Jean-Marc Pagan CHAMBARDEMENT A Claude Qui m`a donné l

publicité
Jean-Marc Pagan
CHAMBARDEMENT
2
A Claude
Qui m'a donné l'idée de ce livre
3
4
Que reste-t-il de la vie, excepté d'avoir aimé
Victor Hugo
5
6
1ère partie
Partout et nulle part
7
8
1
Souche
J'étais au fond de la classe, comme
d'habitude. La maîtresse faisait la leçon.
Quelle leçon ?
Je ne sais plus, calcul peut-être, où
bien géographie, où bien instruction civique.
Oui, ce pouvait être instruction civique ; une
leçon sur l'école laïque et obligatoire par
exemple ou bien encore une leçon de morale
comme il y en avait encore en ce temps-là au
début du matin, pour éveiller les âmes dès le
réveil des corps.
Je me souviens de la maîtresse,
Madame Philippe avec son chignon tout tiré
vers l'arrière, ses immenses lunettes, son
allure rigide et fière, son regard sévère.
Du haut de son estrade, elle dominait
son monde, son petit monde d'enfants tantôt
9
attentifs tantôt chahuteurs suivant qu'elle
leur faisait face ou leur tournait le dos,
comme tous les enfants.
J'avais tout juste huit ans, mon
anniversaire tombe toujours au moment de la
rentrée des classes, c'est pour ça que je
disais souvent ne pas aimer l'école, ni la date
de mon anniversaire. Quand septembre
arrivait, je voyais se profiler à l'horizon d'un
côté la fête avec les gâteaux, les bougies et
son cortège de cadeaux, de l'autre la salle de
classe avec sa poussière de craie, et cette
odeur d'encre sèche qu'exhalaient toujours
les encriers blancs en faïence oubliés dans
les trous des vieux bureaux sombres.
J'entends encore le chuchotement de
mon voisin : "Tu m'énerves avec ton Dieu, j'y
crois pas moi, je sais bien que c'est pas vrai,
et d'abord où il est ?"
Il s'appelait Souche, j'ai oublié son
prénom, l'ai-je jamais su ? en ce temps-là, on
ne s'appelait que par le nom de famille. Je
revois ses cheveux en brosse, son visage
rond et sa large carrure dans sa blouse de
nylon grise.
Comment en étions-nous venus là :
braver la menace d'un "je ne dois pas parler
en classe" à copier cent fois pour parler de
l'inconnu. Je ne sais plus, il me reste
10
seulement ces bribes de dialogues, inscrites
à jamais dans ma mémoire et ce décor
d'enfance que je revois comme si c'était hier.
J'ai dû rassembler mes pauvres
notions de catéchisme, recracher à mon
voisin éberlué les quelques définitions
apprises par cœur le jeudi précédent. Je ne
suis sûr que d'une chose : j'ai dit : "Dieu, il
est partout, ici dans la classe, dans la cour
de récréation, dans la rue, à la maison, il
nous voit, nous écoute, toi, moi, tout le
monde". Je voulais le convaincre,
absolument, je ne comprenais pas pourquoi
ce qu'on m'apprenait comme une évidence
lui apparaissait, à lui, comme une absurdité.
Nous étions coude à coude, nous parlions
dans un souffle, surveillant le regard de
Madame Philippe qui ne tarderait pas à
s'abattre sur nous ; assis au même bureau,
sur le même banc, un abîme nous séparait et
je tentais vainement de lancer quelques ponts
avec de pauvres mots inutiles.
Souche m'a répondu, "Tu m'énerves, tu
m'énerves, laisse-moi tranquille avec ton
Dieu"...
Et la punition est tombée sur nous
deux, compagnons d'infortune.
11
12
2
La nuit
Trois heures du matin. Le calmant que
j'ai pris avant de me coucher a fini son effet.
La maison est vide, le silence est de plomb et
j'ai la tête qui éclate. Un grondement sourd,
insistant, insupportable.
Tout le monde dort, l'univers entier
dort, il n'y a personne à appeler, il n'y a que
ce bruit sourd, et le silence.
Christiane va mourir, sans doute…
Non pas tout de suite. Dans un an,
peut-être deux.
13
Cancer, le mot m'engloutit de
nouveau,
après
quelques
années
d’éloignement pour se faire oublier.
Cette fois le danger de mort est là,
dressé devant moi comme un mur infini.
Tout à l'heure, le réveil sonnera. Il
faudra se lever, partir au bureau, serrer des
mains, animer la réunion de service, décider,
préparer la formation, les investissements, le
budget, prévoir l'avenir. Quel avenir ?
Au retour, il faudra rassurer les
enfants au mieux, encourager Christiane,
tenter un sourire. Un sourire...
Il faudra, il faudra...
Il faudra être capable de tout, et je ne
suis capable de rien.
Je ne suis capable de rien d'autre que
de tremblements d'angoisse et de hurlements
d'abord retenus puis impossibles à retenir,
écroulé, replié, tordu à même le sol de la
chambre.
Non, ce n'est pas possible. Pas à moi,
pas aux enfants, pas à elle, pas si jeune, pas
la lente agonie qui ronge et qui tue.
Où est Dieu ? Nom de Dieu !
Pourquoi m'a-t-il abandonné ?
14
Il faudrait un coup de fil, là, tout de
suite, un coup de fil qui rassure, il faudrait
qu'il m'entende, qu'il me tende la main, qu'il
me dise quelque chose, qu'il brise le silence
assourdissant de cette nuit en enfer.
Personne.
l'angoisse.
Personne
au
bout
de
Non ! Dieu n'est pas partout.
Dieu est nulle part.
Peut-être vais-je dormir. Comme un
enfant qui a trop pleuré.
D'épuisement.
15
16
3
30 ans
Trente ans se sont écoulés entre le
haussement d'épaule de Souche et cette nuit
de tremblement de terre. Trente années, où la
vie a mené son train : études, mariage,
enfants,
engagements,
convictions
religieuses, maladie.
Et Souche toujours quelque part dans
ma mémoire avec ses cheveux en brosse, qui
hausse les épaules à mes sornettes puis copie
sa punition au même bureau que le mien.
Cette image de mon enfance ne m'a
pas quitté. Elle s'est tenue là toute proche
comme pour tenter de m'éviter les certitudes
faciles. Et si je la rapproche aujourd'hui de ce
silence d'une nuit d'angoisse, c'est parce que
l'une et l'autre non seulement se font écho
mais plus encore se rejoignent pour
17
m'appeler ailleurs, loin du catéchisme de
cette enfance, loin de la messe du dimanche,
loin des discours préfabriqués et des
commentaires dogmatiques. Un appel d'air
vers le neuf, vers le dépouillé, vers ce qui
reste quand les mots tombent à plat, vides de
sens, quand il ne reste plus rien sinon les
larmes pour hurler la douleur.
Qu'est-ce qui reste quand il ne reste
rien ?
Le néant ? Ce peut être une réponse,
violente, brutale, radicale.
J'ai voulu chercher autre chose, peutêtre avec l'énergie d'un désespoir que je
trouvais insupportable. Peut-être surtout
parce qu'au milieu des temps sombres qui ont
suivi cette nuit de solitude infinie, j'ai perçu
des étincelles de joie qui ont jailli de
présences humaines et qui sans illuminer le
tout, ont évité l'égarement dans la tristesse
sans fond.
J'aurais pu m'en tenir à ces petites
perles de lumières, j'ai voulu partir en
exploration vers des terres à peine habitées
où des hommes écrivent des catéchismes
nouveaux que Souche aurait peut-être pu
entendre sans hausser les épaules.
J'ai lu et relu ces auteurs qui nous
emmènent ailleurs, en d'autres lieux où ils
18
peuvent, sans camper sur leurs certitudes et
sans avoir le mot Dieu plein la plume
rejoindre d'autres hommes incroyants eux, et
qui écrivent des choses si proches.
Peut-être mon copain d'enfance
Souche, est-il aujourd'hui un de ces
philosophes athées qui parlent de la vie, de
l'amour, de la mort.
Peut-être si je venais un jour à le
rencontrer, pourrais-je réaliser ce vieux rêve
d'enfant qu'il m'a laissé sans le savoir en
souvenir indestructible : celui de chercher
ensemble le passage secret qui ouvre les
mondes étrangers dits "croyants" et
"incroyants" de cette humanité coupée en
deux, vers un autre lieu, une sorte de lieu
commun où chacun peut reconnaître en
l'autre, ce qui au fond du fond le fait homme,
comme lui.
19
20
2ème partie
EXPLORATION
21
22
4
L'Auvergnat
Elle est à toi cette chanson,
Toi l'Auvergnat qui sans façon
M'as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
(...)
Ce n'était rien qu'un feu de bois,
Mais il m'avait chauffé le cœur,
Et dans mon âme, il brûle encore,
A la manière d'un feu de joie.
Toi l'Auvergnat Quand tu mourras
Quand le croque-mort t'emportera
Qu'il te conduise à travers ciel
Au père éternel.
23
Tout ce que j'ai envie de dire ou
presque, tient dans ces quelques vers de
l'homme à pipe et moustache. Pauvre
réflexion que celle qui se dit sur trois notes
de musiques d'un chanteur populaire ?
Je les vois défiler un par un,
l'Auvergnat, l'hôtesse, l'étranger, devant le
père éternel, accompagnés par le croquemort tout de noir vêtu. Ils sont presque
étonnés d'être là, se demandent à quelle
sauce ils vont être mangés.
Et j'entends les versets de Mathieu (25,
34-40)
"Alors, le roi dira à ceux qui seront à
sa droite : Venez les bénis de mon père (...)
car j'avais faim et vous m'avez donné à
manger, j'avais soif et vous m'avez donné à
boire, j'étais un étranger et vous m'avez
accueilli, j'étais nu et vous m'avez habillé,
j'étais malade et vous m'avez visité, j'étais en
prison et vous êtes venus jusqu'à moi".
