L’Emission de télévision Rencontre du 29 novembre 2006 Quelques jalons de l’œuvre de Vinaver avant L’Emission de télévision Vinaver en chiffres Deux romans, quinze pièces de théâtre, sept traductions et de très nombreux travaux critiques (on peut le comparer à un Cocteau par exemple sans le côté touche à tout). Avant d’écrire du théâtre Patronyme : Michel Grinberg (son oncle s’appelle Eugène Vinaver) Naît à Paris en 1927 de parents originaires de la grande diaspora russo-juive qui quitta Moscou après la révolution de 1917. bourgeoisie intellectuelle. Fait ses études secondaires à Paris, Cusset, Annecy (Haute Savoie) et New York. Excellentes connaissances en Anglais. 1944-1945 : Engagé volontaire dans l’armée française. 1946-1947 : Bachelor of Arts, Wesleyan University, Connecticut, USA. 1947 : Traduit The Waste Land de T.S. Eliot 1947-1948 : Écrit Lataume (ou La Vie quotidienne), roman que Camus fait publier chez Gallimard en 1950. 1950 : Ecrit un deuxième roman L’Objecteur (Gallimard, 1951) honoré du prix Fénéon. 1951 : Licence libre de lettres à la Sorbonne. 1953 : Embauché comme cadre stagiaire par la société Gillette France, puis nommé chef du service administratif. il fait son entrée dans le monde1, va pouvoir l’observer ; en aucun cas il sera un artiste dans sa tour d’ivoire. L’artiste et l’homme d’affaires vont coexister en symbiose parfaite. Abandon de la forme romanesque « J’emploie la forme théâtrale, parce que pour moi, écrire, c’est partir du délié et arriver peu à peu à lier. L’écriture romanesque est liée au départ, elle piège (…). »2 Il affirme le dialogisme nécessaire, intrinsèque à son œuvre. 1955 : Les Coréens Vinaver propose son texte à Planchon qui décide de le monter en 1956. Intrigue : Soldat de l’ONU en Corée, séparé de ses camarades, le Capitaine Belair se livre à une errance et échouera dans un village coréen puis sera accepté. L’ennemi se révèle plus amical que son propre camp. 1° titre : Aujourd’hui. Les critiques y voient un « nouveau rapport au réel, une sorte de nouveau réalisme »3. Barthes a toujours défendu l’œuvre de Vinaver et il écrit dans France Observateur à propos de cette pièce pièce politique ? « oui, pleinement oui, « Moi, c’est la vraie vie qui m’intéressait mordre à pleine dents dedans tout de suite ». Fage dans La Demande d’emploi. 2 Ecrits sur le Théâtre 1, L’Arche, 1998, p. 305 3 Vinaver dramaturge, Anne Ubersfeld, Librairie théâtrale, janvier 1990, p. 15. 1 1 si la politique consiste à retrouver les rapports réels des hommes débarrassés de toute “décoration” psychologique ». pièce réaliste ? « Non, mais c’est un théâtre objectif, aussi éloigné en cela du préchi-précha jdanovien4 que du psychologisme bourgeois, et cette vue du réel est quelque chose de nouveau, je crois dans notre théâtre français ».5 1957 : Les Huissiers Thème : la guerre d’Algérie Forme : chœur d’huissiers, paroles quotidiennes. Chaque parole exprime les idées de monsieur Tout-le-Monde sur divers sujets ou fait un commentaire sur les événements de la journée. Première pièce écrite sans ponctuation renforce l’idée d’une voix chorale et développe les ambiguïtés de sens. 1958 : La Fête du cordonnier, traduction-adaptation d’une pièce de Thomas Dekker « J’ai commencé par traduire aussi littéralement que possible l’œuvre de Dekker. A partir de cette traduction, je me suis mis très progressivement en état de liberté n’essayant ni de me distinguer de Dekker pour déboucher sur une œuvre originale, ni de rester fidèle au modèle, j’ai fait comme si ce brouillon –la traduction littérale– était un premier jet de ma main, une matière première dont il s’agissait maintenant de “dégager” le sens, à laquelle il s’agissait de “donner forme” ; plus qu’une transposition, une substitution s’est opérée. (…) Dekker est là tout entier, et je suis, moi, là aussi, tout entier. »6 Vie des domestiques, des ouvriers : lien entre les grands et les cordonniers. Intrigue : cf. Ecrits sur le Théâtre 1, page 175. « Chacune des situations qui se succèdent est relativement quelconque ; aucune n’a ce caractère à la fois exceptionnel et exemplaire qui provoque chez le spectateur la vibration génératrice de l’émotion tragique ou du rire libérateur. »7 1959 : Iphigénie-Hôtel Inspiration : Mythe des Atrides8 et arrivée de De Gaulle au pouvoir. 