La bioéthique en philosophie africaine

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1
La bioéthique en philosophie africaine.
Essai de dépassement de la marginalisation
0. Introduction
Lors de la XVe Semaine philosophique tenue aux Facultés Catholiques de Kinshasa du 21 au
27 avril 1996 sur le thème de «Philosophie africaine .Bilan et perspectives», la philosophie
universitaire africaine a été évaluée.
Les philosophes africains présents à ces assises ont reconnu, sans hésitation cette fois-ci,
l’existence de la philosophie africaine. «Oui, la philosophie africaine existe, à travers des
textes historiquement attestés, en tant que réflexion systématique et rationnelle, vécue en
Afrique, sur le sens de l’existence humaine dans le monde et particulièrement dans le monde
africain»(1).
Cette reconnaissance de l’existence de la philosophie africaine me semble être un pas décisif
et très significatif quand on a présent à l’esprit la jeune histoire de philosophie africaine à
travers laquelle la question du statut de la philosophie africaine a consommé trop de temps,
trop d’encre et trop de salives par rapport à la pratique même de l’activité philosophique.
Mais la réponse donnée à une question risque de ternir l’image de cet acquis et de
compromettre l’avenir de cette jeune philosophie. Cette question, c’est celle que formule en
ces termes A.J. Smet, premier historien de la philosophie africaine : quelle est l’importance
que l’Afrique prend dans les œuvres philosophiques des Africains? Smet rend la réponse
suivante issue de l’enquête menée en milieux philosophiques universitaires : «les travaux
philosophiques d’Africains se préoccupent de moins en moins explicitement de l’Afrique» (2).
Ils s’intéressent de plus en plus aux questions suscitées par les philosophes occidentaux qui
tentent pourtant de répondre aux problèmes qui se posent d’abord à travers leurs sociétés
occidentales.
Je me demande si les penseurs africains s’estiment assez compétents pour résoudre les
problèmes philosophiques qui se posent en Occident en vivant au quotidien en Afrique
pendant que celle-ci connaît- et avec eux- d’autres problèmes plus spécifiques mêmes ci
plusieurs formes de relations existent entre l’Occident et l’Afrique dans divers secteurs.
Que non ! C’est une illusion trompeuse que de s’enfermer totalement dans la quête de sens de
questions qui se pose ailleurs en oubliant celles qu’on vit soi-même au quotidien. C’est
pourquoi, il nous semble urgent en philosophie africaine de freiner cette tendance négative qui
risque de confirmer à la longue que la philosophie aura été une discipline scientifique inutile
en société africaine. En tout cas, le nombre d’étudiants de plus en plus modique au
département de philosophie de l’Université de Kinshasa par rapport à d’autres départements,
par exemple, participe déjà de cette extraversion excessive de la réflexion philosophique
africaine et de son inutilité en Afrique.
Voilà pourquoi, je pense comme Smet qu’il importe de ramener la philosophie au service de
la population africaine à partir de ce nouveau courant de pensée à renforcer qui serait, en plus
du courant herméneutique, le courant de philosophie africaine pratique que Ndumba Esongi
nomme «philosophies de la quotidienneté » et qu’il définit comme «l’ensemble des réflexions
philosophiques produites par les chercheurs africains (diplômés en philosophie pour la
plupart), à l’occasion des Journées de réflexions, Séminaires philosophiques, Séminaires
scientifiques ou Colloques, dans le but d’apporter leurs solutions aux différents problèmes qui
préoccupent les Africains d’aujourd’hui» (3)
1
G.Ndumba, Avant-Propos, in Philosophie africaine. Bilan et perspective, FTCK, 2002,p.8
A.J.Smet, L’activité philosophique en terre africaine.Vingt cinq ans d’enseignement de philosophie au Zaire, in
Philosophie africaine. Bilan et perspective, FTCK, 2002, p.37
3
A.Ndumba Esongi, Horizons d’une philosophie pratique en Afrique actuelle. Le problème de la vérité dans
l’oralité, in Philosophie africaine. Bilan et perspective, FTCK, 2002, p.98
2
2
Le besoin de cette philosophie pratique en Afrique est suffisamment exprimé par Mbambi
Monga qui soulève avec clarté la problématique même de l’efficacité pratique de la
philosophie en posant la question suivante: «philosophes d’Afrique, philosophes africains,
qu’avez-vous fait pour alléger les souffrances de votre peuple?» (4). Mbambi pense avec
conviction que le philosophe africain doit réfléchir sur son statut dans sa société
contemporaine afin que grâce à son apport spécifique se précipite le développement global de
l’Afrique.Il estime en plus que le bilan de 25 ans de philosophie passés est «globalement
décevant». C’est pourquoi, il exige une transformation de l’objet d’investigation théorique et
de méthode de travail. Selon lui, l’objet de réflexion philosophique se ramènerait aux
questions actuelles liées au sous-développement dont la lutte contre la pauvreté, contre les
injustices et contre l’immoralité.
Mais bien d’autres philosophes avant ceux de cette XVeme semaine philosophique, invitaient
aussi les philosophes africains à philosopher autrement «en faisant de l’exercice de la
philosophie, un instrument pratique devant contribuer efficacement à l’avènement de l’amour,
de la paix et de joie d’exister de chacun au sein d’une communauté nationale solidaire,
puissante et heureuse» (5). Je peux citer Tshiamalenga Ntumba et Ngoma Binda.
Quant à moi, je place mon étude dans ce courant de philosophie africaine pratique. Je m’y
engage car, les problèmes de santé humaine en milieux hospitaliers face à la technologie
biomédicale qui fait l’objet de ma réflexion philosophique sont des problèmes d’ordre
pratique. Et en philosophie contemporaine, la réflexion sur ces problèmes pratiques de santé
se mène en Bioéthique que je considère comme un espace de réflexion interdisciplinaire sur
les problèmes éthiques suscités par l’application de technologies biomédicales sur la personne
humaine vivante.
C’est ainsi que partant de cette orientation générale, et à partir de l’Afrique au sud du Sahara,
je me pose ici la question essentielle suivante : quelle est la place de la bioéthique en
philosophie africaine ?
Pour répondre à cette question, je vais d’abord chercher à saisir l’attitude que les philosophes
africains adoptent en général face à la technologie occidentale. Ensuite, je dégagerai l’attitude
des philosophes africains qui s’intéressent particulièrement aux problèmes éthiques relatifs à
la technologie biomédicale et à la recherche biomédicale. En fin je vais évaluer ces deux
attitudes et à partir d’elles, je proposerai mon approche de la bioéthique en contexte africain.
1. Les philosophes africains face à la technologie en Afrique
Quelques philosophes africains ont réfléchi sur la technologie en Afrique. Ils ont exprimé
leur vision de la technologie en contexte africain.
1.1. Benoit Okolo et la nécessité d’une technologie africaine intégrée
Okolo B., dans son étude sur « la technologie entre la tradition et la modernité »
constate que notre technologie est " sous développée", " sous développante, " nonintégrée", " non-maîtrisée ", " non autorégulée " et " non- adaptée" à nos besoins, à nos
moyens et à notre environnement. Si elle est telle, explique-t-il, c'est à cause de
l'interférence entre la gestion traditionnelle de la technique et la gestion moderne d'une part
et, d'autre part à cause de notre absence dans sa production(6.) Ainsi, elle n'est pas une réponse
appropriée à nos besoins.