Et quand avons-nous fait cela ?
s'écrient les trois personnages qui n'en
croient pas leurs oreilles
"Chaque fois que vous l'avez fait à l'un
de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi
que vous l'avez fait".
24
Sur une autre planète que celle du
poète, à mille lieux des salles de spectacles,
Eugen Drewerman, penseur et théologien
allemand que ses écrits n'ont pas mis en
odeur de sainteté dans les sphères vaticanes
reprend à la fois Brassens et Mathieu qui, on
l'aura vu, disent la même chose :
"Seule importe et importera la manière
dont nous aurons approché celui qui se
trouve dans la détresse (...) La vie d'un
homme se décide seulement par là. Non par
rapport à une confession formelle de Dieu.
Dans l'étonnant chapitre 25 de Mathieu, qui
demande à être lu comme la récapitulation de
tout cet Evangile, c'est Dieu, à la fin qui
annonce aux hommes qu'ils l'ont trouvé, lui,
dans ceux même qui souffraient. Il ne s'agit
pas là, le moins du monde, de religion, de
dogmatique,
d'appartenance
aux
institutions1".
Et sœur Emmanuelle d'ajouter :
"Quand je rencontre quelqu'un de nouveau,
je ne m'interroge pas sur sa religion, sa
pratique ou ses rites. J'essaie de savoir les
relations qu'il entretient avec ses frères2".
25
Tout cela est banal, rien d'autre qu'une
morale classique et ancestrale qui demande à
chacun "d'aimer son prochain comme soimême" (Lv,19,18).
Mais cette banalité porte en elle le
germe d'une rupture, d'un bouleversement
des ordres établis, d'un chambardement dans
les étiquettes de croyance et d'athéisme.
C'est de cette rupture-là, cachée dans
les replis de l'ordinaire et du rabâché que je
veux parler ici.
Maurice Bellet que je citerai souvent,
en dit ceci : " vertigineux renversement :
c'est dans cette amitié, dilection, tendresse
envers mon proche, que commence la
connaissance de - par delà tout nom. Et toute
notre pente veut l'inverse : d'abord le savoir
de tête sur le principe, l'origine, l'ultime,
Dieu ou non-Dieu. Vient ensuite l'autre,
comme thème de l'éthique - par exemple.
Le proche c'est l'affaire de l'homme
entier.
Et qui est mon prochain ?
Vieille question. La réponse est dans
cet inconnu, que je rencontre.
Je me méfie du Dieu trop propre de la
métaphysique - et de la théologie. C'est un
dieu qui, par ses fidèles et ses théoriciens,
26
donne des bons et des mauvais points à ces
malheureux qui pataugent dans la confusion,
les superstitions, la croyance ou l'incroyance,
le bric à brac d'un divin mal géré3".
27
28
5
D...
D. s'était assis dans un coin de la
chambre. Quand je suis rentré du bureau, il
était déjà là. Je suis allé le saluer puis je les
ai laissés tous les deux, fermant la porte
derrière moi vaquant à quelques tâches
ménagères.
Christiane l'avait appelé un soir, elle
avait eu sa femme, elle avait dit : "j'aimerais
que D. vienne me voir, seul". Etonnante
liberté.
D. est ni grand ni gros, une allure
passe partout. Je l'ai toujours vu avec des
pulls ras le cou, d'épaisses chaussures et un
look de soixante-huitard au point que j'ai du
mal à l'imaginer pénétrant dans une salle de
29
réunion en costume cravate, ce qui doit
pourtant lui arriver de temps en temps.
Front un peu dégarni, petite barbe, ce
qui attire tout de suite l'attention chez D.
c'est le sourire de ses yeux et son étonnante
capacité d'écoute. Car D. regarde, entend ce
qui se dit, puis souvent laisse un peu de place
au silence avant d'avancer d'une voix sans
emphase, presque fragile bien que sûre,
quelques mots rarement pris au hasard.
Christiane, je crois, aimait beaucoup
D. Sans doute avait-elle besoin de la chaleur
de cette présence discrète, peut-être fallait-il
que les mots puissent se dire en toute liberté,
accompagnés par le silence ; peut-être aussi
son corps tout entier, affaibli et déformé par
la maladie, réclamait-il un regard d'homme
qui ne soit pas un regard du corps, un regard
qui ne soit pas le mien, un regard du cœur,
seulement du cœur.
Au bout d'un moment, Christiane m'a
appelé, s'étonnant presque de mon absence ;
qu'avais-je donc tant à m'affairer dans cette
maison ? Nous avons échangé quelques mots
à trois, que j'ai oubliés. Je ne regrette pas de
les avoir laissés seuls.
30
Je n'ai jamais su ce qui s'était dit ce
soir-là, d'ailleurs peu m'importe, seul compte
la joie que j'ai pu lire à ce moment-là sur le
visage de Christiane et cette joie-là vaut tous
les mots du monde.
31
32
6
Qu'est-ce qui reste ?
Quand l'hiver a rempli le cœur,
Quand il ne reste plus rien, plus de
désir, plus de plaisir,
Quand l'ombre de la solitude s'allonge
à l'infini, comme au soleil couchant,
Quand le corps est dévasté par la
maladie qui ronge, un peu, chaque jour.
Quand le cœur n'en peut plus d'espérer
encore,
Quand la mort va frapper, dure,
implacable, irrémédiable,
Quand Dieu reste sourd aux appels du
désespoir, sourd et muet, pas de réponse,
personne au bout du fil, ça sonne, ça sonne,
jusqu'à ce qu'on raccroche,
33
Qu'est ce qui reste ?
Voilà la question.
On peut disserter à loisir sur le sens de
la vie, c'est sur ce mur infini de l'absurde que
viennent s'écraser les pensées bien
construites, ne laissant d'elles qu'un petit tas
de mots inutiles.
Il n'y a que deux réponses à la question
posée : rien ou quelque chose.
Je laisse Maurice Bellet définir ce
quelque chose :
"Qu'est-ce qui reste quand il ne reste
rien ? Ceci : que nous soyons humains envers
les humains, qu'entre nous demeure l'entre
nous qui nous fait hommes.
Car si cela venait à manquer, nous
tomberions dans l'abîme, non pas du bestial
mais de l'inhumain ou du deshumain, le
monstrueux chaos de terreur et de violence
où tout se défait.
Cette
mutuelle
et
primitive
reconnaissance, c'est en un sens le banal et
l'ordinaire de la vie.
C'est ce qui s'échange dans le travail
partagé, dans les gestes de la tendresse, dans
les conversations au contenu peut-être
34
dérisoire, mais où pourtant on converse, face
à face, présents pour s'entendre.
C'est ce qui subsiste et resurgit dans
les situations extrêmes : quand quelqu'un va
mourir (du sida, d'un cancer, de vieillesse...)
quand quelqu'un, par âge ou accident, est
réduit à l'hébétude, ou qu'il se trouve noué
dans l'angoisse, ou quand une mère regarde
pour la première fois l'enfant qui vient de
sortir d'elle."4
Ce que Marie de Hennezel dans son
livre-témoignage sur l'accompagnement des
mourants dit en d'autres termes : "Quand on
ne peut plus rien faire, on peut encore aimer
et être aimé, et bien des mourants, au
moment de quitter la vie, nous ont lancé ce
message poignant : Ne passez pas à côté de
la vie, ne passez pas à côté de l'amour "5.
Ainsi on attendait Dieu, et voici
l'homme.
Car il se peut que, gagné par
l'épuisement ou par le désespoir, on s'en soit
remis à une toute-puissance, la suppliant de
mettre enfin la main à la pâte. Il se peut
qu'on ait fait erreur sur le Dieu qu'il fallait
attendre.
35
Et celui qui vient a finalement visage
et gestes humains.
J'ai relevé dans une publication cet
extrait d'un texte écrit par un malade du
SIDA :
"Au fond de l'abîme, il y a un visage ;
au fond du visage, il y a un regard; au fond
du regard la compassion de celui qui nous
aime et souffre avec nous(...)
Ce visage, ce regard, c'est vous tous.
Alors, je vous dis : nous malades du sida,
nous avons besoin de vous. Nous avons
besoin de vous tous pour vivre !"
36
7
Chambardement
Là est le bouleversement, le
chambardement.
Là se défont les vieux catéchismes, là
tombent évidemment les vieilles images de
notre enfance, lorsque le Dieu vainqueur
affichait sa toute-puissance sur les écriteaux
du ciel.
Là peuvent tomber (tomberont-elles ?)
les barrières devenues inutiles entre ceux qui
ont pris le parti de refuser un Dieu
imaginaire et ceux qui campent sur la
certitude d'une Toute-Puissance qui serait à
l'extérieur de l'humanité.
Le chambardement est de taille, car
que devient l'athée si on lui retire le dieu
étranger à l'homme sur lequel il a forgé sa
conviction, et que devient le croyant s'il perd
le repère, (j'allais dire le père), qu'il met à
37
distance de lui-même, objet de son culte et
de ses prières ?
Et que serait cette divinité pétrie
d'humanité sinon la négation même de la
divinité qui par définition et de tous temps,
est nécessairement en dehors de l'homme ?
On a récemment ressorti au grand jour
les écrits de Maître Eckhart, grand
philosophe et mystique dominicain allemand
du début du XIVè siècle, quelque peu
délaissé pendant des siècles sur les plus hauts
rayons des bibliothèques.
De Maître Eckhart, on peut lire ceci :
"l’œil dans lequel je vois Dieu est l’œil
même dans lequel Dieu me voit : mon oeil et
l’œil de Dieu ne sont qu'un oeil, et une vision
et une connaissance et un amour"6 et les
auteurs du livre qui cite ces mots de
poursuivre: "Maître Eckart sous des formes
diverses n'a rien dit d'autre que cela. Chacun
de ses sermons(...) introduit une variation
neuve sur cette unique vérité (...), chacun des
thèmes abordés (...), sera l'occasion d'un
parcours global qui dira la noblesse
commune de l'homme et de Dieu sous la
raison de leur identité d'origine et de terme"7
C'était au XIVè siècle, Maître Eckhart
fut condamné par le pape pour des textes
38
"malsonnants, très téméraires et suspects
d'hérésie,
quoique
avec
beaucoup
d'explications et de compléments, ils
puissent prendre ou avoir un sens
catholique"8.