4 Le jdanovisme représente les conceptions politiques rigoureuses d'Andreï Jdanov, qui encadrèrent étroitement toutes les productions artistiques d'URSS, définissant de façon précise le « politiquement correct » d'alors. Jusqu'à la fin des années 1950, Jdanov transcenda les buts égocentriques de la censure totalitaire - apparemment, il voulait définir une nouvelle et universelle conception de la création artistique, valable pour tous les pays. Sa méthode réduisait l'intégralité du domaine culturel à des concepts positivistes et scientifiques, ou chaque symbole correspondait à une valeur morale déterminée. Roland Barthes a résumé les conceptions de Jdanov à peu près de la façon suivante : « Le vin est objectivement bon ... l'artiste doit rendre la bonté du vin, non le vin lui-même. » Aujourd'hui, Jdanov est surtout connu pour sa critique stupide des goûts de Dmitri Chostakovitch ou de Sergueï Eisenstein, mais des artistes moins connus et manquant de notoriété eurent beaucoup plus à craindre de lui et de ses agents. (WIKIPEDIA) 5 Cité par Anne Ubersfeld, ibid, p. 15. Ecrits sur le Théâtre 1, p. 82 7 Ecrits sur le Théâtre 1, p. 176 8 Atrée et son frère jumeau Thyeste obtinrent le trône de Mycènes en l'absence du roi Eurysthée. En principe cette régence aurait dû être temporaire mais elle devint permanente à la mort du roi au cours du conflit. Les deux frères assassinèrent également leur demi-frère Chrysippe. Atrée fit le vœu de sacrifier son meilleur agneau à Artémis. En cherchant son troupeau, néanmoins, Atrée découvrit un agneau doré qu'il offrit à sa femme Érope, pour le dissimuler à la déesse. Elle l'offrit à son tour à son amant, Thyeste, qui convainquit alors son frère de convenir que celui qui possèdera l'agneau serait roi : Thyeste produisit l'agneau et réclama le trône. Atrée récupéra le trône en suivant les conseils d'Hermès : Thyeste accepta de rendre le royaume quand le soleil irait à l'envers dans le ciel, un miracle qu'accomplit Zeus. Atrée bannit alors Thyeste. 6 2 Comme dans la pièce précédente, les grands événements (putsch des généraux de l’Armée française en Algérie en mai 1958) ont lieu hors de la scène et l’action est décentrée. Ne sera mise en scène en France qu’en 1977. Intrigue : Des touristes français se retrouvent dans un hôtel à Mycènes et toutes les vies se mêlent avec en arrière plan les grands événements lointains cités plus haut. C’est en exergue de cette pièce qu’il cite Braque et cette volonté de peindre « l’entre-deux ». Pause dans l’écriture Vinaver se consacre à la vie familiale et professionnelle. 1959 : école de management en Suisse 1960-1966 : Promu PDG de Gillette Belgique, puis de Gillette Italie, puis de Gillette France et enfin de la société Dupont. Gageure : faire coïncider ses deux vies et il décidera de renouer avec l’écriture risquant l’incompatibilité. « (…) si j’essayais de ne plus garder sous cloche ma personnalité d’écrivain, mais si je la laissais faire jonction avec celle de ma vie professionnelle (…) ».9 Jusqu’au bout, il restera en fonction tout en menant une carrière littéraire qui ne sera pas remise en question par sa hiérarchie. 1969 : Par-dessus bord Ecrite en 1967 et 1969 : Par-dessus bord (54 personnages, 25 lieux, 8 heures de représentation) que monteront Roger Planchon (version abrégée, 1973) puis Charles Joris (version intégrale, 1983). Vinaver lui-même qualifie cette pièce de « monstre théâtral ». Intrigue : prise de pouvoir dans une entreprise par un fils bâtard. Source : Le Roi Lear de Shakespeare (modèle du contrepoint avec l’histoire des filles du roi – Goneril et Regane les hypocrites vs Cordelia la fidèle – et celle des fils de Gloucester – Edgard le légitime vs Edmond le bâtard –). Les deux vies de Vinaver : le personnage de Passemar, cadre et auteur dramatique, synthétise la figure de l’auteur ; il s’adresse en aparté au public et lui livre ses angoisses. Thème du dedans et du dehors, de l’entreprise sans pitié qui peut sacrifier ses employés. 