Sa mère, Camila
Emmanuella Trulock y Bertorini un nom d'héroïne de Byron, dira-t-il , est
d'origine anglaise et italienne: la petite-fille d'un Bertorini de Pise ayant fui l'Italie
pour des raisons politiques épousera John Trulock, lequel viendra en Galice pour
diriger une pittoresque ligne de chemin de fer; de ce mariage naîtra Camila
Emmanuella. «Je suis de ces trois sangs anglais-italien-espagnol, se sentir lié à de
nombreuses géographies ne me semble pas, du moins pour un écrivain, présenter un
inconvénient», pourra déclarer Cela.
La famille s'installe à Madrid lorsque Camilo a neuf ans. Bachelier, il y commencera
des études de médecine, abandonnées dès la première année. Quand, en 1936, éclate
la guerre civile, il a vingt ans. Il reste encore quatorze mois à Madrid, pour un temps
capitale de la République, puis passe en zone nationaliste, il se bat avec les
troupes de Franco. Il reviendra à Madrid après la guerre et y commencera des études
de droit, qu'il abandonnera elles aussi.
Les années décisives
En 1942, la guerre civile est finie depuis trois ans et les plus grands écrivains sont
morts, en exil ou silencieux. L'idéologie qui a triomphé a imposé au pays ses
normes, sa morale bien-pensante: les déviations de tout ordre sont effacées, châtiées,
étouffées.
La Famille de Pascual Duarte
C'est dans ce contexte que Cela publie la Famille de Pascual Duarte, livre
dérangeant le monde rural qu'il y dépeint est livré à la misère et à l'absence de loi
mais épargné par la censure, qui préfère sans doute voir une fatalité les
structures archaïques de la société espagnole pourraient être tenues pour
responsables de la violence, du crime gratuit. Dans sa cellule de condamné à mort, le
héros du roman, Duarte, raconte sa vie, parsemée d'assassinats: celui de sa chienne,
celui de la jument qui a provoqué l'avortement de sa femme, et pour finir celui de sa
mère. Dès sa publication, ce tourbillon de sang s'impose comme une œuvre
novatrice et emblématique de l'après-guerre: la confession d'un être, certes fruste,
dont la conscience malheureuse est prisonnière de la fatalité, ne peut qu'émouvoir
dans un pays où presque tout le monde se débat pour survivre. Cette première œuvre
annonce le renouveau du roman espagnol: écrivant à partir de la réalité
contemporaine, Cela ouvre la voie à ce qui pourra être le roman social, me si, en
dépit des apparences, il ne dénonce rien, figeant ses personnages dans un monde
absurde, hors de l'histoire.
L'après-guerre
Au sortir de la guerre, Cela contracte la tuberculose; le sanatorium sera la matière de
Pavillon de repos, publié en 1943. A-t-il lu la Montagne magique de Thomas Mann?
Après ce livre, qui est d'abord l'expérience de l'auteur, Cela publie Nouvelles
Tribulations et Mésaventures de Lazarillo de Tormes, pastiche du picaresque
Lazarillo de Tormes.
L'immédiat après-guerre est le temps de l'élaboration de l'œuvre maîtresse de Cela,
la Ruche, qui lui vaut à la fois controverses et consécration. Interdite par la censure
en 1946 et son auteur, qui lui-même fit partie un temps de la censure franquiste,
expulsé de l'association de presse de Madrid , elle ne sera publiée qu'en 1951, à
Buenos Aires, tandis que l'édition espagnole se fera attendre jusqu'en 1963, quand
s'ébauchera la sortie du pays de son autarcie.
Éthique et esthétique des voyages
En 1948 paraît Voyage en Alcarria, qui sera suivi d'autres livres de voyages, de Du
Miño à la Bidassoa (1952) et Juifs, Maures et Chrétiens (1956) à Voyage andalou
(1959) et Voyage dans les Pyrénées de Lérida (1965). Renouant avec la tradition des
écrivains du début du siècle Miguel de Unamuno y Jugo, Antonio Machado qui,
en période de crise de l'Espagne, essayaient de retrouver leur pays dans le paysage
géographique et humain, Cela redécouvre l'Espagne profonde, dénonce, tout en
gardant son humour, les plaies et misères de la campagne, stigmatise ses injustices
humaines et structurelles, dans un style incisif à la limite de la caricature, qui atteint
sa perfection dans Histoires d'Espagne: les aveugles, les sots (1958).