M.Mbambi Monga, Philosophie et praxis en Afrique. Sur la problématique de l’efficacité pratique de la
philosophie, in Philosophie africaine. Bilan et perspective, FTCK, 2002, p.226
5
Tshiamalenga Ntumba- Ngoma Binda, Philosophons autrement. Proposition pour une nouvelle race de
philosophes en Afrique, in Revue philosophique de Kinshasa IV (1990) n°6, p.77
6
Okolo Okonda, La technologie entre la tradition et la modernité, in Revue philosophique de
4
3
Pour s'en sortir, Okolo propose une technologie africaine intégrée. C'est une
technologie dont l'africain est lui-même auteur. Elle est une technologie moderne
repensée. Sur le plan éthique africaine, elle devrait promouvoir ses valeurs, ses choix, son
désir d'indépendance et de liberté »7. La technologie africaine intégrée est finalement une
technologie du développement qui s'oppose à la technologie de consommation en activité
actuellement. La technologie africaine intégrée exige une recherche fondamentale et
appliquée et surtout une réelle volonté politique "8
Pour réussir cette intégration, l'homme africain doit "assumer les vertus issues de la
technologie moderne et abandonner le mode villageois de gestion de la technologie pour
entrer dans la modernité".9
1.2. Mbolokala Imbuli et la technologie occidentale adoptée et adaptée
Mbolokala Imbuli a cherché à donner une réponse à la question suivante : quelles
technologies pour l'Afrique d'aujourd'hui ? Car selon lui, comme l'Afrique est devant deux
technologies (les technologies traditionnelles et les techniques modernes), il importe de se
demande au préalable ce qu'il faut faire : s'en tenir aux technologies traditionnelles ou suivre
l'évolution positive des technologies modernes et progresser dans le bien-être avec le reste de
l'humanité? Il pense que quoiqu’il en soit, dans le choix des technologies à adopter en Afrique,
il faut tenir compte des facteurs spécifiques tels que les conditions géographiques, la mentalité
de l'homme africain, la qualité des relations entre africains, entre l'Afrique et le monde
occidental, qui peuvent " faciliter ou entraver la réalisation, soit en modifier le caractère ou le
sens de l'évolution "10.
Le choix des technologies à adapter, selon Mbolokala, doit s'opérer à deux niveaux :
au niveau du choix et de la maîtrise des technologies à importer et au niveau de la fabrication
locale des technologies. Mbolokala insiste que même " importée ou fabriquée localement, la
technologie doit être adaptée aussi bien aux conditions climatiques et culturelles des
populations qu'aux moyens économiques et politiques des communautés intéressées11.
C'est seulement après les avoir adaptées que les technologies adoptées sont à
humaniser. Humaniser les technologies adoptées veut dire " moraliser les différentes
relations humaines qui se créent dans l'entreprise entre le patron et l'ouvrier et le monde
extérieur.
Il se dégage chez Mbolokala que " l'Afrique a besoin des technologies nouvelles
adaptées à ses besoins propres, des techniques humanisées ou moralisées efficaces pour la
réalisation de son bien-être ". Il s’agit en fin de compte d’intégrer la technologie dans la
société africaine et non de la rejeter.
1.3. Kangudi Kabwatila S. et la technologie occidentale à s’approprier
Kangudi, dans son examen du progrès technique en Afrique, part d'un regard
critique. Alors que la technologie se développe de façon "vertigineuse ", l'africain lui se
complait dans la " contemplation de l'univers ". Une complaisance qu'il qualifie de "
dilettantisme traduisant l'irresponsabilité d'un homme en disette d'idées" et " incapable
d'initiative", sans " capacité inventive et opératoire de l'homme".
Kinshasa,Vol.XIII,n°23-24,1999, p.39
Okolo Okonda, op.cit., p.40
8
Okolo Okonda, op.cit., p.41
9
Okolo Okonda, op.cit., p.40
10
Mbolokala Imbuli, Quelques technologies pour l’Afrique, in Revue philosophique de Kinshasa,Vol.XIII,
n°23-24,1999, pp.122-123
11
Mbolokala Imbuli , op.cit., p.123
7
4
Parmi les causes de l'infra-humanité" en Afrique, il nomme la " léthargie " et "
l'esprit de clocher ". Ce sont les pesanteurs et les obstacles du progrès. Selon lui, " la
'léthargie des africains vis-à-vis de " nouvelles technologies", au nom de leur vénérable et
invulnérable tradition, doit être combattue et abattue"12. Car pour lui, " l'homme africain
doit se doter d'un arsenal technique approprié pour se préserver de l'infra-humanité". Pour
le moment, il étale "sa faiblesse et son incompétence"13.
Kangudi propose comme solution, le recours à une " synergie inventive comme
condition d'effectuation de progrès " et " à une métabolisation des technologies étrangères ".
La métabolisation des technologies doit se comprendre comme " un processus qui consiste a
la fois en une anabolisation des technologies étrangères dans ce qu'elles ont de positif, de
néguentropique, de bénéfique, et en leur catabolisation dans ce qu'elles comportent
d'entropique "14
Pour Kangudi, ce qui fait le plus de défaut en Afrique, c'est la " synergie
inventive", c'est-à-dire la mise en commun d'efforts et de force pour une intelligence
collectivement organisée et organisatrice avec pouvoir de décision et de capacité créatrice
"15. L'homme africain est ainsi responsable de l'invention et de la construction collectives de
la technologie en vue du progrès- Pour ce, envers lui-même, il doit " accepter une mise en
question de sa conduite naïve et quémandeuse ou, plus positivement, à se considérer comme
sujet ou acteur de sa propre histoire" et " contribuer efficacement à la solution des problèmes
éthiques que soulève la technologie, et à la création d'un organe de coordination pour les
aborder "16. La volonté d’assumer le progrès de la technologie moderne en Africaine est donc
suffisamment rendue dans ce texte.
1.4. Akenda Kapumba : pour une réappropriation de la technologie occidentale
Akenda, traitant de la culture africaine et la science opte pour une approche
phénoménologique. Il montre que la science est en réalité une culture qui s'apprend à
l'Université. A partir des universitaires, elle s'étend dans la vie de la cité. Les citoyens
l'intériorisent et acquièrent ainsi des réflexes scientifiques dans leur vie privée et
professionnelle.
Pour Akenda, le système universitaire africain ne semble pas susciter des
réflexes scientifiques auprès de jeunes générations ni orienter l'ensemble de la société. C'est
pourquoi la société africaine est en crise. C'est une crise d'orientation théorique et
pratique. Une crise de raison et d'identité. Elle se manifeste comme une " incapacité de
s'adapter aux nouvelles formes d'être - au - monde ", de trouver des solutions adéquates aux
problèmes existentiels 17.
Elle se vit aussi sous la forme de " précarité de l'organisation sociopolitique".
Selon lui, il ne faut pas toujours rechercher les causes de la crise africaine dans la rencontre
de l'Afrique avec l'Occident européen. Les causes de la crise se retrouvent " dans la
mentalité et l'imaginaire africain qui sont parfois des obstacles au déploiement de la
raison ", dans " l'acte même de connaître "18. Il est clair pour Akenda, l'émergence de la
culture scientifique sur la terre africaine dépend de la rupture épistémologique avec notre
Kangudi Kabwatila Stany, La synergie inventive comme condition d’effectuation du progrès technique en
Afrique, in Revue philosophique de Kinshasa, vol. XIII, n°23-24,1999, p.59
13
Kangudi Kabwatila Stany, op.cit., p.63
14
Kangudi Kabwatila Stany, op.cit., ibidem
15
Kangudi Kabwatila Stany, op.cit., p.65
16
Kangudi Kabwatila Stany, op.cit., p.69
17
Akenda Kapumba, La société africaine dans le sillage de la culture scientifique. Sur le rapport entre université,
culture et science, in Revue philosophique de Kinshasa, vol. XIII, n°23-24,1999, p.28
18
Akenda Kapumba, op.cit., p.28
1212
5
propre passé culturel. C'est une des tâches de l'Université de " mettre la culture scientifique
en état de mobilisation permanente, de " dialectiser toutes les variables expérimentales " en
donnant " a la raison des raisons d'évoluer ".
