Isadora Duncan : Ma vie (1928) Hommage au Pianiste, Ethelbert Nevin Chapitre 4 Introduction Les autobiographies d'artistes fourmillent tout naturellement de rencontres importantes : écrivain, danseur, musicien, peintre. Ces rencontres sont souvent l'occasion d'un dialogue entre les conceptions artistiques dans des moments d'intense échange culturel. C'est le cas de l'entrevue que la danseuse Isadora Duncan raconte au chapitre4 de son livre Ma vie, avec le pianiste et compositeur américain Ethelbert Nevin. Inventrice de la danse moderne, Isadora est à l'écoute de toutes les formes artistiques contemporaines. Elle fit connaissance avec ce compositeur en écoutant d'abord sa musique. L'entrevue commence sur un mal entendue et une grande tension et Isadora parvient à désamorcer cette tension Question d'étude : Quel est la nature des relations entre ces deux artistes ? Réponse et plan. Cette entrevue est particulière parmi les entrevues d'artistes car elle repose sur un coup de théâtre qui bouleverse la nature des relations présente. Le texte s'ouvre sur une incompréhension née d'un malentendu puis évolue vers une communion enthousiaste. Nous allons suivre dans une étude linéaire méthodique ces deux moments opposés d'une première rencontre mouvementée I) Le malentendu initial 1) Les conditions pourtant favorable Tout semblée préparer une rencontre chaleureuse entre ces deux artistes. En effet Isadora proclame sans retenue son amour pour la musique de Nevin. Celui ci ayant entendu parler de cet enthousiasme aurait du se sentir flatte. Non seulement Isadora apprécie cette musique : " j'était à ce moment captive par cette musique " mais en outre elle s'en inspire pour créer des danses nouvelles, un signe d'hommage très fort ". Ces danses sont probablement des illustrations mimées de mythes antiques comme ceux de Narcisse, d'Ophélie (sœur d'Amelet de Shakespeare qui devient folle et se noie), les nymphes des eaux, trois balais sur le thème de l'eau sans doute pour la fluidité de la danse et sa part de rêve. Le climat installe par Isadora Duncan est donc un univers de rêverie, d'émotion et de poésie dans ce monde très harmonieux, l'entrée d'un jeune homme furieux crée un coup de théâtre. 2) Une entrée fracassante L'intérêt narratif majeur de cet épisode réside sans doute dans la surprise très dramatique causée par l'irruption d'un véritable forcené au milieu de la dance la plus délicate : " La porte s'ouvrit, et je vie entrer en coup de vent un jeune homme avec des yeux de fou et les cheveux dresses sur la tète."Isadora montre ici un art de l'exagération (caricature), pour exprimer l'intensité de sa surprise et le contraste absolu avec l'instant précédent. Une telle opposition peut paraitre comique, à moins qu'il ne s'agisse d'un fait vraiment sérieux. Isadora privilégie l'action et l'aspect visuel (l'hypotypose - faire vivre une scène). L'hystérie de la scène est indiquée par la violence des actions :"il se précipita vers moi en s'écriant". La colère de Nevin s'exprime enfin par de fortes exclamations, des répétitions et une violente modalité jussiée (modalité d'ordre ou la défense):"je vous l'interdis!".Même si Isadora préfère souligner l'action, elle glisse un commentaire anticipatif: «quoique il fût jeune, il semblait déjà atteint de la maladie qui devait l'emporter par la suite". Cette allusion tragique jette une ombre à l'ambiance plutôt comique de cette entrée spectaculaire. 3) Les raisons d'un malentendu La colère de Nevin provient d'un préjuge contre "la musique de danse". C'est à dire une musique légère, festive et sans signification profonde. Au contraire, son ambition rejoint celle des romantiques, composer une musique capable d'exprimer les rêves les plus secrets, les ambitions les plus élevées, l'amour le plus pure ou le sentiment de la religion (exemple: l'enchantement du Vendredi Saint dans Parsifal de Wagner). A l'oppose, la musique de danse évoque des salons élégants mais toujours avec la seule ambition de distraire par un air entrainant (valses de Strauss ou des polca ou des galops). La tache d'Isadora est donc complexe: elle doit non seulement détromper Nevin, mais encore changer totalement sa conception de la danse. C'est pourquoi elle évite les longs discours, les prend par la main et le fait asseoir en la rassurant d'une simple promesse: «si cela ne vous plait pas, je jure que je ne recommencerai plus jamais". 