Première partie : Pouvoir politique et régulation sociale

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Première partie : Pouvoir politique et régulation sociale
Chapitre 1 : Qu’est ce que le pouvoir ?
Chapitre 2 : Quelle est la spécificité du pouvoir politique ?
Chapitre 3 : Au-delà de la contrainte… la régulation sociale
Objectifs : - Comprendre que le pouvoir est une relation sociale.
- Comprendre les fondements de l’exercice du pouvoir
- Comprendre les fondements de la soumission à l’autorité.
I.
Un rapport social d’interdépendance asymétrique…
1. Définition (Doc 1)
2. Pourquoi se soumet-on au pouvoir ? (Doc 2)
3. Pourquoi existe-t-il des relations de pouvoir ?
II.
… qui s’exerce selon différentes modalités
1. Un pouvoir durable peut-il s’appuyer uniquement sur la contrainte ? (Doc 3)
2. La nécessité de légitimer l’autorité (Doc 4)
3. Les limites de la soumission à l’autorité : un cas extrême. (Film et Doc 5)
Notion à retenir : Pouvoir, pouvoir dissuasif, pouvoir rétributif, pouvoir persuasif, pouvoir
traditionnel, pouvoir charismatique, pouvoir légal rationnel. Idéal-type. Autorité.
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I. Un rapport social d’interdépendance asymétrique…
1. Définition
Qu’est-ce que le pouvoir ?
Que chacun note une définition, un ou deux exemples
Classer les réponses des élèves en deux catégories :
- Le mot pouvoir désigne au sens institutionnel l'appareil d'Etat qui gouverne un pays. Les pouvoirs publics gèrent
le pays, promulguent des lois et des décrets et les font appliquer. Le mot pouvoir désigne alors par la même occasion
ceux qui dirigent le pays et qui font face au groupe qu'on appelle l'opposition.
- Dans un deuxième sens, le mot pouvoir désigne une sorte de ressource dont dispose un individu ou un groupe. On
dit qu'il peut faire ceci ou cela, ce qui signifie que l'individu détient ou prétend détenir une capacité d'action sur la
réalité. Cette capacité provient de sa compétence, de ses connaissances ou de la fonction qu'il remplit.
Doc 1. Le pouvoir : un rapport d’interdépendance asymétrique
N’oublions pas que si les parents ont un pouvoir sur le bébé, ce dernier exerce, dès le premier
jour de sa vie, un pouvoir sur ses parents et cela aussi longtemps qu’il représente pour eux une
valeur quelconque. Dans le cas contraire, il perd tout pouvoir ; à la limite, les parents peuvent
abandonner leur enfant sur celui-ci crie trop. Il en va de même dans les relations de maître à
esclave. Non seulement le maître détient un pouvoir sur son esclave, mais l’esclave lui aussi –
selon les fonctions qu’il remplit auprès de son maître- détient en retour un pouvoir sur celui-ci.
Dans le cas de ces relations entre parents et enfants, maîtres et esclaves, l’équilibre des forces est
très inégalement réparti. Que la différence de pouvoir soit faible ou forte, on trouvera toujours
des équilibres de force, là où existent des interdépendances fonctionnelles entre des hommes.
L’emploi du terme « force » ou « pouvoir » risque de nous induire en erreur. Nous disons s’un
homme qu’il possède un grand pouvoir, comme si le pouvoir était un objet qu’il transporte dans
sa poche […]. Le pouvoir n’est pas une amulette que l’un possède et l’autre non ; c’est une
particularité structurelle des relations humaines –de toutes les relations humaines.
N. Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Pandora, 1981, pp. 85-86
1. Montrer comment l’esclave exerce un certain pouvoir sur son maître
Par les fonctions qu’il exerce auprès de son maître, l’esclave lui est utile et il a donc une certaine emprise sur son
bien-être. Ceci étant dit, il faut rappeler que le pouvoir du maître sur son esclave est supérieur puisque son pouvoir
de nuisance est nettement supérieur.
2. Pourquoi ne peut-on véritablement « posséder » le pouvoir ?
Le pouvoir n’appartient jamais à une personne propre, il est le propre d’une relation. On ne peut donc penser le
pouvoir en dehors d’un contexte ou d’une configuration.
Par exemple, Dominique De Villepin, Premier Ministre en 2006 aurait pu déclarer la mobilisation générale, tous
les hommes entre 18 et 35 ans auraient du alors se rendre dans les casernes. Si le même Dominique de Villepin
faisait cette déclaration aujourd’hui, personne ne se mobiliserait. On voit ici que le pouvoir est la propriété d’une
fonction et non d’une personne.