Donc la société africaine doit améliorer son " système de formation universitaire "
afin de rendre possible l'émergence d'une culture rationnelle. Celle-ci favoriserait " la ré
appropriation des possibilités de son orientation ou de son identification avec le monde
actuel"19. C'est conclu Akenda, au prix d'une action- qu'elle soit théorique ou pratique- selon
la raison que l'Afrique noire pourra trouver une orientation dans le labyrinthe de nouvelles
technologies"20. Celles-ci ne sont donc pas à rejeter mais plutôt à assumer.
1.5. Matukanga: domestiquer la technologie occidentale
L'analyse de Matukanga est proche de Akenda. En effet, Matukanga observe que l'Afrique
n'apporte rien à la technologie. Elle est " déconnectée" devant les avancées prodigieuses de la
technologie". Elle est bloquée " justement parce que la science et la technique restent sousdéveloppées et ne résolvent pas les problèmes cruciaux qui l'accablent". I l y a impasse,
marasme de la technologie en Afrique. Que faire pour s'en sortir ? Pour, Matukanga,
l'Afrique doit " réarmer" l'université d'abord et ensuite "monter" des stratégies
appropriées pour affronter les différents défis (...) dont celui de la croissance économique
et de développement social avec comme moteur la science et la technologie pour
fondement21. Il avoue que " le développement de l'Afrique passe par la domestication de la
science et de la technologie"22 .
Que peut-on conclure de la lecture de ces quelques textes philosophiques africains sur la
technologie ? Il est constaté premièrement que ces textes n’ont abordé une aucune
technologie particulière. Il existe en fait plusieurs sortes de technologie à savoir les
technologies alimentaires, les technologies éducatives, les technologies de communications,
les technologies militaires, technologies aéronautiques, et bien sûr les technologies
biomédicales etc. Les philosophes ont donné une orientation générale à suivre qui ne consiste
pas au rejet a priori d’une technologie au détriment des besoins de la population. Bien au
contraire, la technologie doit répondre aux besoins réels de la population et la population doit
adopter la technologie qui répond à ses besoins. Ce ne sont pas les convictions et croyances
anciennes qui doivent conditionner le choix d’une technologie mais plutôt les besoins actuels
de l’homme africain dans son contexte de vie.
L’africain a besoin certes de la technologie comme outil nécessaire dans le parcours de son
développement mais cette technologie ne lui est pas facilement accessible. Il doit la
conquérir. Car celle qui est accessible, ne répond pas toujours à ses besoins fondamentaux.
Celle qui est traditionnelle n’est plus performante.
Alors, comme il ne peut pas se passer, de toute évidence, de la technologie, il envisage tantôt
d’avoir sa propre technologie qui serait une « technologie intégrée » dans les réalités
africaines et répondant à ses besoins, tantôt d’adopter ou d’adapter la technologie de l’autre à
ses besoins.
19
Akenda Kapumba,op.cit., p. 28
Akenda Kapumba, op.cit. p.34
21
Matukanga Boniface, La néoculture et les défis de la technoscience en Afrique, in Revue philosophique de
Kinshasa, vol. XIII, n°23-24,1999, p.161
22
Matukanga Boniface,op.cit., p.173
20
6
Ce qui finalement demeure est de façonner une volonté africaine capable de s’approprier, de
se réapproprier, de domestiquer, d’intégrer la technologie dans la vie africaine au quotidien.
L’africain désire donc détenir la technique pour la transformation de son environnement et la
transformation de sa vie.
Ainsi, à travers ces textes, se dévoile le désir africain de s’approprier la
technologie occidentale, de la soumettre à son service et au service de sa société. C’est, en
définitive, une technologie intégrée dans son contexte de vie quotidienne qu’il recherche.
C’est l’intégration qui me semble donc la perspective africaine de la technologie.
Mais que pensent les philosophes africains qui ont réfléchi de façon spécifique sur la
technologie biomédicale en contexte africain à partir de la bioéthique ? Sont-ils pour
l’intégration ou le rejet de technologies biomédicales en sociétés africaines ?
2. Les philosophes africains face à la technologie biomédicale.
Pour répondre la question posée ci-haut, je vais examiner quatre textes de philosophes
africains sur bioéthique qui englobe la réflexion sur les technologies biomédicales :
 « La bioéthique. Quelques perspectives africaines » de Muyengo Mulombe
 « Bioethics : an african perspective » de G.Tangwa.
 « Science moderne et morale. Brèves réflexions sur la bioéthique » de M. Mbambi
Monga
 « Des enjeux éthiques des nouvelles technologies biomédicales » de
F.Musambi Malongi
2.1. Muyengo Mulombe et la perspective socio éthique
Dans «La bioéthique. Quelques perspectives africaines.», Muyengo, philosophe et
théologien congolais, s’inspire de J.M. Thevoz pour définir la Bioéthique comme «Science
qui veut améliorer la qualité de la vie » et « étudie le comportement humain soit dans le
domaine de la recherche biologique, soit dans la pratique médicale, quand cette conduite
humaine est vue à la lumière des valeurs et des principes moraux23». Il en trace l’historique à
partir du biologiste américain Rensensseler Potter qui a forgé la dénomination. Il situe dixneuf lieux de la bioéthique dont l’avortement, l’euthanasie, le diagnostic prénatal, la
procréation médicalement assistée…Et il n’oublie pas de souligner le caractère de
l’interdisciplinarité de la bioéthique.
Pour dégager les perspectives africaines de la bioéthique, il part de la conception
africaine de la vie. La vie est le bien le plus précieux sur la terre. Elle se poursuit au-delà de la
mort. Ainsi, pour l’africain, la vie n’est pas détruite par la mort mais la mort lui donne la
possibilité de changer de condition. Il tire de cette conception deux conséquences majeures à
savoir: la procréation comme la fin ultime de tout homme et une éthique centrée sur
l’homme.24 Pour lui, «est bon ce qui contribue à l’éclosion de la vie, à sa conservation, sa
protection, ce qui épanouit ou augmente le potentiel vital de l’individu et de la communauté.
Par contre tout acte présumé préjudiciable à la vie des individus ou de la communauté passe
pour être mauvais»25. A partir de cette conception africaine de la vie, il donne deux repères
éthiques qui sont aussi ses deux perspectives africaines de la bioéthique.
MUYENGO MULOMBE, La bioéthique.Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril-octobre,Kinshasa,1988,p.184
24 MUYENGO MULOMBE, La bioéthique.Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril-octobre, Kinshasa,1988,p.190
25
MUYENGO MULOMBE, La bioéthique. Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril-octobre, Kinshasa,1988,p.191
23
7
Premièrement, l’africain doit s’engager dans une relecture de ses traditions c'est-àdire dans «une recherche critique de valeurs vraies et saines du passé en vue d’améliorer le
présent et de bien projeter l’avenir»26. A ce sujet, Muyengo se pose une double question:
quelles sont les valeurs vraies et saines que nous héritons de nos traditions et que nous
pouvons cultiver aujourd’hui pour rendre notre société plus humaine? Il en choisit deux: le
sens de la vie humaine et la fécondité. Après analyse critique, il observe que le négro-africain
ne respecte pas la vie humaine en toute circonstance. Sa conception de la fécondité se situe
au-delà de l’amour entre conjoints, conditionne la viabilité même du mariage et ne conduit
pas toujours à une parenté responsable.
