Ces ateliers supposent la participation d’un groupe théâtral communautaire dont les membres
évoquent leurs vies dans la lutte. Les pièces de théâtre montées dans ce cadre aident les gens
à parler de leur passé et à gérer les émotions que la mémoire fait ressurgir. C’est ici que
commence le cheminement du cœur. Il ne s’agit pas d’un débat intellectuel sur le passé, mais
d’un processus qui met chacun au défi de se poser trois questions fondamentales : qu’ai-je
fait ? Qu’ai-je subi ? Que n’ai-je pas fait ?
Un autre exercice artistique auquel nous avons recours consiste à donner des crayons et des
feuilles de papier journal aux participants et à les inviter à exprimer par le dessein leur
expérience du conflit dans lequel ils ont été impliqués. Le dessein permet aux personnes
d'accéder à leur mémoire d'une toute autre manière que par la parole. Les participants
commencent également à comprendre les expériences vécues par les autres à travers leurs
desseins.
Le dernier jour de l’atelier, nous donnons aux participants une masse de terre glaise en les
invitant à créer des symboles d'espoir et d'avenir. Ensuite, ces symboles de glaise sont
présentés et explicités aux autres membres du groupe lors d’une cérémonie finale au cours de
laquelle nous tentons de rassembler les différents éléments. C’est une célébration qui opère
pratiquement comme une cérémonie de passage vers le futur. Dans un sens spirituel, c’est
une cérémonie liturgique.
Réuniriez-vous perpétrateurs et victimes dans un même atelier ?
Nous avons été confrontés à des situations dramatiques de cette nature. Pour les membres de
groupes opposés, entendre leurs témoignages individuels respectifs est une expérience
marquante. Mais, nous nous sommes également rendu à l’évidence que l’on ne peut tracer
une ligne de démarcation rectiligne entre victimes et perpétrateurs. Il arrive souvent qu’une
personne donnée soit à la fois victime et perpétrateur. Le fait qu’elle soit victime et qu'elle le
demeure pendant une majeure partie de son existence ne l’empêche pas pour autant de
perpétrer telle ou telle exaction. Situation classique : infliger à autrui ce que nous avons subi.
A travers ces témoignages d'espoir, de douleur, de joie, de colère et d'effroi, nous donnons la
possibilité aux participants de s’investir affectivement dans la compréhension de questions
liées à la paix, à la justice, à la réconciliation et à la guérison. C’est ainsi que se révèle
l'histoire des hommes. Elle devient universelle.
Comment soigne-t-on effectivement la mémoire ?
L’une des méthodes que nous employons pour guérir la mémoire réside dans son dévoilement
et dans son analyse. L’analogie avec le traitement des blessures envenimées s'impose. La
seule façon de soigner une blessure consiste à l’ouvrir et à la nettoyer en l’exposant à la
lumière du jour pour que le processus de cicatrisation puisse commencer. L’alternative
consiste à ensevelir la mémoire. Mais l’histoire ne comporte aucun exemple
d’ensevelissement réussi du passé par une société quelconque. Les exemples abondent de
sociétés hantées par un passé qu’elles ont vainement tenté d’enterrer. Il suffit de se pencher
sur l’histoire de l’esclavage ou sur la détention des Afrikaners dans les camps de
concentration britanniques. Ces profondes blessures de la mémoire ne se sont jamais
cicatrisées. Les gens qui continuent à se sentir victimes se muent à leur tour en agresseurs.
Pour cette génération, il est capital d'affronter le passé et de lutter contre ses démons pour ne
pas être rongés tôt ou tard par ceux-ci.