1971 : La Demande d’emploi En même temps que la pièce précédente Vinaver décide d’écrire une pièce « de la plus grande praticabilité théâtrale possible ».10 Pas de linéarité, pièces en 30 « morceaux », sorte de partition musicale. Il s’agissait au départ d’exercices pour les comédiens. Atrée apprit alors l'adultère de Thyeste et Érope et résolut de se venger. Il tua les fils de Thyeste et les fit cuire, ne conservant que leurs mains et leurs pieds. Il les donna à manger à son frère lors d'un banquet de réconciliation puis lui montra les membres coupés. Un oracle annonça alors à Thyeste que s'il avait un fils de sa propre fille Pélopia, ce fils tuerait Atrée. Thyeste engendra ce fils, Égisthe qui tua Atrée. Néanmoins, à la naissance d'Égisthe, la mère abandonna son enfant, honteuse de l'acte incestueux. Un berger découvrit l'enfant et le donna à Atrée qui l'éleva comme son fils. C'est seulement à l'âge adulte que la vérité fut révélée à Égisthe. Égisthe tua alors Atrée. (WIKIPEDIA) 9 Ecrits sur le Théâtre 1, p. 276 Ecrits sur le Théâtre 1, p. 294 10 3 Personnages : Fage, directeur des ventes au chômage depuis 3 mois, sa femme, qui vit très mal cette situation, leur fille, gauchiste et Wallace, directeur de recrutement pour une compagnie spécialisée dans le recrutement des cadres. 1976 : Dissident, il va sans dire Question posée : comment des gens « normaux » vont arriver à une situation dramatique ? Relation mère-fils Thème du chômage, de la drogue, de l’adolescence que l’on retrouvera dans L’Emission de télévision avec le personnage de Paul, jeune adolescent perdu. 1976 : Nina, c’est autre chose Echec d’une tentative d’insertion. Nina, séductrice, débarque chez deux frères et ne fissurera pas la cellule familiale. 1977 : Les Travaux et les jours Recoupements entre vie amoureuse et professionnelle. Lien étroit entre les émotions et la vie de l’entreprise. 1979 : A la renverse Une entreprise qui vend des produits solaires et une émission de télévision qui montre un personnage en train de mourir. Côté cannibalesque des médias. 1980 : Le suicidé Traduction de Nicolas Erdman 1981 : L’Ordinaire Décrit une situation extraordinaire : accident d’avion et acte de cannibalisme. Reproduction dans cette situation des relations et des hiérarchies de l’entreprise. Négation de l’approche de la mort. 1982 : Les Estivants Traduction de Maxime Gorki. 1984 : Les Voisins Histoire d’un vol de lingots. Long flashback avec utilisation du fondu enchaîné entre plusieurs fragments qui s’opposent. 1984 : Portrait d’une femme Inspiré du procès de Pauline Dubuisson qui avait tué son amant. Présent continu car tous les événements qui ont lieu sur une période de six ans se retrouvent en même temps sur le plateau qui représente la cour d’Assises lors du procès procédé du flashback et de la simultanéité. 4 L’Emission de télévision (1988) et les écrits de Vinaver Parcours thématique Une enquête judiciaire ? Premier niveau de lecture : enquête menée par le juge Phélypeaux pour retrouver le meurtrier de Nicolas Blache, un ancien chômeur de longue durée qui devait participer à une émission de télévision sur ce thème. Le suspect principal est bien entendu son rival Pierre Delile mais également son fils Paul Delile, jeune homme perdu voire Caroline la propre femme de Nicolas. Au fur et à mesure ce qui paraissait évident s’obscurcit. Ecriture du roman policier qui dissémine les indices et fait peser les soupçons sur les personnages. Mais selon Vinaver, ce n’est pas le meurtre en soi qui est intéressant, c’est plutôt ce qu’il révèle, son statut qui pousse à interroger le réel. Le théâtre de Vinaver n’est pas un théâtre de la réponse mais un théâtre du questionnement. Le « champ »11 du travail Le thème est abordé pour la première fois dans la pièce Par-dessus bord. Pour Vinaver, ce n’est pas un thème mais un « champ dans lequel baignent les personnages ». Depuis les origines, le théâtre s’est intéressé à la restauration d’un ordre dans le champ privé (sphère familiale) ou dans le champ politique (sphère de la cité). Vinaver introduit le champ du travail qui permet d’observer les individus en action dans un groupe. Mais il ne met pas en place un théâtre d’observation ; c’est plutôt, pour lui un nouveau ressort dramatique. L’homme est à l’intérieur d’un système. « (…) le travail, c’est être dans quelque chose ». Grâce au champ du travail, la parole brute, sans intérêt prend du « relief ». La forme et le sens s’imposent ensuite. « (…) homo economicus contemporain