Deuxièmement, l’africain doit opérer un passage de la bioéthique à la socioéthique. Selon lui, comme la bioéthique pose le problème de la vie au sens biologique du
terme et que les problèmes de la vie tels qu’ils se posent en Afrique noire dépassent le simple
cadre biologique, il faut alors opérer un déplacement a priori du cadre, et «un élargissement
des perspectives en parlant plutôt de la socio-éthique que de la bioéthique»27 . La socioéthique est définie comme «une étude des normes qui doivent régir les actions humaines dans
le domaine de la vie sociale et qui viserait à créer des lieux de réflexion, se préoccupant de
toutes les conditions qu’exige une gestion de la vie humaine, dans le cadre de la détérioration
rapide et complexe de l’ordre social, particulièrement dans les pays en voie de
développement.»28 Le débat socio-éthique tournerait autour de problèmes sociaux majeurs en
Afrique29 et donc non spécifiquement autour de la bioéthique.
De prime à bord, si nous devons considérer la définition de la bioéthique telle
rendue par Muyengo par rapport au développement de la réflexion qui se déploie dans son
article comme d’ailleurs dans son livre (30), il y a lieu de constater qu’il ne tire pas toutes les
conséquences de la définition de la bioéthique du reste si valable. En plus, il s’en est écarté
pour s’enfermer dans une définition étymologique « décidément trop facile et qui
embrasserait tout», pour reprendre la critique de G.Bourgeault31?
Muyengo a perdu de vu l’essentiel de la définition de la bioéthique qui aurait pu le
pousser à rechercher à saisir les comportements éthiques de l’africain face à la recherche
biologique, face à la pratique clinique, et face à l’assistance médicale à la procréation. Le
recours à la socio éthique n’est effectivement pas de la bioéthique. Elle me semble être tout
simplement une forme de marginalisation de la bioéthique en contexte africain.
Car, en réalité, à partir de sa relecture, ou de sa critique de traditions africaines,
Muyengo aurait pu analyser rigoureusement certains thèmes dominant en bioéthique. Il se
serait retrouvé par exemples devant les thèmes tels que l’avortement, les greffes d’organes, le
diagnostic prénatal, la procréation médicalement assistée, le vih/sida, la relation
26
MUYENGO MULOMBE, La bioéthique.Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril-octobre, Kinshasa,1988,p.192
27
MUYENGO MULOMBE, La bioéthique.Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril - octobre,Kinshasa,1988,p.193
28
MUYENGO MULOMBE, La bioéthique.Quelques perspectives africaines, in Revue Africaine de théologie,
Vol.12,n.23-24,avril - octobre,Kinshasa,1988,p.193
29
Il en cite plusieurs : faim, malnutrition, et sous sous-alimentation, Justice distributive et
allocation des ressources,paupérisation et misère, santé et services dans nos hôpitaux,
encadrement des malades mentaux et prise en charge des vieillards, intégration des enfants
abandonnés et des jeunes désoeuvrés, contrôle des naissances et exode rural, scolarisation et
analphabétisme, conditions de vie dans nos prisons, habitat et sécurité sociale des familles,
vol, détournement du denier public et corruption, sous-emploi, chômage et question du salaire,
stabilité des familles et éducation etc.
30
31
MUYENGO MULOMBE, Introduction à la Bioéthique,……
- G. Bourgeault, Qu’est-ce que la bioéthique ? in M.H.Parizeau,Les fondements de la bioéthique,
DeBoeck-Université,Bruxelles, p.33
8
médecin/patient, la vérité au malade, en milieu hospitalier africain. Ces thèmes fondamentaux
de la bioéthique auraient pu être clarifiés et confrontés avec rigueur aux réalités
socioculturelles, économiques, juridiques et politiques de l’Afrique actuelle. La bioéthique
aurait pu trouver sa place vivante dans la réflexion non seulement philosophique et
théologique mais aussi juridique, anthropologique, sociologique, psychologique et politique.
Ainsi, je pense que le passage de la bioéthique à la socio éthique est un passage arbitraire. La
perspective africaine de la bioéthique n’est donc pas à placer en dehors de la bioéthique. La
socio éthique est de fait autre chose que la bioéthique. Ainsi la perspective africaine de la
bioéthique est à façonner en toute priorité à partir des réalités socioculturelles africaines dans
la pratique clinique et dans la recherche biomédicale.
L’approche de Muyengo me paraît être une attitude de marginalisation de la bioéthique.
Le philosophe camerounais Tangwa dispose-t-elle d’une perspective féconde
pour la bioéthique en Afrique? C’est à cette question que je consacrerai les lignes qui
suivent.
2.2. G.Tangwa
G.Tangwa, s’est engagé à donner une perspective africaine à la bioéthique à
travers son texte intitulé:«Bioethics : an african perspective». Il s’estime capable d’y réussir
parce que, dit-il, il détient la connaissance de la culture africaine et de la culture occidentale32.
En abordant l’essai sur la perspective africaine de la bioéthique, Tangwa se pose
en préliminaires une question légitime : Existe-t-il une bioéthique africaine? Il n’apporte
aucune réponse précise à cette question.
Il éprouve une certaine difficulté semblable, d’après lui, à celle qu’on rencontrerait en
cherchant à démontrer l’existence des religions africaines traditionnelles ou de la philosophie
africaine. Mais comme il n’a pas pu définir la bioéthique et délimiter son champ, il ne saura
pas non plus donner une perspective africaine.
En fait, Tangwa part d’une observation d’ordre historique évidente: la culture
occidentale a considérablement influencé d’autres cultures, en particulier la culture africaine,
grâce à la science, à la technique et grâce à ses systèmes de pensée et d’action. Elle a envahi
d’autres cultures par intrusion sous forme d’impérialisme, de colonisation et néo-colonisation.
Elle a développé un degré élevé d’immunité et d’imperméabilité contre les influences d’autres
cultures à l’exception de celles qui soutiennent ses activités d’exploitations. La culture
occidentale, écrit-il, « a une grande bouche et des oreilles très petites»33. Depuis la révolution
industrielle, les idées de la culture occidentale sont présentées «comme les seuls raisonnables
et universellement valides»34
Il pense qu’il est opportun de proposer à la culture occidentale, d’autres
philosophies, d’autres systèmes de pensée et d’action, qui pourraient lui être salutaires et
enrichissants. C’est ainsi que face à certains problèmes difficiles de bioéthique en occident, la
culture africaine caractérisée entre autres par sa diversité, sa tolérance et son attachement à la
vie et à la vie pour tous, sa non agressivité, son accommodation aux plus grandes diversités et
“I have attempted to open a window on an African approach to Bioethics - that of the Nso' of the Bamenda
Highlands of Ka me r u n - f r o m the vantage position of someone who has familiarity with both African and
Western cultures.” lire G.B.TANGWA, Bioethics : an african perspective, in BIOETHICS Vol.10, Number 3,
Cambridge,1996, P.183
33
“ Western culture has a big mouth and very small ears. Even when it condescends to listen to other cultures,
it does so within the framework of `searching for spices' and specifies both what it wants to hear and how it should
be said. So it often ends up hearing only an echo of its own voice” in Lire G.B.TANGWA, Bioethics : an
african perspective, in BIOETHICS Vol.10, Number 3, Cambridge,1996, P.185
34
« And as the only rational and universally valid ones » in Lire G.B.TANGWA, Bioethics : an african
perspective, in BIOETHICS Vol.10, Number 3, Cambridge,1996, P.185
32
9
la cohabitation pacifique avec d’éléments apparemment contradictoires35 - peut offrir à la
culture occidentale les meilleures recettes.
Il estime par exemple que la vision du monde de l’ethnie NSO à laquelle il
appartient, offre une alternative valable qui peut résoudre d’une manière satisfaisante
quelques problèmes bioéthiques qui aujourd’hui ne pourraient plus trouver solution dans un
cadre occidental. Il indique trois problèmes: l’avortement, le suicide, euthanasie.
