Publicité et développement durable

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Publicité et développement durable
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Vertitude Magazine : Il y a maintenant un peu plus de 10 ans, vous écriviez
un ouvrage remarqué, intitulé La Communication Verte. Qu’est-ce qui a
changé depuis ?
Le contexte a changé. Le pouvoir associatif et celui des ONG s’est accru, l’entreprise
est plus étroitement surveillée. Il y a eu également l’apparition d’Internet qui a
fortement modifié la donne pour les entreprises en amplifiant les lieux de
contestation. Par ailleurs, l’environnement est perçu plus fortement sous l’angle du
risque et celui de la finance, en clair, l’entreprise a compris qu’il était dans son intérêt
de s’en préoccuper.
Le type de communication s’est parallèlement modifié. Nous sommes passés d’une
communication produit – souvenons-nous des publicités pour Le Chat Machine ou
les détergents Maison Verte – à une communication institutionnelle. L’entreprise s’est
aperçue que l’argument écologique n’était pas à lui seul un déterminant de l’acte
d’achat, en conséquence le discours de vente a banalisé l’argument
environnemental, c’est-à-dire qu’il l’a introduit parmi l’ensemble des éléments de la
publicité du produit mais sans plus en faire un élément majeur. Par contre, le
discours de l’entreprise elle-même sur l’environnement a pris une importance
majeure.
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Vertitude Magazine : A bien vous écouter, on comprend que la
communication verte est une stratégie. Quelles sont les entreprises
susceptibles de la mettre en œuvre ? et dans quels desseins ?
Je suis persuadé que la communication est le quatrième pilier du développement
durable. Aux côtés de la sphère économique qui doit être viable, de la sphère sociale
se devant d’être équitable et de l’environnement qui doit être vivable, il est
nécessaire d’inclure la sphère de la communication qui doit être fiable. Et en
accompagnement des trois piliers traditionnels que sont les principes de
responsabilité, de précaution, pollueur-payeur, je rajoute le principe de transparence
qui doit guider toute action. Je crois qu’il est temps de dépasser la vision
traditionnelle d’une communication « faire-savoir » au profit d’un domaine totalement
intégré aux activités économiques.
Par ailleurs, le développement durable est un élément essentiel de la réputation des
entreprises. Or, depuis quelques années, on réussit à toujours mieux déterminer
l’incidence financière du poids de l’image dans les actifs de l’entreprise. Et ce poids
est considérable, il peut atteindre plusieurs dizaines de milliards d’Euros pour les
entreprises les plus importantes. C’est donc un élément majeur dans la guerre
économique à laquelle se livrent les entreprises.
Concernant le type d’entreprise, il y a eu une évolution importante depuis une dizaine
d’années. Désormais, ce ne sont plus seulement les entreprises réputées « à
risques » qui communiquent ; toute entreprise, quelle que soit sa taille ou son secteur
d’activité, est susceptible d’avoir un discours environnemental.
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Vertitude Magazine : Ce n’est peut-être qu’une impression, mais il semble
que le thème du développement durable inspire nombre d’annonceurs et de
publicitaires. Comment peut-on s’expliquer ce phénomène et faut-il s’en
réjouir ?
Il est exact que la communication a connu un réel engouement sur le développement
durable car c’est un thème susceptible de concerner l’ensemble des publics de
l’entreprise. Les clients, bien sûr, même si l’on constate un décalage considérable
entre le déclaratif et le comportemental, les investisseurs car la démarche de
développement durable réduit le risque pour les actionnaires, les salariés puisqu’il
s’agit là d’un des rares thèmes consensuels dans l’entreprise, les jeunes diplômés
puisqu’au travers de l’image, ils s’orienteront préférentiellement vers les entreprises
réputées socialement engagées.
Je suis plutôt optimiste sur cette tendance car je crois au pouvoir prédictif de la
communication. La communication ne reflète pas forcément la réalité, mais elle
l’appelle. Elle intervient comme une balise indiquant le cap à atteindre, elle vise à
institutionnaliser ce qui n’est encore qu’une promesse.
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Vertitude Magazine : Quelles sont, à votre avis, les campagnes les plus
abouties ? Y-a-t-il différents degrés dans l’utilisation de ce concept ?
Certaines sont explicites, d’autres implicites, les dernières reprennent le
concept à leur compte : leur produit devient par extension durable. Enfin,
pour ce qui est des publicités vantant, par exemple les automobiles on a de
plus en plus d’informations sur les taux d’émissions et de moins en moins
sur les prix, etc.
