Prolégomènes

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Prolégomènes
BOUDDHA ET LE CHRIST
Le phénomène des affinités entre Chrétiens et Bouddhistes a intrigué les Occidentaux
du seizième siècle, à l’ère des explorations et de l’expansion. Les Missionnaires
européens qui ont visité l’Asie étaient troublés par des similitudes qu’ils avaient
découvertes entre la Christianisme et le Bouddhisme. Ils trouvèrent des
ressemblances frappantes entre les récits de la vie de Gautama Bouddha et celle de
Jésus Christ, entre les enseignements de ces Maîtres, entre la doctrines du
Christianisme et celle du Bouddhisme, et entre les pratiques de ces deux doctrines.
Au dix-neuvième siècle, avec l’avènement de la « Haute Critique », les savants
Chrétiens commencèrent à étudier scientifiquement d’autres religions et à spéculer
audacieusement sur la relation génétique entre les doctrines religieuses et les
pratiques. La thèse selon laquelle le Christianisme a pu subir l’influence d’autres
sources telles que les sources grecque et indienne, à côté de la Bible hébraïque, est
devenue académiquement respectable bien qu’intenable sous forme d’apologie.
Aujourd’hui non seulement des savants Chrétiens mais aussi des prédicateurs
fondamentalistes Chrétiens admettent sans trop de réticence que le Christianisme
primitif a été influencé par les idéologies helléniques comme le Néoplatonisme. Mais
ils répugnent trop d’en parler, à plus forte raison d’admettre la dette du Christianisme
envers les religions Orientales comme l’Hindouisme et le Bouddhisme.
La première rupture dans cette position critique retranchée arriva avec la théorie
téméraire exposée par le philosophe allemand Arthur Schopenhauer (1788-1860).
Il arguait non sans passion que Jésus avait subi l’influence de Bouddha. Selon lui,
Jésus tirait son enseignement des prêtres Égyptiens qui avaient subi l’influence des
Indiens. Après avoir comparé la Bible Chrétienne avec les Écritures Bouddhistes, il
en tira la conclusion que les enseignements éthiques de Jésus et la notion chrétienne
de l’incarnation sont d’origine Indienne. Schopenhauer écrit :
Le Nouveau Testament… doit être en quelque sorte rattaché à la source Indienne :
son système éthique, sa vision ascétique de la moralité, son pessimisme, et ses
Avatars, sont tous entièrement Indiens . C’est sa moralité qui le situe dans une
position d’antagonisme tellement fort et essentiel par rapport à l’Ancien Testament,
que l’histoire de la Chute reste le seul point possible de liaison entre les deux.
Depuis quand la doctrine Indienne a été importée dans la Terre Promise, deux choses
très différentes doivent être combinées : d’une part la prise de conscience de la
corruption et de la misère du monde, son besoins de délivrance et de salut à travers
un Avatar, ajoutés à une moralité basée sur le reniement de soi et le repentir ; d’autre
part la doctrine Juive du Monothéisme, avec son corollaire prétendant que « toutes
les choses sont très bonnes.(= que tout est parfait) »…Et la tâche réussie autant que
faire se peut, autant que cela est, que cela était possible de combiner deux croyances
tellement hétérogènes et antagoniques … La foi chrétienne [est]….surgie de la
sagesse de l’Inde1.
Plus tard des savants prirent au sérieux le défi de la relation Chrétien - Bouddhiste.
Le Sanscritiste, Emile Burnouf, argumenta en faveur de l’influence de la religion
Védique sur la montée du Christianisme. Le savant Hollandais, Ernst de Bunsen2 ,
était un autre partisan de la position prônant l’influence Bouddhiste sur le Nouveau
Testament ; sa thèse disait que des Juifs étrangers introduisirent en Israël et au milieu
des Esséniens le concept de l’Ange Messie issu du Bouddhisme. Il réalisa une
1
2
Arthur Schopenhauer, The Essential Schopenhauer (London, 1962),24).