TANGWA va étudier la «bioéthique» de l’ethnie NSO.36 Cette bioéthique consiste
à être «co-extensif» avec son éthique et son environnement. C’est un mode d’être à la fois:
eco-centré, bio-centré ou anthropocentré. Plaçant l’homme au centre, elle se manifeste comme
une sorte de vie harmonieuse de celui-ci avec son environnement, avec tout être vivant. A
partir de cette trouvaille, il va traduire, interpréter les conceptions métaphysiques et les
visions du monde de NSO qui acceptent l’euthanasie et rejettent l’avortement et le suicide.
La perspective africaine de la bioéthique selon Tangwa, me semblerait être cette
volonté d’expliciter les visions africaines du monde, les conceptions africaines de la vie et de
la nature dont la finalité est de les proposer comme solutions aux problèmes proches de la
bioéthique ou discutés en bioéthique, en occident. Le but d’une telle démarche serait donc
essentiellement extraverti. C’est l’occident qui est concerné et qui doit réagir en appréciant la
qualité de l’offre venue de Nso. En fait,Tangwa propose à l’occident le recours à la
métaphysique africaine car, selon lui, la pensée rationnelle ne résout pas tout, la techno
science non plus.
En tout cas, le message de Tangwa est clair. La culture occidentale, confiante dans
sa pensée rationnelle et dans la techno science et trop enfermée sur elle-même, ne pense pas
trouver solutions à ses problèmes en dehors de sa culture. Il est nécessaire qu’elle s’ouvre à
d’autres cultures dont la culture africaine dans sa dimension métaphysique.
Il me semble difficile d’évaluer l’importance d’une telle démarche recourant à la
métaphysique africaine pour la résolution de certains problèmes insolubles de bioéthique en
occident, pour la simple raison que nous ne sommes pas occidental. Il appartient au
destinataire du message d’en apprécier la portée par rapport à son problème.
Cependant il nous est aisé d’observer que le texte de Tangwa ne signale nulle part
le rôle de la technologie biomédicale dans la question bioéthique. Il n’évoque pas les enjeux
éthiques de la recherche médicale ou mieux de l’expérimentation sur les sujets humains dans
la réflexion bioéthique. Il ne fait nullement allusion à la qualité de soins de santé, à la relation
entre patient et médecin, à la politique de soins de santé et à la procréation médicalement
assistée, etc.…
Alors, de quelle bioéthique parle-t-il ? Il aurait pu répondre dés le départ à la
question de savoir ce que c’est la bioéthique afin de pouvoir en tracer la perspective africaine.
Tangwa s’est dérobé de cette tâche scientifique lourde, exaltante et utile.
Contrairement à Tangwa qui, a priori, accorde de l’importance à la question de
savoir si la bioéthique africaine existe ou pas37, et éprouve de la peine à répondre par
35
Pour plus de détails lire Lire G.B.TANGWA, Bioethics : an african perspective, in BIOETHICS Vol.10,
Number 3, Cambridge,1996, P.186
“Nso' Bioethics can be said to be co-extensive with their Ethics and Ecology in such a way that it may be
misleading to simply qualify their ethical concerns as being either eco-centred, bio-centred or anthropocentred ” In G.B.TANGWA, Bioethics : an african perspective, in BIOETHICS Vol.10, Number 3,
Cambridge,1996, P.188
36
37
« The task of showing that traditional African Bioethics exists and is worthy of consideration by non-Africans
may be as difficult as the task of demonstrating that traditional African Religion, for instance, exists and is
10
l’affirmation ou la négation, je pense qu’il est plutôt aisé de montrer que la bioéthique
africaine n’existe pas. Il n’y a certainement pas de bioéthique africaine parce qu’il n y a pas
une technologie biomédicale africaine appliquée essentiellement à la personne humaine en
Afrique et qui suscite en Afrique des problèmes éthiques connus.
Même s’il y a des chercheurs africains qui traitent de la bioéthique, il n’existera
pas une bioéthique africaine aussi longtemps que n’existera pas une technologie biomédicale
africaine et de recherche biomédicale africaine. Mais, il devra exister une façon propre à la
société africaine d’agir et de réagir une fois devant les techniques de procréation
médicalement assistée, devant les protocoles de recherche biomédicale, devant les diagnostics
en pré natalité ou néo natalité, devant les techniques de prévention et de dépistage du vih/sida,
etc. C’est cela la bioéthique en contexte africain. Nous estimons qu’il ne devrait pas être de la
bioéthique en Afrique comme il était de la philosophie et de religions. Car la bioéthique
relève de la pratique technoscientifique plus vérifiable et plus contrôlable et dont les conflits
de valeurs qui s’y relèvent de choix à opérer et de décisions à prendre devant des situations
difficiles en santé.
Ainsi, nous constatons que l’étude de Tangwa qui s’était donnée comme objectif
de montrer le sens que devrait prendre la bioéthique en Afrique, souffre d’une carence de
perspective bioéthique en Afrique. Il n’en pouvait être autrement car, comme il n’a pas
analysé les thèmes centraux en bioéthique, il ne pouvait pas indiquer une orientation
pertinente à la bioéthique en Afrique. Il a, à sa manière, contribué à la marginalisation de la
bioéthique.
Ainsi, il me semble que il n’existe pas encore, en réalité, de perspectives africaines
de la bioéthique. Il nous est donné deux formes de marginalisation réussie de la bioéthique en
Afrique par Muyengo et Tangwa.
2.3. Mbambi Monga: La bioéthique, pas en Afrique.
Si Muyengo comme Tangwa nous ont apparus comme des acteurs de la
marginalisation de la bioéthique en Afrique, le philosophe congolais Mbambi Monga
participe aussi à l’exclusion a priori du débat bioéthique en Afrique. Car, selon lui, la
bioéthique ne concerne pas l’Afrique.
En effet, Mbambi Monga, Professeur de Morale, s’est intéressé tout naturellement
aux problèmes de technologies biomédicales. Il a tracé avec clarté l’historique de la
bioéthique. Mais, à propos de l’Afrique, il pense que pour le moment l'homme africain ne se
sent pas concerné par la science et la technique, venues d'ailleurs. La mentalité
traditionnelle africaine empêche l'africain de maîtriser la science et la technique et d'en faire
des outils au service de l'homme, de ses droits et de sa dignité38. Mais cependant " les
retombées technologiques de la science moderne dans la vie des hommes en Afrique
susciteront rapidement des interrogations d'ordre éthique" 39.
Mbambi est resté sur cette affirmation ambiguë. D’un coté, l’Afrique n’est pas
concernée pour le moment par la bioéthique, de l’autre, l’Afrique connaîtra des
problèmes d’ordre éthique engendrés par les progrès de la science et de la technique. Mais
que faire pour le moment? Apparemment, Mbambi semble dire qu’il ne faut rien faire. Il faut
attendre que ces techniques arrivent chez nous et créent des problèmes éthiques.
worthy of similar consideration.” Lire G.B.TANGWA, Bioethics : an african perspective, in BIOETHICS
Vol.10, Number 3, Cambridge,1996, P.184
38MBAMBI MONGA OLIGA, Science moderne et morale. Brèves réflexions sur la Bioéthique, in Revue philosophique de
Kinshasa Vo91.V1 n°9 (1992), p.32
39 MBAMBI MONGA OLIGA, Science moderne et morale. Brèves réflexions sur la Bioéthique, in Revue philosophique de
Kinshasa Vo91.V1 n°9 (1992), p.32
11
Ici, on aurait pourtant souhaité voir la réflexion se poursuivre. Car, il devenait
intéressant d’expliciter ces interrogations d’ordre éthique que susciteraient les retombées de la
technologie biomédicale en Afrique et qui justifierait son inquiétude ? Cela n’est
malheureusement pas arrivé. La réflexion de l’auteur pose en nous quelques interrogations
que l’auteur aurait pu se poser et tenter de répondre : Pourquoi l’africain ne se sent-il pas
concerné par la technique occidentale? De quelle technique occidentale s’agit-il? Si la
mentalité traditionnelle empêche l’africain de maîtriser la science et la technique, mais
comment amorcer le processus de changement de cette mentalité afin de maîtriser cette
technique occidentale déjà présente à travers nos sociétés en de degrés variés? Avec qui et
dans quelle direction orienter les nouvelles mentalités et pour atteindre quels objectifs
technoscientifiques et sociaux africains ?
