Le GN prépositionnel : le complément du nom L'étude du GN hétérogène prépositionnel peut être abordée de deux points de vue : • le plan de la structure formelle • le plan des rapports sémantiques entre le N centre et le déterminant prépositionnel 2.5.8.0. Au point de vue de la structure formelle superficielle, les groupes prépositionnels présentent des caractéristiques qui sont relatives aux aspects suivants : • le relateur prépositionnel introducteur du Dt Toutes les prépositions peuvent figurer dans un GN hétérogène, mais parmi ces prépositions il y en a deux qui se détachent par leur fréquence très élévée et la diversité des contextes où elles s'insèrent, de et à : L'amiral s'était installée dans son fauteuil de cuir pivotant... (J.J. Antier) Au loin, un bel indigène pêchait sur sa pirogue à balancier. (Ibid.) ...la nature des sédiments, leur teneur en matière organique... (Nouvelles de France) Les carreaux sur le sol étaient d'un gris uniforme. (Robbe-Grillet) La lutte contre la pollution des eaux Dans les groupes prépositionnels, le seul relateur qui admet la postposition par rapport au Dt est de : Ce qu'ils doivent maudire leur gaffeur de beau-frère. (Simenon) Son mauvais sujet de fils (Simenon) 125 • la cohésion du GN prépositionnel La cohésion des GN prépositionnels peut varier entre le mot composé et le groupement libre. Les unités de forte cohésion présentent presque toujours la préposition de : pilote d'essai, état d'alerte, piste d'envol, une boîte de nuit, etc. Les groupes constitués a l'aide d'une préposition autre que de se laissent dissocier par un Dt introduit par de : une chemise en soie pure/une chemise de nuit en soie pure. Par contre, une épithète présente un degré de cohésion plus élevé que le Dt prépositionnel et peut s'infiltrer entre le centre et ce Dt: ... Brice le vit poser la main, dans l'accoudoir, sur la goupille rouge de sûreté... (J.J. Antier) Certains cas sont douteux au point de vue du degré de cohésion qui les caractérisent : chemise de nuit rose ou chemise rose de nuit. Dans cette situation il faut faire appel à des relevés statistiques ou à la réaction des usagers (B. POTTIER, 1964). Il existe des groupes dans lesquels l'adjectif inséré se place de préférence à la fin de la séquence : gaz de pétrole liquéfié, fauteuil de cuir pivotant, etc. Plusieurs critères ont été proposés pour identifier les suites complexes obtenues par le procédé de la dérivation syntagmatique (L. GUILBERT, 1970). La synapsie ou l'unité synaptique est définie comme une suite qui forme une désignation constante et spécifique (E. BENVENISTE, 1974 : 172-173). Les traits caractéristiques de la synapsie sont les suivants : a) la synapsie est une unité syntaxique b) les membres sont liés par une préposition, le plus souvent à ou de : pied de table, machine à laver c) l'ordre des déterminants est fixe, le dt est postposé : fil de fer d) les éléments gardent leur forme lexicale pleine et leur sens: blague à tabac e) le déterminant ne reçoit pas l'article : une robe de mariée f) les constituants peuvent être qualifiés : grande bête à cornes, bête à grandes cornes. Ce procédé prend aujourd'hui une extension considérable et il constitue la formation de base dans les langues de spécialité ; il suffit 126 pour se rendre compte de la grande productivité de la dérivation syntagmatique de citer les formations suivantes : tableau de bord, radar de veille, avion à réaction, navire en projet, essai sur modèle à échelle réduite, etc. 2.5.8.1. Sur le plan des relations sémantiques qui s'établissent entre les divers constituants du GN prépositionnel, il faut faire remarquer que ces déterminants se répartissent en deux grandes classes suivant qu'ils expriment une qualité inhérente au nom centre ou une qualité attribuée. Le Dt (introduit dans la plupart des cas par la préposition de peut être un équivalent d'un adjectif épithète dérivé. „Ces déter-minants