Table des matières

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La rhétorique
Source : Contributeurs de Wikipédia. Rhétorique. Wikipédia, l’encyclopédie libre [en ligne]. Disponible sur
<http://bit.ly/19NcQE8>. (Consultée le 16/12/13).
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Sommaire
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Introduction
La rhétorique est l’art ou la technique de persuader, généralement au moyen du langage. Ce mot provient du
latin rhetorica, emprunté au grec ancien ῥητορικὴ τέχνη (rhêtorikê tekhnê), qui se traduit par « technique, art
oratoire », et désigne au sens propre « l’art de bien parler », d’après le nom rhêtôr, « orateur ». Elle est née au
Ve siècle av. J.-C. en Sicile, selon la légende, puis fut introduite à Athènes par le sophiste Gorgias, où elle se
développa dans les activités judiciaires et politiques.
La rhétorique est à la fois la science (au sens d’étude structurée) et
l’art (au sens de pratique reposant sur un savoir éprouvé, une
technique) qui se rapporte à l’action du discours sur les esprits,
« bene dicendi scientia » selon les mots de l’orateur romain
Quintilien. Selon Ruth Amossy : « telle qu’elle a été élaborée par la
culture de la Grèce antique, la rhétorique peut être considérée
comme une théorie de la parole efficace liée à une pratique
oratoire. » À ses débuts, la rhétorique s’occupait du discours politique
oral, avant de s’intéresser de manière plus générale aux textes écrits
et surtout aux textes littéraires et dramatiques, discipline nommée
aujourd’hui la « stylistique ». L’art de persuader a progressivement
cédé la place à un art de bien dire, qui restreint la rhétorique à un
inventaire de figures relevant des ornements du discours.
D’après l’opposition traditionnelle entre la philosophie et la
sophistique, la rhétorique se distingue de l’argumentation et de la
dialectique par l’usage des effets pathétiques ou éthiques du discours
sur le public, qui s’ajoutent à la dimension purement logique du discours. Cette séparation est contestée par les
Figure 1 - Démosthène s'exerçant à la parole
théories rhétoriques modernes, inspirées notamment par les travaux
(toile de Jean-Jules-Antoine Lecomte du
de Chaïm Perelman.
Nouy)
1 Problématiques de la rhétorique
1.1 Polémiques autour d’une définition
Marc Fumaroli comme Joëlle Gardes-Tamine ont étudié les conceptions de la rhétorique au cours des siècles et
relèvent que celles-ci peuvent se rattacher à deux traditions philosophiques :
-
-
la définition d’origine sophistique, selon laquelle la rhétorique doit persuader. Bien que propagée par
les sophistes comme Gorgias, il s’agit de la conception héritée d’Aristote qui la définit comme « la
faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader » ;
la définition de la martinache d’origine stoïcienne qui pose qu’elle est l’art de bien discourir. Elle
requiert une bonne moralité et se rapproche en cela d’une représentation de la sagesse. Ses
représentants sont Quintilien et Cicéron.
Cette double tradition a conduit les auteurs, au cours des siècles, à multiplier les définitions de l’art rhétorique.
« Aide mémoire » pour Roland Barthes, la rhétorique est pour Arthur Schopenhauer ou John Stuart Mill la
technique du discours public, alors que, pour Antelme Édouard Chaignet, dans La Rhétorique et son histoire
(1888), elle consiste à « persuader et convaincre », deux buts qui lui sont associés systématiquement dans la
conscience populaire et même dans l’enseignement du français. Pour le philosophe anglais Francis Bacon, elle
est « l’art d’appliquer la raison à l’imagination pour mieux mouvoir la volonté », alors que, pour l’Américain
Richard Weaver, elle est « un art de l’emphase ».
En dépit de toutes ces définitions, parfois nettement divergentes, l’expression d’» art rhétorique » renvoie
avant tout, et historiquement, au « système rhétorique », c’est-à-dire l’ensemble des techniques pour
structurer son discours, en vue de convaincre ou persuader l’auditeur. Partant de là, selon Michel Meyer, il
existe trois définitions historiques concurrentes de la rhétorique :
-
la rhétorique est une manipulation centrée sur l’auditoire (cette idée prévaut chez Platon qui y voit un
mouvement verbal fallacieux) ;
la rhétorique est l’art de bien parler (suivant la formule latine de Quintilien, la rhétorique est un « ars
bene dicendi » (un « art du bien dit »), notion qui renvoie à celle d’éloquence ;
3
Figure 2 - Nicolas
Poussin, L'inspiration
du poète.
- la rhétorique est le fait d’un orateur ; en ce sens elle est l’exposé d’arguments ou de
discours qui doivent persuader l’auditoire au sein d’un cadre social et éthique. Selon
Michel Meyer, l’humanisme incarne cette définition.
Michel Meyer parle par ailleurs, dans son Histoire de la rhétorique des Grecs à nos jours,
de véritable « casse-tête » quant à donner une définition acceptable de la rhétorique ; il
ajoute : « on peut tirer la rhétorique de tous les côtés, mais ça sera aux dépens de son
unité, si ce n’est par réduction et extension arbitraires qui se verront de toute façon
opposées par une autre ». Le spécialiste et universitaire Jean-Jacques Robrieux souhaite
quant à lui mettre un terme au débat, dans Éléments de rhétorique, en expliquant qu’on
peut : « essayer de résumer très simplement : la rhétorique est l’art de s’exprimer et de persuader ». Enfin,
Michel Meyer ajoute que « la rhétorique lisse et arrondit les problèmes, qui s’estompent du même coup sous
l’effet du discours éloquent », se focalisant alors sur la portée utile de la discipline oratoire, qui reste un
assemblage de techniques prévalant dans une situation de communication socialement cadrée.
Les recherches contemporaines ont disséqué la rhétorique et les interprétations se sont multipliées. En dépit
de cela, remarque Michel Meyer, la rhétorique est demeurée cohérente avec ses fondements. En effet,
« L’unité est une exigence interne de la rhétorique » selon cet auteur11, autrement dit, il existe un « noyau
technique » irréductible au sein de la discipline, en dépit d’applications très différentes les unes des autres. Il
existe ainsi une rhétorique judiciaire, une autre politique, une troisième scolaire etc. Cette logique interne à la
discipline concerne en effet à la fois le droit, la littérature, la vente, la publicité, le discours religieux comme
politique et bien sûr le parler quotidien. Ainsi pour les Grecs, la rhétorique est « la discipline de la parole en
action, de la parole agissante ».
Une définition globale de l’art rhétorique doit donc prendre en considération l’acte de communication et la
dimension proprement personnelle de celui-ci :
« La rhétorique est la discipline qui situe [les problèmes philosophiques, comme scientifiques] dans le contexte
humain, et plus précisément inter-subjectif, là où les individus communiquent et s’affrontent à propos [des]
problèmes qui en sont les enjeux ; là où se jouent leurs liaison et leur déliaison ; là où il faut plaire et
manipuler, où l’on se laisse séduire et surtout, où l’on s’efforce d’y croire. »
1.2 Trois notions centrales : le logos, le pathos et l’êthos
La rhétorique utilise, dès ses fondements, trois notions centrales dans la pensée grecque et latine, que résume
Cicéron lorsqu’il dit que la rhétorique consiste à « prouver la vérité de ce qu’on affirme, se concilier la
bienveillance des auditeurs, éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause ».
Michel Meyer les nomme les « instances oratoires », dont les relations déterminent les genres rhétoriques ou
« institutions oratoires » (juridique, politique, littéraire ou economico-publicitaire principalement). Tout
d’abord, la rhétorique est un discours rationnel, mot issu du grec λόγος / logos. L’argument permet ainsi, par la
logique, de convaincre l’auditoire. Mais le logos désigne à la fois la « raison » et le « verbe » (la parole). Selon
Joëlle Gardes-Tamine en effet, dès les débuts grecs, les deux conceptions ont existé. La conception d’une
rhétorique comme discours rationnel fut promue par le philosophe Socrate alors que celle d’un art (praxis)
avant tout lié à la parole fut prônée par l’orateur Isocrate.
Cependant, il existe aussi une relation émotionnelle, que véhicule la notion de πάθος / pathos. L’auditoire doit
être séduit ou charmé ; la raison n’est ainsi pas le seul but de la rhétorique. Selon Michel Meyer, le pathos
comporte trois éléments passionnels : la question choc, le plaisir ou le déplaisir qu’elle occasionne et la
modalité sous forme de jugement qu’elle engendre comme l’amour et la haine par exemple. L’ἦθος / êthos,
enfin est la dimension de l’orateur, ses vertus et ses mœurs exemplaires, même si c’est avant tout une image
que donne l’orateur de lui-même. Cette notion est davantage romaine, mise en avant par Cicéron notamment,
alors que le pathos et le logos sont des acquis grecs. Pour Aristote en effet le logos est premier, a contrario de
Platon pour qui « le pathos, et non la vérité, commande le jeu de langage », la raison étant l’apanage de la
philosophie, discipline maîtresse pour Platon.
La linguistique et la sémiotique modernes fonderont leur discours épistémologique sur la reprise de ces trois
pôles de la rhétorique classique. Roland Barthes liait ainsi l’êthos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le
logos au message. Néanmoins, l’histoire de la rhétorique peut aussi se voir comme, à certaines périodes, une
focalisation particulière sur l’une ou l’autre de ces notions.
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1.3 Évolution de la définition : linguistique et rhétorique
Cette triple conception de l’art rhétorique a ainsi parcouru toute l’histoire de la rhétorique, l’une ou l’autre des
notions prenant le pas sur les autres, et, par extension, déterminant tout un art oratoire d’une zone
géographique ou d’une période données. Ce phénomène fut largement le moteur de la dispersion de la
rhétorique comme discipline, qui culmina en 1890, en France, avec sa disparition au programme des bacheliers.