On se rend compte que Mbambi a perçu les enjeux éthiques des technologies
biomédicales en Afrique mais il n’a pas poussé plus loin sa recherche. Il n'a pas développé
ses intuitions ni articulé pour le futur le sens de l'émergence de ces problèmes d'ordre éthique
en culture africaine. Cette étude incomplète se révèle ainsi sans grand intérêt pour la
bioéthique. Elle participe de la sorte à un certain désintéressement de l’Africain à la
bioéthique. C’est une forme d’exclusion de la bioéthique dans l’espace africain.
2.4. Musambi Malongi: non à la procréation médicalement assistée
Musambi a réfléchi plus exactement sur les technologies de reproduction. Il
pense qu'étant donné " la misère" et la " carence matérielle sans précédent du continent,
l'Afrique ne peut pas être concernée par ces techniques biomédicales". 40 Car elle ne saurait se
les procurer et même si les sociétés africaines disposaient des moyens matériels suffisants.».A
son avis, «l’Afrique devrait continuer de pratiquer l’adoption informelle d’enfants» surtout
que «la procréation médicalement assistée génère de nombreuses difficultés et pose
réellement problème »41
Pour Musambi, même si l’Afrique accède à la richesse et qu’elle acquiert des
équipements appropriés de techniques biomédicales plus performantes qu’aujourd’hui dans
ses hôpitaux, elle doit pratiquer l’adoption informelle.
Mais il n’a pas défini l’adoption informelle encore moins l’adoption formelle. Il
n’a analysé au préalable ni le cadre juridique, ni les bienfaits et ni les limites de l’adoption
informelle et de l’adoption formelle en Afrique. Et s’il s’était imprégné des réalités sociales
africaines en milieu urbain, il se serait aperçu d’un coté de la soif de couple d’avoir ses
propres enfants et de l’autre le refus d’adopter les enfants d’autrui par le couple infertile.
La ténacité des couples stériles d’avoir leurs propres enfants, fruits de leurs
entrailles, une fois perçue, aurait permis à Musambi de tenir un regard plus critique, plus
perçant et plus pragmatique sur les techniques de procréation médicalement assistée en
Afrique. Ce refus de voir la vérité en face, c’est-à-dire la possibilité pour un couple stérile de
recours à la procréation médicalement assistée contribue aussi à la marginalisation de la
bioéthique.
Il me semble que les quelques philosophes africains bio éthiciens étudiés, adoptent une
attitude de marginalisation de la bioéthique. L’attitude de marginalisation de la bioéthique
explicite une approche de rejet de technologies biomédicales. En effet, il n’a pas été ressenti
une approche positive de ces technologies par rapport aux problèmes précis que ces
40
MUSAMBI MALONGI Faustin. Des enjeux éthiques des nouvelles technologies biomédicales, in Revue
philosophique de Kinshasa VoLXIV n°25-2G (2003), p.51
41
MUSAMBI MALONGI Faustin. Des enjeux éthiques des nouvelles technologies biomédicales, in Revue
philosophique de Kinshasa VoLXIV n°25-2G (2003), p.51
12
technologies résolvent. Mais du coup, la bioéthique devient inutile. On lui préfère la
sociéthique. Un sentiment de peur bleue et d’angoisse insupportable est cultivé.
Il est clair qu’en ce moment le rejet de la technologie biomédicale entre en contradiction avec
la volonté africaine de l’intégration de la technologie.
De notre point de vue, cette contradiction est à lever en plaçant la technologie biomédicale
comme la recherche biomédicale dans une perspective philosophique d’intégration. Il
s’effectuerait là un dépassement de la marginalisation de la bioéthique en philosophie
africaine. Qu’est-ce que cela veut dire ? Répondre à cette question est l’objet du point suivant.
3. Pour une d’intégration de la bioéthique en philosophie africaine
La perspective philosophique d’intégration de la technologie biomédicale en contexte africain
n’est rien d’autre que la promotion de la réflexion éthique sur les techniques de procréation
médicalement assistée et sur d’autres technologies. C’est soutenir la pratique de la bioéthique
en contexte africain au lieu de la marginaliser. C’est encourager la réflexion éthique sur toute
technologie sans en exclure une seule a priori. Cette perspective se fonde sur quelques faits
bruts de terrain.
Prenons le cas de techniques d’Assistance médicale à la procréation. Nous disons qu’il est
temps d’assumer cette technique en société africaine. Il faut y réfléchir.
En effet, la stérilité dans un couple en société africaine plus qu’en Occident développe un
sentiment à la fois de désolation, de crainte de divorce, de honte et de méfiance entre les
belles-familles. (42) La stérilité annonce une rupture d’équilibre dans les relations sociales,
une entrave à l’ordre vital, une frustration auprès des forces invisibles (ancêtres, génies
claniques et tant d’autres esprits méchants). Cette conception négative de la stérilité me
semble être une prédisposition pour le couple africain stérile de recourir à ces technologies
biomédicales pour combattre la stérilité, une fois à leur portée.
Les données épidémiologiques ne vont pas à l’encontre de cet intérêt que manifesterait le
couple africain aux techniques de procréation médicalement assistée. En effet, de 1980 à
1986, un groupe spécial sur le diagnostic et le traitement de la stérilité, constitué au sein du
programme spécial de recherche, de développement et de formation à la recherche en
reproduction humaine de l’OMS, a réalisé une étude qui portait sur plus de 8500 couples, dans
33 centres repartis dans 25 pays du monde entier, en utilisant un protocole normalisé pour
l’examen et le diagnostic du couple infécond. (43)
En Afrique subsaharienne, l’étude a été menée au Cameroun, au Kenya, au Nigeria et en
Zambie. D’après cette étude, les causes d’infécondité les plus courantes chez les habitantes de
ces différents pays sont d’abord l’occlusion tubaire bilatérale et les anomalies tubaires
acquises. Elles représentent toutes deux réunies 52, 2%. Ce taux est plus élevé par rapport aux
pays développés qui sont à 21,8 %. Les causes inexpliquées, elles, atteignent 13,7% et elles
sont inférieures aux habitantes des pays développés. (44)
Quant aux causes de la stérilité uniquement masculine, elles représentent 22% de causes
d’infécondité entre les deux partenaires en Afrique subsaharienne alors que dans les pays
42
Selon H. Deutsch (2, P.99), «la cause la plus fréquente de stérilité est une peur inconsciente à base, souvent, de
sentiment de culpabilité, et qui peut exclure toute possibilité de maternité en agissant par exemple sur les
processus hormonaux et même susciter des réactions d’ordre inhibitrices de la fécondation » lire ERNY, Stérilité
et rites de fécondité dans la tradition africaine, in Afrique documents, 1969, n°101(1), p.60
43
Rapport d’un Groupe scientifique de l’OMS, La procréation médicalement assistée : Acquisitions récentes,
OMS, série de Rapports technique, N°820, Genève, 1992, pp4-6
44
Lire les diagrammes et figures 1-4 in Rapport d’un Groupe scientifique de l’OMS, La procréation
médicalement assistée : Acquisitions récentes, OMS, série de Rapports technique, N°820, Genève, 1992
13
développés elles donnent 8% de causes d’infécondité masculine.(45). Cela ne sera pas
contredit par l’étude plus ancienne menée de 1954 à 1955 au sein de la tribu Mongo de la
République démocratique du Congo, par le médecin Allard auprès de 683 personnes dont 288
hommes et 395 femmes. Il affirmait aussi que «l’imperméabilité des trompes» était l’élément
le plus important de la stérilité46.