perdu dans un flux inepte de paroles qui le traversent et le conditionnent. »12 Image de la chute récurrente dans la pièce (pp. 127, 144, 151, 155 etc.). Télévision et justice Télévision spectacle. Télé-réalité (pièce visionnaire). Pouvoir des médias et domination du pouvoir judiciaire. Résonances avec l’actualité judiciaire : la solitude du juge d’instruction en question ? L’espace et le temps Le présent « Vinaver est un archéologue du présent ».13 Le présent prime sur la durée qui est pulvérisée. Il met en scène l’absence de durée, d’où cette métaphore de la coupe géologique employée par Thierry Roisin lors de la présentation de saison. 11 Sauf indication contraire, toutes les citations de cette partie sont extraites du chapitre 22 des Ecrits sur le Théâtre 2, L’Arche, 1998, pp. 216-226. 12 Michel Vinaver, Théâtre Aujourd’hui n°8, CNDP, 2000, p. 3. 13 Ibid, p. 5. 5 Le présent est éclaté, disséminé, fragmenté et l’œuvre est un rassemblement fictif. Même la structure que Vinaver donne est brouillée (un exemple : dans la scène 6, on peut penser qu’il s’agit de la première journée de travail à Bricomarket mais dans la suite de la scène, il est fait allusion à une scène antérieure au cours de laquelle le nom de Blache a été évoqué devant les animatrices). Structure de la pièce14 avec la répartition avant/après/fusion des deux temps : AVANT APRES 1. Cabinet juge d’instruction. Matin. 2. Cuisine pavillon Delile. Soir. 3. Cabinet juge d’instruction. Jour. 4. Séjour pavillon Blache. Soir. 5. Bar Le New York. Nuit. 6. Cuisine pavillon Delile. Fin d’après-midi. 7. Cabinet Juge d’instruction. Jour. 8. Chambre d’hôtel. Nuit. 9. Chambre de Paul. Petites heures du matin. 10. Séjour pavillon Blache. Soir. 11. Cabinet juge d’instruction. Jour. 12. Chambre de Paul. Fin de matinée. 13. Cuisine pavillon Delile. Soir. 14. Cabinet juge d’instruction. Début de soirée. 15. Chambre d’hôtel. Matin. 16. Cuisine pavillon Delile. Fin d’après-midi. 17. Cabinet juge d’instruction. Matin. 18. Bar Le New York. Jour. 19. Cabinet juge d’instruction. Après-midi. 20. Cuisine pavillon Delile et cabinet juge d’instruction, simultanément, dans deux espaces distincts pouvant se chevaucher. Fin d’après-midi. Le quotidien Ecriture de la précision afin de donner accès à une réalité quotidienne, à la réalité banale. « (…) écrire c’est essayer de donner consistance au monde, et à moi dedans »15. Le quotidien a un double sens : c’est à la fois l’instant et la répétition. Valeur du présent : présent de l’énonciation, présent de la répétition, présent gnomique. Il entend rendre compte des événements fondateurs de notre époque (d’où le recours au mythe) ainsi que de son devenir. Il devient la représentation de la fatalité, de l’inéluctable finalement. 14 15 Ecrits sur le Théâtre 2, pp. 151-155. Ecrits sur le Théâtre 1, p. 124. 6 L’espace La scène 20 annonce une coïncidence de l’espace du bureau du juge et de celui de la maison des Delile. Il s’agit d’une simultanéité des lieux, des temps et de la parole dans une contemporanéité. Auparavant, image du zapping (cf. didascalie initiale). L’espace annoncé est un espace mouvant lié aux différents temps. Liaison entre l’espace et le temps : Vinaver préconise des fondus enchaînés entre les scènes. Dire et écrire le réel Un art de la parole « En entrant par l’infiniment petit (la réplique, la phrase saisie au vol), plaisir de construire un ensemble, une totalité, un monde. »16 (Jean-Pierre Ryngaert). Théâtre de la parole et de l’écoute à l’image du personnage du juge Phélypeaux (cf. p.124). Pour Vinaver, dans l’écriture théâtrale, ce sont d’autres qui parlent. L’auteur, c’est la parole des autres. Il n’y a pas de tissu narratif d’où l’abandon de la forme romanesque. Mais cette parole est indissociable de l’acte d’écrire : « (…) l’instrument que je possède, c’est l’écriture ». « Mon écriture ressortit au domaine de l’assemblage, du collage, du montage, du tissage »17. Il entend proposer une écriture du quotidien dont les maîtres mots seraient : abrupt, abstrait, accès, agression, attente, banalité, clémence, comique, connaissance, connection (sic), construction, contemporain, contingence, densité, distance, écoute, ennui, entrelacs, évidence, frottement, hiérarchie18. La circulation de