C'est dire si la question de
l'imbrication entre le divin et l'humain a
traversé les siècles, plus ou moins étouffée
ou interdite par les défenseurs d'un pouvoir
divin absolu qui était peut-être aussi la
justification de leur propre pouvoir.
A-t-on oublié que déjà au quatrième
siècle, Saint Augustin, affirmait :
"Dilectionem fraternam non solum ex deo
sed etiam deum esse" (la relation fraternelle
non seulement vient de Dieu mais c'est
Dieu)9 ?
C'est sur les mêmes lieux de la pensée
que des philosophes contemporains, bien
qu'agnostiques ou athées se retrouvent.
Partant de ce qui fait l'homme, au plus
profond, ils en viennent en quelque sorte à
"flairer" le divin.
Dans son "Petit traité des grandes
vertus,"10 André Comte-Sponville décrit les
trois états de l'amour humain :
39
Eros désigne le rêve d'amour, fait de
désir, de manque, et parfois de passion
dévorante.
Philia est amitié, amour filial, amour
comblé, joie d'aimer.
Agapé enfin est amour désintéressé,
universel, amour des ennemis, compassion.
Sur Philia, l'auteur, ouvertement athée
dit déjà : "Une vertu ? Bien sûr : puisque
c'est une disposition, une puissance, une
excellence ! Puissance d'humanité, et aucune
n'est plus décisive que cette disposition à
aimer, que cette disposition d'aimer, que
cette puissance d'aimer, chez les parents, par
quoi l'animalité en nous s'ouvre à autre chose
qu'à elle-même, qu'on peut appeler l'esprit ou
Dieu, mais dont le vrai nom est amour, et qui
fait de l'humanité, non pas une fois pour
toutes mais à chaque génération, mais à
chaque naissance, mais à chaque enfance,
autre chose qu'une espèce biologique"11.
Et c'est à propos d'Agapé que Comte
Sponville conclut : "Agapé est l'amour divin,
si Dieu existe, et peut-être plus encore si
Dieu n'existe pas"12
De son côté, Luc Ferry, qui s'annonce
non-croyant, consacre son livre "l'Homme-
40
Dieu ou le sens de la vie"13 à décrire deux
chemins de la pensée contemporaine : d'une
part,
" l'humanisation
du
divin"
rapprochement de la divinité qui descend de
ses hauteurs inaccessibles, Bellet dirait
aussi : "Dieu est ce qu'il y a de plus humain
dans l'homme"14., d'autre part la divinisation
de l'humain, humanisme moderne où
l'homme est placé au centre, presque audessus, des systèmes de valeur ; la
déclaration universelle des droits de l'homme
en serait en quelque sorte "l'évangile".
Son livre se termine par ces lignes
"Nous vivons aujourd'hui, je crois, le
moment où les deux processus (...
l'humanisation du divin, la divinisation de
l'humain), se croisent. Or ce croisement est
un point et ce point, comment en irait-il
autrement, une confusion. Je comprends bien
que cette indétermination suscite la gêne.
Chez les matérialistes, parce que la
reconnaissance de transcendance échappe à
la logique de la science et de la généalogie.
Chez les chrétiens, bien sûr, parce qu'elle les
contraint à reformuler leurs croyances en des
termes qui puissent enfin être compatibles
avec le principe du rejet des arguments
d'autorité. Mais si le divin n'est pas d'ordre
matériel, si son "existence" n'est pas de
41
l'espace et du temps, c'est bien dans le cœur
des hommes qu'il faut désormais le situer et
dans les mêmes transcendances dont ils
perçoivent, en eux-mêmes, qu'elles leur
appartiennent et leur échappent à jamais "15.
Et que dirait Jean-Paul Sartre luimême de l'athéisme aujourd'hui s'il avait lu
Drewerman (qui dit se sentir "très proche"16
de lui), Comte-Sponville ou Ferry, lui qui
affirmait : "l'homme est constamment hors
de lui-même, c'est en se projetant et en se
perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme
et, d'autre part, c'est en poursuivant des buts
transcendants qu'il peut exister"17
Enfin, pour élargir l'horizon à d'autres
cieux que l'occident, je citerai cette vieille
légende hindoue :
"Il fut un temps où tous les hommes
étaient des dieux ; mais ils abusèrent si bien
de leur divinité que Brahma, le maître des
dieux décida de leur ôter le pouvoir divin et
de le cacher en un lieu où il leur serait
impossible de le retrouver. Le grand
problème fut donc de lui trouver une
cachette. Lorsque les dieux mineurs furent
convoqués en conseil pour résoudre ce
42
problème, ils proposèrent ceci : "Enterrons la
divinité de l'homme dans la terre". Brahma
répondit : " Non, cela ne suffit pas, car
l'homme creusera et trouvera." "Dans ce cas
jetons la divinité au plus profond des
océans." Brahma objecta à nouveau : " non,
car tôt ou tard l'homme explorera les
profondeurs de tous les océans, et il est
certain qu'un jour il la trouvera et la
remontera à la surface." Alors, les dieux
mineurs conclurent : "Nous ne savons pas où
cacher la divinité de l'homme, car il ne
semble pas exister sur terre ou dans la mer
d'endroit que l'homme ne puisse atteindre un
jour." Alors, Brahma déclara : "voici ce que
nous en ferons : nous la cacherons au plus
profond de lui-même, car c'est le seul endroit
où il ne pensera jamais à la chercher."
Depuis ce temps, conclut la légende,
l'homme a fait le tour de la terre, il a exploré,
escaladé, plongé, creusé à la recherche de
quelque chose qui se trouve finalement en
lui." 18
Ce bref survol de quelques livres d'hier
et d'aujourd'hui n'a d'autre ambition que de
poser çà et là des points d'ancrage sur la voie
du chambardement.
43
Car cette voie-là est comme un
itinéraire de haute montagne, on ne peut s'y
aventurer seul. Il faut se faire accompagner
de guides, de gens d'expériences, qui
connaissent les difficultés du parcours, les
bonnes prises, qui ont essuyé des orages, en
bivouaquant à flanc de rocher jusqu'à ce que
le soleil se lève de nouveau, pour repartir
vers le sommet.
Cette voie est "enfouissement,
régression, écart, délogement, le plus dur à
faire est sans doute ce-qui-ce voit-tout de
suite et ce-qu'on-sait-déjà : car cette évidence
cache le plus obscur et c'est le plus connu,
qui est le plus étrange"19
C'est sur cette voie que j'explore
aujourd'hui les passages qui, jadis m'auraient
peut-être permis de rejoindre mon ami
Souche, éberlué de mon trop plein
d'assurance sur mon Dieu de l'enfance
d'alors.
C'est sur cette voie que je peux
échanger des points de vue sur l'itinéraire à
prendre, avec ceux qui ont aussi envie de
marcher.
C'est sur cette voie, celle du divin
caché dans les plis de la pâte humaine, que je
44
peux trouver nourriture et raison de garder
confiance.
C'est sur cette voie, peut-être, qu'après
de longues années d'éloignement sur ces
questions, j'aurais pu retrouver Christiane, si
la vie nous en avait laissé le temps.
45
46
8
M.
Le sifflet de la cocotte-minute
répandait son vacarme dans la maison et audelà, car j'avais laissé la fenêtre entrouverte.
M. sonna à la porte, en même temps
que, percevant les odeurs de cuisine, il
s'annonçait par un jovial, "ça sent la vie
ici !"
Christiane, dans son lit, recevait à
intervalles réguliers, la petite dose de
morphine que lui diffusait la micro-pompe
électrique portative dont elle ne se séparait
plus depuis quelques jours.
J'invitai M. à monter, car c'est
Christiane qu'il venait voir.
M. possède ce charme masculin qui
laisse bien peu de femmes indifférentes.
Haute silhouette, allure jeune, le cheveu tout
47
juste assez gris pour rassurer et attirer à la
fois. Sa voix, plutôt grave, donne à ses mots
un ton chaleureux plein de rythme et d'allant,
souvent ponctué de quelque geste et éclairé
d'un sourire qu'on dirait venu du plus
profond de ses yeux clairs.
Christiane était, à n'en pas douter,
sensible à ce charme naturel. Son visage
s'illumina lorsqu'il pénétra dans la chambre.
M. l'embrassa, lui adressa un
"comment va la vie ?" avec ce qu'il faut de
bonne humeur et ce qu'il faut d'attention
pour que la question sonnât juste. Il avait,
par réflexe, éliminé cette légèreté de ton que
l'on adopte parfois avec les grands malades,
non pour les distraire du mal qui les ronge,
mais pour se distraire soi-même du drame
insoutenable qui se tient là.
M. s'assit ensuite à même le sol,
adossé à l'armoire de la chambre, et je
refermai la porte, les laissant seuls.
Cette image de M. et de Christiane en
ce dimanche des Rameaux 1994 restera à
jamais imprimée dans ma mémoire.
Est-ce le contraste saisissant entre ce
bel homme plein de force et cette jeune
48
femme épuisée supportant la douleur à force
de morphine ?
Est-ce le trouble que j'ai cru percevoir
chez M., un trouble indicible si ce n'est par
l'infime expression de son visage, désarmé,
démonté par le spectacle d'une souffrance
immense et injuste ?
Est-ce encore le sourire lumineux de
Christiane, goûtant à sa juste saveur la joie
de cette rencontre inattendue, remplissant ce
moment de présence, de cette intensité de la
présence qui donne parfois au temps une
dimension d'éternité ?