3. Quelle définition pouvez-vous donner du pouvoir ?
La notion de pouvoir désigne la relation asymétrique entre deux individus et/ou groupes, l’un désirant influencer le
comportement du ou des autres pour le conformer à ses attentes. Dans cette optique, le pouvoir s'exerce lorsqu'un
individu fait agir d'autres individus conformément à sa volonté au cours d'une interaction. C'est le sens du mot que
retiennent les sociologues. Par exemple Max Weber écrit que le pouvoir est "toute chance de faire triompher au sein
d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances".
Nous avons ici défini le pouvoir, mais pour l’instant, rien ne nous permet de comprendre
pourquoi les individus se soumettent aux injonctions d’autrui.
2. Pourquoi se soumet-on au pouvoir ?
Doc 2. Les instruments du pouvoir
« L'analyse du pouvoir se prête assez bien au jeu des 'trois'. Il existe trois instruments pour
l'exercer et trois attributs ou institutions en confèrent le droit. On mesure l'insuffisance de l'étude
du pouvoir à l'absence de termes communément admis pour en désigner les trois instruments,
pourtant assez évidents. Nommons-les donc ; ce sont la dissuasion, la rétribution et la persuasion
ou le conditionnement.
Le pouvoir dissuasif obtient la soumission par sa capacité d'imposer aux préférences de
l'individu ou du groupe une condition de réalisation suffisamment désagréable ou douloureuse
pour qu'elles soient abandonnées. Il est hors de doute que l'esclave galérien eut préféré épargner
sa peine, mais le désagrément promis par le fouet pour tout relâchement dans le maniement des
avirons était suffisamment douloureux pour garantir que l'effort requis, bien que pénible, serait
fourni. Dans un contexte moins cruel, un individu se retiendra de dire ce qu'il pense et se rangera
à l'avis d'autrui parce que la réprobation qu'il encourrait dans le cas contraire lui semble
insupportable […].
Le pouvoir rétributif, en revanche, l'obtient par l'offre d'une récompense positive, par le don,
à celui qui se soumet, d'une valeur. A un stade antérieur du développement économique et encore
aujourd'hui dans les économies rurales élémentaires, cette compensation pouvait revêtir la forme
de paiements en nature, du droit de cultiver un lopin de terre ou de toucher une part du produit
des champs du propriétaire. Et si la réprobation privée ou publique constitue une forme de
pouvoir dissuasif, la louange en est une du pouvoir rétributif. Mais dans l'économie moderne,
l'expression dominante de ce pouvoir consiste en la rétribution monétaire, le paiement en espèces
des services rendus […]
Les pouvoirs dissuasifs et rétributifs ont en commun le fait qu'on s'y soumet en toute
conscience. Le pouvoir persuasif, lui, modifie les pensées mêmes. La persuasion, l'éducation ou
l'adhésion sociale à ce qui paraît à l'individu naturel, adéquat ou juste l'amène à se soumettre à la
volonté d'un ou de plusieurs autres […]. Ce pouvoir persuasif, plus que les pouvoirs dissuasif et
rétributif, joue un rôle essentiel […] dans le fonctionnement de l'économie et des institutions
politiques modernes ».
J.K. Galbraith, L'anatomie du pouvoir, 1985
Question : Quels sont les trois instruments du pouvoir que distingue J.K. Galbraith? Illustrez
votre réponse par des exemples contemporains.
Les instruments du pouvoir distingués ici sont, d’une part, la sanction (un élève doit travailler sous peine d’avoir
une mauvaise note, ne pas voler ou tuer sous peine d’aller en prison), d’autre part la récompense (regarder un
documentaire sur les castors pour faire plaisir à l’oncle Tom, la charité, le travail en échange d’un salaire) et enfin
la persuasion (les règles de politesse, aller voter).
3. Pourquoi existe-t-il des relations de pouvoir ?
Question 1 : Une société sans pouvoir est-elle possible ? Pourquoi ?
Il n’y a pas de société possible sans pouvoir car dans ce cas il ne s’agirait plus d’une société mais d’une collection
d’individus sans relations. Ici se poserait alors des problèmes de coopération pour la survie et la reproduction des
individus. Pour résoudre ce problème, il est vraisemblable que s’instaure des rapports de pouvoir de type « la loi du
plus fort ». Chassez le pouvoir par une porte et il reviendra par une autre.
