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La rhétorique
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Sommaire
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Introduction
La rhétorique est lart ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage. Ce mot provient du
latin rhetorica, emprunté au grec ancien ῥητορικ τέχνη (rhêtorikê tekhnê), qui se traduit par « technique, art
oratoire », et désigne au sens propre « lart de bien parler », daprès le nom rhêtôr, « orateur ». Elle est née au
Ve siècle av. J.-C. en Sicile, selon la légende, puis fut introduite à Athènes par le sophiste Gorgias, où elle se
développa dans les activités judiciaires et politiques.
La rhétorique est à la fois la science (au sens détude structurée) et
lart (au sens de pratique reposant sur un savoir éprouvé, une
technique) qui se rapporte à laction du discours sur les esprits,
« bene dicendi scientia » selon les mots de lorateur romain
Quintilien. Selon Ruth Amossy : « telle quelle a été élaborée par la
culture de la Grèce antique, la rhétorique peut être considérée
comme une théorie de la parole efficace liée à une pratique
oratoire. » À ses débuts, la rhétorique soccupait du discours politique
oral, avant de sintéresser de manière plus générale aux textes écrits
et surtout aux textes littéraires et dramatiques, discipline nommée
aujourdhui la « stylistique ». Lart de persuader a progressivement
cédé la place à un art de bien dire, qui restreint la rhétorique à un
inventaire de figures relevant des ornements du discours.
Daprès lopposition traditionnelle entre la philosophie et la
sophistique, la rhétorique se distingue de largumentation et de la
dialectique par lusage des effets pathétiques ou éthiques du discours
sur le public, qui sajoutent à la dimension purement logique du discours. Cette séparation est contestée par les
théories rhétoriques modernes, inspirées notamment par les travaux
de Chaïm Perelman.
1 Problématiques de la rhétorique
1.1 Polémiques autour dune définition
Marc Fumaroli comme Joëlle Gardes-Tamine ont étudié les conceptions de la rhétorique au cours des siècles et
relèvent que celles-ci peuvent se rattacher à deux traditions philosophiques :
- la définition dorigine sophistique, selon laquelle la rhétorique doit persuader. Bien que propagée par
les sophistes comme Gorgias, il sagit de la conception héritée dAristote qui la définit comme « la
faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader » ;
- la définition de la martinache dorigine stoïcienne qui pose quelle est lart de bien discourir. Elle
requiert une bonne moralité et se rapproche en cela dune représentation de la sagesse. Ses
représentants sont Quintilien et Cicéron.
Cette double tradition a conduit les auteurs, au cours des siècles, à multiplier les définitions de lart rhétorique.
« Aide mémoire » pour Roland Barthes, la rhétorique est pour Arthur Schopenhauer ou John Stuart Mill la
technique du discours public, alors que, pour Antelme Édouard Chaignet, dans La Rhétorique et son histoire
(1888), elle consiste à « persuader et convaincre », deux buts qui lui sont associés systématiquement dans la
conscience populaire et même dans lenseignement du français. Pour le philosophe anglais Francis Bacon, elle
est « lart dappliquer la raison à limagination pour mieux mouvoir la volonté », alors que, pour lAméricain
Richard Weaver, elle est « un art de lemphase ».
En dépit de toutes ces définitions, parfois nettement divergentes, lexpression d» art rhétorique » renvoie
avant tout, et historiquement, au « système rhétorique », cest-à-dire lensemble des techniques pour
structurer son discours, en vue de convaincre ou persuader lauditeur. Partant de là, selon Michel Meyer, il
existe trois définitions historiques concurrentes de la rhétorique :
- la rhétorique est une manipulation centrée sur lauditoire (cette idée prévaut chez Platon qui y voit un
mouvement verbal fallacieux) ;
- la rhétorique est lart de bien parler (suivant la formule latine de Quintilien, la rhétorique est un « ars
bene dicendi » (un « art du bien dit »), notion qui renvoie à celle déloquence ;
Figure 1 - Démosthène s'exerçant à la parole
(toile de Jean-Jules-Antoine Lecomte du
Nouy)
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- la rhétorique est le fait dun orateur ; en ce sens elle est lexposé darguments ou de
discours qui doivent persuader lauditoire au sein dun cadre social et éthique. Selon
Michel Meyer, lhumanisme incarne cette définition.