constituent de véritables locutions adjectives (de pierre, en pierre, de bois, en marbre) qui devront figurer dans les grammaires après les adjectifs. C'est dans l'emploi de ces syntagmes que se manifeste la tendance de la langue française vers l'analytisme. Cette tendance s'explique par l'impossibilité où se trouve le français de dériver des adjectifs de relation à partir d'un mot de base nominal. La solution habituelle est de recourir au Dt introduit par de: un dévouement de soeur, une légèreté d'oiseau, un argument de poids, un coeur de pierre, un soleil de plomb, etc. Dans certains cas, on constate l'existence parallèle des deux unités, l'adjectif dérivé et le Dt prépositionnel. Le parallélisme n'est pas toujours pertinent du point de vue sémantique : L'industrie lainière = L'industrie de la laine L'industrie cotonnière = L'industrie du coton Lilas fleuri = Lilas en fleurs Parfois, il y a opposition de sens entre l'adjectif dérivé et le Dt nominal prépositionnel : Un visage bronzé „hâlé, bruni”/Un visage de bronze „impénétrable” Une étoffe soyeuse „qui a l'apparence de la soie”/Une étoffe de soie (matière) Un tissu laineux „qui a l'apparence de la laine”/Un tissu 127 de laine (matière) Dans la plupart des cas, l'opposition de sens entre l'adjectif dérivé et le Dt prépositionnel ayant la même base se manifeste dans une distribution différente d'après les traits inhérents du nom sélecté : Officier de port/Installation portuaire Une cuiller d’argent/Une voix argentine, un son argentin Un vase d'argile/Un terrain argileux Un socle de pierre/Le lit pierreux d'un ruisseau Le langage de la presse connaît à l'heure actuelle une tendance très accentuée à remplacer le tour prépositionnel par l'adjectif dérivé correspondant, surtout s'il s'agit d'un complément subjectif. Cette substitution a donné naissance à des critiques qui n'ont pourtant pas réussi à empêcher l'extension du tour. Au chapitre des adjectifs, il faut encore signaler le procédé, d’adjectivation, qui consiste à remplacer un complément de nom par une épithète. Ainsi, au lieu de dire l'industrie du sucre, la récolte du vin, ou les livraisons de charbon, on parle aujourd'hui d’industrie sucrière, de récolte vinière, de livraisons charbonnières. Les déterminants nominaux prépositionnels peuvent fournir une information de nature dimensionnelle ou notionnelle. Parmi les principales déterminations qui sont réalisées au moyen d'un Dt prépositionnel on peut mentionner : • la détermination quantitative En dehors des noms de quantité qui fonctionnent comme des nombrants sans Pd (nombre de, quantité de, etc.), il existe en français des substantifs qui servent à indiquer la quantité comparative ou absolue du déterminant introduit par la préposition de : une (des) quantité(s), une (la) multitude, un grand (bon) nombre, une foule, un peu, la totalité, des milliers, une dizaine, etc. : Des milliers d'objets ont été découverts, abandonnés au fond de greniers. La foule des voyageurs s'écoulait avec beaucoup de lenteur. (Robbe-Grillet) En bas, dans le vallon encaissé, une trentaine de combattants. 128 (Le Nouvel Observateur) Ces groupes nominaux de détermination quantitative peuvent renfermer un collectif métaphorisé de grande ou de petite quantité : une foule (de questions), une (la) masse (de(s)documents), une légion (de cousins), une nuée (d'admirateurs), une kyrielle (de reproches), une ribambelle (d'enfants), une flopée (d'enfants) (fam.), une tapée (d'enfants), des tapées (d'ennuis) (fam.), une volée (de souvenirs), une goutte (de cognac), une larme (de vin), une pincée (de sel, de poivre), une bouchée (de pain), un brin (de chaleur) (fam), un nuage (de lait), un grain, une once, un atome de bon sens, etc. Il existe ensuite des noms collectifs qui opèrent comme des classificateurs quantitatifs et dont le choix dépend du thème du nominal déterminant : un bouquet de fleurs, d'arbres, une touffe de