Question 2 : Comment explique-t-on alors l’existence de relations de pouvoir ?
Les rapports de pouvoir sont inhérents à la plupart des relations sociales. Sans rapport de pouvoir, il n’y a plus de
relation et donc plus de société. Les rapports pouvoir sont donc nécessaire à l’existence d’une société mais également
à son fonctionnement. Le pouvoir a donc une fonction d’utilisé puisqu’il contraint les individus à coopérer et à se
coordonner entre eux.
Bilan : Le pouvoir n’est jamais une relation unilatérale. Celui qui le subit n’est jamais totalement
démuni d’un contre pouvoir, si réduit soit-il. Contrairement à ce qu’on pense trop souvent, les
individus ne se soumettent pas toujours à une injonction sous la menace d’une sanction ; ils
peuvent aussi s’y conformer dans l’espoir d’une rétribution ou parce qu’ils ont intériorisé cette
contrainte comme naturelle ou légitime. Par ailleurs les relations de pouvoir sont nécessaires à
l’existence même d’une société ainsi qu’à son fonctionnement.
I.
… qui s’exerce selon différentes modalités
1. Un pouvoir durable peut-il s’appuyer uniquement sur la contrainte ?
.Doc. 3. L'insuffisance des contraintes :
Peyo, Les Schtroumpfs, Le Schtroumpfissime.
Question 1 : Ces deux pages n'ont pas lieu au même moment dans la BD. Quel est le point
commun entre les deux scènes ?
Question 2 : Quels sont les moyens employés par le Schtroumpfissime pour obtenir l'obéissance
des Schtroumpfs dans chacune des deux scènes ?
Question 3 : A votre avis, le pouvoir du Roi des Schtroumpfissime est-il stable à long terme ?
Comment finira alors l'histoire racontée dans cette BD ?
Dans cet exemple, on voit bien que si les contraintes sont considérées comme arbitraires, elles ne
permettent plus d’assurer une réelle soumission à l’autorité. Ainsi aucune société ne peut reposer
entièrement sur la contrainte pure car, pour que les contraintes soient efficaces, il est nécessaire
que les individus qui s'y soumettent accordent un minimum de crédit à celui qui les exerce.
L'ordre social ne peut exister qu'en raison du consentement de ceux qui s'y soumettent. Cela ne
signifie pas pour autant que la contrainte ait disparu mais qu’elle est méconnue en tant que telle
ou reconnue comme nécessaire.
2. La nécessité de légitimer l’autorité
Comme nous venons de le voir, pour être durable, un pouvoir doit être légitime. Nous allons
donc nous intéresser aux fondements de la légitimité de l’autorité. Pour cela nous devons
commencer par la définir. L’autorité selon Max Weber est « la chance de trouver obéissance de la
part d’un groupe déterminé d’individus, chance fondée sur la croyance en la légitimité de celui qui
la possède ou l’exerce »
Doc. 4. Les types de légitimité :
"Il existe en principe trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent
il existe trois fondements de la légitimité.
"Tout d'abord, l'autorité de l'éternel hier, c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur
validité immémoriale et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le pouvoir
traditionnel que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois.
"En second lieu, l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu
(charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme
et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités
prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le
pouvoir charismatique que le prophète exerçait, ou – dans le domaine politique – le chef de guerre
élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique.
"Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la légalité, en vertu de la croyance en la
validité d'un statut légal et d'une compétence positive fondée sur des règles établies rationnellement,
en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au
statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le serviteur de l'Etat moderne, ainsi que tous les
détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport".
Max Weber, Le métier et la vocation d'homme politique
Question : Quels sont les fondements de la légitimité du pouvoir ? Vous illustrerez votre réponse
par des exemples contemporains.
Selon Max Weber, une autorité peut être légitimée de trois manières :
- Par la tradition : ce type d’autorité repose sur les coutumes ou sur la culture d’un groupe. Ici, le pouvoir
actuel s’appuie uniquement sur le pouvoir passé. Ce type d’autorité n’existe plus à l’état pur dans les
sociétés occidentales contemporaines. Cependant l’autorité du père de famille en est une rémanence partielle.
- Par le charisme : ce type d’autorité repose sur la personne même de celui qui l’exerce. Ce dernier est réputé
disposer de qualités singulières et exceptionnelles qui le placent au dessus des autres. C’était par exemple
le cas du Général de Gaulle ou de l’Abbé Pierre.
- Par la légalité : Ce type d’autorité repose sur des compétences validées rationnellement et sur la légalité.