Michel Meyer parle par ailleurs, dans son Histoire de la rhétorique des Grecs à nos jours,
de véritable « casse-tête » quant à donner une définition acceptable de la rhétorique ; il
ajoute : « on peut tirer la rhétorique de tous les côtés, mais ça sera aux dépens de son
unité, si ce nest par réduction et extension arbitraires qui se verront de toute façon
opposées par une autre ». Le spécialiste et universitaire Jean-Jacques Robrieux souhaite
quant à lui mettre un terme au débat, dans Éléments de rhétorique, en expliquant quon
peut : « essayer de résumer très simplement : la rhétorique est lart de sexprimer et de persuader ». Enfin,
Michel Meyer ajoute que « la rhétorique lisse et arrondit les problèmes, qui sestompent du même coup sous
leffet du discours éloquent », se focalisant alors sur la portée utile de la discipline oratoire, qui reste un
assemblage de techniques prévalant dans une situation de communication socialement cadrée.
Les recherches contemporaines ont disséqué la rhétorique et les interprétations se sont multipliées. En dépit
de cela, remarque Michel Meyer, la rhétorique est demeurée cohérente avec ses fondements. En effet,
« Lunité est une exigence interne de la rhétorique » selon cet auteur11, autrement dit, il existe un « noyau
technique » irréductible au sein de la discipline, en dépit dapplications très différentes les unes des autres. Il
existe ainsi une rhétorique judiciaire, une autre politique, une troisième scolaire etc. Cette logique interne à la
discipline concerne en effet à la fois le droit, la littérature, la vente, la publicité, le discours religieux comme
politique et bien sûr le parler quotidien. Ainsi pour les Grecs, la rhétorique est « la discipline de la parole en
action, de la parole agissante ».
Une définition globale de lart rhétorique doit donc prendre en considération lacte de communication et la
dimension proprement personnelle de celui-ci :
« La rhétorique est la discipline qui situe [les problèmes philosophiques, comme scientifiques] dans le contexte
humain, et plus précisément inter-subjectif, là où les individus communiquent et saffrontent à propos [des]
problèmes qui en sont les enjeux ; là où se jouent leurs liaison et leur déliaison ; là où il faut plaire et
manipuler, où lon se laisse séduire et surtout, où lon sefforce dy croire. »
1.2 Trois notions centrales : le logos, le pathos et lêthos
La rhétorique utilise, dès ses fondements, trois notions centrales dans la pensée grecque et latine, que résume
Cicéron lorsquil dit que la rhétorique consiste à « prouver la vérité de ce quon affirme, se concilier la
bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause ».
Michel Meyer les nomme les « instances oratoires », dont les relations déterminent les genres rhétoriques ou
« institutions oratoires » (juridique, politique, littéraire ou economico-publicitaire principalement). Tout
d’abord, la rhétorique est un discours rationnel, mot issu du grec λόγος / logos. Largument permet ainsi, par la
logique, de convaincre lauditoire. Mais le logos désigne à la fois la « raison » et le « verbe » (la parole). Selon
Joëlle Gardes-Tamine en effet, dès les débuts grecs, les deux conceptions ont existé. La conception dune
rhétorique comme discours rationnel fut promue par le philosophe Socrate alors que celle dun art (praxis)
avant tout lié à la parole fut prônée par lorateur Isocrate.
Cependant, il existe aussi une relation émotionnelle, que véhicule la notion de πάθος / pathos. Lauditoire doit
être séduit ou charmé ; la raison nest ainsi pas le seul but de la rhétorique. Selon Michel Meyer, le pathos
comporte trois éléments passionnels : la question choc, le plaisir ou le déplaisir quelle occasionne et la
modalité sous forme de jugement quelle engendre comme lamour et la haine par exemple. L’ἦθος / êthos,
enfin est la dimension de l’orateur, ses vertus et ses mœurs exemplaires, même si c’est avant tout une image
que donne lorateur de lui-même. Cette notion est davantage romaine, mise en avant par Cicéron notamment,
alors que le pathos et le logos sont des acquis grecs. Pour Aristote en effet le logos est premier, a contrario de
Platon pour qui « le pathos, et non la vérité, commande le jeu de langage », la raison étant lapanage de la
philosophie, discipline maîtresse pour Platon.
La linguistique et la sémiotique modernes fonderont leur discours épistémologique sur la reprise de ces trois
pôles de la rhétorique classique. Roland Barthes liait ainsi lêthos à lémetteur, le pathos au récepteur et le
logos au message. Néanmoins, lhistoire de la rhétorique peut aussi se voir comme, à certaines périodes, une
focalisation particulière sur lune ou lautre de ces notions.
Figure 2 - Nicolas
Poussin, L'inspiration
du poète.
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1.3 Évolution de la définition : linguistique et rhétorique
Cette triple conception de lart rhétorique a ainsi parcouru toute lhistoire de la rhétorique, lune ou lautre des
notions prenant le pas sur les autres, et, par extension, déterminant tout un art oratoire dune zone
géographique ou dune période données. Ce phénomène fut largement le moteur de la dispersion de la
rhétorique comme discipline, qui culmina en 1890, en France, avec sa disparition au programme des bacheliers.