Ernst de Bunsen, The Angel-Messiah of Buddhists, Essenes , and Christians (London, 1880).
tentative élaborée pour remonter à la trace presque chaque dogme du Christianisme
jusqu’à une source Bouddhiste.
En 1882 Rudolf Seydel argumenta en faveur de l’influence Bouddhiste dans le
Nouveau Testament à partir de Lalitavistara, spécialement dans les débuts de
l’Évangile3. Seydel croyait qu’il pouvait établir une source littéraire Bouddhiste pour
les évangiles à partir de cinquante-et-un parallèles, pour cela il fut glorifié par ses
admirateurs et condamné par ses détracteurs.
Malheureusement il essaya d’en prouver plus que l’évidence n’était capable de
supporter.
Un autre théologien Hollandais, G.A.van den Bergh van Eysinga, prit le côté de
l’influence Bouddhiste, comme Seydel, mais fixa pour son cas la base de six
parallèles seulement d’où il proclamait que le moyen d’influence était plutôt oral
qu’écrit, à la fois pour les évangiles canoniques et non canoniques. 4 Otto Pfeiderer
était d’accord que l’évangile de Luc à ses débuts, devait avoir été influencée par les
légendes Bouddhistes puisque le Bouddhisme était l’une des religions synthétisées
dans le Christianisme primitif.5
Arthur Lillie, pendant qu’il était fonctionnaire en Inde, fut fasciné par les religions
Indiennes et écrivit deux livres sur les rapports entre le Bouddhisme et le
Christianisme primitif ;6 Lillie était si convaincu par les parallèles de la conception
virginale par Marie et Maya, l’annonciation par les anges, l’Étoile du Levant, l’arbre
qui s’incline pour aider la mère, et le vieux sage qui prédit l’avenir de l’enfant qu’il
soutint que le Christianisme primitif a été lourdement influencé par le Bouddhisme.
Dans le premier décade de ce siècle, les savants Américains Albert J. Edmunds
publièrent son ouvrage en deux volumes en religion comparée, dans lequel il réunit
un grand nombre de parallèles issus des Écritures Bouddhistes et du Nouveau
Testament avec l’intention d’encourager une mutuelle compréhension entre les deux
religions, après avoir affirmé à plusieurs reprises que le problème de l’emprunt
n’était que accessoire. Il écrivit :
Je crois personnellement que le Bouddhisme et le Christianisme, qu’ils
soient reliés historiquement ou non, sont les deux parties d’un grand
mouvement spirituel – une première partie, soulèvement cosmique de
l’esprit humain, qui a enfoncé un cratère en Inde cinq cents ans avant Jésus
Christ et une deuxième partie, la plus grande, en Palestine à l’Avènement
du Christ. Si la lave qui a éjecté les deux une fois dans le passé ou non fut
d’une courte durée : elle provient d’une même fournaise. Et maintenant, sur
toute la planète, les deux se sont assurément rencontrées, et la forme que
prendra la religion dans le futur repose largement entre leurs mains. 7
Les recherches successives d’Edmunds le convainquirent progressivement que les
parallèles Bouddhiste - Chrétien étaient plus qu’un coïncidence. Dans ses derniers
articles il fit cas de l’influence du Bouddhisme sur le Christianisme dans plusieurs
passages du récit primitif de Luc, dans la parabole du Bon Larron, dans l’histoire de
la tentation de Jésus ainsi que dans Jean 7 :38 et Jean 12 :34 (II :97). Edmunds
suggéra dans son étude : « Mon attitude générale envers le problème Bouddhiste –
3
Rudolf Seydel, Das Evangelium von Jesu in seinen Verhältnissen zu Budddha (Leipzig, 1882).
Van den Berg van Eysinga, Indische Einflüsse auf evangelische Erzählungen (Göttingen, 1909).
5
Otto Pfeiderer, Das Christusbild des urchristlichen Glaubens in religionsgeschichtlicher Bedeuchtung (Berlin, 1903).