Celui qui exerce ce type d’autorité la retire de la reconnaissance d’un certain nombre de compétences
adéquates à sa fonction et du fait que l’accès à et l’exercice de son autorité se font selon des procédures
légales. Par exemple un député, un fonctionnaire, un médecin…
Il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’ideaux-types, de types purs, de modèles stylisés. Ils visent moins à décrire la
réalité qu’à nous aider à la comprendre en la simplifiant et en mettant en relief les traits saillants.
Dans les faits, il est tout à fait possible qu’une autorité puisse cumuler différents types de légitimité.
3. Les limites de la soumission à l’autorité : un cas extrême.
On a vu qu'il existe différents types de légitimité. On peut maintenant s'intéresser un peu plus à
ceux qui reçoivent des commandements. On a déjà dit qu'il y a un double fondement au pouvoir,
contrainte et légitimité reconnue. Pour voir que c'est bien la légitimité qui compte le plus, on va
prendre un exemple extrême, tiré d'une expérience réelle réalisée dans les années 1960 par Stanley
Milgram. La question que l'on peut en effet se poser, c'est, jusqu'où quelqu'un qui reçoit un ordre
accepte d'aller, alors même qu'il n'y a aucune contrainte qui pèse sur lui.
Pour montrer que la légitimité est le moyen le plus efficace pour faire respecter un ordre, on peut
reprendre les conclusions des expériences de Stanley Milgram. Ces expériences furent réalisées à
l'Université de Yale de 1960 à 1963 et ont pour nom Soumission à l'autorité. Le film I comme Icare de
Henry Verneuil reprend cette expérience.
Travail d'abord avec la vidéo. Répondre à la fiche de questions
Fiche de questions – I comme Icare par Henry Verneuil (1979)
Où a lieu l’expérience ? Dans un département de psychologie à l’université
Comment ont été recrutés les participants ? Les participants ont été recrutés par une annonce dans un
journal.
Quels rôles joue M. Despaul dans l’expérience ? Il est le moniteur et il joue le rôle du cobaye, c’est lui qui
est le véritable sujet de l’expérience.
Quels rôles joue M. Rivoli dans l’expérience ? Il est l’individu qu’on électrocute, mais c’est un acteur chargé
de jouer un rôle devant M. Despaul.
Quel rôle joue le professeur Flavius dans l’expérience ? Il joue le rôle de l’autorité.
A quels moments parle-t-il ? Il parle chaque fois que Monsieur Despaul hésite à exécuter les ordres qui lui ont
été donnés à l’origine
Explication :
Qu’étudie le professeur Naggara ? Le professeur Naggara étudie la soumission à l’autorité dont font preuve
les individus.
Pourquoi le professeur Naggara dit-il au procureur Volney : «Vous, c’est à 180 volts que vous
avez réagi » ? Pour lui montrer que le comportement de M. Despaul n’est pas un cas isolé mais peut très bien se
retrouver chez tout individu. .
Dans la vidéo montrée par le professeur, quand s’arrête le personnage de Daslow ? (On ne parle
pas, ici, du nombre de Volt, mais du motif qui provoque l’interruption de l’expérience). Il s’arrête
lorsque l’autorité n’est plus claire : la légitimité de l’expérience n’est plus entière.
Quelles sont les deux justifications que donne Daslow de ses actes pendant l’expérience ? Les deux
justifications de Daslow sont de dire qu’il exécute les ordres parce que ce sont des ordres, et surtout qu’il les exécute
parce que ces ordres lui ont été donnés par une autorité qu’il respecte.
