Créationnismes d`hier et d`aujourd`hui

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Créationnismes d’hier et d’aujourd’hui
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Les Services de didactique de la biologie, de la chimie et de la physique de l’Université
de Liège, Mme Hindryckx1, Mr Leyh et Mme Hoebeke
Mr R. Halleux, Membre de l’Institut, Directeur de recherche au FNRS, Directeur
du Centre d’Histoire des Sciences et des Techniques (CHST) de l’Université de
Liège
Introduction
En Communauté française de Belgique, il existe une initiative ministérielle pour promouvoir les
sciences auprès des élèves et du public qui s'intitule "Printemps des Sciences". Durant une
semaine (du 23/03 au 27/03/2009), tous les organismes de formation et formation des maîtres
(Hautes Ecoles et Universités) se mobilisent pour proposer différentes activités ou
sensibilisations autour d'un thème. Pour l'année 2009, le thème choisi est "évolutionsrévolutions".
En tant que responsables de l’agrégation en sciences de l’enseignement secondaire supérieur,
nous avons voulu annoncer cette semaine de manifestations par une conférence traitant de
l’évolution des espèces et plus particulièrement de la montée des créationnismes.
Depuis quelques années, les personnes impliquées dans la formation des enseignants
scientifiques du secondaire à l’Université de Liège, organisent une formation de deux jours
consacrée au thème de l’évolution (formation IFC). Ce thème s’est imposé à partir du constat
que beaucoup d’enseignants du secondaire supérieur sont démunis et expriment leur désarroi
face à cette matière à enseigner. Beaucoup d’entre eux n’ont pas été formés lors de leurs
études ; plusieurs se sentent mal à l’aise par rapport aux concepts scientifiques et aux
compétences qu’ils mobilisent.
Ne dites pas … mais dites …
Certaines notions obsolètes ou incorrectes sont encore enseignées dans le programme consacré
à l’évolution. On y parle encore de fossile vivant ou de classification menant vers une
complexité évolutive plaçant l’homme au sommet de l’arbre ; les notions d’espèce, de
classement, tri et rangement ne sont pas assez clarifiées.
Il est pourtant essentiel d’amener les élèves à comprendre, par exemple : la notion d’espèce ;
la notion de classification du vivant ; la notion de parenté et d’évolution ; la notion d’ancêtre
commun ; les formes intermédiaires et les liens entre les groupes ; la notion de caractère
homologue ; comment on construit et on interprète un arbre phylogénétique ; la place des
fossiles dans les arbres phylogénétiques ; la différence entre la classification traditionnelle et la
classification phylogénétique…
La science et les scientifiques
A la suite de Ph. Mathy2, nous voulons affirmer qu’enseigner n’est pas un acte anodin. Il faut
prendre conscience de la façon dont nous, enseignants scientifiques, nous répandons l’image de
la science, du scientifique, de l’histoire des sciences et de leur épistémologie. Nos propres
représentations sur le sujet vont également influencer la façon dont les élèves vont percevoir la
science et les scientifiques.
1
Contact AESS biologie : [email protected]
2
Mathy Ph., 1997. Donner du sens aux cours de sciences. DeBoeck.
Recevoir et traîter une information scientifique
La publication largement répandue du tome 1 de « l’Atlas de la Création » d’Adnan Oktar, a
suscité l’émoi parmi le monde enseignant. On trouve facilement sur Internet des infomations
qui critiquent, plus ou moins insidieusement, les théories évolutionnistes et tentent de
convaincre tout un chacun du bien fondé de croyances diverses. La question n’est pas tant de
bannir, par exemple, un livre tel que celui d’Adnan Oktar. L’enjeu est plutôt de faire comprendre
aux élèves la nécessité de pouvoir distinguer une information scientifique à visée objective
d’une propagande idéologique. Comment s’y retrouver ? Qu’est-ce qu’une source fiable ?
Comment décoder l’information divulguée par les créationnistes (ou dessein intelligent) ?
Apprentissage en spirale…
Les concepteurs des programmes d’enseignement en Communauté française de Belgique ont
placé le thème de l’évolution en fin de cursus scolaire (17-18 ans). Proposer plus tôt ces
contenus d’enseignement abstraits n’aurait pas de sens et ne serait d’aucune efficacité. Mais,
dans un principe d’enseignement en spirale, aider les enseignants du fondamental à installer les
fondements nécessaires à la compréhension, en temps utile, de théories plus complexes et de
former à la pensée critique, apparaît comme une nécessité.
L’ouvrage dirigé par G. Lecointre « Comprendre et enseigner la classification du vivant »3
propose de donner une certaine verticalité à l’apprentissage de ces notions citées plus haut. Il
ne suffit pas de consacrer quelques périodes de cours en fin de dernière année secondaire pour
que les élèves puissent appréhender des notions de classification du vivant, d’évolution,
d’histoire des sciences et des scientifiques et d’épistémologie. Ces apprentissages doivent
s’amorcer en amont, dès l’enseignement fondamental. Ils prendront du sens en s’appuyant sur
les notions abordées, mais aussi sur les démarches mises en place en primaire.