Est-ce enfin l'apaisement que m'a
procuré cette visite en ce jour des Rameaux
où je quittais la maison pour aller écouter le
récit de la Passion ? J'entends encore "que
cette coupe passe loin de moi" et "mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"
qui ont été prononcés ce jour là.
Voie sans issue, impasse qui conduit
tout droit au grand mur de la mort et dans le
même temps, paradoxe des paradoxes,
plaisir d'une relation qui, l'espace d'un
instant, fait faire un bout de chemin du côté
de l'infini.
49
50
9
Présence
Les rencontres dont je parle ici sont
plus que des rencontres. Elles sont
l'expérience vécue de quelque chose qui est
au-delà de ceux qui sont en présence l'un de
l'autre. Elles arrêtent l'aiguille des horloges,
allègent la souffrance, redonnent souffle à la
vie qui pourtant touche à sa fin.
Il n'y a là aucun mérite des uns ou des
autres, aucun courage, aucune compassion
voulue, aucun don pour les paroles de
réconfort pas plus qu'il n'y a de faiblesse ou
de lâcheté chez ceux qui n'ont pas pu ou su
entrer dans cette proximité.
Ce qui a lieu là est comme au-delà du
temps, des mots et des forces humaines, car
au cœur du tout se trouve le plus grand
dénuement, la dernière extrémité, celle de la
51
vie. Cette extrémité est à la fois mur et
béance, les forces s'y arqueboutent en vain et
les mots s'y perdent à peine prononcés.
Seule reste la présence, simple et
mystérieuse.
Présence de la vie au côté de la vie.
Présence qui ne se dit pas ou plutôt qui se dit
par le partage d'un instant passé ensemble.
"Ce n'était rien qu'un feu de bois, mais
il m'avait chauffé le corps, et dans mon âme,
il brûle encore à la manière d'un feu de
joie..."
Quelle est cette humanité ordinaire qui
transforme une poignée de minutes en
parcelles d'éternité ?
52
10
Au risque de se perdre
Où est la Toute-Puissance si elle n'est
pas au creux de cette main tendue dans le
silence ?
Où est le Très-Haut si ce n'est là, très
bas, dans la chaleur d'un sourire ?
Nulle part peut-être, tout cela est bien
naturel, bien humain, rien qu'humain.
Ou bien, partout, dès que l'homme est
homme, germe de divinité, au cœur de toute
humanité.
Nous
voici
revenus
au
chambardement. Il nous conduit de toute
évidence au bord de l'athéisme, ou de
l'hérésie. Il peut aussi conduire à l'égarement,
vers des sectes où fleurissent de nouvelles
53
divinités habillées aux couleurs de la
fraternité et du partage.
Les grands philosophes de l'histoire,
les mystiques des grandes religions, tous ont
cherché avec acharnement, tenté de "flairer"
le divin comme des explorateurs flairent l'or,
espérant percer un jour le mystère, la
question de fond qui tout bien pesé, ne
tourne pas autour de Dieu, mais autour de
l'homme, ce qui revient peut-être au même.
Dans cette grande histoire de la pensée
humaine, il y a l'héritage qu'on m'a transmis
dès ma naissance puis tout au long de mon
enfance ; cet héritage qui me fait dire
croyant, qu'en reste-t-il ?
Qu'en reste-t-il après l'épreuve du feu
qui dévaste tout, après l'épreuve de l'absence,
l'épreuve du silence, l'épreuve de la nonpuissance du Tout-Puissant... et aussi après
les signes de la toute-puissance d'une banale
humanité.
54
11
L'ange et le sacré
Il est plus difficile de chercher le divin
dans l'humain que de l'imaginer très haut.
Cela suppose d'accepter l'erreur,
l'errance, la désillusion, l'indifférence, la
bêtise voire la cruauté, car même dans le pire
des bourreaux se cache, invisible aux yeux
de l'autre et à ses propres yeux, un germe
d'humanité (sinon pourquoi refuser la peine
de mort ?).
Cela suppose aussi de renoncer à une
croyance qui rassure, et de chercher ancrage
non sur le roc des certitudes de la ToutePuissance mais dans les fils ténus qui
peuvent empêcher l'homme de sombrer dans
le néant.
55
Le récit biblique d'Abraham retenu par
l'ange dans son geste pour égorger son fils
(Gn,22,1-13) a inspiré de nombreux
commentateurs
juifs,
musulmans
et
chrétiens, étant pour tous un texte fondateur.
Etait-ce bien Isaac, fils de Sarah, ou plutôt
Ismaël, le fils de la servante Hagar ? Le fils
a-t-il vraiment été épargné ou réellement
immolé, voire ressuscité ? Abraham savait-il
au départ que son fils serait de toutes façons
sauvé ou était-il prêt à aller jusqu'au bout,
par une inconditionnelle obéissance à une
puissance supérieure ?
Marie Balmary, psychanalyste, en
donne à mon sens, une approche sans doute
peu
classique
mais
particulièrement
éclairante : Abraham, aveuglé par un
sentiment de soumission proche de l'idolâtrie
est prêt à tout, y compris à la pire des
cruautés pour son fils et pour lui-même. Mais
l'ange est là, à la dernière seconde, comme
pour laisser le père regarder en face l'atrocité
de son geste ; et l'ange retient la main
criminelle laissant la vie, à la place de la
mort, une vie libre que nul ne gardera en sa
possession, ni le père, ni Dieu. "Le divin,
grand thérapeute, se laisse prêter les
sentiments d'Abraham ; à partir d'eux
56
seulement, la transformation est possible.
YHWH se révèle comme non -idole 20"
Ainsi la vie de l'homme passe-t-elle
avant ce qu'on imagine être le bon plaisir de
Dieu.
Ainsi surgit le divin.
Au cœur du livre où Dieu apparaît
souvent comme celui qui punit et qui tue, ce
divin-là stoppe en plein élan le bras sacrilège
de la mort ; car le sacré n'est pas derrière la
voix que croit entendre Abraham, le sacré est
sous ses yeux, sous sa main qui maintient le
cou du fils avant le geste fatal.
Le sacré, ce n'est pas Dieu ; le sacré,
c'est l'homme.
57
58
12
Marie-Thérèse
Marie-Thérèse est un minuscule bout
de femme ; son sourire illumine l'ensemble
de son corps dont on ne voit que le visage et
les mains. Tout le reste est dissimulé par sa
robe brune de carmélite ; on devine à peine
ses cheveux sous sa voilette noire.
Son visage est de ceux qui ne
permettent pas de donner d'âge, il a la
fraîcheur d'une jeunesse et la sagesse des
années ; ses mains, minuscules et fragiles se
cachent dans les manches de sa robe et ne
sortent que pour s'ouvrir en grand, en signe
d'accueil au visiteur.
Marie-Thérèse rayonne une étonnante
plénitude, sorte de reflet d'une lumière
intérieure qui semble tout éclairer, le temps,
la joie, la souffrance, la mort...
59
"Vous savez, me-dit-elle en levant vers
moi ses yeux clairs, quand Christiane est
venue la première fois ici, j'ai vu que la
chambre qu'on lui avait réservée n'allait pas
du tout, là-haut au deuxième étage, elle
paraissait si fatiguée. Je lui ai tout de suite
proposé la grande chambre du premier, celle
qu'on donne au prêtre d'habitude ; mais pour
Christiane ce n'était pas pareil.
D'ordinaire, on ne dérange pas les
retraitants, mais là je me suis permis de
frapper à sa porte, pour lui apporter un petit
baladeur, au cas où elle ait envie d'écouter
de la musique. Elle m'a dit d'entrer, s'est
assise sur son lit en tailleur, et m'a raconté
son histoire. Vous savez, chez nous on ne
parle pas dans les chambres, mais là c'était
différent, elle avait besoin, elle a beaucoup
parlé, elle a beaucoup pleuré, je m'étais
assise sur le lit à côté d'elle.
Ensuite, je l'ai laissée se reposer et
peu avant le repas je suis allée dire aux
autres retraitants, qu'ils pouvaient parler à
Christiane pendant le souper, si elle en avait
envie, même si ce n'est pas autorisé
d'habitude.
Je la revois, toujours à la même place
sur la droite, pour les offices, ou bien assise
60
sur le petit mur pour prendre les derniers
rayons du soleil..."
Peu après ma visite au carmel, j'ai
reçu de Marie-Thérèse un petit signet que
Christiane avait laissé à la communauté lors
de l'un de ses séjours, une petite photo où
l'on voit une carmélite en oraison dans
l'église romane inondée de lumière. Au dos,
on peut lire ces quelques mots écrits de sa
main à l'encre bleue :
"Merci d'être là et d'offrir ce lieu de paix et
de vie"
C’était peu de temps avant sa mort.
Ces mots me disent la joie qui surgit
au cœur de l'injustice, de l'absurdité, du
scandale d'une maladie qui tue à trente-cinq
ans. Ils me disent plus que toutes les
théologies ou philosophies, ce que peuvent
une présence et un peu de tendresse donnée
et reçue.
Je garde ce signet dans un de mes
livres préférés, je ne sais plus vraiment
lequel, car j'ai choisi de ne pas l'utiliser
chaque jour, pour avoir le plaisir de le
redécouvrir au hasard d'une relecture.
61
62
13
Le Galiléen
Il faut aller chercher le divin dans sa
nudité, "dans son vestiaire"21 disait Maître
Eckart.
Il faut le débarrasser de toutes ses
parures de pacotilles qui lui donnent l'aspect
d'un roi tout-puissant, d'un bourreau
impitoyable, ou pire encore d'un être froid
qui regarde, de son balcon, la pauvre misère
humaine.
On se croit affranchi de ces
caricatures. En réalité, ni l'athée ni le croyant
ne les a totalement éliminées de sa mémoire,
car même si l'un et l'autre ont exclu les
idoles, elles resurgissent, tel le veau d'or de
la Bible, au hasard d'un bonheur ou d'une
épreuve. L'athée les repousse une fois
63
encore, le croyant leur fait une petite place,
l'espace d'un instant qui rassure.