la parole dans la pièce Tressage et entrecroisement du dialogue (cf. scène 1) absence récurrente du jeu de question-réponse traditionnel dans la circulation de la parole : réponse différée à une question, retour à une conversation déjà amorcée ou alors réponse à une autre question que celle qui est posée. Ambiguïté des déictiques dans le texte (scène 1 p. 122 ou scène 3 p. 149) explosion de la réalité. Polyphonie. Le contrepoint comme mode d’écriture Les Coréens : les soldats errants vs les villageois Les Huissiers : trois histoires en contrepoint ; 1°) le développement de la guerre 2°) le massacre de Zéboula 3°) la disparition d’Aiguedon La Fête du cordonnier : 1°) Lacy, jeune noble déserteur devenu cordonnier 2°) ascension de Simon Eyre 3°) Ralph et Jeanne amoureux séparés par la guerre Iphigénie-Hôtel : modèle du contrepoint Par-dessus bord : 1°) les aventures de la firme 2°) l’histoire de la famille Dehaze 3°) l’histoire de Lubin 4°) Le sort de Passemar Michel Vinaver, Théâtre Aujourd’hui n°8, p. 8. Ecrits sur le Théâtre 1, p. 124. 18 Ecrits sur le Théâtre 1, p. 126. 16 17 7 L’Emission de télévision : Delile vs Blache (cf. début de la scène 4 différences de parcours, de manière de parler etc.) L’écriture est un collage « Ce bombardement de répliques m’enchante (…) ».19 (Jean-Pierre Ryngaert) Ecriture stratifiée : partir de bribes de paroles, d’une parole brute, d’un magma ; puis opération de collage, de superposition, parfois aléatoire afin de livrer une œuvre multiple. Toutes les scènes de la pièce commencent in medias res. Art de l’entrelacs et du discontinu. La ponctuation et le rythme Selon Vinaver, la ponctuation enferme et fait obstacle à la parole qui doit rester un jet fluide. Son absence permet des rythmes, des images et permet la confusion, l’ambiguïté qui deviennent une organisation. Les répliques entrent en frottements les unes avec les autres. Esthétique de la surprise. Vinaver parle de « pièces machines ». Elle s’oppose à la liberté du comédien, aux effets de rythme. Le comédien a la possibilité de jouer lui-même avec le texte. C’est l’idée d’un style oral. Quand on parle, on ne ponctue pas ! Son écriture est un double de la parole orale. « La ponctuation m’est tombée des mains, m’est tombée de la plume. » La question posée à la représentation Le théâtre dans le théâtre L’émission comme métaphore de la pièce (principe mis en place à la page 133) Béatrice et Adèle sont à la fois comédiennes et metteurs en scène. La réalité est inventée en même temps que l’émission (exemple : lorsque qu’elles imaginent l’interview du patron de Bricomarket). « Le dire pour en sortir » (p. 172) fonction illocutoire de la parole. La parole devient action. A la fin Delile devient metteur en scène (p. 293). C’est le processus machinique dont parle Vinaver dans son interview avec Thierry Roisin, l’homme qui devient un objet de spectacle. La vraisemblance plutôt que le réalisme L’œuvre de Vinaver n’utilise pas la psychologie qui expliquerait ou justifierait les relations entre les personnages. En ce sens, ce n’est pas une œuvre réaliste ou néo-réaliste. Pour l’émission, il s’agit de faire vrai quitte à transformer la réalité illusion du réel. Vinaver et les metteurs en scène Dans son texte intitulé La Mise en trop20, Vinaver attaque gentiment les metteurs en scène qui construisent une œuvre théâtrale et acquièrent un statut d’auteurs en préférant les mises en scène plus artisanales finalement. Le metteur en scène chargé d’un pouvoir énorme est celui qui « en fera trop » et qui va démultiplier l’intérêt du texte au détriment du texte lui-même. 19 20 Michel Vinaver, Théâtre Aujourd’hui n°8, p. 8. Ecrits sur le Théâtre 2, pp. 137-146. 