Recevoir et traîter une information scientifique
La publication largement répandue du tome 1 de « l’Atlas de la Création » d’Adnan Oktar, a
suscité l’émoi parmi le monde enseignant. On trouve facilement sur Internet des infomations
qui critiquent, plus ou moins insidieusement, les théories évolutionnistes et tentent de
convaincre tout un chacun du bien fondé de croyances diverses. La question n’est pas tant de
bannir, par exemple, un livre tel que celui d’Adnan Oktar. L’enjeu est plutôt de faire comprendre
aux élèves la nécessité de pouvoir distinguer une information scientifique à visée objective
d’une propagande idéologique. Comment s’y retrouver ? Qu’est-ce qu’une source fiable ?
Comment décoder l’information divulguée par les créationnistes (ou dessein intelligent) ?
Apprentissage en spirale…
Les concepteurs des programmes d’enseignement en Communauté française de Belgique ont
placé le thème de l’évolution en fin de cursus scolaire (17-18 ans). Proposer plus tôt ces
contenus d’enseignement abstraits n’aurait pas de sens et ne serait d’aucune efficacité. Mais,
dans un principe d’enseignement en spirale, aider les enseignants du fondamental à installer les
fondements nécessaires à la compréhension, en temps utile, de théories plus complexes et de
former à la pensée critique, apparaît comme une nécessité.
L’ouvrage dirigé par G. Lecointre « Comprendre et enseigner la classification du vivant »3
propose de donner une certaine verticalité à l’apprentissage de ces notions citées plus haut. Il
ne suffit pas de consacrer quelques périodes de cours en fin de dernière année secondaire pour
que les élèves puissent appréhender des notions de classification du vivant, d’évolution,
d’histoire des sciences et des scientifiques et d’épistémologie. Ces apprentissages doivent
s’amorcer en amont, dès l’enseignement fondamental. Ils prendront du sens en s’appuyant sur
les notions abordées, mais aussi sur les démarches mises en place en primaire.
A l'heure actuelle, il est essentiel de construire, chez le futur jeune, une pensée scientifique
suffisamment solide pour s’armer contre les propagandes manipulatoires comme la diffusion de
croyances créationnistes, entre autres. Travailler ces aspects tout au long de leur cursus
d'enseignement pourrait aider les jeunes à comprendre la nécessité de pouvoir distinguer une
information scientifique à visée objective d’une propagande idéologique.
Exposé de Monsieur R. Halleux
Membre de l’Institut, Directeur de recherche au FNRS, Directeur du Centre d’Histoire des
Sciences et des Techniques (CHST) de l’Université de Liège
Un danger véritable
Le créationnisme est une bombe à retardement. Au terme des controverses suscitées par
l’œuvre de Darwin dans le dernier quart du XIXe siècle, on aurait pu croire que la négation de
l’évolution des espèces est un phénomène archaïque et marginal. Il n’en est rien, puisque le
créationnisme connaît depuis les années 1980 des résurgences très puissantes et très
dangereuses, soutenues par divers courants du catholicisme, du protestantisme, de l’orthodoxie
et de l’Islam. En Amérique, l’enseignement même de l’évolution est contesté ; dans les anciens
pays socialistes, on associe le darwinisme au communisme ; beaucoup de milieux islamiques
estiment l’évolution incompatible avec le Coran. Le luxueux ouvrage du pseudo Haroun Yahya,
Atlas de la création, traduit dans toutes les langues et envoyé gratuitement dans les écoles, a
été financé par un puissant consortium américano-islamique.
Le danger est très réel, pas seulement pour la biologie, mais pour l’esprit scientifique en
général, et d’autre part pour un dialogue interculturel fondé sur les valeurs de la science. Bon
nombre d’enseignants de sciences rapportent avoir été confrontés à des élèves qui disent « Je
n’ai pas étudié cette matière qui est contraire à ma religion ». Ce qui est en cause, c’est la
méthode scientifique qui, avec les droits de l’homme, est à la base de notre modernité.
3 Lecointre G. (dir.), 2004. Comprendre et enseigner la classification du vivant. Guide Belin de l’enseignement. 309 p.