LA PASSION I ] INTRODUCTION Etymologiquement le mot passion trouve sa racine dans le mot latin ‘pati’ qui signifie supporter, souffrir. Ainsi, la passion a t’elle une connotation de passivité. Elle semblerait désigner un phénomène passif de l’âme 1) DEFINITIONS La difficulté de cette notion réside dans l’acception du concept. Le sens du mot a évolué dans le temps, aussi faut-il s’entendre sur sa définition quand il s’agit de l’évoquer. a) Définition classique. En son sens classique et aristotélicien, la passion évoque tout ce qui est passif dans la vie intérieure du vivant. Tout ce qui est causé dans l’âme - comprise comme principe de vie - par l’action du corps et du monde extérieur. En définitive, la passion selon cette acception, est tout ce que le sujet subit, un mouvement de l’appétit sensitif. Pour l’homme, la passion est donc ce qu’il subit de par l’union du corps et de l’âme.(A1 ; T30 p.198) Il est à remarquer que Descartes l’entendait aussi de la sorte. Ainsi, la passion exclurait-elle donc toute liberté et toute volonté au sujet ? Ne seraitelle donc qu’un phénomène étranger à notre vouloir ? b) Définition moderne. En son sens moderne : la passion est le mobile de l’activité. C’est une tendance dominatrice qui capte de manière exclusive toute l’énergie de l’individu concentrant ses forces sur une fin. Elle est donc une inclination vers un objet poursuivi, et se caractérise par son énergie et sa vivacité. Elle apparaît comme un moyen efficace d’atteindre un but. Dès lors, pourquoi certains voudraient-ils blâmer une telle puissance ? A moins qu’en réalité, la passion soit un mode d’existence dans lequel je suis comme écrasé ? (T.2 p251) Sans encore approfondir la pensée thomiste de la passion, il faut tout de suite constater la dérive principale qui a conduit à la définition moderne. C’est d’être tombé dans le volontarisme, en se refusant de distinguer : - le désir découlant des sens et de la connaissance sensible. - et le désir suivant l’intelligence et la connaissance intellectuelle. Une telle philosophie laisse l’affectivité humaine à la seule vie émotionnelle et sensible. D’où est une conséquence irrémédiable : placer le siège des passions soit dans le corps seul, soit dans l’âme seule. 2) DISTINCTIONS La passion serait-elle l’émotion, le sentiment ou le désir ? En essayant de faire la synthèse des deux définitions qui s’offrent à nous, la passion apparaît comme une affection, un état affectif. L’émotion, quant à elle, est un trouble affectif soudain. Elle se caractérise par son intensité, son état passager aussi brutal que brusque. Le sentiment est un état affectif durable, stable et plutôt équilibré, moins démesuré. C’est la fixation d’une tendance sur un objet, laquelle suscite l’amour (si nous sommes attirés par l’objet) ou la haine (si nous le fuyons.) Par lui, le monde prend une signification, une valeur. Ainsi sans sentiment, l’homme serait une sorte d’absent, d’étranger : attitude des sceptiques ? Le sentiment semble donc assez régulateur de nos actions. Où donc placer la passion dans tout cela ? Est-elle une sorte d’émotion prolongée ? Un sentiment déréglé ? Parce que la passion est plus organisée, plus cohérente et systématique que l’émotion, les philosophes contemporains préfèrent rattacher la passion au sentiment et l’exclure de l’émotion. « L’émotion agit comme une eau qui rompt la digue ; la passion comme un torrent qui creuse un lit de plus en plus profond », Kant. Ainsi la philosophie moderne tend à décrire la passion comme un sentiment devenu tyrannique, et exclusif. Une sorte de polarisation de tout le psychisme sur un objet qui devient le centre de tout, qui se montre indifférent à tout ce qui n’est pas lui. Dès lors, la passion est-elle une rupture de l’équilibre ? De la sagesse ? Serait-elle la perte de la paix de l’âme ? Est-elle contraire à la raison, c’est à dire à cette partie de l’âme où s’accomplit la pensée ? 