6
Arthur Lillie, Bouddhism in Christianity (London, 1887) and India in Primitive Christianity (London, 1909).
7
Albert J. Edmunds, Buddhist and Christian Gospels Now First Compared from the Originalls (Philadelphia, 1902).
4
Chrétien est la suivante : Chaque religion est indépendante pour l’essentiel, mais la
plus jeune s’est élevée dans un tel foyer d’éclectisme qu’elle a probablement
emprunté quelques légendes et idées à la plus ancienne, qui lui était tout à fait
accessible »8
Ernst Windisch, qui publia un brillant ouvrage analytique, Mara und Buddha9,
suggéra pour commencer la possibilité d’une influence lointaine, mais par la suite,
dans le chapitre sur la «Science Comparative» de son livre sur la naissance de
Bouddha10, en dépit du fait qu’il attire l’attention sur les similitudes dans la forme
littéraire des anciennes traditions Bouddhiste et Chrétienne, il changea quelque peu
sa position : « Nous ne devrions pas laisser les parallélismes entre Bouddhisme et
Christianisme nous échapper, mais le mot ‘parallèles’ doit être compris dans son
sens propre, comme des lignes qui ne se touchent ni ne s’entrecroisent ».11
Dans ses premiers écrits Richard Garbe refusa d’admettre les influences
Bouddhistes dans les Évangiles Chrétiennes purement en matière d’érudition. Mais
dans son œuvre majeure, Indien und das Christentum (1914), il renversa sa première
position et admit la forte possibilité de l’influence Bouddhiste dans plusieurs
passages du Nouveau Testament et dans les évangiles apocryphes. Il écrit :
[…] Je crois maintenant qu’une conclusion quelque peu différente doit être tirée à
partir de cette dissemblance dans la position des livres canoniques et apocryphes et
j’aimerais la formuler de la manière suivante : Attendu qu’une influence Bouddhiste
directe est une évidence dans les évangiles apocryphes, seules des lueurs d’un reflet
indirect à travers des écrits canoniques, ensuite simplement dans quelques récits
d’origine bouddhiste ayant toutefois perdu leur caractère spécifiquement bouddhiste
en se transmettant de bouche à bouche en dehors du domaine de l’expansion
bouddhiste pour finalement se laisser assimiler au génie du Christianisme. De toute
évidence nous ne pouvons pas nous attendre à un accord dans chaque cas particulier,
bien que beaucoup de savants en fassent une condition pour l’acceptation d’une
liaison externe entre les récits. Il est également vrai… que nous considérons les
différentes phases du Bouddhisme, une phase ancienne pour le canonique et une
phase récente pour les évangiles apocryphes. Dans cette perspective je m’approche
plus étroitement du point de vue de Van den Bergh et Edmunds.12
Des opposants se sont empressés de faire remarquer que les écrivains comme Seydel
et Lillie n’étaient pas des savants, étaient peu scientifiques et peu historiques dans
leur méthodologie puisqu’ils prêtèrent peu d’attention aux dates, aux courants de la
pensée, de la géographie, et de la critique textuelle. Un critique, E. Washburn
Hopkins, dans son ‘Christ in India’13, après avoir entièrement réalisé des
investigations sur le problème des parallèles, en conclut finalement que le
Christianisme avait plutôt influencé les Épopées Indiennes et les Religions Indiennes.
Un deuxième savant, le Catholique Louis de la Vallée-Poussin, un brillant
sanscritiste rejeta la position de Edmunds et renia toute sorte d’influence Bouddhiste
sur les évangiles canoniques 14 et rejeta plus tard dans un article l’évidence de
l’influence Indienne dans les évangiles apocryphes, dans les légendes Catholiques
8
Cité par Richard Garbe, India and Christendom (La Salle, 1959), 19.
Ernst Windisch, Mara und Buddha (Leipzig, 1895).
10
Windisch, Buddhas Geburt und die Lehre von der Seelenwanderung (Leipzig, 1908).
11
See Garbe, 19.
12
Garbe, 21-22.