Les conceptions modernes, qui ont vu le jour au XXe siècle grâce aux travaux des linguistes comme Ferdinand de
Saussure, John Searle, le Groupe µ ou Roman Jakobson parmi les plus importants, vont ainsi redécouvrir l’art
oratoire. Les notions de logos, de pathos et d’êthos sont réinterprétés à la lumière de la sociolinguistique
notamment, discipline qui examine l’usage du langage au sein des groupes humains. Des concepts comme ceux
d’argumentation ou de négociation permettent ainsi de dépasser les imperfections des définitions classiques
pour aboutir, selon les mots de Michel Meyer à une conception selon laquelle « la rhétorique est la négociation
de la différence entre des individus sur une question donnée », définition qui influence profondément les
modèles communicationnels actuels. Michel Meyer nomme ces théories modernes foisonnantes de
propositions, « les rhétoriques ». Cependant, tout au long du XXe siècle, « la rhétorique a été réduite à ce
qu’elle a de plus linguistique, c’est-à-dire la théorie des figures », au mépris du discours en lui-même et de sa
dimension relationnelle et sociale. Elle ne fut dès lors comprise et étudiée qu’à travers le prisme de la
grammaire ou de la stylistique. Ce n’est que récemment qu’elle fut redécouverte comme discipline autonome
ayant sa propre épistémologie.
La redécouverte de la rhétorique, par les intellectuels comme Kenneth Burke mais aussi par les professionnels
de la communication (publicité, médias, politique, etc.), permit de redécouvrir les textes classiques et toute la
richesse et les techniques de cet art oratoire. Pour Jean-Jacques Robrieux, la « société du savoir » et de la
communication y est pour beaucoup, le locuteur du XXe siècle a en effet « un besoin d’expression [et] de
décoder des messages de plus en plus complexes ».
Les termes « rhétorique » ou « sophistique » (qui lui est souvent, par méconnaissance, associé) sont souvent
utilisés de nos jours avec un sens péjoratif, quand le locuteur souhaite opposer les paroles creuses à l’action,
ou séparer l’information de la désinformation, de la propagande, ou encore pour qualifier des formes
douteuses de discours pseudo-argumentatif. Il est ainsi courant d’entendre que tel politicien « fait de la
rhétorique ». Michel Meyer résume ainsi la représentation de la discipline dans l’esprit commun : « Le sophiste
est l’antithèse du philosophe comme la rhétorique est le contraire de la pensée juste ». Jean-Jacques Robrieux
explique lui que l’usage du terme est souvent en usage pour « dévaloriser des modes d’expressions affectés,
ampoulés ou artificiels ». La rhétorique est ainsi vue traditionnellement comme l’apanage de la démagogie, du
discours politique, de la publicité ou du marketing.
1.4 Rhétorique et argumentation
La confusion entre la rhétorique comme art de l’éloquence, mise en œuvre de techniques de séduction au
moyen du langage, et l’argumentation comme déroulement d’un raisonnement, existe depuis les débuts de la
discipline. Souvent confondue avec la dialectique, l’argumentation met « en œuvre un raisonnement dans une
situation de communication » selon Philippe Breton. La dialectique (étymologiquement, l’» art de la
discussion »), ancien terme pour désigner le champ argumentatif, était en effet subordonnée à la rhétorique.
Le philosophe grec de l’Antiquité Zénon d’Élée comparait ainsi la dialectique, technique du dialogue, à un
« poing fermé » alors que la rhétorique lui paraissait semblable à une « main ouverte ». L’orateur romain
Cicéron explique ainsi que « L’argumentation devra s’élever en proportion de la grandeur du sujet ». Pourtant,
les différences tant théoriques que d’usages sont nombreuses.
Pour Michel Meyer, la différence principale tient au fait que « la rhétorique aborde la question par le biais de la
réponse, la présentant comme disparue, donc résolue, tandis que l’argumentation part de la question même,
qu’elle explicite pour arriver à ce qui résout la différence, le différend, entre les individus ». La publicité est à ce
sujet éclairante : il s’agit, par la rhétorique, de plaire sans forcément démontrer le bien-fondé d’un produit,
alors que le milieu juridique, au tribunal, lui, use d’argumentation pour « manifester la vérité ». Une autre
différence notable tient aux buts des deux disciplines. Si l’argumentation recherche la vérité (dans la
démonstration mathématique par exemple), la rhétorique cherche avant tout le vraisemblable. Aristote
explique en effet le premier que « le propre de la rhétorique, c’est de reconnaître ce qui est probable et ce qui
n’a que l’apparence de la probabilité ». De là vient l’image quelque peu péjorative, synonyme de « discours
fallacieux », que véhicule l’art rhétorique depuis ses débuts, notamment au sein de la sphère politique. Or, l’art
oratoire ne s’occupe que de l’opinion (doxa) selon Joëlle Gardes-Tamine.
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2 Système rhétorique
Le « système rhétorique » se présente sous la forme d’un classement : « on décompose la rhétorique en quatre
parties, lesquelles représentent les quatre phases par lesquelles passe celui qui compose un discours » explique
Olivier Reboul. Il s’agit en fait des grands chapitres des premiers traités de rhétorique. Le « système
rhétorique » est traditionnellement, depuis Quintilien, divisé en cinq éléments dans la rhétorique. Cependant,
ce classement a surtout valu pour l’enseignement de l’éloquence et de la rhétorique ; pour Aristote en effet,
ces parties sont superflues alors que l’énoncé de la thèse et des arguments qui la prouvent sont fondamentaux.
Ces phases sont surtout connues sous leur nom latin (en raison du fait que le traité de rhétorique de Quintilien
a été longtemps pris comme base d’enseignement) : « inventio », « dispositio », « elocutio », « actio » et
« memoria ». Chacune de ces étapes suppose ou appelle l’élaboration ou l’intervention de disciplines distinctes
(la stylistique pour l’» elocutio », la logique pour la « dispositio », etc.).
2.1 L’invention
L’invention (ou « inventio » ou « heurésis » en grec) est la première des cinq grandes parties de la rhétorique.
L’invention est la recherche la plus exhaustive possible de tous les moyens de persuasion relatifs au thème de
son discours. La découverte du genre de discours le mieux adapté au propos doit cependant être centrale.
Cette partie correspond à l’adage « Rem tene, uerba sequentur », qui se traduit par l’expression « Possède le
sujet, les mots suivront » de Caton l’Ancien. Selon la Rhétorique à Herennius : « L’invention consiste à trouver
les arguments vrais ou vraisemblables propres à rendre la cause convaincante. »
L’invention pose par conséquent les fondamentaux du système rhétorique, à savoir : la cause (le sujet), le
genre à utiliser, le cadre de l’argumentation et le raisonnement.
2.1.1 Connaissance du sujet : l’enjeu de la rhétorique
L’orateur doit parfaitement maîtriser son sujet, appelé aussi la « cause » (ou le « fait » dans le genre judiciaire),
sans quoi, selon Aristote ou Quintilien, il ne pourra pas persuader ou convaincre son auditoire. Il s’agit, selon
Joëlle Gardes-Tamine, d’un véritable « enjeu » que les traités classiques nomment la « matière » (« materia »).
Les auteurs recommandent d’user de questions permettant d’en cerner les contours (néanmoins ces questions
correspondent au type de discours pris en charge) :
exploration du fait : le fait a-t-il lieu ou pas ?
définition : en quoi consiste le fait ?
qualification : en quoi peut-on le caractériser ?
référence à la légalité : en vertu de quel droit l’examine-t-on ?
Michel Meyer note que le rhétoricien du XVIIe siècle Vossius envisage une cinquième question, qu’il nomme le
« status quantitatis » qui permet de quantifier le fait (le préjudice subi ou la violation du droit pour le discours
judiciaire par exemple).
2.1.2 Les trois genres de discours
La rhétorique classique distingue trois grands genres de discours : le « discours judiciaire », le « discours
délibératif » et le « discours démonstratif » (cf. XXX). Le terme de « genre » ne doit pas être ici confondu avec
celui qui désigne les genres littéraires (roman, théâtre, poésie…) même s’ils entretiennent avec ces derniers des
rapports étroits ; il s’agit en fait de la fonction qu’exerce le discours sur les « trois sortes d’auditoires ». Chaque
genre étant spécifique, tous se démarquent quant aux actes, aux temps, aux valeurs et enfin aux arguments
types mis en avant.
Auditoire
Temps
Acte
Valeurs
Argument type
Le judiciaire
Juges
Passé simple
Accuser défendre
Juste - injuste
Enthymème (ou
déductif)
Le délibératif
Assemblée
Futur simple
Conseiller déconseiller
Utile - nuisible
Exemple (ou
inductif)
L’épidictique
Spectateur
Présent
Louer - blâmer
Noble - vil
Amplification
Pour Chaïm Perelman, la distinction entre ces genres discursifs n’est qu’artificielle. Il propose donc de
relativiser cette classification.
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2.1.3 Les trois types d’arguments
Après avoir déterminé les discours, l’orateur doit trouver ses arguments. Il s’agit des « moyens de persuader »,
traduction du grec « pisteis » mais qu’Aristote nomme les « preuves » au nombre de trois :
Figure 3 - Le théâtre antique
emploie les trois genres
rhétoriques. Rome, Théâtre de
Marcellus
l’» êthos » est le caractère que doit prendre l’orateur pour inspirer
confiance ; son « équité est presque la plus efficace des preuves » explique
Aristote. L’êthos regroupe alors la sincérité, la sympathie, la probité et
l’honnêteté. Cette dimension du discours est citoyenne, étroitement identifiée à
l’idéal démocratique ;
le « pathos » est l’ensemble des émotions, passions et sentiments que
l’orateur doit susciter. Aristote consacre ainsi le livre II de sa Rhétorique à
l’examen des passions et de la psychologie des auditoires ;
le « logos » concerne l’argumentation proprement dite du discours. Il s’agit
pour Aristote de la dialectique, qu’il examine dans ses Topiques, se fondant sur
deux types d’arguments : l’enthymème et l’exemple.
