5
Quand on connaît la suite des événements, ce refus laisse perplexe. On sait en effet que la
croisade albigeoise n’aura aucun effet sur le plan religieux : en 1229, c’est-à-dire au bout de
20 ans de guerre, le catharisme se retrouvera aussi fort, sinon plus, qu’en 1209 ; au point que
l’Eglise, renvoyant la chevalerie française dans ses foyers, devra inventer un nouveau système
de répression de l’hérésie, et ce sera l’Inquisition – laquelle mettra certes un siècle à venir à
bout du catharisme, mais elle y parviendra. En revanche, la croisade aura, au plan
géopolitique, et non plus religieux, des conséquences majeures : en annexant au domaine
royal capétien les vicomtés de Béziers, Carcassonne et Albi ainsi que la moitié des Etats du
comte de Toulouse, et en préparant à moyen terme l’annexion du reste, le traité qui sera signé
à Paris en 1229 arrachera définitivement le Languedoc aux ambitions de la Maison de
Barcelone. Dans le même temps, il ouvrira au royaume de France une large fenêtre sur la
Méditerranée
Cette croisade dont la Couronne capétienne allait tirer tous les bénéfices que l’on sait, le
roi de France, dès le départ, ne la voulait donc pas ! De silences indifférents en réponses
dilatoires, Philippe Auguste réduisit le Saint-Siège à l’impuissance, le contraignant à envoyer
en Languedoc, à défaut des soldats qu’il ne trouvait nulle part, des moines prédicateurs, en
majorité des cisterciens, afin d’essayer de convaincre les habitants, des plus humbles foules
jusqu’aux plus puissants seigneurs, de ne pas abandonner le pays à l’hérésie.
*
Ce que les historiens ont donc appelé la « croisade spirituelle », – mais qui n’avait été, en
fait, qu’un pis-aller – finit quand même par faire place à la croisade des armes, lorsque, en
janvier 1208, fut assassiné, non loin de Saint-Gilles-du-Gard, le légat pontifical Pierre de
Castelnau. Innocent III lança aussitôt à toute la Chrétienté un cri d’alarme indigné, dénonçant
le comte de Toulouse comme l’instigateur du crime et renouvelant l’« exposition en proie » :
« En avant, chevaliers du Christ !... Qu’il soit permis à tout catholique, non seulement de
combattre le comte en personne, mais encore d’occuper et de conserver ses biens. Chassez-le,
lui et ses complices, dépouillez-les de leurs terres… ».
Philippe Auguste tenta bien, une dernière fois, d’empêcher la croisade. Brandissant le droit
féodal, il répondit au pape que son intervention dans le sud du royaume était parfaitement
illégale : « Vous n’avez pas le droit d’agir ainsi, lui répondit-il vertement. Car le comte de
Toulouse est mon vassal, et c’est moi, le roi, qui ai seul le pouvoir de destitution et
d’investiture… ».