Ces chiffres et leur comparaison aux pays développés signalent que le problème de stérilité se
pose avec acuité en Afrique et les femmes sont plus frappées de stérilité que les hommes.
Mais voilà, qu’au moment où le couple stérile en société africaine passe de guérisseurs en
guérisseurs, de psychothérapeutes en psychothérapeutes, d’Eglise en Eglise, et est victime de
plusieurs conflits, de plusieurs palabres, pendant que l’angoisse tant au niveau du couple
qu’au niveau des clans ronge les cœurs et les esprits, pendant ce temps, il se développe au sein
de la médecine en société occidentale des solutions techniques pour contourner la stérilité de
couple à savoir la fécondation in vitro, l’insémination artificielle et la micro-injection (ICSI).
De ces techniques, depuis la naissance de Louise Brown en 1978 en Angleterre, naissent et
grandissent des enfants. F.Leroy estime que « contrairement à une crainte initialement
exprimée, l’expérience montre que les enfants obtenus par fécondation in vitro ne sont pas
plus souvent atteints d’anomalies congénitales que les nouveaux-nés conçus de façon
naturelle» (47)
Alors, dans la mesure où les indications de ces techniques sont celles-là mêmes dont souffrent
majoritairement les couples stériles en Afrique à savoir: l’occlusion tubaire bilatérale, les
anomalies tubaires acquises, les stérilités inexpliquées, l’azoospermie, les oligoasthénospermies, je pense qu’il appartient à la société africaine d’examiner avec lucidité les
possibilités d’intégrer harmonieusement dans sa culture les pratiques de procréation
médicalement assistée proches de sa culture pour résoudre tant soit peu son problème de
stérilité.
Dés lors, la question pertinente qui se projette à l’horizon me semble être celle de savoir
comment recourir à ces techniques modernes de procréation médicalement assistée sans
détruire la conception africaine du mariage, de l’enfant, de la filiation, de la paternité, de la
maternité, du sang, de la sexualité etc. Il n’est plus question alors de se demander s’il faut
rejeter ou accepter ces techniques.
Il nous faut chercher à assumer le progrès de la technologie biomédicale que de le subir dans
la mesure où en le subissant, nous nous rendrions dans l’impossibilité de contrôler toutes les
retombées de ces invasions anarchiques de technologies biomédicales sur la destinée de la
famille africaine, sur les structures de parenté et tant d’autres données culturelles. Il nous faut
y réfléchir dés maintenant non seulement sur le plan philosophique mais aussi sur le plan
juridique, sur le plan sociologique, sur le plan économique et autres.
Sur le plan scientifique, l’étude médicale de la Fivete menée en 1992, sur les femmes
africaines par le Dr Mwimba Masombwe va dans le sens de l’intégration et non de celui de
rejet. En effet son étude a analysé pour la première fois la fertilité de 50 femmes africaines et
66 antillaises en fécondation in vitro respectivement au Centre hospitalo-universitaire Bichat
Claude Bernard et à l’Hôpital européen de Paris la Roseraie. Ce groupe a été comparé à celui
de 124 femmes blanches sélectionnées au hasard dans les 2 centres hospitaliers au même
moment après appariement des facteurs «âge» et «indication».
Voir figure 3 in Rapport d’un Groupe scientifique de l’OMS, La procréation médicalement assistée :
Acquisitions récentes, OMS, série de Rapports technique, N°820, Genève, 1992
46
ALLARD, R., Contribution gynécologique à l’étude de la stérilité chez les Mongo de Befale, in ANN. SOC.
B. MED.TROPICALE, 1955, xxxv, 6, p646
47
F.LEROY, Fécondation in vitro et transfert d’embryon (FIVETE), in Nouvelle Encyclopédie de bioéthique,
De Boeck-Université, Bruxelles, 2001, P.458
45
14
Dans cette étude, il est affirmé que«l’origine ethno raciale noire ou blanche n’influence pas
globalement le taux de succès en FIVETE. Cependant, les femmes noires conservent leur
chance de succès au-delà de 37 ans contrairement aux femmes blanches. Et après 37 ans, on
observe une baisse du nombre d’ovocytes recueillis par ponction et diminution du nombre
d’embryons obtenus aussi bien chez les noires que chez les blanches. Chez la femme noire, le
taux de grossesse demeure constant même après 37 ans alors qu’il diminue dans la race
blanche» (48)
Les résultats de cette étude signale donc l’opportunité, la nécessité et l’urgence qu’il y a à
maîtriser, à réguler, à régir par de normes juridiques et éthiques consensuelles les techniques
de PMA en société africaine. C’est à ce prix, il nous semble que cette technique de PMA
viendrait ainsi consolider positivement le mariage et renforcer les relations sociales brisées
par le fait de la stérilité dans le couple.
Pour y arriver, il va s’en dire que quelques disciplines scientifiques doivent être mises en
contribution à savoir la médecine, la philosophie, l’anthropologie, la psychologie, et le droit.
Mais, pour le moment, il est à craindre que les techniques de PMA se développent en Afrique
sans textes juridiques et sans principes et normes éthiques élaborés à partir des réalités
africaines. Car les institutions de santé au niveau international se préoccupent moins des
dispositions juridiques et éthiques particulières dans le feu vert qu’on donne pour l’usage
d’une technologie donnée dés lors que les résultats techniques sont concluants. C’est le cas de
la procréation médicalement assistée que l’OMS encourage, même en Afrique, sans la
conditionner par l’existence de textes de droit et d’éthique.
En effet dans le volumineux rapport sur les « Current Practices and Controversies in Assisted
Reproduction» de 2002, on observe bien que les pays du monde entier adhèrent, chacun à son
rythme à la pma (49). Aucun continent n’est épargné par l’invasion progressive de la PMA.
En tout cas, pas l’Afrique où il est signalé l’existence de quelques Centres de reproduction à
Lagos, Abuja, Dakar, Douala, Harare, Lomé, Tema, Yaoundé(50). Et moi, j’ajoute le Caire (51
) et Kinshasa (52 ). Les onze recommandations prises à l’issue de ces travaux de l’OMS sur
«Medical, ethical and social Aspects of assisted reproduction» invitent donc le corps médical
et les gouvernements à promouvoir et non pas à freiner ces techniques de lutte contre
l’infertilité (53)
A Kinshasa, lors du premier séminaire de bioéthique en RDCongo tenu du 30 au 31 mars
2006 par l’Ecole de Santé publique, il nous a été fait connaissance de l’existence du
laboratoire de F .I.V., cité ci-haut, par son Directeur le Dr Musikwa. Ce laboratoire de F.I.V.
est agrée en 1997 par le gouvernement. Cinq ans après, est né Emmanuel en date
Lire le résumé en annexe, M. MWIMBA MASOMBWE, Contribution à l’étude de la fertilité des femmes
noires, africaines et antillaises en fécondation in vitro, Mémoire présenté en vue de l’obtention du Grade de
spécialiste en Gynécologie et obstétrique, Faculté de médecine, Université de Kinshasa, 1996, 62p.