Les entreprises qui donnent la parole à leurs parties prenantes s’engagent sur leur
crédibilité, de ce point de vue des groupes comme Danone ou Lafarge sont en
avance. Les communications de Monoprix, Dexia ou Veolia me semblent également
réussies en ce qu’elles ont mis en place des indicateurs très rigoureux sur leurs
actions environnementales. Je considère la communication de Shell comme un
modèle, surtout la campagne expliquant la raison de son engagement sur
l’environnement. Sur le visuel, il était simplement figuré des billets de banque. Loin
des promesses trop vaporeuses, je crois que c’est le type de message que le public
peut comprendre : l’entreprise ne fait pas de l’environnement par philanthropie, mais
parce que c’est aussi, et peut-être surtout, son intérêt.
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Vertitude Magazine : Qu’avez-vous pensé de la campagne de
communication de Carrefour, intitulée « Mieux consommer, c’est urgent » ?
Le procès d’intention qui a été fait à Carrefour était-il, à votre avis, justifié ?
La parole de Carrefour est légitime et compréhensible. Je pense que Carrefour a un
vrai engagement et leur rapport « Développement durable » en apporte une
illustration. Ils ont un partenariat très vigilant avec la Fondation Internationale des
droits de l’homme. En outre, ils sont sur un marché très concurrentiel où il leur était
très difficile de laisser le monopole de la communication citoyenne à des groupes
comme Auchan ou Leclerc. Par contre, je suis sceptique sur le message véhiculé, il y
a comme un double décalage. Un décalage en amont, parce que la perception du
groupe Carrefour et de ses activités ne correspond pas au contenu du message, le
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groupe aurait peut-être dû commencer à communiquer sur ses réalisations, car sinon
le message apparaît comme une provocation. Il y avait aussi un décalage aval
puisqu’on attendait une communication sur la durée, or les messages suivants furent
recentrés sur les offres promotionnelles comme si « Mieux consommer » ne signifiait
en fait que « Consommer moins cher ».
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Vertitude Magazine : Quelle crédibilité doit-on accorder à ces campagnes de
publicité sur le développement durable ? et comment vérifier la véracité des
arguments véhiculés dans les slogans publicitaires ?
Les entreprises qui communiquent sur le développement durable s’exposent
immédiatement à une forte suspicion, elles ont donc intérêt à posséder des
fondements sérieux à leur démarche, à défaut celle-ci sera aussitôt dénoncée
comme du greenwashing. En 2003, j’ai beaucoup travaillé sur le concept de
transparence et je me suis aperçu que parmi les entreprises qui l’utilisaient le plus
dans leur communication, figuraient des groupes comme Enron ou Vivendi. On peut
donc avoir des doutes sérieux.
Néanmoins, je pense que l’emprise du droit sur la communication est de plus en plus
prégnante. A l’avenir, il pourrait être possible, comme déjà aux Etats-Unis, d’attaquer
une entreprise qui se prévaudrait de considérations éthiques sans avoir un
engagement réel. C’est pour éviter d’importantes dérives, et se prémunir contre une
législation qui serait plus contraignante, que le Bureau de Vérification de la Publicité
a édicté le 17 décembre 2003 une recommandation sur la publicité concernant le
développement durable, une sorte de code de bonne conduite.
Comme indice de la véracité des arguments publicitaires, je recommande à toute
personne désirant s’informer sur les actions développement durable, de ne pas aller
les chercher dans les rubriques environnement ou éthique, mais dans les rubriques
financières. Cela permet de savoir si réellement la démarche est intégrée au plus
haut niveau de la stratégie industrielle et si des moyens financiers lui sont alloués. A
défaut, on pourra envisager qu’il ne s’agit que d’une démarche de communication.
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Vertitude Magazine : Quelle est la recette d’une bonne communication
verte ?
A défaut de recette, je préfère détecter les ingrédients. D’abord, cette communication
doit être co-construite avec l’ensemble des parties prenantes, tant en interne qu’à
l’extérieur de l’entreprise. Elle doit être humble, la communication verte est une
communication par la preuve où l’échange et la confrontation sont permanents. Elle
doit éviter de « noyer le poisson », si vous prenez l’ensemble des indicateurs de la loi
NRE ou de la GRI, la tentation peut être forte de multiplier les informations de
manière à ce qu’au final, le public, à moins qu’il ne possède un doctorat d’écologie
appliquée, soit dans l’impossibilité de distinguer les informations importantes des
informations secondaires. Enfin, cette communication doit être parfaitement
coordonnée selon l’ensemble des cibles de l’entreprise, c’est-à-dire tenir le même
type de discours aux différents interlocuteurs, ce qui est rarement le cas.
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