3) PREMIERES PROBLEMATIQUES A ce stade de l’enquête, quelques questions commencent à se dégager. - Quant à son essence. Est-elle passive : La subissons-nous ? Ou au contraire serait-elle active, une sorte de moteur puissant qui conduit l’homme à réaliser de grands projets ? - Quant à ses effets. Est-elle source de bien ou de mal pour l’homme ? - Quant à ses rapports avec les facultés de l’homme ? Y a t’il une guerre permanente entre elle et la raison ? Est-ce simplement un dérèglement dont la raison doit se rendre maîtresse ? II ] LA PASSION EN ELLE-MEME 1) L’IMAGINATION ET LA RAISON a) L’ambiguïté de la passion. La passion étant comme une protubérance du désir, elle dérive, elle aussi de la connaissance. La passion suit la connaissance, et ce, quelle que soit la définition entendue. Quelle est donc la place de l’imagination dans la passion ? Est-ce qu’elle transforme l’objet aimé ? La passion est-elle fille de l’imagination, laquelle ornerait l’objet de la convoitise ? Telle est la position de Stendhal à travers sa célèbre image de la cristallisation. Ainsi, l’imagination ne va pas se contenter de représenter l’objet, mais elle va le déformer et de ce fait le rendre plus attrayant. Cette déformation opérée par l’imagination est ce qui caractérise la passion pour Stendhal. Cette cristallisation qui a séduit tant de philosophes modernes, fait reposer la passion sur une double illusion : - Elle valorise de façon extrême et démesurée l’objet sur lequel elle se porte. Et ce, de façon très subjective. En effet cet objet n’est revêtu d’ornements imaginaires que pour le passionné, qui d’ailleurs passe pour un fou aux yeux du monde extérieur. (T.4 p.129) - Elle entraîne une injuste dévalorisation de qui n’est pas son objet. En effet, aux yeux de la passion, tout ce qui n’est pas son objet n’a aucune valeur et se trouve méprisé et méprisable. Tout le reste de l’univers se trouve dévalué Cette double illusion entraîne une caractéristique ambiguë de la passion : - Elle enrichit grandement l’affectivité du sujet, qui se montre d’une très grande sensibilité pour tout ce qui a un rapport avec l’objet visé par sa passion. Ce rapport peut même être très lointain, conduisant le passionné à voir le monde qui l’entoure à travers sa passion. Elle dessèche tout en même temps l’affectivité du sujet qui se montre insensible à tout ce qui est étranger à sa passion. Dès lors, comment oser croire que le passionné puisse être libre ? - b) La passion et la raison. Après tout ce qui a été dit plus haut, la passion semble s’opposer à la raison, puisqu’elle engendre des illusions et la perte de la maîtrise de soi. Ainsi, la passion est apparue pour certains philosophes et moralistes, comme une maladie de l’âme, un phénomène monstrueux marqué par le dérèglement et la démesure. Démesure forcément contraire à la sagesse en tant qu’elle s’oppose à la paix de l’âme et à la sérénité. Telle pourrait être la première cause d’opposition entre raison et passion, en vertu du travail de l’imagination. Et dans ce cas de figure, ne seraitil pas juste d’admettre une définition de la passion selon la passivité, comme le fit Aristote ? Mais la passion semble entrer en contradiction avec la raison au nom du raisonnement en tant que tel. En effet, la passion paraît fausser l’exercice normal du jugement. C’est ce que certains ont appelé, la « logique passionnelle. » En effet, la passion mobilisant tout le dynamisme psychologique, elle fausserait le jugement. Le passionné est quelqu’un qui raisonne énormément, mais … souvent à faux. D’ailleurs, selon la théorie de la ‘logique passionnelle’, le passionné aurait un raisonnement rigoureux mais les prémices en seraient fausses. En tous cas, le passionné se montre imperméable à toutes réfutations, et s’il se montre impossible à raisonner. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, ses conclusions sont les postulats de son raisonnement, lequel n’est que la justification de sa passion. Ici, la passion retrouve son essence active, et donc son acception moderne. Mais survient alors une autre difficulté : le passionné est-il conscient de cette passion qui l’habite ? Si oui, est-il pleinement conscient de tout son mécanisme. C’est en répondant par la négative que les psychanalystes ont opposé la passion à la raison. 