2.1.4 Les preuves
L’orateur a à sa disposition deux types de preuves. Aristote appelle les premières « atechnai », soit extrarhétoriques, et les secondes « entechnai », intra-rhétoriques. La rhétorique moderne les nomme preuves
extrinsèques et intrinsèques (ou naturelles et artificielles selon la conception du XVIIe siècle parfois, chez
Bernard Lamy notamment).
Les « preuves extrinsèques » sont celles données avant toute invention. Selon Aristote elles sont au nombre de
cinq et regroupent les textes de lois (jurisprudence et coutume également), les témoignages anciens (autorité
morale des grands hommes) et nouveaux, les contrats et conventions entre particuliers, les aveux sous la
torture (des esclaves) et enfin les serments.
Les « preuves intrinsèques » sont créées par l’orateur comme l’amplification d’un détail biographique dans le
cadre de l’éloge funèbre. Jean-Jacques Robrieux les classe néanmoins en deux catégories : l’exemple au sens
large d’argument inductif, et l’enthymème (en latin « argumentum » selon Quintilien) au sens de syllogisme.
2.1.5 Les lieux et la topique
Les « lieux » ou « topoï » sont la façon de découvrir les arguments dans le cadre intra-technique. Il s’agit du
concept le plus important de la rhétorique, selon Georges Molinié. Il s’agit d’un « stéréotype logico-déductif »
que la linguistique moderne a classé comme figure de style. Cependant les lieux rhétoriques dépassent les
cadres de la phrase et concernent bien plutôt le texte. Molinié les nomme ainsi des figures
« macrostructurales ».
Dans la rhétorique ancienne, les lieux forment les preuves techniques de l’argumentation, ainsi que la matière
de l’inventio. La Logique de Port-Royal les définit ainsi : « chefs généraux auxquels on peut rapporter toutes les
preuves dont on se sert dans les diverses matières que l’on traite ». Aristote est le premier à en donner une
méthodologie, dans son ouvrage Topiques. Pour lui, le lieu rhétorique est ce sur quoi se rencontrent un grand
nombre de raisonnements oratoires, se développant sur certains sujets, selon certains schémas que l’art
oratoire a préétabli. Selon Cicéron
« les lieux (...) sont comme les étiquettes des arguments sous lesquelles on va chercher ce qu’il y a à dire dans
l’un ou l’autre sens. »
La stylistique les classe dans les lieux communs, ou « clichés » lorsqu’ils deviennent trop usités et éculés. Parmi
ces lieux communs, il y a le célèbre « Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ? » (c’est-à-dire le
« Qui, quoi, où, par quels moyens, pourquoi, comment, quand ? »), les « lieux de la personne » (sa famille, sa
patrie, sa façon de vivre, son métier etc.) ou les « lieux littéraires » (le lieu paisible et pittoresque, le lieu de la
rencontre amoureuse etc.).
2.2 La disposition
La disposition (« taxis » en grec) étudie la structure du texte, son agencement, en cohérence avec les lieux
rhétoriques. Elle a pour Olivier Reboul une fonction d’économie : elle permet de ne rien omettre ou de ne pas
se répéter au cours de l’argumentation. Elle a par ailleurs une fonction heuristique (elle permet de s’interroger
de façon méthodique) et est en somme en elle-même un argument selon Olivier Reboul.
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La fonction de la disposition est de « rendre la cause intelligible, [de] faire adopter le point de vue de
l’orateur ». Pour l’auteur anonyme de la Rhétorique à Herennius,
« la disposition sert à mettre en ordre les matériaux de l’invention de manière à présenter chaque élément à
un endroit déterminé. »
La disposition doit présenter les preuves et arguments, tout en ménageant des moments pour émouvoir. Les
canons rhétoriques de la disposition (garder le meilleur argument pour la fin, aller aux faits le plus tôt possible,
ménager des transitions etc.) se retrouvent ainsi dans les méthodologies des dissertations ou des
commentaires composés utilisés dans l’enseignement. Les plans analytiques, oppositionnels, par examen du
problème, thématiques ou encore chronologiques en sont dérivés. La disposition est également un canevas
très utilisée en littérature, dans la poésie comme dans les lettres ou au théâtre.
La rhétorique classique propose trois rythmes canoniques :
-
celui qui consiste à instaurer des arguments forts en exorde et en épilogue et ménager le public entretemps, appelé l’» ordre homérique » ;
celui qui consiste à commencer par des arguments faibles puis à progresser de manière ascendante
(ou l’inverse) est recommandé par Quintilien ;
celui qui consiste enfin à mettre en premier les arguments logiques puis ceux qui plaisent et enfin ceux
qui émeuvent suivant l’ordre formulé par l’adage « docere, placere, movere ».
De nombreux auteurs ont proposé au cours de l’histoire des plans-types, allant de deux à sept parties parfois ;
cependant, la tradition rhétorique n’en retient que quatre.
2.2.1 L’exorde
L’exorde (ou « prooimion » en grec) est l’introduction du discours, sa fonction première est phatique : elle a
pour but de capter l’attention de l’auditoire (c’est la « captatio benenvolentiae »). L’objectif est de le rendre
selon Olivier Reboul docile (en état d’apprendre), attentif (le maintenir dans le raisonnement) et bienveillant
(par l’éthos). Le genre épidictique utilise ainsi un exorde qui cherche à impliquer l’auditoire. La rhétorique de
l’exorde consiste parfois à le supprimer et à commencer le discours ex abrupto (dans le vif du sujet) comme
dans cette phrase de Cicéron : « Jusqu’à quand, Catilina, vas-tu exploiter notre patience ? ». L’exorde doit
néanmoins présenter le sujet ou les faits.
2.2.2 La narration
La narration (« narratio » ou « diegésis » en grec) est l’exposé des faits concernant la cause, sur un mode
objectif, dans le sens du discours cependant. Selon Cicéron, la narration est la source (« fons » en latin) de
toutes les autres parties car elle réclame le meilleur du talent de l’orateur. Pas indispensable dans le genre
délibératif, elle est centrale dans le judiciaire car elle permet de matérialiser le raisonnement à suivre. La
narration peut s’appuyer sur l’histoire, la légende ou la fiction. Le logos constitue la narration qui doit être :
-
« claire » : le récit doit être chronologique ;
« brève » : l’inutile doit être éliminé pour la clarté du propos ;
« crédible » : par l’énoncé des faits et des causes. Le fait peut être faux mais doit être vraisemblable.
La narration deviendra au Moyen Âge une pratique à part, se détachant du genre judiciaire, à travers le sermon
et les exempla, et jusqu’à la propagande moderne.
2.2.3 La digression
La digression (ou « parekbasis » en grec) a pour fonction de distraire l’auditoire, de le ménager avant la
conclusion. Elle recourt souvent à des figures comme l’hypotypose ou l’ekphrasis, sortes de descriptions
comme vivantes et mises sous les yeux de l’auditoire. Selon la Rhétorique à Herennius la partie de la digression
peut présenter « l’indignation, la commisération, la détestation, l’injure, l’excuse, la conciliation, la réfutation
des propos outrageants ».
C’est aussi, selon Joëlle Gardes-Tamine, le moment de la plaisanterie, de la raillerie ou de l’ironie permettant la
distraction (mais toujours dans un but de persuasion ou d’argumentation) du public. Pour Chaïm Perelman,
l’ironie (comme celle de Socrate) est fortement manipulatrice en soi. Elle se fonde en effet sur l’accord explicite
de l’interlocuteur, dont la recherche ponctue le discours, à des moments clés, de manière à le faire raisonner
dans le cadre argumentatif voulu par l’orateur.
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2.2.4 La péroraison
La péroraison (ou « epilogos » en grec) met fin au discours. Elle se fonde elle-même sur trois parties :
-
l’» amplification » (ou « auxèsis ») qui convoque le pathos et les valeurs pour demander le châtiment
par exemple dans le genre judiciaire et qui s’appuie principalement sur les lieux rhétoriques ;
la « passion », qui permet de susciter soit la pitié soit l’indignation, au moyen des apostrophes
notamment ;
la « récapitulation » (ou « anaképhalaiosis » en grec) qui résume l’argumentation, sans ajout de nouvel
argument cependant.
La péroraison est le domaine propre du pathétique : il s’agit d’émouvoir et de convoquer les passions de
l’auditoire. C’est le lieu de l’» appel à la pitié » selon Joëlle Gardes-Tamine.
2.3 L’élocution
L’élocution (« elocutio », ou « lexis » en grec) est la rédaction (écrite) du discours, l’oral étant le ressort de
l’action. Pour Cicéron elle est le propre de l’orateur et « adapte à ce que l’invention fournit des mots et des
phrases appropriées. »
L’étude des figures de rhétorique constitue la partie générale de l’élocution, qui forme l’apport du talent de
l’orateur au sein du discours, le style étant purement personnel, en dépit de règles prescrites. C’est aussi la
partie la plus littéraire de la rhétorique. Pour Olivier Reboul elle est en effet le point de rencontre de l’art
rhétorique avec la littérature, se focalisant sur la notion de style. Elle doit en effet être le lieu d’une bonne
expression et de l’ornement (« ornatus »). Il s’agit selon Olivier Reboul d’une véritable prose qui a su se
démarquer de la poésie et de ses codes. L’élocution concerne ainsi le choix des mots et la composition des
phrases (les membres de phrases ou « cola » doivent être équilibrés), le rejet des archaïsmes et des
néologismes, l’usage de métaphores et des figures adaptées aux propos (à condition toutefois qu’elles soient
claires, autrement il s’agit de fautes d’expression), enfin, le rythme doit être souple et au service du sens. La
Rhétorique à Herennius recommande ainsi « l’élégance, l’agencement des mots, la beauté ». L’élocution repose
sur deux éléments : le style d’une part et les figures de rhétorique d’autre part.