49
Effy Vayena, P.J. Rowe, P.D.Griffin, Current practices and controversies in assisted reproduction, World
Health Organisation, Geneva, 2002, p.404
50
Osato B.Tangwa, Art and African soiciocultural practices : worldview, belief an value systems with particular
reference to francone Africa in Effy Vayena, P.J. Rowe, P.D.Griffin, Current practices and controversies in
assisted reproduction, World Health Organisation, Geneva, 2002, p.54
51
Marcia C. Inhorn , Global infertility and globalization of new reproductive technologies : illustrations from
Egypt in Social Science & Medecine 56(2003) , pp. 1837-1851,PERGAMON,www.elsier.com/locate/socscimed
Selon Marcia, l’Egypte a 40 Centres de fecundation in vitro.
52
A Kinshasa, un Centre de fécondation in vitro se situe dans la Commune de Gombe,à coté de l’Hôtel Memling
53
Lire Effy Vayena, P.J. Rowe, P.D.Griffin, Current practices and controversies in assisted reproduction, World
Health Organisation, Geneva, 2002, pp.384-385
48
15
du14/06/2002. C’est le premier enfant issu de la fécondation in vitro en RDCongo. Il est suivi,
successivement en 2003 et en 2005 de la naissance des premiers jumeaux.
Dans l’ensemble, du janvier 2001 à Décembre 2005, le laboratoire a connu 124 cas avec un
total de 16 naissances soit 19,8 %. Cette population est composée de plus des femmes que
d’hommes. Les femmes âgées de 20 à 40 ans sont nombreuses que celles âgées de 41 à 50
ans. Quant aux hommes, la tranche d’âge va de 31à 50 ans.
Sur le plan professionnel, plus de la moitié des clients se déclarent sans métiers (sans emploi)
tant disque d’autres proviennent d’abord de l’administration publique et ensuite du secteur
privé. Pour les hommes, le grand nombre est issu d’abord de l’administration publique suivi
du secteur privé. Concernant la durée de l’infécondité du grand nombre de cas consultés, elle
est souvent supérieure à cinq ans. Par rapport aux indications des cas de FIV classique, sur
120 cas, il a été reconnu 60 cas de tubaire isolée et 30 cas de tubaire et masculine, 15 cas
d’indication masculine isolée, 5 cas d’idiopathie et 10 cas d’autres causes (y compris Echec
IAC).Le laboratoire a eu aussi recours à la technique d’I.C.S.I. avec un total de 16 cas. Parmi
ces cas, 6 porte sur l’indication masculine isolée et 6 autres sur l’indication masculine et
tubaire. Tan disque 4 autres sont dus aux échecs de FIV. Les coûts pour la F.I.V. s’élèvent à
3.000$. Il nous a été dit que durant la F.I.V., les embryons surnuméraires se laissent se
détruire eux-mêmes.
Conclusion
Mais alors, comme les techniques biomédicales sont en expansion rapide, ne vaut-il pas
mieux chercher à les intégrer nous-mêmes, harmonieusement dans nos contextes
socioculturels et éviter ainsi les dérives possibles qui nous serons difficile à maîtriser ? Ne
faut-il pas combattre dés lors l’invasion anarchique que risque de connaître ces techniques
biomédicales en Afrique ? Que oui ! Surtout que rien ne semble résister à l’expansion de ces
technologies biomédicales à travers le monde. C’est pourquoi, il faut dés à présent chercher à
les comprendre et examiner les pistes possibles pour asseoir solidement les options pratiques
qui seront à lever.
Dans cette perspective de l’intégration de la bioéthique en philosophie africaine, il saute aux
yeux du philosophe africain bio éthicien quelques problèmes éthiques majeurs relatifs à
l’application de ces techniques de PMA et de recherches biomédicales en société africaine
comme celui du consentement du couple infécond face aux familles, de la place du donneur
de sperme dans le couple, de la relation du couple stérile désirant recourir à la PMA avec les
membres de familles et aux voisins, du coût des interventions médicales, du statut du fœtus,
de la confidentialité et de l’accès équitable à ce progrès technique universel, de systèmes de
parenté, de la filiation et de la sexualité elle-même.
Il est cependant heureux de constater que dans la recherche de la prise en charge de ces
techniques, le philosophe n’est pas isolé. Il est accompagné du médecin, du juriste, du
sociologue, du psychologue et de l’anthropologue. Ensemble et en dialoguant, ils amorceront
le processus de l’assomption de la technologie biomédicale non seulement en philosophie
africaine mais aussi en médecine, en droit, en sociologie, en psychologie et en anthropologie,
en contexte africain. Tel s’opérera le dépassement de la marginalisation de la bioéthique en
philosophie africaine.
Donc la prise de position qui nie l’opportunité de la promotion de la pensée bioéthique n’est
pas soutenable. Elle souffre d’une certaine cécité devant des faits et autres réalités indéniables
en santé.
Aujourd’hui par exemple, l’Afrique est concernée au plus haut niveau par la question de la
recherche biomédicale sur le Vih /sida dans la mesure où cette pandémie tue plusieurs
millions de personnes en Afrique. Les populations africaines doivent donc en principe
participer à toute recherche curative ou préventive sur des médicaments. Cela suscite déjà
16
plusieurs débats éthiques utiles aujourd’hui. Faut-il y réfléchir ou pas ? Faut-il réfléchir
aujourd’hui ou demain ?
L’accès difficile aux antiretroviraux pour le grand nombre de personnes contaminées par le
vih/sida demande le renforcement de la prévention et celle-ci exige à son tour la connaissance
du contexte socioculturel de la sexualité. Il faut arriver à un changement de comportement
sexuel pour vaincre le vih/sida. Faut-il y réfléchir demain? Le VIH/SIDA ne donnerait-t-il pas
à penser aux philosophes africains ?
Les femmes enceintes en consultation prénatale, passent souvent par l’échographie. Les
résultats obtenus sur le sexe de l’enfant sont causes de divorce parce qu’on croit que le sexe
de l’enfant est déterminé par la femme qui met l’enfant au monde. Faut-il attendre demain
pour chercher les stratégies afin de critiquer, d’élucider, de dénoncer une telle fausse
croyance? Que non !
Il nous faut nous rendre à l’évidence que finalement la marginalisation n’est pas favorable à
l’éclosion d’une pensée bioéthique en Afrique. C’est pourquoi, l’heure a sonné pour les
philosophes africains de prendre en charge la réflexion éthique sur la technologie
biomédicale, sur la recherche médicale, sur le vih/sida au sein de la population africaine, sur
la relation entre le médecin et le patient.
Nous invitons ainsi les philosophes africains d’œuvrer désormais à l’hôpital à coté du
médecin pour soulager la souffrance morale des patients et les angoisses existentielles de
prestataires de soins en milieux hospitaliers africains.Car les philosophes détiennent la
capacité d’argumentation et l’esprit critique qu’ils devront mettre cette fois-ci au service de la
recherche de ce qu’il faut faire quand on sent le besoin de répondre à des questions concrètes
posées par l’essor des biotechnologies dans une société54. La société africaine est aujourd’hui
concernée. La philosophie africaine est aujourd’hui interpellée.
Cette philosophie pratique en santé s’appuie ici sur la philosophie de Kant, sur la Déclaration universelle des
droits de l’homme et sur les textes des Conventions et Pactes internationaux ou régionaux. Elle n’a pas de
références métaphysiques, ni de conceptions du monde et elle se réduit ainsi à une éthique procédurale. Lire,
A.Fagot-Largeault, La réflexion philosophique en Bioéthique,in M.H.Parizeau,Les fondements de la bioéthique,
DeBoeck-Université,Bruxelles, 1992, pp.13-17
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