2) LES SOURCES DE LA PASSION. D’où vient la passion ? a) Descartes Descartes établit une distinction stricte : - Les actions de l’âme sont les volontés. Ces dernières viennent donc directement de l’âme et ne dépendent que d’elle. - Les passions sont toutes les pensées excitées dans l’âme sans le secours de la volonté. Les passions sont tout ce qui n’est pas la manifestation de l’activité volontaire (perception, sentiment, émotion, …) Descartes a ainsi établit 6 passions fondamentales (admiration, amour, haine, désir, joie, tristesse.) La passion est la réaction affective de l’individu qui renvoie aux besoins et aux tendances. Pour Descartes la passion vient de l’action des « esprits animaux », qui n’est autre qu’un mécanisme neurophysiologique. Mais l’intérêt d’une telle théorie repose sur cet esclavage de notre âme vis-à-vis du corps. Il est évident que la passion dérive de la tendance, laquelle dérive elle-même du besoin, d’où une base biologique nécessaire à la passion. (T.31 p.198) Mais si l’être désincarné est donc dénué de passion, l’animal complètement dépendant du corps serait sujet aux passions, ce qui est refusé par beaucoup de philosophes. Ainsi ne faudrait-il pas attribuer une origine purement mécanique aux passions. Il faut en effet pouvoir expliquer l’individualisation élective de la passion, et le concours de l’intelligence et de la volonté qu’elle nécessite. En réalité, Descartes (et toute la philosophie de la Renaissance dans son ensemble) subit là une influence volontariste et stoïcienne qui s’est répandu depuis dans toute la pensée occidentale, ce qui n’a facilité les recherches de la psychologie et de la morale. Il faudra attendre la psychanalyse freudienne pour voir se mettre en place une réaction anti-cartésienne et anti-stoïcienne. b) La psychanalyse Bien souvent on simplifie à outrance la théorie psychanalytique en se contentant de présenter la source de la passion dans l’inconscient. Et plus précisément dans l’enfance oubliée où résiderait tous les complexes dont nous souffrons ! Ainsi la passion nous conduirait à la répétition des mêmes gestes pour recommencer toujours la même histoire, comme pour apaiser ce complexe, guérir cette blessure qui sommeille en nous. La passion ne serait que l’expression des transferts, compensations ou sublimations que nous opérons. Il faut reconnaître un certain paradoxe assez complexe dans la psychanalyse freudienne, d’une part les vrais causes de la passion seraient donc en nous et non dans les objets ; et d’autre part, Freud réintroduit le rôle de la finalité dans le monde des pulsions et de la vie psychique. III ] LA VALEUR DE LA PASSION Comme pour le désir, se pose la question de l’attitude face aux passions. 1) LA PASSION CONDAMNEE Au risque de réduire faussement une telle position, les philosophes modernes accusent les adversaires des passions de réduire cette notion à son acception passive. A – Les Stoïciens et les Epicuriens. Ces philosophes considéraient la passion comme un ébranlement contre-nature de l’âme, et prônaient une indifférence totale afin de se dénuer de toute passion. En effet, ils étaient convaincus que la passion était une maladie de l’âme de par son aspect de démesure. Dès lors, la passion s’opposait nécessairement à la sagesse, laquelle se caractérise par une paix de l’âme.(A.2) Il faut reconnaître que les Pères de l’Eglise sous l’influence de Platon et de la philosophie stoïcienne partagèrent souvent une telle position (à des degrés moindres.) Il faudra donc attendre St. Thomas d’Aquin pour être éclairé précisément sur ce point. B – Kant. Il s’est montré le grand ‘anti-passion’ moderne, et ce, au nom de plusieurs motifs : - La passion dénature la raison. Pire encore, elle fait croire qu’elle est raison. Kant l’accuse donc d’être un vernis de la raison, une sorte de perversion détournant la raison de ses fins raisonnables. - La passion est toujours exclusive, jamais mesurée, jamais raisonnée. Elle est trop totale. Ainsi, la passion corrompt l’intelligence parce qu’elle l’utilise ; l’homme devenant l’outil des passions. Il serait naïf de distinguer de bonnes ou de mauvaises passions pour Kant, il ne faut pas les classer. Elles introduisent en nous le désordre, le déséquilibre car c’est un excès du sentiment .