2.3.1 Les styles
Cicéron distinguait, dans les Divisions de l’art oratoire deux types d’élocution : « l’une qui se déroule librement,
l’autre à formes travaillées et variées », distinction qui correspond, aujourd’hui, à celle entre le style inspiré et
le style travaillé. Le style, en rhétorique, doit s’adapter au sujet ; il existe ainsi trois style différents, délivrés par
le traité Du Style de Démétrios (en fait un inconnu) et repris dans la Rhétorique à Herennius :
-
le « style noble », ou « grave » qui vise à émouvoir ;
le « style simple », ou « tenue » qui permet d’informer et d’expliquer ;
le « style agréable », ou « medium » qui met en avant l’anecdote et l’humour.
La distinction de la notion de style en trois, voire en davantage de catégories a une histoire complexe. Elle
remonte sans doute à Antisthène et à Théophraste, mais Denys d’Halicarnasse et Pline l’Ancien en parlent déjà.
Dès ces origines, les types de style ont pour parangon des auteurs de renommée certaine. Ainsi, l’historien
Thucydide représente le style élevé (« noble ») alors que l’orateur Lysias utilise lui le style simple et qu’Isocrate
a un style agréable (moyen).
Il existe par ailleurs deux règles de style à respecter :
-
la « convenance », pour laquelle l’usage d’un style se retrouve pour un moment du discours et pour un
type de preuve :
La règle de convenance
Styles
But
Preuve Moment du discours
Noble
émouvoir (« movere »)
pathos péroraison et digression
Tenue
expliquer (« docere »)
logos
narration, confirmation et récapitulation
èthos
exorde et digression
Medium plaire (« delectare »)
-
la « clarté », c’est-à-dire l’adaptation du style à l’auditoire. Pour Quintilien, la clarté est la « première
qualité de la parole ». Elle permet d’éviter les amphigouris, l’implicite ou encore les ambiguïtés.
9
La rhétorique classique, et en particulier romaine (qui a le plus insisté sur la notion de style) reconnaît d’autres
qualités. Théophraste prône quant à lui la clarté, la correction, la convenance et l’ornement alors que Cicéron
dans ses Divisions de l’art oratoire distingue cinq « flambeaux » (« lumina », c’est-à-dire des traits de style
notables) : la brièveté, la convenance, l’éclat, l’agrément et la clarté. À la suite de George Campbell, Olivier
Reboul y adjoint une troisième règle, tenant de l’orateur, qui doit se montrer vivant. Campbell la nomme
« vivacity » (la vivacité) et explique qu’elle repose sur le choix des mots concrets, sur les maximes et sur la
détermination à vouloir se faire comprendre par tous.
La notion de « style » a traversé toute l’histoire littéraire, jusqu’à nourrir une discipline fille de la rhétorique, la
stylistique, née notamment des réflexions des écrivains, à l’aulne de l’art rhétorique. Ainsi Victor Hugo définit
le style littéraire comme le respect de ces trois critères alors que, au demeurant, il combat la rhétorique
comme une discipline archaïque :
-
la correction, « indispensable mérite d’un écrivain dramatique » ;
la simplicité, « vraie et naïve » ;
la grandeur, c’est-à-dire l’art de toucher à des sujets universels.
2.3.2 Les figures
Les figures de rhétorique (ou « schèmata » en grec) proviennent de la qualité de l’orateur. Elles procurent en
premier lieu un plaisir (ou « delectatio ») car « leur mérite manifeste [est] de s’éloigner de l’usage courant »
selon Quintilien. Pour la rhétorique classique, la figure s’écarte de l’usage minimal de la langue. Cette
conception de la figure comme écart est l’un des points théoriques sur lequel la linguistique moderne a
achoppé. La rhétorique voit dans la figure un moyen de persuasion reposant sur l’imagination de l’orateur. La
stylistique est née de la scission de la partie de l’élocution d’avec le reste du système rhétorique. La notion de
« figure de rhétorique » est ainsi à examiner, notamment au sein de la catégorie plus vaste des figures de style.
2.4 L’action
L’action (« actio », ou « hypocrisis » en grec) est la phase de prononciation du discours, que l’on peut désigner
par le terme actuel d’élocution, à ne pas confondre avec la partie rhétorique du même nom. Pour Démosthène
il s’agit du but de la rhétorique alors qu’Aristote l’évoque au livre III de sa Rhétorique, mais de manière
elliptique. La racine grecque renvoie également à l’hypocrisie ; en effet l’orateur doit paraître ce qu’il veut
paraître durant l’action. Cicéron parle ainsi de l’» élocution du corps » que constitue l’action. Les gestuelles
sont en effet importantes, ainsi que le travail de la voix (c’est l’éloquence proprement dite), du ton, du débit et
du souffle. Le rythme est capital et Quintilien rapproche l’action de la musique (eurythmie).
La voix est, en particulier, le noyau de l’action rhétorique. Elle doit, selon l’auteur de la Rhétorique à Herennius,
être puissante, résistante et douée de souplesse. L’archétype est ici le rhéteur Démosthène qui réussit à
vaincre son handicap (il béguayait) par la pratique d’exercices de déclamation, face à la mer et en dépit du bruit
du ressac. Les expressions du visage, les mouvements des mains ainsi que les postures sont tous des éléments
importants pour l’action, codifiés. La « chironomie » ou « art de régler les gestes des mains, et plus
généralement les mouvements du corps, dans la comédie et dans la chorégraphie » est un élément important
de l’action rhétorique (un mouvement lent exprime ainsi la promesse et l’assentiment par exemple), développé
au XVIIe siècle par John Bulwer.
L’art du spectacle, théâtral surtout, s’en est largement inspiré. L’orateur y est un « actor », un acteur. Antoine
Fouquelin note quant à lui que c’est de l’action que l’échange tire toute sa force, car, contrairement aux mots,
les gestes sont universels et compréhensibles par tous.
2.5 La mémoire
La mémoire (« memoria », ou « mnèmè » en grec) est l’art de retenir son discours. Partie souvent oubliée de
l’art rhétorique et des études modernes, Cicéron en fait néanmoins une qualité naturelle de l’orateur alors que
Quintilien en fait une technique se fondant sur la structure du discours d’une part et sur les procédés
mnémotechniques d’autre part. Il est important de remarquer à ce titre que la mémoire ne figure pas dans les
traités de rhétorique d’Aristote. Le but de ces techniques est avant tout de retenir les arguments, lors des
procès par exemple. La mémoire est une partie ajoutée tardivement, par certains traités latins, et notamment
l’auteur anonyme de la Rhétorique à Herennius qui la définit par ailleurs comme un « trésor qui rassemble
toutes les idées fournies par l’invention et qui conserve toutes les parties de la rhétorique. ». Cet auteur
distingue par ailleurs deux mémoires :
-
la « mémoire naturelle », qui demeure un don ;
10
-
la « mémoire artificielle » (au sens technique), liée à l’apprentissage et à la pratique de l’art oratoire.
La mémoire artificielle prend ainsi appui principalement sur le sens visuel, sur des images et des techniques
permettant de décrire un objet ou une personne comme s’ils étaient sous les yeux de l’auditoire. Il faut ainsi
pour Cicéron ranger ces images et souvenirs dans des emplacements mentaux appropriés. Dans le système
rhétorique, elle est ainsi mobilisée pour se souvenir des lieux communs, elle requiert ainsi de se remémorer
convenablement et en détail (dans le cas des hypotyposes par exemple) des scènes constituant la culture
greco-romaine, comme les scènes mythologiques ou épiques. La doctrine de l’imitation (l’orateur doit faire
référence aux Anciens) se fonde donc sur l’art de mémoire. Parce qu’elle est le médium entre le passé et le
présent, entre les origines cosmogoniques (les mythes) et l’actualité du débat, la mémoire est un don divin.
Cicéron considère, dans De L’Orateur, qu’elle fut prodiguée par les dieux au poète Simonide de Céos, lors d’un
drame domestique. Depuis ce mythe, la mémoire est liée à l’ordre car c’est l’ordre des convives avant la chute
du toit de la maison qui permit au poète de retrouver les cadavres et de les identifier.
L’art de mémoire a ainsi perpétué cette technique à travers l’époque médiévale. Albert le Grand voit ainsi dans
la métaphore l’expression de la mémoire, et qui permet d’émouvoir. Pour Frances Yates elle est à l’origine des
créations d’allégories médiévales, qui enrichirent la statuaire.
3 Fondements de la rhétorique
Si le système rhétorique est avant tout formel, il repose également sur deux notions centrales :
l’» argumentation » d’une part et les « figures de rhétorique » d’autre part, même si cette dernière compose,
au XXe siècle la discipline annexe de la stylistique. Les arguments types doivent avoir une place à part, étant
donné qu’ils sont souvent à la frontière des deux premières notions. Mais, la notion d’auditoire donne tout son
sens à l’art rhétorique.
3.1 L’auditoire : convaincre et persuader
Le discours rhétorique s’adresse à un public, et ce même dans le cas d’un échange entre deux personnes car le
discours est alors du domaine littéraire puisqu’il peut être porté à la connaissance du lecteur. Depuis Aristote,
la problématique quant à la nature de l’auditoire est un point clé du système rhétorique. Le philosophe grec en
distinguait trois différents, selon le discours rhétorique à mettre en pratique. Par ailleurs, les notions de
« pathos », d’» èthos » et de « logos » ne se comprennent qu’en tenant compte de l’auditoire ; en d’autres
mots, le discours oratoire s’articule autour de deux verbes qui l’ont souvent définis : convaincre et persuader.
