BACCALAUREAT BLANC – 2007 – Spécialité SES – Durée 1h. -SUJET AThème du programme Progrès technique et évolution économique – J. A. Schumpeter. Document 1 Nous avons vu que le rôle de l'entrepreneur consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention, ou, plus généralement, une possibilité technique inédite. [...] C'est à ce genre d'activité que l'on doit primordialement attribuer la responsabilité des « prospérités » récurrentes qui révolutionnent l'organisme économique, ainsi que ses « récessions » non moins récurrentes qui tiennent au déséquilibre causé par le choc des méthodes ou produits nouveaux. [...] Or, cette fonction sociale est, dès à présent, en voie de perdre son importance et elle est destinée à en perdre de plus en plus et à une vitesse accélérée dans l'avenir, ceci même si le régime économique lui-même, dont l'initiative des entrepreneurs a été le moteur initial, continuait à fonctionner sans perturbations. En effet, [...] il est beaucoup plus facile désormais que ce n'était le cas dans le passé, d'accomplir des tâches étrangères à la routine familière — car l'innovation elle-même est en voie d'être ramenée à une routine. Le progrès technique devient toujours davantage l'affaire d'équipes de spécialistes entraînés qui travaillent sur commande et dont les méthodes leur permettent de prévoir ces résultats pratiques de leurs recherches. [...] Ainsi, le progrès technique tend à se dépersonnaliser et à s'automatiser. Le travail des bureaux et des commissions tend à se substituer à l'action individuelle. J. A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie (1947), Payot, 1990. Document 2 L'innovation est devenue, depuis deux décennies, un facteur clé pour creuser l'écart avec la concurrence, mais, pour près de la moitié des entreprises françaises, c'est la coopération avec d'autres entreprises ou avec des partenaires institutionnels qui est la règle en matière de recherche et développement (R&D). Selon l'enquête menée par le ministère de l'Éducation, ces partenariats représentent un peu plus du quart du budget de ces entreprises en R&D. Et plus les dépenses en R&D de l'entreprise sont importantes, plus la coopération est de mise : les entreprises manufacturières de haute technologie sont plus de 60 à mener des coopérations en R&D. Un moyen pour elles de mutualiser les risques d'activités très coûteuses et dont les résultats sont très incertains. Les entreprises qui choisissent la coopération en R&D le font le plus souvent avec des partenaires extérieurs au groupe auquel elles appartiennent. Elles espèrent ainsi accéder à des compétences en R&D très spécifiques qu'elles n'ont pas développées en interne. « Les relations interentreprises en R&D », Note recherche n° 05.01, mai 2005, MNESR/DEP. Questions 1. A l’aide de vos connaissances et du document 1, vous présenterez le rôle de l’entrepreneur capitaliste et le lien entre l’innovation et la dynamique du capitalisme d’après Schumpeter. (12 points). 2. Expliquez la phrase soulignée dans le document 1. (4 points). 3. Le contenu du document 2 confirme-t-il à l’heure actuelle les craintes formulées par Schumpeter quant à l’évolution du rôle de l’entrepreneur ? (5 points). I/ CORRIGE REDIGE Question 1 Selon Schumpeter (1883-1950), les entrepreneurs jouent un rôle fondamental dans le système économique capitaliste puisqu'ils le révolutionnent en introduisant et en diffusant des innovations, notamment des innovations majeures dans des branches motrices, entraînant une révolution industrielle (et avec elle tout un processus de « destruction - créatrice »). Pour Schumpeter, une innovation se manifeste par de une nouvelle combinaison productive qui peut prendre cinq formes différentes : nouveau produit, nouveau procédé, ouverture d'un nouveau marché, utilisation d'une nouvelle ressource naturelle, ou réalisation d’une nouvelle organisation du travail ou de la production. Elle correspond à une opportunité que l'entrepreneur saisit au bon moment, c'est-à-dire sur laquelle il parie. Ce n'est donc pas la possession de capital ou la fonction de direction d'une entreprise qui caractérise l'entrepreneur schumpétérien, mais bien plutôt celle d'aventurier, c'est-à-dire de l'individu qui accepte de « sortir des sentiers battus », donc de « briser la routine !» (cf. document 1 – « révolutionner la routine de