8 Il n’apporte aucune réponse à ce constat mais exprime l’idée que l’intérêt réside finalement dans la multiplicité des mises en scène et dans l’intervalle entre les différentes mises en scène. D’où les craintes exprimées par Thierry Roisin dans l’interview croisée, d’autant que Vinaver a également remis en question la tension entre la perception visuelle et la perception auditive car, selon lui, le visuel ne doit pas interférer. Il s’agit bien d’un théâtre de l’écoute. Des entrées possibles ; choix de micro textes à la manière de Vinaver lui-même Entrées thématiques Scène 12, p. 211 à 214, de « j’ai la peinture dans la peau » jusqu’à « de quoi se flinguer ». Scène 13, p. 218 à 219, la première tirade de Béatrice Scène 17, p.256 à 257, le rêve-tableau de Melle Belot ou scène 18, p. 260 à 263, le tableau de Paul Découvrir l’écriture de Vinaver Scène 13, p. 219 à 220, de « très bien Rose » à « cut » Scène 7, p. 180, le rapport du juge Phélypeaux Scène 1, p. 121à 123, de « Il était là » à « c’est pas du luxe » Scène 20, page 272 à 278, du début (avec la didascalie initiale) jusqu’à « c’est nickel » Le travail artistique Les intentions de Thierry Roisin et la présentation de la réflexion au mois de juillet Intentions Lorsque je suis venu habiter le Pas de Calais, sans rien en connaître, ce département résonnait d’abord pour moi comme le lieu de faits divers stupéfiants. Le pays des faits divers n’est-il pas justement celui où la banalité tragi-comique du présent se révèle plus fortement et plus mystérieusement qu’ailleurs ? Un pays de l’immensité du tout petit, un lieu pour transmuter le quotidien en universel ? J’ai relu le théâtre de Michel Vinaver. Et redécouvert « L’émission de télévision ». C’est avant tout de son regard dont j’avais besoin, un regard incisif, un regard qui transcende le banal. Ce pourrait être l’œil d’un géologue, cherchant à sonder le monde dans lequel il vit. Vision d’un monde en coupe dont les éléments se superposent, s’entremêlent, se télescopent. Un monde en courbes et en couches, dévoilant la multiplicité de ses détails. « Ce qui est le plus trivial et ce qui se passe au sommet entrent en 9 collision », écrit-il. Et cela passe, avant tout, par le langage. A priori, les mots sont simples, les propos sont d’accès facile, sans recherche d’effet stylistique particulier. Les personnages sont repérables - on pourrait les avoir pour voisins - les situations évoquent des territoires connus. Et pourtant, dès qu’on pénètre plus avant, la peinture qu’il nous donne se révèle aussi complexe qu’est la vie. La sonorité des mots, leurs rythmes et leurs agencements, construisent une poétique singulière qui donne à chaque personnage sa profondeur et sa complexité. Au cœur de l’intrigue, il y a un meurtre, sans qu’on sache avec certitude qui est le coupable, tant les hypothèses s’ouvrent l’une à côté de l’autre, tant les points de vue divergent. Intrigue policière donc, avec le suspense attendu, mais comme ailleurs chez Michel Vinaver, c’est bien la figure de l’exclu, du dissident, volontaire ou involontaire qui est choisie comme figure emblématique de notre société. Entre ceux qui exercent une oppression et ceux qui la subissent, de nouvelles frontières sont tracées, troubles, perverses. Loin d’un théâtre cérébral bien pensant, Vinaver donne corps et voix à des personnages justes qui ne savent porter des idées. Ils ne sont que porteurs de mots. Et n’ont que des mots à échanger pour dire qui ils sont et faire exister leur vie. Je ressens dans l’homme Michel Vinaver et son oeuvre, une soif de justice et de tendresse. En travaillant cette pièce, j’aimerais faire mienne cette quête du lieu où le plus intime rejoint le plus politique. Thierry Roisin, avril 2006 Ebauche du travail (rencontre avec Thierry Roisin - juillet 2006) Création de 6 espaces. Partir du réel mais sans figurer les lieux et les choses (même problématique que pour l’écriture). Les espaces correspondront à des îlots et selon les séquences pourront ne pas être représentés de la même façon. Chaque îlot sera sur un socle mais tout doit être à plat au niveau visuel. Pôle musical avec bruitage à vue. Projection au lointain des différentes didascalies concernant les lieux. Parti pris de sobriété, du symbole pour les accessoires. Matière unique pour le mobilier, équivalent du carton plume ; sorte « d’abstraction concrète ». Tension entre le mobilier blanc et les couleurs des costumes qui tirent vers le côté sensible et le plaisir du jeu. Question du théâtre dans le théâtre enjeu : trouver les codes pour les changements de séquence. Idée d’un théâtre ouvert, d’un théâtre à vue. Le travail dramaturgique : la collaboration entre Thierry Roisin et Nathalie Fillion Intervention de Nathalie Fillion. La place dans le parcours de Thierry Roisin La pièce de Vinaver arrive après l’abandon de la pièce de Barry Hall A trois qu’il avait présentée comme une pièce oratorio et après avoir monté Crave de Sarah Kane. A ce sujet, lire l’entretien de Thierry Roisin réalisé par Nathalie Fillion le 26.10.06. Même s’il n’y pas la dimension de violence radicale et de souffrance chez Vinaver, il n’empêche que le travail poétique de l’écriture est parfois semblable. N’oublions pas le texte de T.S. Eliot traduit par Vinaver et qui a inspiré Sarah Kane pour sa pièce. 