L`ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE : SOCIAL BUSINESS OU

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L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE : SOCIAL BUSINESS OU
DEMOCRATISATION DE L’ECONOMIE
Jean-Louis Laville publie un ouvrage « Agir à gauche. L’économie sociale et solidaire » chez
Desclée de Brouwer ( http://ddbeditions.fr/ ) qui a un double objectif : présenter de façon synthétique
l’économie sociale et solidaire d’une part, montrer en quoi elle constitue un enjeu politique d’autre
part. Le texte ci-dessous en présente un extrait.
En France l’économie sociale et solidaire a gagné 380 000 emplois depuis 2000, elle est plus
créatrice d’emplois que le secteur privé, 77 % de ses salariés étant employés dans des associations.
Plusieurs sensibilités se regroupent dans l’économie sociale et solidaire : les entreprises de
l’économie sociale, les initiatives de l’économie solidaire qui ont une forte dimension citoyenne et
celles qui mettent plus l’accent sur l’entrepreneuriat social. Ces différentes composantes peuvent
s’enrichir mutuellement à condition toutefois qu’elles ne prêtent pas le flanc à une
instrumentalisation qui résulterait de l’abandon de tout projet politique au profit d’une simple
action réparatrice.
A cet égard, il convient d’identifier une évolution repérable au niveau international qui pourrait
convertir l’économie sociale et solidaire en un simple appendice d’un système dominant inchangé.
Cette tendance ne se contente pas du mimétisme gestionnaire, elle va jusqu’à recommander
l’adoption des modalités de gouvernance d’entreprise dans toutes les structures sans but lucratif.
Selon ses partisans ce rapprochement doit aider à dépasser l’amateurisme inhérent aux mondes
associatif et coopératif : il existe pour eux une façon optimale de gérer et de gouverner qui peut
s’appliquer à toutes les organisations et dont les outils ont été forgés dans les entreprises
transnationales, d’où l’insistance sur les partenariats avec de grands groupes. En conséquence
l’économie sociale et solidaire doit évoluer vers le modèle du « social business, entreprise qui a
une finalité sociale mais opère à l’intérieur du système capitaliste comme une entreprise
conventionnelle » selon Muhammad Yunus. Dans ce cas la foi en une sélection vertueuse par le
marché fait de l’économie sociale et solidaire un nouveau type de capitalisme destiné à « servir les
besoins les plus pressants de l’humanité »1. Le moment d’apparition de cette idéologie n’est pas
anodin. Le néolibéralisme triomphant de la fin du XXe siècle n’est plus de mise puisque les
programmes d’ajustement structurel appliqués hier au Sud s’imposent au Nord et ravivent les
tensions au sein des populations. Dans ces conditions le social business, combiné avec la
responsabilité sociale et environnementale des entreprises, plaide pour une moralisation du
capitalisme qui devient essentielle pour sa relégitimation. Ainsi abordée l’économie sociale et
solidaire n’est plus qu’une nouvelle philanthropie qui, à cause de l’endettement des États, doit se
tourner vers le mécénat. Les discours sur les sentiments humanitaires et les devoirs des pauvres
supplantent les notions de citoyenneté et de droit, toute analyse des relations de pouvoir et de
domination est abandonnée. Comme, au XIXe siècle, la compassion à l’égard des pauvres est
censée faire oublier la lutte pour l’égalité. L’éloge de la société civile est sous-tendu par la critique
de la régulation publique. Bref, c’est une privatisation de ce qui relevait au XXe siècle de la
responsabilité publique.
L’économie sociale et solidaire peut donc être mise au service d’objectifs qui lui sont extérieurs,
ceux d’un capitalisme « moralisé ». Elle est donc dans ce cas un tiers secteur limité du fait de sa
subordination à des secteurs privé et public qui restent incontestés.
Au contraire, l’innovation dont est porteuse l’économie sociale et solidaire dépend de sa
capacité à interroger les conceptions dominantes du politique et de l’économie.
La crise actuelle, parce qu’elle découle de la confusion entre économie et marché, revêt un
caractère systémique ; la marchandisation n’a pas que des conséquences dans la sphère financière,
elle induit ce sentiment de perte de sens si fortement perceptible quand toute réflexion sur la
mission institutionnelle (dans la santé, l’éducation, le social, les services aux personnes…) est
remplacée par un simple calcul de rentabilité. Si l’économie est assimilée au marché,
parallèlement l’action publique est identifiée à la seule action des pouvoirs publics oubliant
l’interdépendance avec l’action citoyenne. Or une démocratie vivante ne peut émaner des seules
institutions publiques, elle réclame des espaces publics, c’est-à-dire des espaces d’argumentation
et de délibération dans lesquels les citoyens sont admis et peuvent dialoguer ensemble.
La social-démocratie avait institué une complémentarité entre capitalisme marchand et puissance
publique. Ce partage est dépassé puisque le nouveau capitalisme envahit les activités auparavant
réservées à l’État social. Il est temps de stopper ce processus dangereux, non pas en rétablissant
1
YUNUS M., Building Social Business, New York, Public Affairs, 2010.
des équilibres révolus entre social et économique, mais en revendiquant désormais la référence à
une socio-économie et une démocratie plurielles. La réalisation d’un tel objectif suppose toutefois
de relayer « les initiatives citoyennes par de grandes institutions existantes », comme l’écrit J.
Gadrey2 ; à cette condition l’économie sociale et solidaire, retrouvant une capacité de
mobilisation, peut devenir une « force de transformation ».
Quand la question devient celle de la mutation des modes de production et de consommation il est
primordial que la dynamique capitaliste n’apparaisse pas comme la seule dynamique économique
et que soient reconnues d’autres formes de valorisation des biens et services.
2
GADREY.J., Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Les petits matins, Alternatives économiques,
2010, p. 169-179.
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