"(..) notre Dieu réel (qu'on y croit ou
pas), est un Dieu sale.
Le seul nettoyant est le juste et
rigoureux amour envers l'homme" 22 dit
encore Bellet qui poursuit ainsi :
"Transformation radicale de la
théologie ! Qu'elle éclate hors de son lieu !
Qu’elle meure comme théologie ! Nous
attendons une science qui soit une science de
l'humain tellement approfondie qu'elle
rejoigne ou plutôt fasse advenir une science
de l'Inouï, enfin libérée de Dieu - et qu'ainsi
Dieu paraisse comme Dieu.
C'est à dire en termes chrétiens, une
science de Jésus Christ. "Qui me voit, voit le
Père (...).
Quant à Dieu, c'est retournement
radical (...) Il surgit de cet anéantissement,
hors de tout nom, seulement en visage
d'homme (...) ce Dieu n'est pas à partir de la
religiosité ou de la métaphysique, mais - en
cet âge post chrétien et post philosophique à partir de la relation humaine.
Dirons-nous que Dieu s'y réduit ?
L'inverse. Cette ouverture-là interdit tout
repli de Dieu sur le sujet, le soi, l'idée, etc.
64
Elle va à l'insaisissable, signifié si durement
par l'impossibilité humaine de l'amour.
Libérer l'autre Dieu qui s'annonce
23
là ."
Qui d'autre que le Galiléen, humain
parmi les humains, donne l'image de cette
divinité ?
Je le vois dans le cercle de haine qui
s'est formé pour lapider la femme adultère
(Jn,8,1-11). Il s'est accroupi, il dessine sur le
sable. Pas de sermons, ni d'exhortations, ni
de discours, tout juste le silence qui renvoie
chacun à ce qui fait sa propre humanité, ses
faiblesses, ses erreurs, son regard sur l'autre.
Je le vois sur la croix, envahi de
douleur, d'humiliation et de solitude. Nudité
absolue, impuissance absolue, la voix
étranglée par l'épuisement et les bras
prisonniers des clous. Il n'y a rien à dire de
cette souffrance, elle n'a aucune vertu, ne
répond à aucun calcul pervers de nature
divine, elle n'est que le fruit de la cruauté
humaine : "Mon dieu, mon Dieu, pourquoi
m'as-tu abandonné ?"( Mc,15,34).
Je le vois au bord du lac (Jn,21,12),
homme qui revient parmi les hommes. Ils le
65
croyaient disparu à jamais, il est là, "aucun
n'osait lui demander qui es-tu ?". Il n'a
préparé ni plan de bataille ni traité de
théologie, il a seulement fait cuire quelques
poissons, histoire de passer un moment
ensemble.
Ne me cherchez pas ailleurs, je suis là.
A côté de vous.
Dans "Le lieu perdu", ouvrage sur la
psychanalyse, Maurice Bellet risque à propos
du récit de la résurrection cette question qui
en d'autre temps l'eût conduit tout droit au
bûcher de l'inquisition : "Peut-on traiter le
récit Christ comme Freud le récit d'Oedipe ?
C'est à dire une histoire dont le contenu
manifeste, montre et cache à la fois une
vérité universelle d'existence ? "24
Question sacrilège, à l'évidence, qui
relègue au rang de mythe le pilier de la foi
chrétienne. Mais question passionnante, car
elle bouscule les frontières étriquées d'une
croyance au surnaturel, ouvrant ainsi une
brèche du côté de l'universel.
Au bout de la question s'ébauche une
hypothèse à la fois séduisante et déroutante :
de même que le mythe d'Oedipe nous dit
quelque chose de nos rapports avec nos
66
parents dans l'enfance, de ce qui a fait que
nous sommes ce que nous sommes, de nos
inhibitions et de nos forces, en un mot, de la
naissance de notre personnalité, de même le
récit de la résurrection du Christ nous dit
quelque chose de ce qui fait que l'homme est
homme, de la puissance de vie plus forte que
la puissance de mort, du surgissement de
l'amour au creux de l'abîme de la cruauté, en
un mot, de la naissance de notre Humanité.
Ce que Marcel Légaut, auteur chrétien dit de
son côté en ces termes : "L'homme entreverra
mieux que par la connaissance d'une doctrine
traditionnelle(...) comment Jésus, par sa vie
et par sa mort, a ouvert la percée vers l'audelà de l'humain, comment de la sorte, il a
facilité le passage à tout être quels que soient
les temps et les lieux"25.
On est loin de l'énigme historique du
tombeau vide... A moins qu'on en soit tout
près, car souvent, les récits évangéliques
donnent du concret, du palpable, pour
finalement dire quelque chose qui met
l'homme debout. Quand Jésus dit au
paralytique de Capharnaüm : "Tes péchés
sont pardonnés lève-toi et marche" (Mc,2,
10), certes, il nous est dit que l'homme a pris
son brancard sous le bras pour marcher, mais
67
il nous est surtout dit que le pardon prononcé
par le "fils de l'homme"(id,v.11) - quelle
meilleure expression pour dire dans
l'Evangile lui-même que le Christ est signe
de naissance d'humanité ? - que cette
tendresse de l'homme pour l'homme que
Comte Sponville appellerait "Agapé"
accomplit une oeuvre de remise en route, de
"re-naissance".
Et ceci
"croyants"...
n'est
pas
réservé
aux
Arrivé en ce point, vient une
évidence : il ne suffit pas de dire que le divin
est dans l'humain. Il faut se confronter à
quelques grandes questions qui, depuis que
l'homme est homme, ont fait que celui-ci a
placé la divinité quelque part à distance de
lui-même.
J'ai retenu la question de la création, la
question de la relation personnelle au divin
c'est à dire la prière, et enfin la question du
mal.
Toutes trois déclenchent une sorte de
"réflexe de Dieu" qui ici prend le rôle de
grand horloger, là d'interlocuteur de chacun,
ou là encore d'idole inutile, voire de
persécuteur. Elles sont l'une ou l'autre
68
sources de croyances et de non-croyances
dans beaucoup de spiritualités et beaucoup
d'athéismes.
Le chambardement dont je veux parler
ici oblige à une espèce de "remise à zéro".
Non pour condamner ou ignorer, mais pour
retrouver le sens premier, enfoui au creux de
ce qui fait l'homme, débarrassé des images et
du prêt à penser.
69
70
3ème partie
Questions
71
72
14
Divine origine
Premier thème de la Bible, la question
de la création est aussi parmi les premières
que peuvent poser les enfants : "Qui a
inventé la terre ?" "Pourquoi Dieu a fait des
fleurs ?" "Comment est né Dieu ?"...
Et ceci n'est pas réservé aux enfants,
car il n'est pas rare qu'au terme d'une de ces
discussions où l'on "refait" le monde surgisse
une interrogation sur qui l'a "fait", au
commencement, et qu'à bout d'arguments, un
croyant peu convaincant et peut-être peu
convaincu sorte pour finir : "mais enfin il
faut tout de même que quelqu'un ait créé
l'univers !".
Je me souviens d'un débat acharné au
cours d'une nuit de premier de l'an, où dans
73
une maison inondée de serpentins et autres
cotillons, assourdis par le vacarme des
enfants en plein combat de sarbacanes, nous
devisions à trois sur l'origine de notre bonne
vieille terre et de ses habitants, sur le souffle
initial, l'évolution de la nature, la place de
l'homme dans la création. Evidemment, nous
n'étions pas d'accord, il fallut gâteau et
champagne pour nous éviter une nuit blanche
sur les obscures origines du monde...
Est-ce un peu de ma culture
scientifique ou la lecture de quelques livres ?
Il se trouve que je me suis définitivement
écarté de l'idée d'un grand créateur qui
piloterait les évolutions de la nature dussentelles durer des millions d'années et non
quelques jours comme le décrit le livre de la
"Genèse".
Dans le livre : "La plus belle histoire
du monde"26, trois scientifiques de renom
expliquent en termes simples l'essentiel des
mécanismes qui ont conduit au monde tel
que nous le voyons aujourd'hui : la terre, la
vie, l'homme. Il est frappant d'y voir la
continuité des choses, le rôle primordial du
temps qui permet à la fois tous les ratages et
toutes les réussites. On oublie parfois que
n'apparaît à nos yeux que ce qui a traversé
74
les millénaires et donc a "survécu" aux dures
lois de l'adaptation aux climats et milieux
naturels. Tout le reste a disparu à l'image des
dinosaures dont on ne retrouve que quelques
fossiles ; et qui peut dire aujourd'hui si
l'homme ne sera pas d'ici quelques milliers
ou millions d'années, voire avant, dans la
même impasse ?
Est-ce à dire que l'univers qui nous
entoure et dont nous sommes n'a rien à voir
avec le divin ?
Est-ce à dire que parce qu'il est le seul
être vivant à se poser la question de ses
origines, l'humain pour trouver une réponse,
"crée le divin ?"
Renversement radical, inversion des
rôles ? En apparence seulement.
Car au bout du compte reste l'énigme
non de la lumière et de la ténèbre, non du
firmament, des eaux, et de la terre, non du
soleil de la lune et des étoiles, ni même des
plantes, oiseaux et autres bestioles (car il est
acquis aujourd'hui que l'apparition de la vie
est due à la juste distance de la terre par
rapport au soleil qui permet à l'eau d'être ni
glace ni vapeur mais liquide), reste donc
l'énigme de ce qui fait l'homme humain.
75
C'est encore la psychanalyste Marie
Balmary qui, explorant le livre de la Genèse,
en extrait un sens caché qui nous délivre
enfin de toute croyance au surnaturel.