Pour Chaïm Perelman, dont l’analyse a su reposer le débat, comme pour Cicéron en son temps, l’auditoire doit
rester le sens de la rhétorique : « Le seul conseil d’ordre général qu’une théorie de l’argumentation puisse
donner en l’occurrence, c’est de demander à l’orateur de s’adapter à son auditoire ».
La distinction de ces notions a une longue histoire ; Blaise Pascal pensait que la persuasion était du domaine de
l’imagination alors que la conviction tenait de la raison et Emmanuel Kant y voyait l’opposition entre le
subjectif et l’objectif. Cependant, pour Chaïm Perelman, ces débats omettent la nature de l’auditoire, donnée
élémentaire. Ce débat autour de la nature de l’auditoire a pourtant été premier historiquement. Pour Cicéron
et Quintilien, le citoyen est l’interlocuteur du discours rhétorique. Or, cette définition demeure par trop
philosophique, la conscience de l’auditoire n’étant pas prise en compte. Perelman étend donc cette définition
au champ de la pratique en expliquant que l’auditoire est : « l’ensemble de ceux sur lesquels l’orateur veut
influer par son argumentation ». Perelman, qui est le spécialiste abouti de la rhétorique du milieu judiciaire,
distingue ainsi deux types d’auditoire :
-
un « auditoire universel » ;
un « auditoire particulier », d’» une infinie variété » ajoute-t-il.
Pour lui, le discours s’adressant à un auditoire particulier vise à persuader alors que celui à destination d’un
public universel vise à convaincre.
11
3.2 L’orateur
L’orateur est une « personne que sa fonction conduit souvent à prononcer des discours devant un public ».
Néanmoins le terme de « rhéteur » lui fait concurrence, désignant
plus spécifiquement « celui qui fait profession de l’art de la
rhétorique » Ce statut existe dès la Grèce antique où l’orateur
devient un homme politique et un enseignant. Isocrate résume ainsi
ce double aspect : « (...) nous appelons orateurs ceux qui sont
capables de parler devant la foule et nous considérons comme de
bons conseils ceux qui peuvent sur les affaires s’entretenir avec euxmêmes de la façon la plus judicieuse. »
L’orateur, selon le type de discours qu’il met en œuvre, peut être un
prédicateur, un avocat ou un sophiste. Néanmoins il y a autant
d’orateurs qu’il y a de conversations et de genres discursifs note
Olivier Reboul. Un homme d’église peut ainsi faire un sermon alors
que l’homme de loi use d’apologie (défense d’une personne) ou de
réquisitoire (attaque contre une personne). L’orateur dépend donc
avant tout de son public.
Jean Starobinski, dans Les Lieux de mémoire note que les lieux
traditionnels de la rhétorique (la chaire, la tribune et le barreau) sont
aujourd’hui éclatés et diversifiés en affiches, cortèges politiques ou
syndicaux, télévision, publicité, conférence, « si bien que la figure de
l’orateur est devenue « anachronique » ». Par ailleurs, ce statut, et sa Figure 4- L'orateur grec Isocrate, par Pierre
Granier.
perception dans la sphère publique, a évolué. Le sexe de la personne
qui assume le discours, au moyen des techniques oratoires a également évolué. Selon Philippe-Joseph Salazar
en effet, il existe « deux régimes de la parole publique », l’un oratoire, qui est masculin (en diplomatie, dans les
domaines judiciaire, religieux et parlementaire) et un second féminin, dévolue à l’art de la conversation pur et
formant une véritable « institution » selon Marc Fumaroli. Salazar rappelle alors qu’il existe en Suède, depuis le
XIXe siècle une tradition oratoire féminine inexistante ailleurs en Europe (sauf peut être lors de la préciosité), et
laissée de côté par les historiens de la littérature.
Enfin, pour la rhétorique classique, l’» orateur est homme de bien qui parle de bien », traduction de l’adage
latin « uir bonus dicendi peritus » attribué au rhétoricien romain Quintilien, c’est-à-dire qu’il doit porter des
valeurs civiques de probité et de respect de l’interlocuteur.
Dans les mondes grec puis romain surtout, l’orateur a une fonction de médiation : « la vie politique se nourrit
de cette transaction rhétorique, par quoi l’orateur persuade de manière réglée afin que ceux qui sont
persuadés puissent, à leur tour, persuader d’autres » explique Philippe-Joseph Salazar. Le « bien » dont parle
Quintilien est alors le « bien commun », la justice sociale, la « res publica » des romains.
3.3 L’argumentation
3.3.1 Science du raisonnement
L’argumentation constitue une « méthode de recherche et de preuve à mi-chemin entre l’évidence et
l’ignorance, entre le nécessaire et l’arbitraire. Elle est, comme la dialectique qu’elle continue sous d’autres
formes, un des piliers de la rhétorique ». Elle a souvent été confondue, sans distinction, avec la rhétorique en
tant que telle, alors que, si la rhétorique peut s’appuyer sur le discours argumentatif, l’inverse n’est pas vrai. Le
but de l’argumentation est de faire progresser la pensée en partant du connu pour faire admettre l’inconnu ; ce
que la logique formelle nomme l’inférence. Le maître-mot est alors le raisonnement, qui se divise lui-même en
deux notions (la déduction et l’induction). Pour Joëlle Gardes-Tamine l’argumentation a pour but de réduire la
distance entre l’orateur et son public. Elle rappelle en effet que les latins appelaient également l’argumentation
l’aptum, c’est-à-dire l’» adaptation au public ».
Il existe néanmoins un type de raisonnement qui s’exclut du champ rhétorique remarque Jean-Jacques
Robrieux. Il s’agit de la démonstration, qui est « un enchaînement de raisonnements, liés entre eux par un
caractère de nécessité (...) et à peu près indépendant de la volonté de son auteur », qui est l’apanage du
domaine scientifique. Contrairement à l’argumentation, dans laquelle l’orateur est libre de sa stratégie
argumentative, dans la démonstration (la mathématique par exemple, parmi les plus rigoureuses) la logique
12
interne prime, « les axiomes ne sont pas en discussion [et] (...) on ne se préoccupe guère de savoir s’ils sont ou
non acceptés pas l’auditoire ».
Il existe ainsi deux types d’argumentations, déterminant toute une gamme d’arguments utilisés dans le
discours :
-
l’argumentation « ad rem » (sur la chose), ou « ex concessis », qui s’adresse à un auditoire universel ;
l’argumentation « ad hominem » (vers l’homme) qui est une opposition de thèses personnelles.
3.3.2 Déduction et syllogistique
La déduction est le principe de raisonnement qui va du général au particulier. La syllogistique étudie ce mode
de raisonnement. Jean-Jacques Robrieux donne ainsi cet exemple : « Toute l’Europe est démocratique. La
France fait partie de l’Europe. Donc la France est un État démocratique. »
Les deux premières propositions (qui sont des « assertions » : elles énoncent un fait) sont appelées les
prémisses du raisonnement. La première assertion est dite « majeure » car elle énonce une loi générale alors
que la seconde est « mineure » car elle énonce un fait particulier. Par ailleurs, les termes sont appelés « grand
terme » (ici « États démocratiques »), « moyen terme » (« Europe ») et « petit terme » (« France »). Selon leur
place au sein des prémisses quatre figures sont possibles.
Par ailleurs, la syllogistique distingue les « modes » ou agencement des termes selon deux couples de
variables :
-
universel / particulier ;
affirmatif / négatif.
qui donnent ainsi également quatre figures possibles (ou « syllogismes » de (grec ancien sun et logos, « qui
utilise le discours »). Les modes combinés aux possibilités d’agencement des termes aboutissent à un ensemble
de 256 combinaisons dont seulement sont rationnelles et logiques. La scolastique les désigne au moyen de
voyelles permettant de créer une matrice :
-
universelle affirmative (a) ;
universelle négative (e) ;
particulière affirmative (i) ;
particulière négative (o).
Les combinaisons forment ainsi des mots comme, par exemple, « Barbara » (a, a, a), dans le cas de trois
propositions universelles et affirmatives. Néanmoins, il existe quatre syllogismes dits « complexes », parmi les
plus utilisés en rhétorique, au-delà des syllogismes formels et logiques spécifiques :
-
-
le « sorite » (grec ancien sôreitês, « tas »). Le sorite se fonde sur la décomposition de la mineure en
une suite de propositions enchaînées par des relations d’implications ; c’est un syllogisme continu ;
l’» épichérème » (latin scientia, « connaissance ») est un syllogisme qui apporte des arguments
(preuves ou lieux communs) aux prémisses. Il s’agit par exemple d’user de digressions pour détailler
un point précis, dans le cours du raisonnement ;
l’» enthymème » (grec ancien enthumeomaï, « je réfléchis »), est un syllogisme réduit car il y manque
une prémisse (qui est soit évidente et juste ou fausse, soit elle est masquée volontairement comme
dans le « je pense, donc je suis » de René Descartes.
3.3.3 Induction et la généralisation
L’induction part de faits particuliers pour aboutir à une loi générale. Elle prime notamment dans la démarche
scientifique. Les rhétoriciens en distinguent deux types :
-
l’» induction complète » qui permet des inférences à partir de la totalité des phénomènes sur lesquels
se fonde l’orateur ;
l’» induction amplifiante » qui n’en retient qu’un échantillon et extrapole ensuite en loi les propriétés
découvertes.
Jean-Jacques Robrieux s’arrête sur la remarque selon laquelle le raisonnement inductif ne fait pas que
généraliser ; il peut aussi induire des faits particuliers, c’est le cas des enquêtes de police par exemple.