13
Washburn Hopkins, India Old and New (New York, 1901).
14
« Le Buddhisme et les Evangiles canoniques », Révue Biblique, 15 (1906) :353-381.
9
des saints, ainsi que dans le culte Chrétien.15 Ce qui est remarquable à propos de la
position de la Vallée-Poussin, c’est qu’il donne une réponse théologique à un
problème littéraire en déclarant que les similitudes entre la Bible Chrétienne et les
écritures Bouddhistes sont le résultat naturel de l’harmonie divine préétablie entre la
révélation et la raison, dont la source ultime est le même Dieu. Il écrit :
En fait, nous ne trouvons rien de Bouddhiste ou de Bouddhiste semblable à la
tradition Chrétienne. Les parallèles sur lesquelles Seydel, van Eysinga, ou Edmunds
ont tant travaillé – perdant tout autocontrôle sur le point de la foi à accorder à la
traduction actuelle des textes Bouddhistes Pali dans St. Luc – sont intéressantes,
mais elles ne révèlent pas la présence actuelle de façon spécifique d’un quelconque
thème bouddhiste. En jetant un regard sur la question de l’influence du
Christianisme sur l’Inde Antique et sur le Bouddhisme, je pense que ceci n’est pas
probable. La chronologie interdit l’hypothèse d’une influence sur le Bouddhisme
Antique (Hinayana). Mais les relations dogmatiques entre certains aspects du
Mahayana et le Christianisme méritent certainement d’être remarquées, et
démontrent ‘l’harmonie préétablie’ entre la Révélation et les besoins humains ; elles
peuvent et, c’est là mon opinion, elles doivent être expliquées par la théorie
d’évolutions autonomes.16
De La Vallée Poussin n’a pas tout à fait tort. En effet, pour bon nombre de
ressemblances entre les religions, des causes autres que l’emprunt peuvent être
transférées. Comme le montre S. Radhakrishnan,
Si la religion est le résultat naturel de l’esprit humain, ce serait étrange si nous
n’avions pas trouvé des coïncidences. Le modèle le plus élevé du sacrifice de soi
exalté dans les deux cas peut être considéré comme un point commun à tous les pays
et à tous les âges. Les espoirs et les craintes des hommes, leurs désirs et aspirations,
sont les mêmes sur les bords du Gange que sur les rivages du Lac de Galilée. Si les
mêmes exemples et modes d’illustration ont été employés, cela peut être dû au fait
que les deux cas appartiennent à une société agraire. Possible que certains
événements, récits et dictons étaient des contes communs d’un folklore universel. Si
dans les deux cas on a enseigné sous forme de paraboles, c’est parce que c’est la
forme la plus facile pour transmettre l’enseignement à de simples gens. 17
Cependant, comme Radhakrishnan continue, « il n’est pas facile de rendre compte de
l’illustration de deux carrières avec les mêmes légendes et ornements. Ils ne peuvent
pas être tracées par une évolution naturelle. »18 Selon lui, la raison réelle qui pousse
les érudits occidentaux à faire appel à l’évolution naturelle pour expliquer les
similitudes trouvées entre Christ et Bouddha est que « ceux qui sont formés dans la
culture européenne, trouvent ennuyeuse, si pas offensant, d’admettre la dette de la
religion Chrétienne envers les sources non chrétiennes, spécialement Hindoues et
Bouddhistes. »19 Et ils sont tentés, comme Max Müller le montre, de supposer ce fait
que les récits Bouddhistes furent empruntés à nos sources chrétiennes et pas
l’inverse. Mais ici intervient la conscience du savant. Certains de ces récits ont été
trouvés dans le canon du Hinayana Bouddhiste ainsi que la date, par conséquent,
antérieurs à l’ère Chrétienne. »20
Il est vrai que les érudits Protestants libéraux ont joui et exercé de plus de liberté de
pensée et d’expression que les écrivains Catholiques dans leurs discussions à propos
de l’influence du Bouddhisme sur le Christianisme. Le fait est que, les savants
Catholiques furent moins audacieux et assez inhibés. Ils furent effrayés par la
15
RSPT, 6(1912) : 595-97.