Reprenant Gn,27,1 :
"Dieu créa l'homme à son image
à son image il le créa
Homme et femme et les créa"
Elle fait observer : "Après les différentes
espèces (...) advient le couple adamique qui
justement n'est pas une espèce. La genèse est
aussi le livre où il n'est pas écrit : Elohim
créa l'homme selon son espèce. Pas d'espèce
humaine. Le mot résolument fait défaut. Le
NOUS divin crée l'humain non pas "selon
son espèce" mais "en son image", mâle et
femelle."26
Quelle création ?
"Dieu n'a pas créé l'homme"27 mais
chaque jour, à chaque minute de chaque
heure, apparaît sur cette terre un germe
d'humanité, fruit d'une sorte d'aptitude
offerte à chacun à sa naissance, image de la
divinité.
"Sur nous, Seigneur que s'illumine ton
visage" disait déjà le psalmiste (Ps 4,7).
" Que nous soyons unis à la divinité de celui
qui a pris notre humanité " dit encore
l'ordinaire de la messe du dimanche.
76
Cette reconnaissance d'humanité n'est
pas affaire de religion, elle est affaire
d'homme ; affaire d'homme qui admet une
fois pour toutes de ne pas appartenir à une
espèce animale comme les autres.
Lors d'une émission de télévision où il
était invité pour son livre "L'homme-Dieu ou
le sens de la vie", Luc Ferry, lui-même
agnostique, invitait les athées à renoncer à
cette sorte " d'intégrisme " qui oppose un
refus non pas à toute croyance, mais à l'idée
qu'il y a en l'homme un potentiel, une
puissance, sans doute capable du pire, mais
aussi du meilleur et qui, d'une certaine
manière, est un peu plus que lui-même ; ce
qu'il écrit en ces termes : "si les hommes
n'étaient pas en quelque façon des dieux, ils
ne seraient pas non plus des hommes. Il faut
supposer en eux quelque chose de sacré ou
bien accepter de les réduire à l'animalité".
Transcendances mystérieuses, sacrées,
qui nous relient parce qu'elles visent
l'universel, mais aussi rapport à l'éternité,
voire à l'immortalité"28.
77
78
15
Face à face
Que dire de la prière ?
Plus que les écrits, les pensées, les
discours ou les théologies, elle a de quoi
étonner l'incroyant. Elle est attitude, geste,
chants, paroles, formules, silences. Souvent,
elle n'est pas grande pensée mais plutôt cris,
appels, joies, souffrances, désespoirs
"Ne sois pas loin l'angoisse est proche
Je n'ai personne pour m'aider (...)
Je suis comme l'eau qui se répand
Tous mes membres se disloquent"
(Ps 21,12-15)
N'y a-t-il pas dans cette sorte de "têteà-tête" avec le divin quelque chose d'étrange,
voire de surréaliste pour qui exclut que l'on
puisse s'adresser à l'invisible ?
79
Il m'arrive, au hasard d'une messe du
dimanche de penser que quelqu'un d'une
autre planète, ou seulement d'une autre
culture pourrait rentrer là, écouter, observer.
Que font-ils, à qui s'adressent-ils, pourquoi
sont-ils là, que sont ces chants, à qui vont ces
demandes, y a-t-il quelqu'un qui les écoute,
qui est-il ?
Car dans la prière, on s'adresse à Dieu,
on lui parle, on implore son pardon, sa
miséricorde, sa grâce, on bénit son nom, on
chante ses louanges.
Excepté peut-être dans la méditation
bouddhiste, plus intérieure, on se tourne vers
le tout-autre, un ou pluriel, comme vers
"quelqu'un" qui peut écouter, comprendre,
juger, compatir ou même intervenir ici-bas.
Il est des épreuves de la vie, des cris
perdus dans l'abîme, des silences infinis, qui
rendent
ce
Dieu-là
étranger,
incompréhensible,
peut-être
même
insupportable.
La foi est-elle partie, emportée par les
tempêtes qui ravagent, ou perdue dans les
déserts de solitude ? Peut-être.
80
On peut tout abandonner, certains le
font, le sens est devenu non-sens,
retournement radical. Au mieux, la prière
appartient à un autre monde, au pire elle est
le fruit d'une crédulité enfantine.
Cependant, dans le fatras des
apparences, des formules et des croyances,
on peut peut-être chercher ce qui, au fond du
fond, demeure source de clarté.
Christian Bobin répond ainsi, à sa
manière, à la question "c'est quoi, au juste
prier ?"
"C'est faire silence. C'est s'éloigner de
soi dans le silence.
Peut-être est-ce impossible, peut-être
ne savons nous pas prier comme il faut :
Toujours trop de bruit à nos lèvres, toujours
trop de choses dans nos coeurs. Dans les
églises, personne ne prie sauf les bougies.
Elles perdent tout leur sang, dépensent toute
leur mèche. Elles ne gardent rien pour elles,
elles donnent ce qu'elles sont, et ce don passe
en lumière"29.
Il faudrait pouvoir arrêter la cavalcade
de nos pensées.
Il faudrait pouvoir nous libérer de nos
encombrements.
81
Il faudrait pouvoir inviter le silence,
pas seulement autour, mais à l'intérieur.
Il faudrait pouvoir se passer des mots,
des images, des formules, des réassurances
de toutes sortes pour qu'enfin, du plus
profond de notre humanité, puisse poindre ce
qui vient éclairer la nuit.
Dans son journal intitulé "Une vie
bouleversée" Etty Illesum, jeune juive
hollandaise traquée par le nazisme, écrit ceci
peu avant de partir pour les camps de la
mort :
"Il y a en moi un puits très profond, et dans
ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à
l'atteindre. Mais plus souvent des pierres et
des gravats obstruent ce puits et Dieu est
enseveli. Alors, il faut le remettre au jour.
Il y a des gens, je suppose, qui prient les
yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent
Dieu en dehors d'eux. Il en est d'autres qui
penchent la tête et la cachent dans leurs
mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu
en eux-mêmes"30.
Et elle ajoute un peu plus loin :
"Quand je prie, je ne prie jamais pour moi,
toujours pour d'autres, ou bien je poursuis un
dialogue
extravagant,
infantile
ou
82
terriblement grave avec ce qu'il y a de plus
profond en moi et que pour plus de
commodité j'appelle Dieu"31.
C'est ce face à face avec ce qui, en
moi, est plus que moi que je me risque à
nommer prière.
C'est de ce face-à-face que pourra
peut-être surgir un bout d'humanité caché,
oublié, étouffé.
C'est dans ce face-à-face que pourront
peut-être se prononcer les mots de la
confiance :
"Tu m'as répondu, et je proclame ton nom
devant mes frères
Je te loue en pleine assemblée" (Ps.21. 23)
Si j'ai une affection particulière pour
les monastères c'est peut-être à cause de ce
face à face qu'on peut trouver dans le silence.
Imaginez un office de Vigiles chez les
cisterciens, à Tamié par exemple : quatre
heures du matin, la voix pure du chantre
s'élève dans la nuit ; on chante les psaumes ;
cris millénaires, ils ne disent pas la morale,
ni la théologie, ils disent la joie, la
souffrance, la haine, la vengeance, les
victoires et les défaites, les amis et les
ennemis, l'amour et la mort, le Dieu bon et le
83
Dieu méchant comme peut se l'imaginer
l'homme ; premier nocturne. Puis, le moine
de service va éteindre les lumières ; toutes, à
l'exception d'une faible lueur au fond de
l'église. Silence. Vingt minutes de silence
absolu dans la nuit absolue. On peut dormir ;
moi qui m'endors au feu rouge dans ma
voiture, les matins de grande fatigue, là je ne
m'endors jamais, c'est comme si le silence de
la nuit me tenait éveillé face à moi-même.
Parfois, je me désole de ne pouvoir faire
autre chose qu'un vagabondage désordonné
où les images se succèdent sans lien ni
cohérence ; on envie toujours un peu les
grands esprits capables d'une méditation
digne de ce nom... La lumière revient, l'orgue
reprend la mélodie, on chante ; second
nocturne, des psaumes, des psaumes encore,
jusqu'à ce que le son des cloches annoncent
la fin de l'office ; en été le jour se lève alors à
peine et la nature environnante résonne tout
entière de la musique des milliers d'oiseaux
qui saluent la venue de la lumière.
Silence, musique, lumière.
La lumière est celle que l'on retrouvera
sur le visage des moines dans la journée.
Tous ceux qui se sont promenés au voisinage
d'un monastère vous le diront. Rayonnement
de l'intérieur qui effleure comme une caresse
84
le passant d'un jour et dont il garde, quelque
part dans sa mémoire, un souvenir fugitif qui
a un goût d'infini.
85
86
16
Soir de printemps
C'était un soir de printemps, un de ces
soirs d'avril où la nuit enveloppe encore trop
vite les bourgeons qui grossissent et le
cerisier déjà en fleurs, patient travail de la
création, renaissance de la vie.
Seule la flamme vacillante d'une
bougie éclairait dans la maison cette nuit
sombre.
Tout près de la flamme, le père et les
deux enfants faisaient la prière du soir,
comme tous les soirs depuis quelques jours.
Le père ne trouvait pas les mots, il proposa
le "Notre père", prière pour les soirs vides,
comme ce soir là.
87
On termina comme d'habitude : "car
c'est à toi qu'appartiennent, le règne, la
puissance et la gloire pour les siècles de
siècles".
- Vous savez, dit le père, quand on dit ça, on
a l'impression que Dieu est vraiment toutpuissant, qu'il a créé le ciel et la terre, qu'il
peut faire un peu ce qu'il veut. Mais si c'était
comme ça, est-ce qu'il y aurait autant de
souffrance et de malheur, est-ce qu'il aurait
laissé mourir maman ? Peut-être que la
toute-puissance n'est pas celle qu'on croit,
peut-être que c'est plutôt la puissance...
Le plus jeune des enfants interrompit le père.
- ...de l'amour, dit-il.
Le père ne trouva rien à ajouter.
Ils restèrent un instant à regarder la
flamme, fragile ;
puis les enfants
regagnèrent leur chambre.