Doc. 5 : L’analyse des résultats :
Si toutes les sociétés, primitives ou évoluées, possèdent nécessairement des structures d’autorité,
la notre présente la caractéristique supplémentaire d’inculquer à ses membres l’habitude de se
soumettre à des autorités impersonnelles. Le degré d’obeissance n’est probablement pas moindre
chez un Masai que chez un ouvrier d’usine américain, mais alors que tous les représentants de
l’autorité sont personnellement connus de l’indigène, le monde industriel moderne contraint les
individus à se soumettre à des entités impersonnelles, à une autorité abstraite symbolisée par des
insignes, un uniforme ou un titre (…)
L’idée de la science et la reconnaissance de son utilité en tant qu’entreprise sociale légitime
fournissent à l’expérience la justification de l’idéologie dominante. Les affaires, l’Eglise, le
gouvernement, l’enseignement représentent autant de domaines normaux de l’activité humaine
qui, d’une part, sont légitimés par les valeurs et les besoins de la société et, d’autre part, sont
acceptés par le citoyen type comme inhérent au monde où il est né et où il vit (…). La
justification idéologique se révèle essentielle quand on veut obtenir l’obéissance spontanée. Elle
permet au sujet docile de voir son comportement en relation avec un objectif souhaitable. (…)
Pour qu’un homme se sente responsable de ses actes, il doit avoir conscience que son
comportement lui a été dicté par son « moi profond ». Dans la situation de laboratoire, nos sujets
ont précisément un point de vue opposé : ils imputent leur action à une autre personne. Ils nous
ont souvent dit, au cours de nos expériences : « s’il ne s’en était tenu qu’à moi, jamais je n’aurais
administré de chocs à l’élève ». (…) Considérons un individu qui, dans la vie quotidienne est doux
et bienveillant. Même dans ses accès de colère, il ne se livre pas à des voies de fait sur ceux qui
l’ont irrité. S’il doit corriger un enfant coupable de quelque sottise, il y répugne à tel point qu’il se
sent physiquement incapable de lui donner une gifle et il finit par y renoncer. Pourtant, quand ce
même homme est appelé sous les drapeaux et qu’il reçoit l’ordre de bombarder des populations, il
s’exécute. Cet acte n’a pas pour origine son propre système de motivation, il n’est donc pas
réfréné par les forces inhibitrices de son psychisme personnel.
Stanley Milgram. Soumission à l’autorité. Calmann Levy. 1974.
Question 3 : Que veut-dire l’auteur quand il dit que notre société se caractérise par « l’habitude de
se soumettre à une autorité impersonnelle ?
Ce que l’auteur veut dire, c’est que dans nos sociétés, de par la fragmentation et l’allongement des chaînes de
responsabilités, les individus sont rarement confrontés directement aux donneurs d’ordre. Ainsi, l’autorité n’est pas
incarnée dans une personne, mais dans une fonction dont on ne connait pas nécessairement le titulaire. On obeit
alors non plus à un individu mais à une autorité impersonnelle dont la légitimité repose sur son statut et ses
compétences supposées. Il s’agit donc ici d’une autorité de type légal-rationnel. On n’obéit pas à la personne par
respect pour une coutume ni parce qu’elle nous en convainc par son charisme, mais parce que la fonction qu’elle
occupe lui confère en elle-même, la légitimité nécessaire.
Question 4 : En quoi cela permet-il d’expliquer les résultats de l’expérience ?
La légitimité des détenteurs de l’autorité est suffisamment forte, en raison de leur compétence et de leur statut, pour
que les individus s’en remettent à eux. Ici, les injonctions de l’autorité se substituent aux motivations personnelles
qui poussent habituellement un individu à faire ou ne pas faire quelque chose.
Question 5 : Comment les auteurs d’actes considérés comme condamnables par l’observateur
justifient-ils leurs actes ? Donnez des exemples.
Ces individus disent qu’ils ne sont pas responsables de leurs actes. Ils affirment que la responsabilité revient à une
autorité dont la légitimité était suffisante pour les convaincre de commettre les actes. Les individus s’exonèrent de
toute responsabilité puisqu’ils ont mis en suspens leurs inhibitions personnelles en se soumettant à une autorité
supérieure.
Parler du Livre « Des hommes ordinaires, le 101 bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en
Pologne. », 1994
Ce que nous montre l'expérience de Stanley Milgram, c'est que la reconnaissance de l'autorité, ici
sous une forme légale-rationnelle, peut conduire des individus à renier leur propre grille de
valeurs au profit de celle qu'on leur impose. Même sans utiliser de contraintes, un pouvoir
reconnu comme légitime peut donner les ordres les plus absurdes qui soient et être respecté
malgré tout. Ainsi, sans légitimité, le pouvoir ne serait rien d’autre que pure brutalité.
Bilan : Le détenteur du pouvoir doit convaincre que le pouvoir qu’il prétend exercer est luimême légitime et que lui-même présente les propriétés adéquates pour cette tâche. Max Weber a
ainsi distingué trois grandes sources de légitimité : la tradition, le charisme et la rationalité.
L’expérience de Milgram montre qu’on peut amener des individus normalement pacifiques et
socialisés à des comportements de tortionnaires en les convainquant qu’une raison supérieure (la
science par exemple), l’emporte sur les principes habituels de respect de la personne humaine.
Selon Milgram, une telle transformation est facilitée par l’habitude de nos sociétés de nous
soumettre à des autorités impersonnelles.
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