« Bouddhism », in E. C. Messenger, ed., Studies in Comparative Religion (London, n.d.), I : 29-30.
17
India and Western Religious Thought (Oxford, 1940), 184-85.
18
Radhakrishnan, 185.
19
Ibid.
20
Last Essays, 1 st series (London, 1901), 289.
16
censure et la persécution. Aussi avaient-ils tendance se montrer circonspects et
prudents avec une attitude sceptique, indécise et ambiguë à l’égard d’une solution de
l’influence du Bouddhisme sur le Christianisme. Un exemple frappant de ce
phénomène est fourni par l’éminent historien et théologien Catholique Henri de
Lubac, qui a été réprimandé, réduit au silence, et censuré par le Vatican. La peur des
autorités l’a conduit à faire l’exposé excessivement circonspect suivant dans son
étude comparative de trois corps de Bouddha et la vision d’Origène sur le corps de
Jésus : voir note 25 21
Cependant après Vatican II, les érudits Catholiques devinrent plus ouverts à l’idée
des influences des études orientales sur leur religion, comme le montrent la vie et les
écrits de Thomas Merton. Pourtant, la réticence et la peur d’offenser les autorités au
Vatican semble caractériser la pensée catholique à la sortie, et le meilleur exemple
est donné par les paroles de J. Edgar Bruns qui a publié deux livres à propos de
l’influence du Bouddhisme sur l’Évangile de Saint Jean.22 Bien qu’auparavant il
avait proposé que la Christologie et la théologie de Jean étaient Bouddhistes
(Mahayana) parce que le Bouddhiste maintient que la toute connaissance de Bouddha
provient de la perfection de la Sagesse, à la fin il écrit : « Je suggère simplement, une
fois de plus, que certain mystère qui entoure l’évangile et sa communauté on puisse
peut-être le chercher dans son (hypothétique) contact avec l’enseignement et la
tradition de cette autre grande religion missionnaire au delà de l’Orient mais non
étrangère à la société hétérogène de l’Occident Hellénique »23
La suggestion de Radhakrishnan que les concepts et les enseignements Bouddhistes
peuvent avoir infiltré le cercle des évangélistes, qui se trompa à leur sujet concernant
les paroles de Jésus, a été développé par Roy C. Amore.24 Amore argumente en tant
qu’historien de religion que la source Q utilisée dans les évangiles synoptiques
pourrait très bien être une œuvre Bouddhiste. Il écrit :
Les passages Bouddhistes sont entrés dans la tradition du Nouveau Testament avec
la source Q. Cette approche a été suggérée par le fait que presque la totalité de la
version de Luc concernant le Sermon sur la Montagne, une partie de Q comporte des
Bouddhistes semblables. En outre, plusieurs autres des passages semblables…
proviennent de la source Q. Considérons si Q est en partie une source Bouddhiste –
et en partie ‘Q est B.’25
Pour conclure le chapitre de son livre Amore suggère l’hypothèse que « Jésus a
puisé aussi bien chez les Bouddhistes que chez les Juifs les concepts et les images
pour présenter son propre enseignement, lequel n’était identique ni à la tradition du
Judaïsme ni à celle du bouddhisme. Par ce moyen l’idéal Bouddhiste de la non
violence, le concept des trésors dans le ciel, la quête pour la pureté de l’âme, et
d’autres enseignements bouddhistes entrèrent dans la tradition Chrétienne. »26
Laissez-moi donner quelques illustrations tentantes de ce dernier point. Prenez par
exemple les paroles de Jésus : « Si l’on ne vous accueille pas et si l’on n’écoute pas
vos paroles, en quittant cette maison ou cette ville, secouez la poussière de vos pieds.