(T.33 p.304) Kant pousse la critique en affirmant que la passion dessert, dénature l’objet sur lequel elle porte. Ainsi, la passion amoureuse n’est pas l’amour bien qu’elle y fasse croire. L’objet n’est qu’un moyen, un prétexte. La passion prive les hommes de leur liberté qui ne peuvent plus s’en affranchir car c’est une maladie dont on ne veut pas être guéri et qui conduit nécessairement au malheur. La passion appauvrit et réduit l’homme. Elle le retranche du réel, lui faisant perdre le sens du temps, de l’espace, et des conséquences de ses actes. Si l’homme kantien, ce héros du devoir, agit en fonction de sa personnalité tout entière, hiérarchisant ses tendances, tenant compte de tous ces instants, et demeure conscient, lucide et maître de lui-même ; au contraire l’homme passionné est l’homme d’un seul instinct, aveuglé par un seul objet. Enfin, Kant soulève le penchant inexorable de la passion : l’égoïsme. En effet, la passion est indifférente à tout ce qui n’est pas elle. Et elle exerce un besoin tyrannique sur l’objet. 2) POUR UN COMPROMIS A – Descartes La passion est le signe de l’emprise du corps sur l’âme. Mais Descartes ne veut pas totalement condamner les passions. En soi la passion n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est ce qu’en fait notre volonté. Ainsi les passions peuvent être bonnes si elle dispose l’âme, 1° ) à vouloir ce que la nature nous dicte d’utile, 2°) à persister en cette volonté. Il faut donc pouvoir les orienter : c’est la « générosité » cartésienne (i.e : la connaissance du sujet de son libre arbitre), ainsi la volonté peut toujours dominer la passion. La volonté apparaît donc comme le remède des passions.(T.32 p.199) B – Spinoza La passion n’est pas un vice mais une propriété de la nature humaine. Aussi refuse t’il de poser tout jugement normatif, tout point de vue moral. Il faut connaître et distinguer les passions, dès lors que la passion est connue, elle perd toute sa force. Ici, c’est la connaissance qui est le remède des passions .(T.8 p.219 & T.12 p.223) 3) LA PASSION MAGNIFIEE A partir 17ème et 18ème siècle la passion apparaît comme le moteur de nos actions. On veut y trouver une énergie. A – Hegel Le plus célèbre défenseur des passions ! La passion mobilise la pensée et la volonté. Elle soulève l’homme et lui inspire de vastes projets, c’est elle qui fait l’Histoire ! (T19 p.325) Mais en réalité, la passion est dirigée par la Raison Universelle. La passion est une ruse de cette Raison Universelle qui s’en sert comme d’une énergie spirituelle, une puissance du vouloir qui fait tendre l’activité de l’homme vers un but, vers un intérêt particulier, et qui en réalité fait l’histoire ! (T.20 p.326) B – Kierkegaard A contrario de Hegel, il voit plus la passion sous un angle personnel et individuel. La passion donne du prix à l’existence. Elle n’a pas d’intérêt comme source de l’histoire, mais en tant qu’elle permet d’exister individuellement. C – Les Romantiques Pour eux la passion est avant tout une puissance émotionnelle. Elle permet de rompre avec la monotonie de la vie quotidienne. Elle est la preuve que nous ne pouvons nous contenter de la réalité, mais que nous sommes en quête d’un autre monde. La passion est donc l’expression du refus de l’ordinaire. Elle ne peut même pas se contenter de son objet, elle doit le dépasser, le transcender. Ils refusent donc toute critique de la passion au nom de la raison. La passion est le refus du temps ! C’est une recherche d’Eternité, une quête de l’absolu. La passion est donc un élan vers l’inconnu, le divin, l’infini. La passion complètement idéalisée, est l’expression de l’insatisfaction de la condition humaine sur terre. L’aspiration vers l’au-delà. La passion élargit donc la vie pour les romantiques. IV ] LA POSITION THOMISTE 1) LA THESE HYLEMORPHISTE L’agir humain a cette particularité de se mesurer à l’autonomie de la personne et à sa capacité de décider d’elle-même de ses amours intelligents. L’homme n’est pas seulement une intelligence, mais il est aussi un animal. Animal raisonnable certes, mais il a en commun avec les animaux tout ce qui l’habite et s’agite dans son corps. S. Thomas est étranger à la dichotomie de l’âme et du corps qui fausse toute l’anthropologie occidentale actuelle (sous l’influence de Platon et de Descartes). Par la défense de la thèse hylémorphiste, St Thomas ne considère l’homme