88
17
Cruauté
Dire avec Luc Ferry, philosophe de
nos temps modernes que "l'amour, autrefois
réservé à la divinité s'est humanisé32", n'estce pas faire erreur ?
Il y a les guerres et massacres en tous
genres, peuples tenus en soumission, privés
de terre et de liberté, enfants affamés,
affrontements sanglants ici, égorgements
aveugles là-bas, adolescents prostitués,
femmes asservies, cloîtrées, bâillonnées,
prisonniers torturés, condamnés à mort.
Effarante cruauté.
Il y a l'implacable logique des
systèmes économiques, les "lois du marché"
qui fabriquent les exclus ordinaires du
travail, du logement, de la reconnaissance...
89
Il y a pire que tout cela encore, moins
visible, plus ordinaire, plus sournois, pire
que le rejet par un système, pire que
l'hostilité, pire même que la cruauté ; il y a
l'abandon, la négation de tout espoir,
l'indifférence absolue, la tristesse infinie, la
non-humanité.
Dans le récit de son séjour à
Auschwitz, Primo Levi33 raconte le malheur
inimaginable,
la
cruauté
froidement
organisée, la faim, le froid, la maladie, le
travail de forçat, la " sélection " des plus
faibles pour les chambres à gaz, mais cela
n'est rien ou presque. Car plus que
l'extermination
des
corps,
c'est
l'extermination des cœurs qui constitue le
fond du drame. On aimerait lire des épisodes
de solidarité, des combats menés ensemble,
du soutien pour les faibles, un souci du
partage dans le plus grand dénuement
commun, il n'en est rien. Le vol est la règle,
la plus grande angoisse n'est pas de ne rien
manger, mais de ne plus retrouver sa cuillère
en fer blanc au sortir du mince filet d'eau
froide qui sert de douche ; la loi des
échanges est celle du marché noir, il faut
céder une ration de pain pour obtenir une
aiguille et un fil ; et le jour de la " sélection "
pour le départ vers la mort, on s'empresse
90
d'interroger les plus délabrés pour savoir de
quel côté de la feuille ils ont été cochés, et on
se réjouit d'avoir été coché de l'autre. C'est
cette " dés-humanisation ", à la fois source et
produit du " dés-espoir " que j'ai envie
d'appeler " enfer ". Car ici l'humanité est niée
au point d'être détruite ou si profondément
enfouie qu'il lui est impossible de resurgir.
L'espoir s'est éteint, noyé dans la boue,
englouti dans les sables mouvants de l'oubli.
Il ne reste que quelques instincts de survie, à
peine entretenus par le bol de soupe
quotidien et la ration de pain noir.
" Les personnages de ce récit ne sont
pas des hommes, leur humanité est morte, ou
eux-mêmes l'ont ensevelie sous l'offense
subie ou infligée à autrui "34.
C'est pourtant dans ce monde
volontairement et méthodiquement réduit
aux horizons étroits de l'animalité que
parvient à surgir ce qui, au bout du compte,
va maintenir pour certains une vie d'homme.
Dans son livre, Primo Levi ne laisse
filtrer que peu de rayons de lumière, mais
l'un d'entre eux, évoquant un de ses
compagnons de misère, est " vital " : " c'est à
Lorenzo que je dois d'être encore vivant
aujourd'hui (...) Lorenzo était un homme :
son humanité était pure et intacte, il
91
n'appartenait pas à ce monde de négation.
C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas
oublié que moi aussi j'étais un homme "35
Les camps d'extermination nazis sont
évidemment une extrémité dans le registre de
ce qui peut conduire l'homme à la tristesse
absolue, mais il n'est pas besoin de monter si
haut dans l'échelle de l'horreur pour trouver
l'absence d'espoir.
Car il existe une tristesse ordinaire, "la
tristesse banale et lugubre du quotidien36 "
Celle du bon employé, qui accomplit
la tâche demandée depuis des lustres et qui
en veut silencieusement au patron, aux
collègues, au monde entier, d'être bientôt
oublié dans un coin de bureau.
Celle de l'enfant, perdu dans une
maison sans amour, emmuré dans les
silences ou dans les cris de ses parents
déchirés.
Celle de la vieille dame, brisée de
solitude, qui sort deux fois par jour chez
l'épicier pour parler du temps qu'il fait.
Celle des époux qui ne savent plus s'ils
s'aiment, ils ont oublié les couleurs du bienêtre ensemble, ils continuent à vivre l'un à
côté de l'autre, parce que c'est plus simple,
par habitude.
92
Ces tristesses-là sont filles de
l'absence. Absence de sourire, absence de
l'autre, absence d'amour. Bellet dirait qu'elles
sont " l'inverse absolu de la tendresse 37 ".
Mais il en est encore une forme moins
visible, qui se cache sous les habits d'un
certain bonheur, c'est celle de l'homme de la
rue, vous, moi, hier, aujourd'hui ou peut-être
demain ; il n'a pas de quoi être triste, aucun
malheur ne lui arrive, il a du travail, une
famille, des enfants, ce qu'il faut d'argent
pour satisfaire ses envies, ce qu'il faut de
distractions pour supporter le temps qui
passe. Il a tout pour être heureux et pourtant
la tristesse le gagne, insidieuse, inexplicable,
irrémédiable. Son univers est comme sans
issue, aucun vent ne le pousse vers le large,
aucune flamme ne vient éclairer son cœur
sombre. Il arrive même qu'il soit croyant,
mais il croit plus en Dieu qu'en l'homme dont
il ne tire qu'amertume et déception,
décidément il n'a rien à attendre des autres, il
faudra qu'il " s'en sorte " lui-même.
J'ai croisé un jour, au hasard d'une
soirée entre amis, un de ces hommes.
Aimable, de bonne compagnie, travail,
famille, enfants, passionné de nature et
d'écologie, chacune de ses paroles était
peintes en noir, le monde n'était que
93
corruption, tout acte n'avait pour mobile que
l'intérêt ; la gratuité ? Un leurre ! La
générosité ? Que de naïveté ! L’amour ? Mon
pauvre monsieur, regardez un peu autour de
vous ! Je risquai une percée sur quelque
dictature abolie, quelques progrès des droits
de l'homme, quelque processus de paix,
devant ses haussements d'épaules, je fini par
lui demander comment il voyait l'avenir de
cette humanité naufragée. " La guerre " me
dit-il, " je ne vois rien d'autre qu'une guerre
mondiale ". Tristesse absolue, triomphe de
l'absurde.
C'est François Varillon qui constate
après avoir observé les bonheurs et les
malheurs de l'homme : " l'existence, n'est pas
absurde, elle est contradictoire38 ".
C'est aussi ce que dit en d'autres
termes la sagesse orientale :
" Dans l'obscurité existe la lumière
ne regardez pas avec une vision obscure.
Dans la lumière existe l'obscur,
ne regardez pas avec une vision lumineuse.
Lumière et obscurité
créent une opposition,
94
mais dépendent l'une de l'autre
comme le pas de la jambe droite
dépend du pas de la jambe gauche39 "
Nous voilà à la frontière, disons plutôt la
croisée des chemins ; non pas celle où
croyants et incroyants partent chacun de leur
côté, car il est des croyants désespérés et des
athées confiants et les deux directions à
choisir sont justement la confiance ou le
désespoir.
On peut vivre sans histoire, sans espoir
et finalement sans goût pour l'existence.
On peut mourir en cueillant ça et là les
fleurs de la vie, avec une confiance non pas
dans un hypothétique et rassurant au-delà
céleste, mais dans ceux qui donnent leur
présence, leur simple présence comme un
cadeau, témoin d'une humanité qui peut
donner et partager et qui, ce faisant, touche à
l'infini.
" L'amour n'est possible que par l'infini
mis en moi "40 dit Lévinas.
95
96
18
S.
S. est de grande taille, plutôt mince, on
pourrait dire qu'elle a une grâce naturelle.
Son nez légèrement en trompette donne
l'impression d'une sorte de fierté à moins que
ce ne soit un signe extérieur de je ne sais
quelle sensibilité au parfum de la vie. Elle
doit sans doute des gestes expressifs,
souples, amples, à son métier d'artiste.
Christiane était allée frapper à sa
porte, voisine, un jour de spleen où l'on se
sent seul au monde avec un poids trop lourd
à porter tout seul. Elles se croisaient
jusqu'alors au sortir de l'école en allant
chercher les enfants ; un sourire, à peine un
bonjour. Ce jour de juin, elle avait osé. Elle
avait tout raconté, le cancer, la douleur,
97
l'angoisse, le mari, les enfants. S. l'avait
accueillie, écoutée.
Elles ne se sont plus quittées jusqu'au
dernier jour.
Quand la grande fatigue immobilisa
Christiane à la maison, au début S.
téléphonait. Puis, elle décida d'arrêter, les
mots seuls ne peuvent rien devant l'absurde
souffrance. Alors, elle rendait visite, comme
ça, sans prévenir. Je les trouvais parfois
toutes les deux assises au salon, en rentrant
du bureau. Elles parlaient enfants, peinture,
amour parfois, ou bien, les jours
d'épuisement, ne parlaient que très peu. S.
avait, avec Christiane cette proximité qui
autorise à se suffire de la présence de
l'autre, sans s'obliger à meubler le silence.
Elle savait offrir une présence légère, sans
contraintes qui contrastait avec le drame
quotidien d'une vie qui s'en va.
Un soir Christiane, déjà en fauteuil
roulant, n'était pas à la maison, on
m'informe qu'elle a voulu qu'on l'emmène
voir S., dans la rue d'à côté. Je la trouve
enjouée, respirant la vie avec bonheur...
Quand j'écoute Rossini dans ses
oeuvres sacrées, sa petite messe solennelle
par exemple, ou bien le Stabat Mater, je
98
pense parfois à S.. Une musique légère sur
une situation insoutenable, trois notes de
piano pour accompagner un kyrie, un envol
de ténor pour dire la mère au pied de la
croix,
Je sais que S. a, sans même s'en
rendre compte, offert à Christiane l'essentiel
de ce dont elle avait besoin : chaleur,
présence, légèreté.