Les conceptions modernes, qui ont vu le jour au XXe siècle grâce aux travaux des linguistes comme Ferdinand de
Saussure, John Searle, le Groupe µ ou Roman Jakobson parmi les plus importants, vont ainsi redécouvrir lart
oratoire. Les notions de logos, de pathos et dêthos sont réinterprétés à la lumière de la sociolinguistique
notamment, discipline qui examine lusage du langage au sein des groupes humains. Des concepts comme ceux
dargumentation ou de négociation permettent ainsi de dépasser les imperfections des définitions classiques
pour aboutir, selon les mots de Michel Meyer à une conception selon laquelle « la rhétorique est la négociation
de la différence entre des individus sur une question donnée », définition qui influence profondément les
modèles communicationnels actuels. Michel Meyer nomme ces théories modernes foisonnantes de
propositions, « les rhétoriques ». Cependant, tout au long du XXe siècle, « la rhétorique a été réduite à ce
quelle a de plus linguistique, cest-à-dire la théorie des figures », au mépris du discours en lui-même et de sa
dimension relationnelle et sociale. Elle ne fut dès lors comprise et étudiée quà travers le prisme de la
grammaire ou de la stylistique. Ce nest que récemment quelle fut redécouverte comme discipline autonome
ayant sa propre épistémologie.
La redécouverte de la rhétorique, par les intellectuels comme Kenneth Burke mais aussi par les professionnels
de la communication (publicité, médias, politique, etc.), permit de redécouvrir les textes classiques et toute la
richesse et les techniques de cet art oratoire. Pour Jean-Jacques Robrieux, la « société du savoir » et de la
communication y est pour beaucoup, le locuteur du XXe siècle a en effet « un besoin dexpression [et] de
décoder des messages de plus en plus complexes ».
Les termes « rhétorique » ou « sophistique » (qui lui est souvent, par méconnaissance, associé) sont souvent
utilisés de nos jours avec un sens péjoratif, quand le locuteur souhaite opposer les paroles creuses à laction,
ou séparer linformation de la désinformation, de la propagande, ou encore pour qualifier des formes
douteuses de discours pseudo-argumentatif. Il est ainsi courant dentendre que tel politicien « fait de la
rhétorique ». Michel Meyer résume ainsi la représentation de la discipline dans lesprit commun : « Le sophiste
est lantithèse du philosophe comme la rhétorique est le contraire de la pensée juste ». Jean-Jacques Robrieux
explique lui que lusage du terme est souvent en usage pour « dévaloriser des modes dexpressions affectés,
ampoulés ou artificiels ». La rhétorique est ainsi vue traditionnellement comme lapanage de la démagogie, du
discours politique, de la publicité ou du marketing.
1.4 Rhétorique et argumentation
La confusion entre la rhétorique comme art de léloquence, mise en œuvre de techniques de séduction au
moyen du langage, et largumentation comme déroulement dun raisonnement, existe depuis les débuts de la
discipline. Souvent confondue avec la dialectique, largumentation met « en œuvre un raisonnement dans une
situation de communication » selon Philippe Breton. La dialectique (étymologiquement, l» art de la
discussion »), ancien terme pour désigner le champ argumentatif, était en effet subordonnée à la rhétorique.
Le philosophe grec de lAntiquité Zénon dÉlée comparait ainsi la dialectique, technique du dialogue, à un
« poing fermé » alors que la rhétorique lui paraissait semblable à une « main ouverte ». Lorateur romain
Cicéron explique ainsi que « Largumentation devra sélever en proportion de la grandeur du sujet ». Pourtant,
les différences tant théoriques que dusages sont nombreuses.
Pour Michel Meyer, la différence principale tient au fait que « la rhétorique aborde la question par le biais de la
réponse, la présentant comme disparue, donc résolue, tandis que largumentation part de la question même,
quelle explicite pour arriver à ce qui résout la différence, le différend, entre les individus ». La publicité est à ce
sujet éclairante : il sagit, par la rhétorique, de plaire sans forcément démontrer le bien-fondé dun produit,
alors que le milieu juridique, au tribunal, lui, use dargumentation pour « manifester la vérité ». Une autre
différence notable tient aux buts des deux disciplines. Si largumentation recherche la vérité (dans la
démonstration mathématique par exemple), la rhétorique cherche avant tout le vraisemblable. Aristote
explique en effet le premier que « le propre de la rhétorique, cest de reconnaître ce qui est probable et ce qui
na que lapparence de la probabilité ». De là vient limage quelque peu péjorative, synonyme de « discours
fallacieux », que véhicule lart rhétorique depuis ses débuts, notamment au sein de la sphère politique. Or, lart
oratoire ne soccupe que de lopinion (doxa) selon Joëlle Gardes-Tamine.
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