La Seita, service du ministère de l'Economie et des Finances, règne sur ce marché
monopolistique. Lourdement taxées, les dizaines de milliards de Gauloises et de Gitanes
vendues chaque année enrichissent considérablement l'Etat: en 1970, le tabac rapporte 5
milliards de francs au Trésor (soit l'équivalent de 4,7 milliards d'euros 2005). La somme
dépasse les 100 milliards d'euros 2005 si l'on cumule les versements pour les années 1950-76.
Dès le début des années 50, pourtant, les consommateurs ont été alertés par la communauté
scientifique internationale sur les méfaits du tabac. En 1952, une enquête menée en Grande-
Bretagne par les professeurs Richard Doll et Austin Bradford Hill établit le lien direct entre
tabagisme et cancer du poumon. En 1971, un rapport du Royal College of Physicians
réaffirme le lien entre le tabagisme et certaines affections graves. En dépit des protestations
des fabricants, ces arguments se diffusent largement dans la société civile et portent leurs
fruits : entre 1953 et 1976, la proportion de fumeurs parmi les hommes de plus de 15 ans
recule en France, passant de 77 à 60%. En revanche, la proportion de fumeuses baisse à peine
et se maintient autour de 30 %. Amorcé durant les Trente Glorieuses, le rattrapage historique
de la consommation des femmes se poursuit; le phénomène est d'ailleurs encouragé par la
Seita et par les firmes anglo-saxonnes qui ont pénétré le marché français. Soucieux de
ménager leur santé, les fumeurs et les fumeuses se portent massivement vers les produits «
light » ou à filtre, vers les cigarettes blondes également réputées, à tort, moins nocives que les
brunes.
Répondant aux attentes des fumeurs et des non-fumeurs alertés par les dangers du tabagisme,
un dispositif législatif se met en place. Entrée en vigueur le 10 juillet 1977, la loi Veil limite
la publicité dans la presse, interdit la publicité par radio, télévision, cinéma et autres
annonces, proscrit également les affiches, panneaux, réclames, prospectus et autres enseignes.
Le 10 janvier 1991, la loi Evin radicalise les mesures contenues dans la loi Veil qui était
largement contournée par les fabricants : toute publicité, directe ou indirecte, est désormais
interdite en dehors des débits de tabac ; les messages à caractère sanitaire figurant sur les
publicités ou les emballages sont renforcés. L'exposé des motifs de la loi Evin résume bien
l'esprit des partisans de la lutte contre le tabagisme : « Ne pas fumer est la norme, fumer ne
peut être que dérogatoire à cette norme et délimité dans des conditions précises. » Longtemps
banal et valorisant, le tabac change de signification et glisse du côté du déviant et du malsain.
Quatre types de mesures permettent en définitive de réduire la consommation nationale de
tabac à partir de 1992 : une réglementation stricte de son usage, une politique de restriction
publicitaire, la multiplication des campagnes d'information et de prévention, et surtout une
forte augmentation des prix. Ces mesures entraînent une baisse sans précédent de la
consommation nationale, qui diminue pratiquement de moitié entre 1977 et 2006, pour revenir
au niveau de 1939, mais avec une population qui augmente de 50 %.Les Français sont de
moins en moins nombreux à fumer et ils réduisent leur consommation. En outre, le thème du
tabagisme passif accélère la prise de conscience de la dangerosité d'une consommation dont le
déclin semble irréversible.
Jadis consommation valorisante et objet d'appropriation pour de nombreux Français, le tabac
est désormais assimilé à une toxicomanie dont il s'agit de se défaire. Aujourd'hui le sevrage
est encouragé, hier c'est la consommation qui l'était. Accompagnant cette évolution, l'Etat est
passé du côté du fabricant à celui du consommateur. L'absence de tout lien organique entre
l'Etat et la Seita, après la privatisation de l'entreprise en 1995, a consacré cette évolution. En
juin 1999, le procès intenté par la Caisse primaire d'assurance-maladie de Saint-Nazaire aux