production… ») Schumpeter distingue cependant deux types d'entrepreneurs : les innovateurs et les routiniers. Ce sont les premiers qui mettent en mouvement les innovations majeures constituant le cœur de la dynamique capitaliste, autrement dit qui expliquent les phases d'expansion et de récession qui le traversent (Cf. document 1 : « C'est à ce genre d'activité que l'on doit primordialement attribuer la responsabilité des « prospérités » récurrentes qui révolutionnent l'organisme économique, ainsi que ses « récessions » non moins récurrentes qui tiennent au déséquilibre causé par le choc des méthodes ou produits nouveaux. [...]). L'entrepreneur innovateur est un individu clairvoyant, capable d'anticiper, c'est-à-dire de choisir parmi toutes les inventions celle qui va satisfaire une demande. Il est celui qui va de l'avant, un joueur et un acharné au travail dont la motivation est la volonté de « changer les choses », c'est-à-dire de révolutionner la production et le commerce. L'entrepreneur innovateur est certes mû par l'appât du gain : il est conscient du surprofit que lui apporte la position de monopole temporaire qu'une découverte confère à tout innovateur. Mais il est aussi soucieux de laisser son empreinte dans le système capitaliste en le révolutionnant de l'intérieur, donc soucieux d'être reconnu. Sa réussite et sa médiatisation ont autant d'importance que la richesse qu'il tirera du succès de son pari. Ainsi donc d’après J. A. Schumpeter, au cœur de la dynamique du capitalisme se trouvent un acteur fondamental : l'entrepreneur, et un acte essentiel sans lequel l'économie capitaliste serait condamnée à un « état stationnaire » : l'innovation. Une innovation n’arrive jamais seule ; elles arrivent en grappes (« grappes d'innovations » - plusieurs innovations dépendantes les unes des autres se succèdent dans un laps de temps très court). Ces grappes d’innovation jouent donc un premier rôle essentiel dans l'impulsion donnée à l’activité économique : en effet le secteur qui innove va accroître ses débouchés et augmenter sa production, ce qui va être à l’origine d’une distribution supplémentaire de revenus qui va bénéficier à l’ensemble de l’économie. Celui-ci, en augmentant sa production et en embauchant va permettre la distribution de revenus supplémentaires qui vont servir de débouchés aux industries des biens et des services de consommation. Ce sont autant d’éléments qui vont être à l’origine d’une dynamique de croissance économique. La période de croissance économique est donc lancée par la généralisation du phénomène de l'innovation (fruit de la prise de risque des entrepreneurs). Mais le succès des entrepreneurs innovateurs dans un secteur est aussi à l'origine d'un phénomène d'imitation. Attirées par la hausse du profit née de l'innovation et par la perspective de profits faciles, des « entrepreneurs imitateurs » apparaissent. Dans ce contexte, la concurrence que se livrent les entreprises est à l'origine d'un excès d'offre (saturation progressive des débouchés !), d'une tendance à la baisse des prix et des profits qui va éliminer les entreprises les plus fragiles causant ainsi faillites et chômage. C'est la « crise » et l'avènement d'une période de fort ralentissement de la croissance, voire de diminution de la production. Le retour à une période de croissance sera rendu possible grâce à l’arrivée d’une nouvelle vague d’innovations. 1 Les innovations déstabilisent donc régulièrement de l’intérieur, le fonctionnement du capitalisme et sont à l’origine d’un processus de « destruction créatrice » qui élimine les industries obsolètes qui n'ont pas su innover. Ainsi, l’arrivée de nouvelles innovations rend caduque les anciens produits ou obsolètes les anciens procédés, contribuant ainsi à leur disparition (« destruction »), alors qu’en parallèle se diffusent des produits et des procédés nouveaux dans l’économie (« créatrice »). Ce sont donc bien l’introduction, la diffusion et le renouvellement des innovations sous l’impulsion des entrepreneurs innovateurs qui sont à l’origine de la dynamique du capitalisme. Question 2 Dans ce passage, J. A. Schumpeter montre que l’entrepreneur en innovant (« … à ce genre d’activité » qui renvoie au tout début du document) va être à l’origine des fluctuations de l’activité économique. Fluctuations qui vont se répéter (« récurrentes »). En innovant, l’entrepreneur va révolutionner, bouleverser, déstabiliser le fonctionnement même du capitalisme (« […] qui révolutionnent l’organisme économique ») conduisant l’économie vers des périodes de forte croissance économique (« prospérités ») qui vont alterner avec des périodes de ralentissement voire de baisse de la production (« récessions »). Ces phases de croissance et de récession ont bien un facteur commun : l’introduction et la diffusion d’innovations (« […] qui tiennent au déséquilibre causé par le choc des méthodes ou des produits nouveaux… »). Le lien qui s’établit entre l’innovation et le rythme de l’activité économique se comprend aisément. L’arrivée de nouvelles innovations rend caduques les anciens produits ou obsolètes les anciens procédés déjà largement diffusés et éprouvés, contribuant ainsi à la disparition des entreprises et des emplois concernés alors qu’en parallèle se diffusent des produits et des procédés nouveaux dans l’économie créant des débouchés pour les entreprises qui les ont mis en œuvre, créant des emplois, générant la diffusion de revenus supplémentaires dans l’économie… autant d’éléments qui concourent à la prospérité économique jusqu’à ce que ces innovations soient à leur tour dépassées, etc. Derrière l’ensemble de ces événements, on retrouve le fameux processus de « destruction - créatrice » énoncé par Schumpeter. Question 3 J. A. Schumpeter avait déjà formulé l’hypothèse et émis la crainte d’une disparition des « capitaines d'industrie » au cœur de l'innovation qui alimente le progrès technique. Avec les entrepreneurs innovateurs, l'innovation éclot de manière irrégulière et spontanée. Elle est l'œuvre d'un homme ou de quelques génies éclairés. Mais progressivement, avec le développement de la grande entreprise, l'innovation devient le résultat d'un processus rationalisé, planifié, démarrant avec la recherche fondamentale réalisée dans des laboratoires de recherche. Les découvertes scientifiques qui y naissent sont à l'origine d'inventions contrôlées débouchant sur des innovations quasiment programmées (automatisées), dont la paternité ne peut plus être attribuée à un seul homme mais à une équipe de chercheurs. Le document 2 confirme la disparition progressive de l'entrepreneur innovateur comme figure de proue du capitalisme. En effet, depuis une vingtaine d'années, l'innovation est le résultat de l'activité de recherche et développement réalisée par les laboratoires de recherche d'entreprises en partenariat (alors que pour Schumpeter, l’innovation était un moyen pour celui qui la mettait en œuvre de « distancer la concurrence » !!!). Cette évolution aboutit donc à mettre l'accent sur le rôle prééminent de la « technostructure », pour reprendre l'analyse de J. K. Galbraith. Elle s'explique par l'intérêt financier qu'y trouvent les entreprises. En effet, la recherche requiert aujourd'hui une masse de capitaux de plus en plus importants. En même temps, la durée de vie des innovations qui en découlent se raccourcit ; il faut donc amortir le fruit de l'activité de R&D sur un laps de temps de plus en plus court. Au total, cela justifie la coopération et le partenariat entre entreprises, que ce soit pour le financement de l'activité de recherche ou la mise en commun des infrastructures de recherche. De telles associations permettent en effet de répartir les risques financiers liés à l'activité même de recherche et de bénéficier d'économies d'échelle, c'est-à-dire de réduire le coût unitaire de la recherche. 2 II/ GRILLE DE CORRECTION DE LA COPIE (Valorisations Max. 2 pts pour la copie). Idées (clairement exprimées) Barème QUESTION 1 12 points Définition de l’entrepreneur capitaliste et de son rôle : clairvoyant, audacieux, prévoyant, envieux de « marquer son temps », etc. (0,5) introduit l’innovation ; (0,5) ( incontournable) prend le risque d’innover ; (0,5) ( incontournable) « brise la routine » au niveau de la production. (0,5) Définition d’une innovation au sens de Schumpeter = nouvelle combinaison productive. (NB : absence de définition qui peut être partiellement compensée par la citation d’au moins 3 formes d’innovations – 0,5) Les innovations arrivent en « grappes ». Définition d’une grappe d’innovation plusieurs innovations dépendantes les unes des autres se succèdent dans un laps de temps très court. /2 /1 / 0,5 /1 * L’innovation va être à l’origine d’une phase de croissance économique. Valorisation pour référence à la phase ascendante d’un cycle long de Kondratiev. Le secteur qui innove va accroître ses débouchés et augmenter sa production (1) + d’embauche et/ou + de revenus dans l’économie (0,5) + de débouchés pour les entreprises produisant les biens et les services de consommations ou hausse de la production ou phase de prospérité (0,5). (+0,5) /2 * Basculement vers la phase de récession. Valorisation pour référence à la phase descendante d’un cycle long de Kondratiev. Attirées par la hausse du profit née de l'innovation, des « entrepreneurs imitateurs » apparaissent. (+ 0,5) / 0,5 Forte concurrence entre les entreprises ou saturation progressive des débouchés (0,5) tendance à la baisse des prix et des profits qui va éliminer les entreprises les plus fragiles (0,5) faillites, chômage (0,5) avènement d'une période de fort ralentissement de la croissance, voire de diminution de la production ou récession (0,5). /2 Le retour à une période de croissance sera rendu possible grâce à l’arrivée d’une nouvelle vague d’innovations. / 0,5 Les innovations sont à l’origine d’un processus de « destruction créatrice » - simple citation. / 0,5 Explication du processus de destruction créatrice (1 ère possibilité) : « Le nouveau remplace l’ancien ». Explication du processus de destruction créatrice (2 nde possibilité) : - /1 « créatrice » diffusion de nouveaux produits et procédés dans l’économie croissance économique. « destructrice » l’arrivée de nouvelles innovations rend caduques les anciens produits ou obsolètes les anciens procédés, contribuant ainsi à leur disparition crise. Au moins une citation pertinente du texte de Schumpeter. /1 3 Idées (clairement exprimées) Barème QUESTION 2 4 points Entrepreneur capitaliste (= entrepreneur innovateur) qui innove (0,5) déstabilisation de l’organisation économique (0,5) génère des fluctuations de l’activité économique (0,5). / 1,5 Explication pertinente des mécanismes à l’œuvre dans une phase de prospérité. /1 Explication pertinente des mécanismes à l’œuvre dans une phase de dépression / récession. /1 Efforts déployés par l’élève pour « coller » au plus près des expressions utilisées dans le passage souligné et les expliquer en montrant clairement ce qu’elles sous entendent (EX : effort d’un(e) élève pour expliquer plus particulièrement un passage de la phrase soulignée). / 0,5 (+0,5) Valorisation pour référence au processus de « destruction-créatrice ». Idées (clairement exprimées) Barème QUESTION 3 4 points Signes visibles des changements quant au personnage de l’entrepreneur capitaliste et à l’introduction de l’innovation. (NB : l’analyse de Schumpeter sur ce point est présentée de manière claire dans le document 1 !!!) : processus d’innovation qui devient l’affaire d’une équipe de spécialistes et non le résultat d’une initiative individuelle (fin de l’entrepreneur capitaliste au sens de Schumpeter innovation « trait de génie d’un homme audacieux » !) ; Spécialistes qui travaillent « sur commande » en cherchant à prévoir de manière rationnelle les résultats de leurs recherches (= moins de spontanéité et moins de prise de risques ou prise de risque plus mesurée on est aux antipodes de la description que fait Schumpeter de la démarche d’innovation !). / 1,5 Remarque 1 : Pour avoir 1,5 pts, le candidat doit évoquer au moins un de ces deux signes et montrer que cela va dans le sens des idées des prémonitions de Schumpeter. Remarque 2 : Le candidat peut avoir 3 points s’il développe correctement ces deux points. Constat du document 2 : Aujourd’hui, il existe de plus en plus de coopération et de partenariats entre les entreprises pour financer les dépenses de R&D ou mieux répartir les risques financiers de la R&D (alors que pour Schumpeter, l’innovation était un moyen de distancer la concurrence… il y avait plus compétition entre les entreprises que partenariat). Bilan / réponse claire à la question posée « OUI » les idées contenues dans le document 2 confirment bien l’analyse de Schumpeter quant à l’évolution du rôle de l’entrepreneur capitaliste. / 1,5 /1 NB : 0,5 seulement si réponse sans réelle argumentation. Valorisation pour référence à la notion de « technostructure » évoquée par J. K. Galbraith. (+0,5) P. Bailly – 01 /2007 4