13
3.4 Les figures de rhétorique
Il s’agissait à l’origine d’une partie de la rhétorique liée à l’» elocutio » mais également de l’agencement du
discours (la « dispositio »), avant de devenir l’élément le plus analysé et le plus discuté de la rhétorique,
dépassant même le cadre de la discipline oratoire pour devenir un aspect du style, surtout en littérature. La
figure de rhétorique est perçue depuis les origines antiques de la discipline comme étant un « ornement du
discours » (« colores rhetorici »).
Le classement des figures est un problème transversal à toute l’histoire de la rhétorique. Au XXe siècle, avec les
recherches structuralistes surtout, les figures de style quittent le terrain de la rhétorique pour devenir des
éléments de la persuasion et de la communication. La linguistique moderne les classe majoritairement en
quatre niveaux :
-
niveau du mot (exemple : tropes) ;
niveau du syntagme (exemple : oxymore) ;
niveau de la proposition (exemple : inversions) ;
niveau du texte (exemples : ironie, hypotypose).
Cependant, les classements proposés ne rendent que difficilement compte des effets stylistiques des figures,
complexes et reposant surtout sur le contexte (c’est le cas notamment de l’ironie). Enfin, toutes les figures de
style ne concernent pas la rhétorique : seules celles affectant le discours et le rapport de locution sont dites
rhétoriques.
Les figures de rhétorique permettent une vaste palette d’effets. La stylistique en étudie plus précisément les
effets sur le lecteur, sans tenir compte d’une situation d’éloquence particulière. Nombre de ces figures peuvent
devenir des arguments spécifiques. L’allégorie est ainsi très employée dans le discours oratoire car elle permet
de donner à voir des concepts abstraits par définition. Le recours aux allégories mythologiques (comme
Cupidon qui représente l’Amour) permet de rendre davantage didactique son discours. C’est le cas aussi de la
métaphore comme dans « Ma femme aux cheveux de savane » d’André Breton ou du paradoxisme par
exemple. Elles peuvent frapper l’esprit par le raccourci que constitue l’association des contraires dans
l’oxymore : « Le superflu, chose très nécessaire […] » (Voltaire) ou produire un effet comique avec le zeugme :
« On devrait faire l’amour et la poussière », (paroles de Zazie de Raymond Queneau). Si les figures permettent
des effets sur le pathos et lèthos, elles peuvent concerner également des tactiques de manipulation davantage
complexes. Joëlle Gardes-Tamine, dans la Rhétorique distingue celles servant à polémiquer (comme l’ironie et
l’analogie) à nommer (périphrase, antonomase), à frapper l’auditoire (par l’hyperbole et la description), à
suggérer des idées (allusion, métonymie, euphémisme) ou encore à interpeller (apostrophe). (Voltaire) ou
produire un effet comique avec le zeugme : « On devrait faire l’amour et la poussière », (paroles de Zazie de
Raymond Queneau). Si les figures permettent des effets sur le pathos et lèthos, elles peuvent concerner
également des tactiques de manipulation davantage complexes. Joëlle Gardes-Tamine, dans la Rhétorique
distingue celles servant à polémiquer (comme l’ironie et l’analogie) à nommer (périphrase, antonomase), à
frapper l’auditoire (par l’hyperbole et la description), à suggérer des idées (allusion, métonymie, euphémisme)
ou encore à interpeller (apostrophe).
3.5 Les arguments
Les arguments sont les éléments de discours servant à étayer un propos ou une thèse. Pour Quintilien : « un
argument est un raisonnement fournissant une démonstration, qui permet d’inférer une chose d’une autre, et
confirme ce qui est douteux par ce qui n’est pas douteux. »
Les auteurs en distinguent deux catégories majeures : ceux provenant du domaine de la logique formelle et
ceux émettant un jugement. Jean-Jacques Robrieux distingue lui quatre classes d’arguments :
-
les « arguments quasi logiques » ;
les « arguments empiriques » ;
les « arguments contraignants et de mauvaise foi » ;
les « arguments jouant sur le pathos ».
Il est important de rappeler que l’on appelle « thème » le sujet de la proposition (c’est-à-dire ce qu’on dit), et
« prédicat » l’information sur ce sujet.
Les arguments ont été l’objet de recherches importantes, tant dans leur dimension linguistique que logique.
Aristote les analyse dans son Organon et dans les Arguments sophistiques. Port-Royal a rédigé par ailleurs une
14
Port-Royal. Enfin, l’économiste John Stuart Mill a écrit lui aussi une Logique, et principalement le livre V
consacré aux arguments paralogiques.
3.5.1 Les arguments quasi logiques
Pour Chaïm Perelman, la rhétorique ne s’appuie que sur les arguments logiques. Jean-Jacques Robrieux les
sous-divise en deux groupes : les arguments « quasi logiques » et les arguments issus du domaine de la logique
formelle (des mathématiques en somme). Il existe en effet d’autres arguments types mais davantage plus flous,
tenant de la philosophie par exemple ou de la littérature, moins rigoureux que les arguments quasi logiques.
Jean-Jacques Robrieux les classe en trois groupes: les définitions, qui posent une relation d’équation ou
d’équivalence en vue de donner un sens à un concept, la comparaison, (à distinguer donc de la figure de style
du même nom) qui permet de définir ou d’exprimer une notion ou un objet en le rapprochant ou en le
distinguant d’autres objets ayant une ou plusieurs propriétés en commun, et l’incompatibilité qui est « deux
assertions qui ne peuvent coexister dans un même système, sans ipso facto, se nier logiquement ».
Il existe par ailleurs d’autres arguments formels tels la tautologie, l’» argument par l’absurde ».
3.5.2 Les arguments empiriques
Ces arguments se fondent sur l’expérience. Contrairement aux arguments logiques il ne peuvent exister sans
une observation du champ de la réalité (appelée « empirie »). D’après Jean-Jacques Robrieux, ils se sousdivisent en trois groupes : les arguments fondés sur la causalité et la succession comme la description, ceux
fondés sur la confrontation comme la disqualification ou l’argument d’autorité et enfin les arguments inductifs
comme l’illustration ou l’analogie.
3.5.3 Les arguments contraignants et de mauvaise foi
Ces types d’arguments sont hautement manipulateurs, mais à des degrés divers. Ainsi, les auteurs distinguent
ceux fondés sur le bon sens, l’appel au conformisme, la ruse ou la violence. Ils sont également peu logiques.
Peu étudiés au cours des siècles, Jean-Jacques Robrieux remarque qu’ils font « l’objet d’un regain d’intérêt
théorique depuis quelques décennies seulement, au moment où les démocraties, le système consumériste et
les médias se sont mis à les employer abondamment ». Certains de ces arguments ont recours aux valeurs (ce
sont les repères moraux admis par une société donnée et partagées par tous), d’autres sont plus
particulièrement des ruses sophistiques destinées à gagner à tous prix le débat. Ils sont: le proverbe, les lieux
communs et les questions.
Les « questions éristiques » sont elles polémiques ; elles cherchent à agresser l’interlocuteur. Le philosophe
Arthur Schopenhauer en a proposé une étude précise dans L’Art d’avoir toujours raison ou Dialectique éristique
(1830 - 1831).
Dans le domaine de la mauvaise foi il existe un ensemble d’arguments particulièrement efficaces s’appuyant
sur une déficience de logique formelle (appelés de manière générale les paralogismes) comme le sophisme, le
paralogisme, la pétition de principe ou le paradoxe.
3.5.4 Les arguments jouant sur le pathos
Certains arguments ont pour but unique d’émouvoir ou de susciter la pitié. Le discours judiciaire y est
particulièrement sensible, notamment lorsque l’avocat de la défense tente d’émouvoir le jury par exemple. Ils
sont l’argument démagogique, l’argument ad misericordiam ou as baculum.
4 Domaines de la rhétorique
Étant avant tout une pratique, la rhétorique s’incarne au sein de divers domaines, principalement les discours
philosophique, politique et publicitaire. Le domaine religieux et pédagogique sont également très influencés
par l’art oratoire, dans leur dimension historique mais aussi pratique. Tous les spécialistes de la discipline
s’accordent à dire que celle-ci vit un renouveau, à travers ces « rhétoriques » du fait de l’expansion des
techniques et des enjeux de la communication actuelle. Néanmoins, la rhétorique n’est pas qu’une somme de
techniques ; pour Olivier Reboul, Chaïm Perelman, selon les mots de Bertrand Buffon elle « favorise l’exercice
du jugement critique face à ces manipulations grandissantes de l’opinion par la parole et par l’image ».
4.1 Rhétorique et philosophie
4.1.1 Une histoire et des enjeux communs
Pour Michel Meyer, la philosophie et la rhétorique entretiennent des connexions certaines. D’une part, la
philosophie est née de la rhétorique, avec Platon et Aristote surtout. C’est avec ce dernier que « la nouvelle
15
rhétorique devient alors l’instrument de la philosophie » selon Chaïm Perelman. D’autre part, « Philosopher,
c’est argumenter, structurer un discours qui va aussi loin que possible, du fondement aux conséquences ».
Platon scella définitivement l’opposition entre la rhétorique « philosophique », et la rhétorique « littéraire ».
Néanmoins, le discours demeure toujours une interrogation philosophique, alors que la philosophie se fonde
de même toujours sur une méthodologie rhétorique. C’est surtout l’œuvre de Cicéron qui symbolise le rapport
intime qui existe entre les deux disciplines.