10 N’oublions pas également l’importance de la parole, de l’écoute chez Sarah Kane et l’attention apportée par Thierry Roisin à ce sujet dans sa mise en scène de Crave. Quand Sarah Kane déclare : « Je voulais décrire découvrir comment un poème pouvait quand même être théâtral. C’est vraiment une expérience sur la forme, sur la langue, sur le rythme, sur la musique. Avec Manque, les fils de la narration ne sont pas chronologiques, j’entends les gens dire les choses les plus bizarres dans des situations étranges. », on peut légitimement penser à Vinaver. Cependant l’écriture de Vinaver cherche plus à coller au réel brut et ne recherche pas l’esthétisme finalement. Autre élément : quand on lit les intentions de Thierry Roisin, on pense à la mise en scène de Crave notamment avec l’idée d’un lieu unifié et l’utilisation des couleurs pour les costumes. L’approche en classe L’approche par le texte : cf. plus haut Vinaver et Brecht Les Coréens : la pièce tient a priori un propos brechtien en montrant le destin d’une communauté à travers un personnage singulier. Mais ce qui manque à ce personnage pour en faire un héros brechtien, c’est son héroïsme exemplaire justement. Tout est banal, tout est sans charge idéologique. Dans toutes ses pièces, il met en scène des personnages ordinaires et insignifiants. L’œuvre de Vinaver n’est pas une œuvre engagée et se refuse à tout didactisme. Il ne refuse pas, en revanche, l’émotion (vs la distanciation brechtienne). A ce sujet, lire dans les Entretiens, le chapitre intitulé Connaissance du théâtre populaire romand21, mais aussi et surtout le texte sur la « distance »22. De Sarah Kane à Vinaver dans le parcours de Thierry Roisin Cf. plus haut Le champ du travail en littérature, au cinéma et au théâtre Littérature BAIER C., Bonjour Paresse (intéressant, et propose une bibliographie à la fin). BARRY M., Soda et Cie, ed. Lattès. BENACQUISTA T., Saga (sur une entreprise télévisuelle qui, à l’époque, n’avait pas encore avoué son but premier...). BON F., Daewoo (l’usine coréenne qui a mis tout le monde dehors...). DAUTUN J.-P., Chroniques des non travaux forcés, ed. Flammarion, 1994 (essai-journal, où un chômeur d’âge mûr se heurte aux nouvelles méthodes de management). DUTEURTRE B., Service clientèle, ed. Gallimard, 2003 (les déboires d’un « client privilégié » qui a perdu son téléphone portable) ; La Rebelle, ed. Gallimard, 2004 (le voyage à Capri d’un comité d’entreprise) ; voir aussi Tout doit disparaître et Voyage en France du même auteur. EMMANUEL F., La Question humaine, ed. Livre de Poche (court récit mettant en parallèle la déshumanisation dans les entreprises en restructuration et le vocabulaire employé dans la solution finale). ETCHERELLI C., Élise ou la vraie vie, ed. Folio (le travail à la chaîne, dans l’automobile, pendant les années 60). HOUELLEBECQ M., Extension du domaine de la lutte, ed. J’ai lu (extrait de la 4ème de couverture : « l’odyssée désenchantée d’un informaticien entre deux âges, peu convaincu de l’intérêt de son métier, jouant toutefois son rôle en observant les mouvements humaines et les banalités qui s’échangent autour des machines à café » ; voir également le 21 22 Ecrits sur le Théâtre 1, pp. 115-116. Ecrits sur le Théâtre 1, p. 131. 