que comme un « composé » d’une âme et d’un corps. Et ce composé forme une unité fondamentale. Chez l’homme, l’âme (principe de vie) est capable d’intelligence rationnelle, mais elle n’en reste pas moins présente dans son animalité corporelle. S. Thomas se refuse donc à reconnaître dans le corps et l’âme, deux réalités hétérogènes. Dichotomie cartésienne dans laquelle le corps ne serait qu’une machine reliée à l’âme grâce à un organe cérébral. Théorie qui a conduit Descartes à distinguer les passions de l’âme de celles du corps (Cf. ci-dessus : II-2-a.) Cette même dichotomie a influencé la philosophie idéaliste de Spinoza, pour qui le corps est le siège des affections, et l’âme celui des idées : dès lors, une affection qui est une passion cesse de l’être sitôt que nous en formons une idée claire et distincte. Pour S. Thomas, les passions sont toutes celles de l’âme, elles sont donc subies et vécues dans le composé humain. Ainsi les passions sont à la mesure de notre principe de vie, elles suivent le composé humain. 2) LE TRAITE DES PASSIONS En psychologie thomiste, les passions sont traitées dans la vie sensitive d’après l’ordre suivant : Connaissance sensible : - La connaissance : réaction de l’être. - Nature de cette connaissance. - Sens externes et internes : objet, actes. L’affectivité sensible : - l’appétit naturel et élicite. - Les passions. Il faut donc en conclure que les passions appartiennent à la vie sensible et qu’elles sont communes à l’animal et à l’homme. C’est que St. Thomas entend le mot passion dans l’acception classique, c’est-à-dire comme un mouvement de l’appétit sensitif, ce qui veut dire un sentiment, un état affectif ; d’où que la passion soit l’état de celui qui subit. A contrario de la connaissance, la passion n’est pas à proprement parlé, une réaction. La passion est une attirance. Sans doute va t’elle déclencher une série d’opération pour obtenir l’objet attrayant, mais en ellemême la passion est ce fait d’être attiré. Il semble que nous soyons bien éloignés du concept de passion, tel que l’entend le programme officiel du baccalauréat. Cependant il convient de s’attarder à l’acception thomiste des passions pour ne pas tomber dans quelques erreurs grossières en la matière. 3) LE SIEGE DES PASSIONS Ne perdons jamais de vue que St. Thomas suit la thèse de l’hylémorphisme : donc même si les passions sont de l’ordre de la vie sensitive, il n’est pas possible de les considérer en l’homme hors du composé humain. C’est là toute la sagesse thomiste qui ne tombe pas dans l’exclusivisme. Le siège des passions n’est pas seulement dans l’esprit (théorie animiste, Hegel) et n’est pas seulement dans les organes (théorie matérialiste). On ne peut pas non plus évincer les passions humaines de la vie intellectuelle et de la volonté. L’homme est un tout, vivant comme un tout. Il faut considérer la nature de l’homme et l’étudier tel qu’il est. Il n’est ni un être purement organique, ni une intelligence pure. Mais il est composé d’un corps et d’une âme, qui ont l’un sur l’autre une très grande influence. Le moindre changement des organes retentit dans l’âme et la modifie, de même que la pensée influence le corps. Si les étudiants thomistes étudient la classification des passions dans le chapitre de la vie sensitive, ils en font l’étude détaillée en morale ! St. Thomas lui-même, consacre toute une étude sur les passions dans sa Somme Théologique ! Il faut donc bien comprendre qu’en soi, les passions sont des mouvements affectifs de l’appétit sensible. A ce titre, les passions humaines sont plus du domaine de l’affectivité sensible que de la connaissance (même si pour être attiré par quelque chose il faille la connaître.) Il semblerait que St. Thomas reconnaisse qu’il n’y a pas de passion sans un ensemble de phénomènes chimiques et neurologiques. Il faudrait donc reconnaître une grande importance stimulations de l’entourage dans la vie passionnelle des hommes qui se trouve modulée par le milieu familial, social, et culturel (A.3) 4) DISTINCTION DES PASSIONS St. Thomas distingue les passions selon leurs objets, car un acte est spécifié selon son objet. La clé de voûte de sa classification est le bien. Ce qui est bon attire