Un autre voyage lui fera découvrir l'Amérique, autre terre d'hispanité. Reçu
officiellement au Venezuela, il y écrira la Catira (1955). Mais son activité littéraire
ne se limite pas à l'écriture: de Majorque il dirige et édite une revue littéraire,
Papeles de Son Armadans. Élu membre de l'Académie royale espagnole en 1957,
Cela reçoit les plus grandes récompenses littéraires de son pays, et, finalement, le
prix Nobel de littérature, en 1989.
L'inlassable défricheur du langage
Plus de cent titres rassemblent poèmes, romans, livres de voyages, articles de presse,
mémoires, pièces de théâtre. Dans ses romans, la rénovation formelle se poursuit à
un rythme tel que Cela a pu être considéré comme novateur ou pionnier du roman
réaliste de l'après-guerre, du récit néopicaresque, du récit de voyage avec un arrière-
fond sociologique. Il se fixe de véritables paris: après Pascual Duarte, les faits et
méfaits du personnage se succèdent sans pause, il décide d'écrire un roman statique,
une poésie de l'attente de la mort, Pavillon de repos. Après la Ruche, les romans
qu'il écrit sont tous des incursions dans des voies nouvelles. La Catira, roman des
llanos vénézuéliens à l'instar de ceux des grands romanciers autochtones, est une
sorte d'exaltation jubilatoire, où l'auteur montre qu'il peut écrire dans le langage d'un
autre continent. San Camilo 1936 (1969) est un roman dont l'action se situe à la
veille de la guerre civile. Office des ténèbres 5 (1973) offre une vision de l'humanité
digne des œuvres les plus tourmentées de Jérôme Bosch: sous le regard désabusé
d'un moribond, toutes les croyances sont tournées en une monstrueuse rision. Les
derniers romans, Mazurka pour deux morts (1983) et Cristo versus Arizona (1988),
ont suscité un enthousiasme inégal: ils ne parviennent guère à renouveler les
bonheurs d'écriture des premières œuvres. De cette profusion se dégagent des
constantes qui traversent toute l'œuvre: la passion de la langue, l'humour, la
présence de la tradition picaresque.
La langue populaire
La grande originalité de Cela est d'avoir dès son premier grand roman fait entrer la
langue populaire dans la littérature: alors que la pudibonderie gne encore sur le
langage, il introduit dans ses livres la langue des gueux et des va-nu-pieds et, en
ethnologue du langage, traque les parlers enracinés dans les régions qu'il traverse.
Son Dictionnaire secret (1968) témoigne de cette volonté de déterrer les mots
oubliés, les mots tabous, posant ainsi le problème de la langue et de ses limites: ce
livre connaîtra un succès lié à l'interdit dans un pays la littérature érotique a
toujours été censurée. Pour Cela, les mots sont des «outils de travail qui ne doivent
pas être disqualifiés en raison de leur sens».
L'humour
L'humour, d'abord satirique, tend à ridiculiser par le verbe une société qui cherche
avant tout l'effet et l'apparence. Il passe par des définitions absurdes, des parodies de
la grandiloquence. En choisissant les mots qui font rougir, les expressions
dialectales, Cela donne à la langue dans son entier ses lettres de noblesse. Ce qui a
été appelé «déformation grotesque de la réalité» n'est peut-être que ce parti pris de
dévoiler dans l'art l'horrible et le laid; tradition qui remonte à Quevedo et à la
pratique du miroir déformant des dessins de Goya, et que Cela a voulue présente
dans son œuvre: «En Espagne, l'humour frôle souvent l'hérésie», déclare celui qui,
écrivain reconnu, revendique sa marginalité.
La veine picaresque
Elle est représentée par les Nouvelles Tribulations et Mésaventures de Lazarillo de
Tormes, qui est un pastiche délibéré, mais aussi, dans une certaine mesure, par la
Famille de Pascual Duarte: dans ce roman, Pascual revient sur son passé, tout
comme Lazarillo; antihéros, à l'opposé de toute valeur d'exemplarité, il constitue,
tout comme les innombrables personnages de la Ruche, un emprunt de plus à la
littérature picaresque.