S’il n’est pas public, le raisonnement philosophique doit néanmoins convaincre, argumenter et persuader,
autant d’objectifs rhétoriques. Chaïm Perelman a ainsi réalisé une étude de cette double influence, dans
Rhétorique et philosophie pour une théorie de l’argumentation en philosophie. Perelman note également
l’importance de l’analogie et de la métaphore en philosophie, ce que le philosophe Paul Ricœur, dans La
Métaphore vive pose comme un préalable au travail herméneutique. Par ailleurs, le philosophe Jacques Derrida
s’intéresse à la construction du discours dans Rhétorique et philosophie.
Enfin, l’histoire des deux disciplines a souvent coévolué ; en effet, les préoccupations de la Renaissance,
portant sur l’objet du langage les ont nourri. Il s’agissait alors de savoir si le langage devait être compris comme
un instrument de compréhension (d’ouverture au divin) ou bien de communication (de manipulation
politique). Les réponses de la philosophie ont considérablement, note Michel Meyer, fait progresser la
rhétorique ; parallèlement, les conceptions des rhétoriciens jésuites notamment ont apporté à la philosophie la
logique formelle et le logicisme.
4.1.2 Philosophies de la rhétorique
La rhétorique comme objet de connaissance et objet d’analyse philosophique a donné lieu à de nombreuses
réflexions sur la nature du langage et sur le statut de la vérité au sein du discours. Les fonctions de la
rhétorique et les notions de « pathos » et de « logos » vont passionner les thèses philosophiques dès la
Renaissance, en effet « Il n’est pas un philosophe du XVIIe siècle qui ne pose le problème de la place et de la
puissance du logos (...). ».
Francis Bacon (1561 - 1626) est ainsi le premier à proposer d’étendre la partie de l’» inventio » au domaine
scientifique. Tout dans la rhétorique peut aider le savant et le langage construit peut venir à bout de chaque
paradoxe et l’art oratoire est selon lui lié à l’imagination. Thomas Hobbes (1588 - 1679) voit lui dans le pathos
un danger pour l’entreprise empirique, qui se fonde sur les faits bruts. La rhétorique est ainsi le langage du
pouvoir, du Léviathan, et un mensonge qui permet de contrôler les hommes.
Mais c’est surtout René Descartes qui propose un renouveau, en philosophie, de la rhétorique, à travers son
Discours de la méthode (1637). Confondant l’argumentation avec la rhétorique, Descartes voit dans l’art
oratoire et ses techniques le moyen d’étudier les « raisons » des faits (leurs causes en somme). Il plaide
également pour que la dialectique soit intégrée à la rhétorique ;
selon lui une démonstration scientifique ne peut s’en passer. Enfin,
Descartes doit à la partie de l’invention rhétorique ses quatre
préceptes déterminants sa méthode cartésienne. Michel Meyer
voit en effet dans ces préceptes, permettant d’étudier un fait, qui
sont : l’évidence, la décomposition, la recomposition et le
dénombrement soit les quatre phases de l’invention. Blaise Pascal
propose quant à lui un Art de persuader (1662) et affirme
l’irréductibilité du pathos, qu’il formule par l’expression du « je ne
sais quoi ». Pour lui, la rhétorique doit se cantonner à l’étude des
logiques et ne pas chercher à expliquer la dimension pathétique de
l’orateur.
La philosophie moderne va beaucoup revenir sur les acquis de la
rhétorique. Dans la Dialectique éristique (1830 - 1831), le
philosophe Schopenhauer explore les voies de la controverse. Il
considère que la dialectique éristique est l’art de la controverse. Il
explore les causes de celle-ci puis aboutit à postuler que, dans le
discours rhétorique, la vérité n’existe pas, au contraire du discours
logique.
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Figure 5 - René Descartes, portrait par Frans
Hals.
4.2 Rhétorique et politique
4.2.1 Véhicule de l’idéologie
Analysé par Constantin Salavastru, dans Rhétorique et politique. Le pouvoir du discours et le discours du
pouvoir, l’art oratoire entretient une « vieille complicité avec l’art de gérer [la Cité] ». Déjà, en 1815 - 1816 le
rhétoricien français Edgar Quinet remarquait que la rhétorique s’est toujours accommodée de l’autorité
politique : « Une seule chose s’était maintenue dans les collèges délabrés de l’Empire : la Rhétorique. Elle avait
survécu à tous les régimes, à tous les changements d’opinion et de gouvernement, comme une plante vivace
qui naît naturellement du vieux sol gaulois ». Enfin, « le discours politique est l’archétype du genre dit
délibératif ».
En réalité, pour la linguistique, le discours est naturellement implicite. La communication et la langue sont en
elles-mêmes des systèmes « flous » car soit fragiles (le « bruit » ou le « blanc » peuvent altérer l’échange) soit
polysémiques (un mot a ainsi plusieurs sens réels, des dénotations mais aussi des connotations). Oswald Ducrot
a ainsi proposé une théorie dite de la « présupposition » dans Dire et ne pas dire. À chaque instant de l’échange
les locuteurs et interlocuteurs émettent un ensemble de présuppositions permettant le décodage du message.
C’est sur ces présupposés cognitifs que, selon Marc Angenot, l’idéologie et la politique se fondent. Ils les
nomment des « idéologèmes » et constate qu’ils accompagnent certains mots spécifiques, à forte connotation,
comme « juif » par exemple, au sein de ce qu’il appelle les « discours sociaux », fortement idéologiques.
4.2.2 Rhétorique et démocratie
La manipulation par le verbe et le discours est souvent perçue comme un attribut du pouvoir politique. La
rhétorique est ainsi considérée comme le cœur de la propagande ou de la démagogie. Or, pour nombre
d’auteurs, la rhétorique est surtout un instrument démocratique.
Pour Jean-Jacques Robrieux, spécialiste de la rhétorique classique, « s’il n’est pas nécessairement
manipulateur, il [le discours politique] est toujours rhétorique, tendu vers la persuasion, soit parce qu’il faut se
mettre à la portée du public (cas de la pédagogie) soit parce qu’il existe un antagonisme (cas du judiciaire), ou
au moins des divergences de vue (cas du délibératif) ». Autrement dit, l’équation selon laquelle la rhétorique
est synonyme de manipulation reste un cliché que ni l’histoire, ni l’usage n’infèrent. En effet, pour certains
auteurs, paradoxalement, la rhétorique ne peut se fonder que sur la liberté individuelle, ainsi que sur un climat
de liberté sociale. Jacqueline de Romilly remarque, sur le plan de la méthode historique, que, à Athènes, au
siècle de Périclès, la rhétorique progressait d’autant plus que progressait la liberté.
Pour Philippe-Joseph Salazar, dans Pratiques de la rhétorique dans la littérature de la fin du Moyen Âge et de la
première modernité, la rhétorique a permis l’avènement de la démocratie, par le maintien de principes
d’équité, tels l’égalité de temps de parole ou le débat contradictoire. Reprenant le néologisme de la spécialiste
du monde grec en France, Barbara Cassin : « Je citoyenne, nous citoyennons » (sic), Salazar explique que l’art
oratoire se fonde sur trois valeurs démocratiques : ce qui est « juste » (rhétorique judiciaire), ce qui est « utile »
(rhétorique délibérative) et ce qui est « valable » (rhétorique épidictique). Pour synthétiser, il voit dans
l’enseignement rhétorique le noyau de la démocratie : « La formation rhétorique sert à établir, autant que
possible, un équilibre entre la notion fondamentale, en démocratie, que le sens commun est également
partagé et la réalité brutale que ce partage s’effectue mal. »
4.3 Rhétorique et psychologie
4.3.1 Un substitut à la violence
Depuis les débuts de la discipline, les auteurs remarquent que la rhétorique recherche en priorité les solutions
de l’ordre des représentations. Loin de son image actuelle de moyen verbal au service de l’idéologie, la
rhétorique a avant tout à voir avec le processus de civilisation et la notion de catharsis décrite par Aristote.
Olivier Reboul dit ainsi :
« La polémique n’est pas la guerre. Elle est même exactement le contraire, car elle n’est possible que là où l’on
dépose les armes, ou cedant arma togae, où le combat fait place au débat. Sans doute le débat peut-il être
long, épuisant et cruel. Mais il n’est pas la guerre, la guerre où triomphe la causalité aveugle et la mort. Tant
qu’on parle, on ne se tue pas. Mieux encore, dans la joute rhétorique, on ne perd ni ne gagne jamais tout à fait
par hasard, et ni la victoire ni la défaite ne sont irrémédiables. Les Anciens n’avaient pas tort de comparer la
rhétorique au sport ; l’un et l’autre canalisent l’agressivité humaine et constituent une victoire de l’art sur la
guerre, du raisonnable sur l’arbitraire. »
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C’est surtout l’approche « communicationnelle » (étudiant en quoi la rhétorique est avant tout une méthode
de communication entre personnes) qui s’intéresse à la dimension psychologique de l’art oratoire. Selon Aron
Kibédi Varga, dans Rhétorique et littérature, « à la base de toute rhétorique il y a le désir de communication ».
Pour nombre d’auteurs, les débuts quasi mythiques de la discipline, relatés par Aristote, selon qui la rhétorique
est née après que les tyrans de Sicile aient été expulsés par le peuple, au Ve siècle av. J.-C., éclairent cette
dimension. Il fallut en effet redistribuer aux paysans les terres confisquées, ce qui obligea de mettre en place
un cadre procédurier ainsi qu’une technique de prise de parole. En d’autres termes, note Joëlle Garde-Tamine,
la rhétorique devint un substitut à la violence.
4.3.2 Des processus cognitifs à l’œuvre dans le système rhétorique
La psycholinguistique a permis au XXe siècle de relever l’importance des processus de cognition que l’orateur ou
l’interlocuteur mettent en pratique au sein du discours. La mémoire est ainsi particulièrement sollicitée, ainsi
que l’imagination, à travers le pourvoir de figuration. Les figures de style sollicitent en effet les compétences
d’imagerie mentale que le cognitivisme a pu mettre en exergue. Rudolf Arnheim, dans La pensée visuelle (1976)
énumère les processus cognitifs liés au sens de la vue auxquels à recours la communication.