l’affectivité, qu’elle soit intellectuelle ou sensible. Le bien a raison de fin. L’objet agit sur le sujet et éveille en lui une inclination. Les passions se portent donc vers le bien ou s’éloignent du mal que les sens nous présentent. Dès lors le premier mouvement des passions est l’amour. Et toutes les autres passions n’existent que par rapport à elle. Il divise les passions en deux grands ensembles. D’où le tableau suivant : Le concupiscible objet bon qui me convient : l’amour ------------------------------mauvais ne convenant pas : la haine qui m’attire : le désir---------------------------qui me repousse : l’aversion que j’ai : la joie --------------------------------que je subis : tristesse L’irascible Objet bon difficile mais possible : l’espoir -----impossible : désespoir Objet mauvais et menaçant : Possible à éviter : l’audace --------------- impossible à éviter : la crainte Je le subis : la colère. 5) LA VALEUR DES PASSIONS En l’homme les passions ont une valeur morale parce qu’elles sont en rapport avec les actes supérieurs de la volonté et de la raison. L’homme porte en lui une double nature : raisonnable et sensible, mais la nature sensible est la première à être mue par l’action du monde extérieur. Les passions ne sont pas mauvaises en soi, mais elles le deviennent quand elles se détachent de l’ordre voulu par la droite raison. Considérée dans sa pure réalité physiologique et psychologique, la passion n’a pas de signification morale, elle est de pure nature. Mais c’est le propre de l’homme que de détenir ce pouvoir d’intervenir. (A.6) Ainsi apparaît mieux l’erreur des stoïciens : ils ne distinguent pas les sens de l’intelligence, et donc ils ne distinguent pas mieux l’appétit intellectuel de l’appétit sensible. Aussi, appelaient-ils volonté tout mouvement rationnel de la partie affective de l’homme ; et passion, tout mouvement sortant des limites de la raison, dès lors la passion devient pour Cicéron une « maladie de l’âme. » (A.4) St. Thomas appelle passion, tout mouvement de l’appétit sensible. Elle devient bonne quand elle est réglée par la raison, c’est-à-dire quand elle l’assume voire la stimule. La passion est de l’ordre de f’affectivité, mais il n’y a pas lieu de l’opposer à la raison, tout au contraire la raison se greffe sur un être doué d’affection.(A.5) Rajoutons enfin en guise de conclusion, une conséquence directe de la théorie de l’hylémorphisme sur les passions, qui nous tiendra toujours en dehors de l’erreur cartésienne : Les mouvements de la passion peuvent se retrouver dans la volonté en vertu de la conception unitaire de l’homme (l’appétit sensible chez l’homme est fait pour obéir à l’appétit raisonnable, et participe ainsi, à sa manière, au choix libre et volontaire.) Rappel : En l’homme il y a trois types d’appétit : appétit naturel, appétit sensible (ou élicite), et l’appétit de l’intelligence (ou la volonté aristotélicienne.) FICHE TECHNIQUE 1) Définitions : * Affectivité : N° 3 * Bonheur : N° 18 * Passion : N° 85 * Appétit : N° 9 * Désir : N°36 * Volonté : N° 126 2) Citations « La passion est un ébranlement de l’âme opposé à la droite raison et contre nature. » Cicéron citant Zénon de Cittium « L’inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine est la passion. » Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798. « La raison est, et ne peut-être que l’esclave des passions ; elle ne peut prétendre à d’autres rôles qu’à les servir et à leur obéir. » Hume, Traité de la nature humaine, 1740. « Les passions sont toutes bonnes de leur nature et nous n’avons rien à éviter que leur mauvais usages ou leurs excès. » Descartes, Les passions de l’âme, 1649. « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. » Hegel, La raison dans l’histoire, 1837. « Une affection, qui est une passion, cesse d’être une passion sitôt que nous nous en formons une idée claire et distincte. » Spinoza, Ethique, 1677. 3) Table d’orientation Sagesse Bien Passions Raison Volonté 4) Plan détaillé Faut-il aller contre les passions ? 5) Explication de texte (annexe 7) 1 – Retrouvez le thème et la thèse de l’auteur. 2 – Soulevez une problématique en rapport avec le texte. 3 – Dégager l’intérêt philosophique et historique de ce texte.