A l'heure actuelle, il est essentiel de construire, chez le futur jeune, une pensée scientifique
suffisamment solide pour s’armer contre les propagandes manipulatoires comme la diffusion de
croyances créationnistes, entre autres. Travailler ces aspects tout au long de leur cursus
d'enseignement pourrait aider les jeunes à comprendre la nécessité de pouvoir distinguer une
information scientifique à visée objective d’une propagande idéologique.
Exposé de Monsieur R. Halleux
Membre de l’Institut, Directeur de recherche au FNRS, Directeur du Centre d’Histoire des
Sciences et des Techniques (CHST) de l’Université de Liège
Un danger véritable
Le créationnisme est une bombe à retardement. Au terme des controverses suscitées par
l’œuvre de Darwin dans le dernier quart du XIXe siècle, on aurait pu croire que la négation de
l’évolution des espèces est un phénomène archaïque et marginal. Il n’en est rien, puisque le
créationnisme connaît depuis les années 1980 des résurgences très puissantes et très
dangereuses, soutenues par divers courants du catholicisme, du protestantisme, de l’orthodoxie
et de l’Islam. En Amérique, l’enseignement même de l’évolution est contesté ; dans les anciens
pays socialistes, on associe le darwinisme au communisme ; beaucoup de milieux islamiques
estiment l’évolution incompatible avec le Coran. Le luxueux ouvrage du pseudo Haroun Yahya,
Atlas de la création, traduit dans toutes les langues et envoyé gratuitement dans les écoles, a
été financé par un puissant consortium américano-islamique.
Le danger est très réel, pas seulement pour la biologie, mais pour l’esprit scientifique en
général, et d’autre part pour un dialogue interculturel fondé sur les valeurs de la science. Bon
nombre d’enseignants de sciences rapportent avoir été confrontés à des élèves qui disent « Je
n’ai pas étudié cette matière qui est contraire à ma religion ». Ce qui est en cause, c’est la
méthode scientifique qui, avec les droits de l’homme, est à la base de notre modernité.
3
Lecointre G. (dir.), 2004. Comprendre et enseigner la classification du vivant. Guide Belin de l’enseignement. 309 p.
L’absence de contre-attaque
Les responsables de l’éducation ont eu conscience du danger. La Ministre Marie Arena a
immédiatement diffusé un communiqué visant à « mettre en garde l’ensemble des équipes
éducatives contre les valeurs véhiculées dans ce document » (Haroun Yahya). Les autorités
académiques sont également montées au créneau. Le gouvernement flamand a mobilisé des
moyens humains et financiers considérables.
Les réactions ont prix deux formes également contre-productives :
- l’interdiction et le mépris, qui donnent aux créationnistes la position de victimes et aux
scientifiques celle de nouveaux inquisiteurs (ce qui est un topos dans la rhétorique des
pseudo-sciences) ;
- la réaffirmation des données de la science contre celle des textes sacrés, ce qui est pur
dialogue de sourds, dogmatisme contre dogmatisme.
Un questionnement global
En réalité, le créationnisme interpelle la méthode scientifique toute entière. Qu’est-ce qu’un fait
scientifique, une hypothèse, une théorie, un modèle ? Autant de concepts dont les professeurs
de sciences se servent sans en maîtriser parfaitement le sens. De même, le créationnisme
interpelle la psychologie : quelles sont les peurs qui animent les créationnistes à se réfugier
dans les interdits. Le démontage des racines du créationnisme fait appel à une démarche
historico-épistémologique.
Une approche historico épistémologique
Il s’agit donc de démonter le créationnisme, ou plutôt les créationnismes. En effet, le nom de
créationnisme recouvre une très large gamme d’attitudes, depuis le littéralisme scripturaire
jusqu’à l’intelligent design. Il faut en dresser une typologie fine, et situer chaque attitude par
rapport à la tradition religieuse d’une part, aux données scientifiques d’autre part, et mettre en
évidence les dérives épistémologiques. L’histoire des sciences est ici particulièrement utile, car
les argumentations sont souvent anciennes et répétitives. On rappellera, par exemple, aux
créationnistes musulmans que Ibn Khaldun (XIIIe s.) était évolutionniste.
Cette approche historico-épistémologique mettra en lumière, dans le créationnisme, une double
dérive : par rapport à la démarche scientifique d’une part, par rapport à l’exégèse scripturaire
de l’autre.
Contact : M. Robert Halleux
Centre d’Histoire des Sciences
et des Techniques
Université de Liège
Tél : +32 4 366 94 79
Fax :+32 4 366 94 47
e-mail : [email protected]
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