En vérité, je vous le déclare : au jour du jugement, le pays de Sodome et Gomorrhe
sera traité avec moins de rigueur que cette ville. » (Matthieu 10 : 14-15). La chose
Textes Alexandrines et Bouddhiques, ‘Recherches de Science Religieuse 27 (1937) : 337-338
(voir texte français, note 25)
22
The Art and Thought of John (New York, 1969), The Chrisstian Buddhism of St. John (New York, 1971.
23
« Ananda : The fourth evangelist’s model for ‘disciple whom Jesus loved’ ? » Studies in Religion / Sciences
Religieuses 3 (1973), 240.
24
Two Masters : One Message (Abingdon, 1978).
25
Amore, 138-139.
26
Amore, 185.
21
embarrassante dans ce passage est que le deuxième verset va contre de l’esprit de
miséricorde de Jésus. Si Jésus a prononcé le premier verset, Matthieu a donné son
interprétation dans le verset suivant en déstructurant les paroles de Jésus. Matthieu
10 : 14 donne un meilleur sens s’il est interprété contre les paroles de Bouddha, sous
la supposition que l’évangéliste était un familier de la tradition Bouddhiste : « La
poussière aux pieds des hommes de bien est meilleure qu’une montagne d’or. La
poussière diminue la tristesse ; la montagne d’or l’augmente » - trouvé dans le récit
Surupa Jataka. Le texte Bouddhiste implique que le ministère de Bouddha et ses
disciples procurent du bien à l’humanité même s’ils ne fournissent pas de l’argent
aux pauvres. Dans le même sens les disciples de Jésus pourraient travailler au milieu
des gens qui apparemment ne sont pas accueillants envers leurs enseignants et qu’ils
ne peuvent pas nourrir avec de la nourriture par la multiplication des pains. Ainsi la
véritable intention de Jésus dans Matthieu 10 : 14 signifierait que les disciples
pourraient œuvrer même au milieu des gens qui ne les recevraient pas à bras ouverts.
Une telle interprétation rendrait justice à l’enseignement très acclamé de Jésus :
« Aimez vos ennemis. » De même, la béatitude « Heureux les cœurs purs ou plutôt les
pauvres de cœur, car ils verront Dieu », (Mt. 5 : 8) est mieux comprise dans le
concept Hindou bouddhiste du yoga de la méditation concentration, lequel conduit à
la gnose intellectuelle ou à l’expérience mystique de Dieu. Ou prend ce passage
extrait des sermons d’Asvaghosha :
Venez, maintenant je vais utiliser une comparaison pour illustrer cet argument. C’est
comme un grain de maïs ; lorsque toutes les circonstances concomitantes sont
réunies en relation convenable, alors la graine est produite ; mais en vérité ce n’est
pas ce grain qui produit la graine, puisque le grain meurt (dans la terre) ; la nouvelle
graine pousse et grandit, mais l’ancien grain périt ; à cause de sa mort la graine vit,
les deux ne peuvent pas se séparer. Ainsi parle Bouddha avec respect à un futur
membre.27
C’est à la lumière de ce passage, ai-je soutenu, que l’on devrait comprendre et
expliquer Jean 12 : 23-25 :
Elle est venue, l’heure où le Fils de l’Homme doit être glorifié. En vérité, en vérité,
je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au
contraire il meurt, il porte du fruit en abondance. Celui qui aime sa vie la perd, et
celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
Le passage suivant extrait d’Asvaghosha est tout aussi fascinant :
« N’avez-vous pas assez entendu ce que Thathagata dit dans le Sutra (Où il
commande ses compagnons) de ne pas mépriser le petit enfant appelé ‘Snake-fire’
(Serpent -de-feu) ? Ainsi l’on ne devrait pas non plus mépriser le jeune Shamis »28
Certainement, Luc 18 : 15-17 suivant nous rappelle Asvaghosha :
Des gens lui amenaient même les bébés pour qu’il les touche. Voyant cela, les
disciples les rabrouaient. Mais Jésus fit venir à lui les bébés en disant : « Laissez les
enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui
sont comme eux.29
27
Samuel Beal, Buddhist Literature in China (New York, 1884), 119 ; cited by Sterling Berry, 227.