Les livres de voyages sont également à rapprocher de cette littérature: tel le picaro
du XVIe siècle, le narrateur traverse les terres espagnoles en vagabond, et les êtres
qu'il rencontre au hasard des routes ne sont guère différents des gueux et des
misérables qui peuplaient les romans picaresques.
Un auteur «hispanist
Alors que l'Espagne franquiste redécouvre les idéaux de l'Espagne impériale et
catholique des Habsbourgs, en littérature, ce besoin d'enracinement se manifeste
chez les intellectuels franquistes par un retour à la prose raffinée du Siècle d'or. En
prenant le Lazarillo, littérature de l'anti-honneur, comme modèle de sa prose, Cela
se soumet à l'air du temps tout en affirmant encore une fois la marginalité de sa
volonté créatrice: paradoxe d'un auteur qui suit la tradition par des voies de traverse.
En porte à faux dès le début de sa carrière littéraire, dans le sillage officiel mais
malmené par la censure, académicien à la langue verte, il affirmera: «Je ressens
l'Espagne plus comme hispaniste que comme Espagnol.» Aveu qui éclaire l'art d'être
sans être là, le regard ému et tendre mais aussi distant de celui qui, lorsqu'on lui
remettra le prix Nobel, soufflera cette épitaphe aux journalistes: «Ci-gît un homme
qui est passé dans cette vallée de larmes en essayant d'enquiquiner le moins possible
son prochain.»
GARCIA LORCA
Poète et auteur dramatique espagnol (Fuente Vaqueros, 1898 Viznar, 1936).
Parmi la cohorte de jeunes artistes que l'on désigne sous le nom de «génération
de 1927», Federico García Lorca brille d'un éclat particulier: poète, dramaturge,
dessinateur, musicien, il fait œuvre de novateur dans tous les domaines qu'il aborde.
Son assassinat à l'âge de 36 ans en fait, en outre, un symbole de l'intelligence
persécutée par la force aveugle des fanatismes.
L'Espagne, longtemps repliée sur elle-même, produit, à partir de la fin du
XIXe siècle, des musiciens comme Albéniz, Granados et de Falla, des peintres
comme Juan Gris et Picasso, auxquels se joindront, dans les années 1920, des
écrivains comme García Lorca, qui contribueront à un nouvel âge d'or de la création
en Espagne, brutalement interrompu par la guerre civile.
Le rossignol d'Andalousie
Ainsi sera surnommé Federico García Lorca par ses amis. Né à Fuente Vaqueros
en 1898, il grandit dans la province de Grenade, où son père exploite plusieurs
domaines. Auprès de ce père, doué pour la musique, et de sa mère, institutrice,
Federico acquiert une bonne formation élémentaire et manifeste très tôt des talents
littéraires et musicaux. Ses études secondaires seront, en revanche, à peine
passables. Bachelier en 1915, il suit sans grande assiduité trois années de cours de
droit à l'université de Grenade et se lance avec passion dans la littérature. En 1916
et 1917, il visite la Castille, ce qui fournit la matière de son premier livre, publié à
compte d'auteur en 1918, Impressions et paysages.
En 1919, il découvre la résidence universitaire de Madrid, dans laquelle il effectuera
de nombreux séjours jusqu'en 1929, et il se liera avec Salvador Dalí, Luis
Buñuel, Jorge Guillén. À cette époque, il ne publie guère, même s'il écrit beaucoup
de poésie et de théâtre, textes qui font l'objet de lectures publiques.
En 1921, après l'échec complet d'une première pièce jouée à Madrid, le Maléfice de
la phalène, Lorca publie le Livre de poèmes et compose le Poème du cante jondo.
L'année suivante, il participe, avec Manuel de Falla, à l'organisation à Grenade d'un
concours de cante jondo.
Reconnaissance littéraire
L'année 1927 constitue une date décisive pour Lorca: il publie son recueil de
Chansons et crée à Grenade, puis à Madrid, Mariana Pineda, avec, dans le rôle-titre,
l'actrice catalane Margarita Xirgu. L'année suivante paraît un recueil de poèmes,
tous écrits entre 1924 et 1927, le Romancero gitan. Désormais, Lorca est un auteur
reconnu et apprécié dans toute l'Espagne.
De juin 1929 à janvier 1930, il effectue un séjour à l'université Columbia, à
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