Proximité de la vie, au voisinage de la
mort.
99
100
Epilogue
101
102
Eternité
Avez-vous déjà écouté le " Miserere "
d'Allegri ?
Les voix d'hommes et de femmes
entrent ensemble, paisibles, sereines,
s'entremêlent, s'alternent, s'épousent d'un
même mouvement.
Soudain,
quelques
hommes
prononcent, lentement, majestueusement, sur
une même note, une seule et unique phrase à
l'unisson, sorte d'appel tranquille en attente
d'un écho.
La réponse surgit du silence,
lointaine, d'un chœur venu d'ailleurs, comme
si les uns et les autres étaient aux deux bouts
d'une gigantesque cathédrale.
Alors se produit l'inattendu, au détour
d'une mesure presque ordinaire, s'élève des
choeurs lointains une voix de femme seule,
claire, pure. Elle se détache, prend son envol
103
vers dans les hauteurs, va sur deux notes
faire un petit tour du côté de l'infini pour se
reposer, légère, au milieu du silence.
La première fois que vous entendez ça,
vous retenez votre souffle, vous êtes porté à
lever les yeux, à suivre l'invisible du regard.
Ensuite, vous guettez le retour de cette voix
magique qui vous emmène vers les sommets,
le retour de ce moment inoubliable à la fois
infiniment court et infiniment grand.
Car la voix revient, plusieurs fois, au
détour de la même mesure, fidèle à une sorte
de promesse. La mélodie se répète, égale à
elle-même, juste avec quelques nuances dans
le ton qui métamorphosent la monotonie du
chant jusqu'à lui donner les couleurs de la
vie.
Lorsque les dernières notes se posent,
on voudrait qu'il y en ait encore, toujours.
Un jour j'ai glissé un enregistrement
du " miserere " dans mon autoradio, sans
doute entre deux tubes d'une " Fun radio "
quelconque. Plus un mot à bord.
L'adolescente de seize ans qui était là n'en
revenait pas de rester suspendue à ce qu'elle
appelait d'ordinaire une " musique de
messe ".
104
Par quel miracle quelques notes d'une
musique peuvent-elles donner ainsi, sur des
mots qui disent la misère humaine, une
image de l'immortel ?
On raconte que le pape, en ce début de
dix-septième siècle, après audition, aurait
immédiatement interdit que l’œuvre fût jouée
en public de crainte peut-être qu'elle ne
procurât trop d'émotion, voire trop de plaisir
au petit peuple de croyants de l'époque et
qu'ainsi son salut éternel en fût compromis.
Le secret papal dura plus de deux cents
ans...
Ah comme je crains que ce
malheureux pape n'ait rien compris à
l'éternité ! Sans doute pensait-il qu'elle se
mesurait avec des horloges célestes dotées de
mouvements perpétuels capables de compter
les siècles des siècles, à l'infini, dans un audelà gagné ici-bas à force de renoncement.
A moins que ne lui soit venu à l'esprit
en écoutant Allegri qu'elle était là, à portée
de cœur, ici et maintenant, non dans la durée,
mais dans l'intensité.
Chambardement dans la théologie
ordinaire.
Allez dire à la pâte humaine broyée de
malheur, que l'au-delà n'est pas pour après la
mort mais pour tout de suite, dans la
105
puissance d'une émotion, dans le sourire d'un
enfant, dans l'intensité d'une rencontre, dans
la force d'un amour !
Allez expliquer qu'une musique qui
vous transporte pour trois secondes dans un
ailleurs inconnu est comme un reflet de tous
ces moments fugitifs où le temps s'arrête, et
où l'éternel fait irruption dans la vie.
L’œuvre d'Allegri est de ces oeuvres
d'art qui semblent dotées d'un pouvoir
étrange, celui de dire comme ça, d'un bloc et
au premier contact, quelque chose qui est à la
fois de l'homme et de l'au-delà de l'homme,
c'est à dire plus que l'homme.
Je pense encore à " la création
d'Adam " de Michel Ange au plafond de la
Chapelle Sixtine. Pas tant pour ce Dieu barbu
entouré d'une myriade de chérubins, ni même
pour ce bel Adam nonchalamment allongé
sur notre vieille terre, mais pour le
mouvement de leurs mains qui en fait le trait
d'union. Il y a dans ces mains tout le mystère
de la naissance d'une relation vraie, peut-être
d'une histoire d'amour. Il y a ce qu'il faut
d'humain et ce qu'il faut de divin. Pas de
geste trop net ni de mouvement trop décisif,
mais la juste distance des deux index qui ne
se touchent pas encore, invitation légère,
mise en présence, intensité de ce qui se joue
106
là et qui restera gravé à jamais, immortel
instant.
Il se trouve que le " miserere " fut
chanté tous les ans depuis sa création pour la
Semaine Sainte, y compris durant les deux
siècles de secret, dans la Chapelle Sixtine...
Hasard sans doute, mais il me plaît de
songer que dans la Rome éternelle se
rencontrent une fois l'an depuis des siècles,
deux oeuvres humaines qui allument ici-bas
les lumières de l'infini.
107
108
Notes :
1. Eugen Drewermann, Dieu Immédiat, DDB p107.
2. Sœur Emmanuelle, Jésus tel que je le connais DDB-Flam. p94
3. Maurice Bellet, Sur l'autre Rive, DDB p.60
4. Maurice Bellet ? Incipit ou le commencement DDB p.8
5. Marie de Hennezel, La mort Intime, Robert Laffont p.17
6. Cité par Gwendoline Karczyk et Pierre Jean Labarrière dans :
Maître Eckhart ou l'empreinte du désert, Albin Michel p. 126
7. id p. 127
8. id p. 97
9. Cité par Maurice Bellet dans l'extase de la vie, DDB p. 159
10 André Conte Sponville, Petit traité des grandes vertus, P.U.F.
11. Id p. 353
12. id p. 357
13. Luc Ferry, l'homme Dieu ou le sens de la vie, Grasset
14. Maurice Bellet, L'épreuve.
15 Luc Ferry, l'homme Dieu ou le sens de la vie, Grasset p.247
16. Eugen Drewerman, Dieu Immédiat, DDB p.119
17. Jean-Paul Sartre, l'existentialisme est un humanisme, folio p.76
18. citée par Jean-Marie Pelt dans : Dieu de l'univers, Fayard p 161
19. M. Bellet, La voie, Seuil p.10
20. Marie Balmary, Le sacrifice interdit, Grasset p.203
21. Cité par Gwendoline Karczyk et Pierre Jean Labarrière dans :
Maître Eckhart ou l'empreinte du désert, Albin Michel p.18.
22. M. Bellet, l'Autre Rive, DDB p.61-23
23. Id p.62-63
24. M. Bellet, Le Lieu perdu, DDB p.160.
25. Marcel Légaut, méditation d'un chrétien du XXème siècle,
Aubier p. 267
25. Hubert Reeves, Joel de Rosnay, Yves Coppens, Dominique
Simonet, La plus belle histoire du monde, Seuil.
26. Marie Balmary, la divine origine, Grasset p.77-78
27 id sous titre de "la divine origine"
28 Luc Ferry, l'homme Dieu ou le sens de la vie, Grasset p.241
29 Christian Bobin, Une petite robe de fête, Folio p.55
30 Etty Hillesum, Une vie boulevesée, Seuil p. 58
31 Etty Hillesum, Ibid p.171
109
32 Luc Ferry, L'homme Dieu ou le sens de la vie, Grasset p.128
33 Primo Levi, Si c'est un homme, Presses Pocket
34 ibid p. 130
35 ibid
36 Maurice Bellet, La voie, Seuil p.75
37 Ibid p.76
38 François Varillon, L'humilité de Dieu, Centurion p.36.
39 San Do Kai : Maitre Sekito, dans : Paroles zen, Marc Smedt, Albin
Michel p.17
40 Emmanuel Levinas, Dieu, la mort et le temps, poche p.255
110
TABLE
Page
1ère partie : Partout et nulle part 7
- 1 Souche
- 2 La nuit
- 3 30 ans
9
13
17
2ème partie : Exploration
21
- 4 L'Auvergnat.
- 5 D...
- 6 Qu'est-ce qui reste ?
- 7 Chambardement 37
- 8 M...
- 9 Présence
- 10 Au risque de se perdre
- 11 L'ange et le sacré
- 12 Marie-Thérèse
- 13 Le Galiléen
23
29
33
3ème partie : Questions
71
- 14
- 15
- 16
- 17
- 18
Divine origine
Face à Face
Soir de printemps
Cruauté
S.
Epilogue
73
79
87
89
97
101
Eternité
103
111
47
51
53
55
59
63
Quand l'hiver a rempli le coeur,
Quand il ne reste plus rien, plus de désir,
plus de plaisir,
Quand l'ombre de la solitude s'allonge à
l'infini, comme au soleil couchant,
Quand le corps est dévasté par la maladie
qui ronge, un peu, chaque jour.
Quand le coeur n'en peut plus d'espérer
encore,
Quand la mort va frapper, dure,
implacable, irrémédiable,
Quand Dieu reste sourd aux appels du
désespoir, sourd et muet, pas de réponse,
personne au bout du fil, ça sonne, ça sonne,
jusqu'à ce qu'on raccroche,
Qu'est ce qui reste ?
Voilà la question.
On peut disserter à loisir sur le sens de la
vie, c'est sur ce mur infini de l'absurde que
viennent s'écraser les pensées bien
construites, ne laissant d'elles qu'un petit tas
de mots inutiles...
Ce livre est la rencontre
d'une question et d'une histoire.
La question me vient de
l'enfance, quand je tentais
vainement d'expliquer Dieu à mon
voisin de classe.
L'histoire est mon histoire,
traversée par la mort, au beau
milieu de la vie.
J.M.P.
112
Téléchargement