11 film qui en a été tiré) ; Plateforme (avec les sociologues, les communicateurs branchés et tout un univers si naturellement caricatural ; mais par ailleurs difficile à faire lire en lycée...). LEFEBVRE J., La Société de consolation : chronique d’une génération ensorcelée, ed. Sens et Tonka. LODGE D., Jeu de société (collision qui ne manque pas de piquant entre monde de l’industrie dans l’Angleterre des années 80 et le monde universitaire représenté par une prof de littérature). MONZO Q., Olivetti, Moulinex, Chaffoteaux et Maury, ed. Le Serpent à plumes, 1994 : la nouvelle « N’en soyez pas si sûr » (voir le texte intégral dans le manuel Hatier Littérature 2de d’Hélène Sabbah, édition 2004, pp. 207-210). NOTHOMB A., Stupeur et tremblements (le monde de l’entreprise au Japon). PAGES Y., Petites natures mortes au travail, ed. Verticales, 2000 (extrait de la 4ème de couverture : « 23 courts récits qui ont pour cadre le monde du travail, 23 personnages, recrutés à contre-emploi [..., entre témoignages vécus et jeux de rôles fictifs »). PENNAC D., Au bonheur des ogres (sur le mode de la fantaisie, le job de Benjamin Malaussène, bouc émissaire professionnel, est amusant). PILHES R.-V., L’Imprécateur (adapté au cinéma). VILROUGE M., Air conditionné (petit roman avec des scènes amusantes). VINAVER M., Les Travaux et les jours (courte pièce de théâtre : conversations croisées, vanité des propos et bassesses... entre collègues de bureau). ZOLA E., Au Bonheur des dames (organisation du grand magasin, avec sa compétitivité permanente ; consulter aussi les carnets d’enquête de l’auteur). Films, téléfilms, documentaires CANTET G., Ressources humaines. CAZENEUVE F., De gré ou de force (téléfilm français de 1998 : une comédie grinçante... Pour fermer l’une des ses filiales sans payer les licenciements, un grand groupe fait appel à un « mercenaire » des ressources humaines, chargé de pousser à bout les employés jusqu’à leur démission (par vexations, brimades, mises au placard... à l’arbre de Noël de l’entreprise par exemple, les enfants de certains employés ne reçoivent pas de cadeau !). A la fin il n’en reste plus qu’un, qui résiste aussi longtemps qu’il peut. Voir la page du site de la chaîne Arte consacrée à la soirée Théma sur le harcèlement moral pendant laquelle le téléfilm a été diffusé). GILLIAM T., Brazil (ne présente que partiellement le monde de l’entreprise, mais de quelle façon !). GRANIER-DEFERRE D., Que les gros salaires lèvent le doigt. GRANIER-DEFERRE P., Une étrange affaire. Il y a deux ans un excellent reportage sur Canal + portant sur les méthodes de petits chefs pour faire démissionner ceux qu’on ne veut pas licencier (Auchan et une compagnie d’assurances étaient concernés). KLAPISCH C., Riens du tout (dans un grand magasin ; avec Fabrice Luchini). LOACH K., The Navigators. MOORE M., Dégraissez-moi ça !. MOORE M., Roger et moi (le cinéaste passe son temps à essayer de rencontrer le patron d’une importante usine qui vient de licencier un grand nombre de personnes, dans la ville dont il est originaire). MOUTOUT J.-M., Violence des échanges en milieu tempéré, objet d’un article sur le site Politis. VEBER F., Le Placard. Œuvres théâtrales BON F., Daewoo (un très beau texte, écrit d’abord sous forme de « roman », qui donne la parole à trois ouvrières licenciées de l’usine Daewoo, évoquant la vie de ces femmes chômeuses après le fameux plan social de l’entreprise). BRISVILLE J.-C., Le Fauteuil à bascule, ed. Actes Sud-Papiers, 1987 (sur le monde de l’édition). COURTELINE G., Messieurs les ronds de cuir (satire sur l’administration). GRUMBERG J.-C., Michu, in Les Courtes, ed. Babel, 2001 (un employé harcelé par son chef de bureau). HAVEL V., Audience. IONESCO E., Rhinocéros (acte II). LAGARCE J.-L., Les Prétendants, ed. Les solitaires intempestifs, 2002 (une comédie qui se déroule dans le centre culturel d’une ville de Province ; suite à la nomination d’un nouveau directeur, des remaniements dans l’équipe ont lieu ; toutes les relations de pouvoir y sont subtilement montrées). MILLER A., Mort d’un commis voyageur, ed. Actes Sud-Papiers (une scène où l’ancienneté dans l’entreprise ne suffit pas à conserver son emploi). VINAVER M., La Demande d’emploi, King, Par-dessus bord, Les Travaux et les jours (dans cette dernière pièce, des employés d’un service après-vente en proie à des tensions et des conflits). WIDMER U., Top dogs, ed. L’Arche, 1999 (des cadres supérieurs qui se retrouvent au chômage). Bibliographie prise sur le site Web lettres (http://www.weblettres.net/index.php ) Du réalisme au quotidien On peut partir de l’objet d’étude qui étudie le mouvement littéraire du réalisme dans le contexte précis du XIX° siècle et prolonger cette étude avec l’œuvre de Vinaver qui réinvente le rapport au réel au XX° siècle. 12