Déjà, au XVIIe siècle, le cartésien Géraud de Cordemoy, dans son Discours physique de la parole (1668) voyait
dans la rhétorique le résultat de l’interaction intime de l’âme et du corps, interaction consistant en « une
heureuse disposition du cerveau » qui explique, par exemple, la force du pathos et des affects. S’il manipule, le
discours rhétorique agit en premier lieu au niveau sentimental. La publicité redécouvre la puissance suggestive
de l’art oratoire, que les sémioticiens comme Jacques Durand ou Roland Barthes ont étudiée. Roland Barthes
voit ainsi dans la rhétorique un langage général à l’esprit : « Il est probable qu’il existe une seule forme
rhétorique, commune par exemple au rêve, à la littérature et à l’image ».
Le discours publicitaire se fonde enfin sur la dimension psychologique de la rhétorique. À partir de l’analyse
d’affiches électorales, Olivier Reboul conclut ainsi que la nature rhétorique de l’image concerne principalement
l’èthos et le pathos alors que, au contraire, l’argumentation n’est pas première. Jacques Durand a lui abordé la
fonction de l’usage des figures dans le discours de vente. Il propose de considérer la rhétorique de l’image
publicitaire comme une rhétorique de recherche du plaisir qui permet au consommateur un double bénéfice :
« d’une part en lui épargnant, le temps d’un regard, l’effort psychique nécessité par « l’inhibition ou par la
répression » et, d’autre part, en lui permettant de rêver à un monde où tout est possible ».
La manipulation verbale enfin utilise des effets psychologiques, plus ou moins conscients. Ainsi, par exemple,
cite Chaïm Perelman, le fait de hiérarchiser les valeurs (les qualifications destinées à présenter les idées ou les
faits) conduit subliminalement à imposer un point de vue à l’auditeur. En effet, « par un curieux effet
psychologique, ce qui perd en importance devient, par le fait même, abstrait, presque inexistant » dans la
conscience de l’auditoire. Des figures de style permettent ainsi de jouer particulièrement sur ce genre d’effets
(telles la métabole ou l’amplification par exemple).
4.4 Rhétorique et psychanalyse
Avec le psychanalyste Jacques Lacan apparaît la notion d’une relation étroite entre la rhétorique et
l’inconscient : « Qu’on reprenne donc l’œuvre de Freud à la Traumdeutung pour s’y rappeler que le rêve a la
structure d’une phrase, ou plutôt, à nous en tenir à sa lettre, d’un rébus, c’est-à-dire d’une écriture, dont le
rêve de l’enfant représenterait l’idéographie primordiale. [...] C’est à la version du texte que l’important
commence, l’important dont Freud nous dit qu’il est donné dans l’élaboration du rêve, c’est-à-dire dans sa
rhétorique. Ellipse et pléonasme, hyperbate ou syllepse, régression, répétition, anaphore, apposition, tels sont
les « déplacements » syntaxiques, métaphore, catachrèse, antonomase, allégorie, métonymie et synecdoque,
les « condensations » sémantiques, où Freud nous apprend à lire les intentions ostentatoires ou
démonstratives, dissimulatrices ou persuasives, rétorsives ou séductrices, dont le sujet module son discours
onirique ». En résumé, il fait coïncider, quant aux procédés de constitution du rêve, la condensation de Freud
avec la métaphore, et le déplacement avec la métonymie. « La métaphore est constitutive de l’inconscient »,
énonce-t-il par ailleurs.
4.5 Rhétorique et religion
La rhétorique prend une forme particulièrement vivante au sein des grandes religions. Les discours
prophétiques emploient en effet un ensemble de moyens de persuasion allant de l’image (ou « parabole ») à la
logique dans les propos théologiques.
Tout d’abord, la rhétorique et l’analyse du discours sont utilisées pour décrypter les logiques implicites des
discours religieux. D. Marguerat et Y. Bourquin, dans La Bible se raconte. Initiation à l’analyse narrative posent
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ainsi les bases de cette dimension descriptive de la discipline rhétorique. La rhétorique sémitique est par
ailleurs une forme de composition littéraire propre aux textes bibliques ou coraniques. Elle est étudiée en tant
que telle depuis au moins le IXe siècle. Michel Cuypers indique qu’Al-Mutazz tentait déjà de définir, en 887, de
quelle manière la structure des textes arabo-musulmans se différenciait de la rhétorique grecque. Cependant, il
faut attendre le XVIIIe siècle, avec les travaux de Robert Lowth, pour que la rhétorique sémitique soit
développée par la linguistique.
Pour Philippe-Joseph Salazar, citant Georges Dumézil, les religions font souvent le lien entre la rhétorique et la
justice. Il prend ainsi comme exemple la déesse Vac dans l’hindouisme, dont le nom signifie « la Voix » et qui,
dans le Rig-Veda préside aux arts de la parole ainsi qu’au lien social, par la justice rendue. Pour certains Michel
Meyer, la rhétorique a une fonction sociale liée au sacré. Selon lui, le processus de « rhétorisation » est aussi
celui d’un rationalisme de plus en plus réflexif destiné à lever les superstitions. Il explique en effet que
« La rhétorisation du discours fait suite à l’effondrement des vieux mythes explicatifs de l’univers et de
l’arrangement social en vigueur. Les mythes étaient de belles histoires, des fables, chefs-d’œuvre de style et
d’éloquence, et ils vont d’ailleurs apparaître comme tels, perdant ainsi leur crédibilité initiale. »
Si la rhétorique est née en Grèce ce n’est pas un hasard, c’est aussi le lieu qui a produit le discours rationnel et
scientifique ; dans cette optique la rhétorique, par la dialectique, a une fonction contre-religieuse.
4.6 Rhétorique et stylistique
La rhétorique, née dans le milieu judiciaire, couvre potentiellement l’ensemble des messages sociaux, y
compris les textes à visée esthétique. La pensée classique avait envisagé, à côté de la rhétorique, l’existence de
la poétique, œuvrant dans le monde de l’imaginaire et ce dès les débuts de l’art oratoire. Aristote a ainsi écrit
une Poétique, même si c’est à la Renaissance surtout que se multiplient les traités de poétique. Mais les textes
à visée esthétique, parce qu’ils appartiennent à l’espace du vraisemblable, relèvent aussi d’une rhétorique
comprise dans un sens large. De sorte qu’entre poétique et rhétorique, les passages sont possibles : des
concepts élaborés dans le cadre de la seconde ont été sans difficultés transposés à la première.
La poétique est ainsi devenue avec le temps une discipline à part, la stylistique, utilisée actuellement, dans le
milieu universitaire comme étant la science de la production littéraire, au sens de création d’un discours
spécifique. Elle « étudie la valeur affective des faits du langage organisé, et l’action réciproque des faits
expressifs qui concourent à former le système des moyens d’expression d’une langue » selon Charles Bally. Au
XXe siècle, se nourrissant des apports de la sémiologie des années 1970 (avec Roland Barthes et le Groupe µ
surtout), cette poétique se mue en stylistique qui se définit ainsi comme la « discipline qui a pour objet le style,
qui étudie les procédés littéraires, les modes de composition utilisés par tel auteur dans ses œuvres ou les
traits expressifs propres à une langue ».
La stylistique aujourd’hui se focalise sur l’énonciation, sur les figures de style et sur la narratologie parmi les
domaines les plus importants.
4.7 Rhétorique et enseignement
Selon Philippe-Joseph Salazar, le républicanisme français oscille, dès le XIXe siècle, entre un rejet de la
rhétorique et une apologie dans la formation citoyenne, à l’école. Pourtant, le déclin de l’art oratoire aux
programmes est consommé depuis Jules Ferry, en 1902. Cependant, il y a périodiquement des débats
concernant sa réintroduction. Pourtant l’histoire littéraire portant sur la rhétorique témoigne d’un intérêt
croissant depuis les années 70, en France comme dans les pays anglo-saxons.
Dès l’Antiquité, la rhétorique est enseignée. Isocrate y voit la condition d’une formation exemplaire de l’esprit
citoyen, parallèlement à la formation physique, par le sport et la musique. En Grèce comme à Rome,
l’enseignement se fondait sur la connaissance parfaite des textes classiques et sur la rédaction de
commentaires, à l’écrit ou à l’oral. Ces commentaires consistaient en des éloges de personnages d’autorité.
L’» invention », qui persiste encore aujourd’hui au Baccalauréat, devait permettre de se nourrir du style de ces
auteurs. De 7 à 15 ans l’élève (garçon ou fille) est sous la tutelle d’un « grammairien » (« magister ») ; à 15 ans il
est enseigné par un « rhéteur » (« rhetor ») qui lui apprend l’éloquence. Il s’agit dès lors d’étudier la rhétorique
et non plus seulement de la pratiquer. Les exercices préparatoires (« progymnasmata » et « declamationes »)
permettaient d’évaluer les élèves. Or, note Joëlle Gardes-Tamine, le but de ces enseignements était double :
développer l’esprit critique d’une part (former le citoyen) mais aussi développer l’esprit créatif. Les jésuites
reprendront l’enseignement traditionnel romain, en y incluant la pratique du théâtre. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle
que les auteurs français comme Bossuet ou Racine deviennent objets d’étude rhétorique.
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Au Québec, pour des raisons historiques et culturelles, la rhétorique fut largement enseignée via ce qu’on
appelait le cours classique, une formation qu’offrait la plupart des collèges francophones du Canada jusque
dans les années 1960. Ce programme découlait du modèle d’enseignement créé par les jésuites au début de la
colonie, avant la conquête anglaise.
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Table des figures
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Table des matières
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