rhododendrons, un régime de bananes, une volée d'hirondelles, une meute de chiens, un troupeau de vaches, d'oies, etc. Certains classificateurs quantitatifs se combinent avec un nom au singulier pour isoler un exemplaire de la collectivité : une gousse d'ail, un pied de salade, etc. Ils peuvent se combiner, en fonction du thème lexical du Dt, avec un nom [-Dénombrable], au singulier pour montrer soit une quantité indéterminée : une poignée de sable, une bouchée de pain, une gorgée de café, etc., soit la forme déterminée : un pain de sucre. • la détermination qualitative Certains nominaux ont pour fonction essentielle de classifier les objets qui occupent en surface la place du Dt : une espèce de, une sorte de, un type de, etc. : Le „Franklin” naviguait dans une sorte d'écume fumante... (J.J. Antier) Il écoutait son chuchotement avec une espèce de ravissement torturé. (Boileau-Narcejac) • la détermination spatiale Le locatif adnominal est le résutat de l'omission en surface d'un verbe copule. Ce genre de détermination exprime toutes les nuances d'une localisation. La cuisine et la chambre de devant (...) recevaient le soleil 129 du matin. (Robbe-Grillet) ...La Haute Ville et ses maisons en surplomb... (Nouvelles de France) Le locatif adnominal est introduit, surtout dans les déterminations situatives, par la préposition de, mais cette préposition peut être omise en présence d'une autre préposition plus lexicalisée : ...le jardinet devant la mairie... (Robbe-Grillet) Les autres locatifs adnominaux, qui ne représentent pas la réduction en surface d'un verbe d'état ou de positionnement, déterminent des substantifs qui résultent d'une nominalisation : le départ de Paris, le départ pour Paris, l'arrivée à Paris, une promenade dans Paris, etc. • l'association Parmi les structures associatives adnominales il convient de citer en tout premier lieu les possessifs adnominaux. Ma main caresait les cheveux d'Hélène. (Beauvoir) ...j'ai ma petite idée à moi... La même préposition apparaît dans des structures figées : un fils à papa, la vigne à mon oncle, un homme à femmes, etc. La préposition à figure aussi comme introducteur d'un Dt qui exprime un trait caractéristique : C'était un vieil Espagnol, au visage dur et raviné. (Camus) Dans le Dt adnominal introduit par la préposition avec l'association est présentée comme accidentelle : Des femmes avec des bébés dans les bras... • la détermination instrumentale Il y a également rapport associatif dans les structures qui indiquent un déterminant instrumental : un coup de téléphone, un combat à l'arme blanche, un fourneau à essence, un avion à reaction, etc. • la matière 130 Le déterminant qui indique la matière est introduit par l'une des prépositions de ou en, qui ne sont substituables que dans certains contextes (I. TAMBA, 1983) : Un manteau de/en laine Après un verbe d'état on se sert de la préposition en : Un manteau qui est en laine Au figuré, on emploie toujours la préposition de : Un manteau de neige Un homme de marbre Une voix d'or • le contenu Ce Dt est introduit par la préposition de dans les groupes où le nominal a le trait [+ concret] : Il attendait devant son verre d'orangeade... (Le Clézio) • la thème dont on parle Ce Dt accompagne un nom qui résulte d'une nominalisation : Un débat sur l'éducation • des rapports de cause à effet : - la cause : des larmes de joie, une faute par étourderie, etc. - le but : la course aux armements, la chasse à l'or, etc. - la fonction : une pompe d'alimentation, etc. • l'objet ou le sujet de l'action Ces déterminants sont régis par des noms qui proviennent d'une transformation de nominalisation : - sujet : l'arrivée du bateau - objet : la vente des livres Certains groupes sont ambigus, car ils admettent les deux interprétations : - la pensée de Jeanne = „je pense à Jeanne”/„Jeanne pense” - l'invitation du professeur : „qqn invite le professeur”/„le professeur invite”