Beal, 228.
29
Ibid.
28
Edward Conze se réfère à une intéressante ressemblance verbale trouvée dans la
Révélation de Jean (deuxième siècle après Jésus-Christ) et le texte Bouddhiste la
Perfection de la Sagesse (Prajnaparamita)(datant du premier siècle avant JésusChrist) Conze écrit :
La Révélation (5 : 1) se réfère à un livre « strictement scellé » au moyen de sept sceaux, et de même
le texte la Perfection de la Sagesse est appelé un livre « scellé au moyen de sept sceaux. » Il est
présenté à un Bodhisattva par le nom « Toujours Pleurant » (Sadaprarudita) et St. Jean « pleure
amèrement » (5 : 4) parce qu’il ne voit personne digne d’ouvrir le livre et de briser ses sceaux. Ce
qui ne peut être fait que par l’Agneau seul, égorgé en sacrifice (5 : 9). Dans le même sens, les chap.
30 et 31 du livre le Mahayana décrit en détail comment le Toujours Pleurant s’est égorgé lui-même
en sacrifice, et comment par là il est devenu digne de la Perfection de la Sagesse.30
Il existe beaucoup de passages de ce genre dans le Nouveau Testament qui ont besoin d’être
interprétés dans leur (sens) ‘original’ – je réalise, évidemment, que le (sens) original est un terme
trompeur dans la critique historiciste moderne – ou plutôt dans le contexte Oriental.
A ce propos le commentaire de Samuel Beal concernant les sermons d’Asvaghosha est intéressant.
Il écrit :
Tout à fait, ayant traduit le Bouddhacharita intégralement, et aussi en plus grande partie les sermons
de l’Asvaghoshha, je suis impressionné par la conviction que l’enseignement Chrétien avait atteint ses
oreilles à l’époque où Asvaghosha était en Parthes, ou en tout cas en Bactrie ( aux environs de 70
après Jésus Christ), et qu’il était influencé par lui jusqu’à introduire dans le Bouddhisme les
changements que nous trouvons en train de commencer à prendre forme durant cette période. La
doctrine du salut universel, et celle de l’incarnation de Bouddha par la descente de l’Esprit, et par la
puissance de Bodhi, ou la sagesse par laquelle nous devenons les fils ou les disciples – ces idées et
d’autres idées non Bouddhistes trouvées dans les écrits d’Asvaghosha, me convainquent qu’il y avait à
cette époque une telle intercommunication entre l’Est et l’Ouest qu’il s’est formé plus tard une école
du Bouddhisme dans une forme pseudo-Chrétienne ; et ce fait compte énormément pour quelques
autres similitudes inexplicables.31
J’éprouve une difficulté historique avec cette ligne d’interprétation. Il n’existe pas de
preuve digne de confiance pour proclamer que les évangiles ont été composées dans
leur forme actuelle avant le milieu du deuxième siècle après Jésus Christ.
Ultérieurement, si Asvaghosha a été actif en tant que prêcheur et écrivain au milieu
du premier siècle, comme l’indique Beal, il est plus que vraisemblable que les
évangiles Chrétiennes ont été modelées par la tradition Bouddhiste beaucoup plus
ancienne et non l’inverse. De plus, les soi-disant idées non Bouddhistes que
mentionne Beal ne sont que des doctrines non-Theravada ; ce sont par ailleurs,
d’authentiques idées Mahayana qui ont été formulées au plus tard dans les premiers
jours du premier siècle avant Jésus Christ.
Dans ce contexte, une étude comme la mienne est une incitation à la pensée et
importante pour l’histoire textuelle du Nouveau Testament.
Bouddha-ChristGérard.doc
30
31
Edward Conze, « Mahayana Buddhism », in Thirty Years of Buddhist Studies (Columbia, S.C, 1968), 49.
Beal,xiv ; cited by Sterling Berry, 227-28.
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