2) Une communion parfaite entre les artistes 1) L’épreuve d'Isadora Confrontée à une si vive opposition, Isadora doit faire ses preuves et pourrait redouter une œil sévère. Pourtant elle est confiante et se lance dans le premier balais : narcisse. Elle ne se contente pas "d'illustrer" la musique de Nevin, ou de raconter l'histoire légendaire de ce jeune homme amoureux de sa propre image, qui se noie dans une source et que les dieux font renaitre sous forme de fleurs (le narcisse). Son ambition va plus loin, elle veut recréer l'émotion qui a présidé a la conception du morceau; de fait, elle montre une finesse d'écoute et de compréhension lorsqu'elle déclare:"j'avais trouve dans la mélodie le rêve de ce jeune narcisse...". Elle évolue sur la pointe de l'émotion en passant du rêve au désespoir comme cette mort de "langueur"(mélange de désespoir et de découragement), tandis que la renaissance en fleur apporte une dernière note plus joyeuse. Par sa sensibilité et son génie de danseuse, Isadora passe brillamment l'épreuve déclenchant un enthousiasme très visible :"le dernière note s'était à peine éteinte qu'il se leva d'un bon, se précipita vers moi et m'embrassa". On remarque un parallélisme inverse entre les deux verbes "précipita" pour des raisons inversées. 3) La conversion "de Nevin" Isadora réussit bien plus qu'une simple épreuve de concours, elle parvient à séduire un esprit entièrement prévenu contre la danse telle qu'elle se pratiquait alors. On peut parler d'une sorte de miracle que traduisent les hyperboles de Nevin:"vous êtes un ange, vous êtes une divinatrice."L'enthousiasme s'exprime par ces métaphores très élevées, d'ordre religieux ou mystique. Nevin reconnaît lui même la parente de leur esprit, la correspondance secrète qui unit leurs deux âmes: «vos mouvements sont ceux que j'ai vus quand j'ai compose cette musique». La rencontre se prolonge alors par deux nouveaux balais avec un crescendo: «son extase était de plus en plus enthousiaste". L'épisode se conclut par un retournement ironique de la situation. En effet, Nevin compose une "danse" (le Printemps), genre musical qui vient justement de décrier, ce qui montre qu'il est entièrement acquis a cet art qu'il négligeait. 3) L’Epilogue Cette rencontre privilégiée débouche sur une collaboration temporaire: ils donnent "quelques concerte dans la petite salle de musique de Carnegie Hall». Le succès est au rendez-vous, mais ils sont encore trop jeunes pour savoir les secrets d'une carrière de star :"Si nous avions eu assez de sens pratique pour trouver alors un bon impresario, cette réussite aurait été le début d'une carrière brillante". Mais l'extrait se termine surtout sur un hommage appuie a ce compositeur trop oublie, fauche par une mort préface. Isadora l'appelle le Chopin de l'Amérique, et s'apitoie sur son existence très difficile et sur sa mort tragique: «les circonstances cruelles de sa vis furent probablement la cause de la terrible maladie qui devait amener sa mort prématurée. C'est donc une note tragique qui clôt un épisode sentimental où un certain comique le dispute à un enthousiasme communicatif. Conclusion La rencontre unique de ces deux artistes quoi exceptionnel conjugue l'incompréhension, a surprise théâtrale, la compassion et l'enthousiasme pour donner un récit aux tonalites complexe qui résonne comme un adieu et un hommage a ce compositeur mort dans la fleur de l'âge. Avec le recul, le destin de Narcisse et sa résurrection en fleur peu symbolise l'hommage que rend Isadora a ce jeune homme échevèle que l'on devine d'une certaine noblesse pour lequel elle souhaite cette renaissance. Le titre de la danse, le Printemps, improvise par Nevin peut lui aussi prendre une valeur symbolique du renouveau que Isadora Duncan apporte a l'art de la danse alors trop sclérosée dans son académisme figée. Ce passage illustre donc les nouvelles capacités expressives de la danse moderne qu'inaugure la jeune prêtresse de Terpsichore (la muse de la danse chez les grecs) : une danse qui invente sans cesse un nouveau langage gestuel et qui fais précéder l'émotion devant la technique des pas.