EPP - année - cours de J.G. OFFROY 2005-2006 - 1° semestre : INTRODUCTION AUX SCIENCES HUMAINES
le paradigme biologique
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1 - Le paradigme biologique
INTRODUCTION
La naissance des sciences humaines dans le contexte du XIX° siècle, la situation sociopolitique
1 - LE PARADIGME BIOLOGIQUE
1.1) La révolution darwinienne Charles Darwin
La théorie de Darwin
les répercussions philosophiques et sociales
références
1.2) La fondation des sciences humaines sur le modèle des sciences de la nature
en psychologie :
la psychologie « préscientifique »
la naissance d’une psychologie expérimentale : psychophysique et
psychophysiologie
une bio-psychologie
dans les sciences sociales : L’organicisme
1.3) Le darwinisme social
dans les sciences sociales : les théories de la race
en psychologie : l’eugénisme
1.4) En somme
1.5) Les courants actuels
Le néolibéralisme économique
la sociobiologie (E.O. WILSON)
Le retour du tout-biologique (J.P. CHANGEUX, J.D. VINCENT)
en psychologie : racisme et psychologie évolutionniste ;
les neurosciences, le « New Age »
1.6) Conclusion : Les dangers et les apports, l’éthologie (K.Z. LORENZ, B. CYRULNIK)
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Le 19° siècle éprouve une véritable fascination pour la « physiologie » et l’idée d’évolution.
Le célèbre gastronome Anthelme BRILLAT-SAVARIN (1755-1826) publie en 1825
La Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante.
Honoré de BALZAC, à travers sa Comédie humaine, veut réaliser une véritable physiologie des
passions humaines ; il intitule un de ses ouvrages Physiologie du mariage et il dédie Le père Goriot
au naturaliste Etienne GEOFFROY SAINT-HILAIRE(1772-1824), partisan du « transformisme »
(les modifications des espèces sont dues à l’influence directe du milieu).
De la même façon, les premières explications des conduites humaines et sociales vont être d'ordre
biologique. C’est à dire que les sciences humaines, qui émergent dans la deuxième moitié du
19° siècle, vont chercher leur modèle, non plus chez Newton comme le tentaient les philosophes du
18° siècle et de la première moitié du 19°, mais chez Darwin. Ce dernier opère une véritable
révolution scientifique, qui va avoir des répercussions considérables sur le développement des
sciences humaines.
Mais cette fascination pour l’explication biologique de l’homme et de la société précède les théories
darwiniennes. Inversement, on peut donc penser que c’est plutôt cette fascination pour la biologie qui
va expliquer le succès rencontré par Darwin. En fait, Darwin avait une formation de théologien et de
philosophe et ses théories sont directement inspirées des modèles développés par la philosophie
sociale de son époque, notamment les théories libérales.
« La théorie de Darwin était essentiellement une extension au monde animal et végétal de l’économie
politique classique, et lui avait été suggérée par la théorie de la population de Malthus ». (RUSSELL,
1971, p. 55)
1
1.1) la révolution darwinienne
1.1.1.) Charles Darwin (1809-1882)
Né dans une riche famille britannique, il entreprend des études de naturaliste, avant de participer, de
1831 à 1836, à une expédition scientifique autour du monde sur le Beagle. Il effectue d'innombrables
observations en matière de géologie et sur la variabilité des espèces fossiles et vivantes. En 1835, aux
îles Galápagos, il observe que les pinsons qu’il répertorie, sur ces îles volcaniques relativement
récentes (4 à 5 millions d’années), ont développé des caractères indigènes d’une île à l’autre.
1839 : Voyage d’un naturaliste autour du monde
1859 : De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle, (Garnier-Flammarion, n° 685, 1992).
La biographie de Charles Darwin : http://www.infoscience.fr/histoire/portrait/darwin.html
1
Thomas Robert MALTHUS (1766-1834), économiste anglais, estimais que la population humaine augmentait plus
rapidement que les ressources disponibles, ce qui devait entraîner l’humanité vers la famine. D’où la nécessité de
restreindre la progression du taux de natalité. Cette théorie du maltusianisme a été vivement critiquée autant par les
penseurs libéraux que socialistes (Fourier, Proudhon, Marx).
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1.1.2) la théorie de Darwin
Ce qui nous intéresse, dans le cadre de ce cours, ce n’est pas de développer les aspects techniques des théories
darwiniennes, ni même d’entrer dans le débat des théories concurrentes de l’évolution, mais plutôt de
comprendre l’influence qu’elles ont exercée sur les sciences humaines.
La notion d’évolutionnisme aurait été avancée pour la première fois par Pierre Louis Moreau de
MAUPERTUIS (1698-1759), « le natif de St Malo », souffre-douleur de Voltaire. Il parle de « transformisme
intégral » (Essai sur la formation des corps organisés).
Mais c’est LAMARCK
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(1744-1829) qui lui donne un tour décisif en formulant deux hypothèses :
1° hypothèse : besoin nouveau d’un animal apparition d’un nouvel organe
2° hypothèse : transmission héréditaire des caractères acquis.
(2 hypothèses scientifiquement discutables)
DARWIN rejette la première hypothèse et accepte la seconde, même s’il lui donne moins d’importance au sein
de sa théorie.
L’essentiel de l’apport de Darwin ne réside pas dans la théorie de l’évolution, qui était déjà largement admise
à son époque, mais dans celui de la sélection naturelle.
Il étaye la théorie de l'évolution sur l’hypothèse de la sélection naturelle.
« L’importance historique de Darwin tient à ce qu’il a proposé un mécanisme de l’évolution (la sélection
naturelle) qui a fait paraître l’évolution plus vraisemblable » (RUSSELL, 1971, p. 54)
1) Les individus, plantes ou animaux, subissent des variations aléatoires (dues au hasard)
et beaucoup de ces variations sont transmises à leurs descendants
(hypothèse de la transmission héréditaire des caractères acquis reprise à LAMARCK).
2) Les variations qui sont conservées sont celles qui sont avantageuses à l’organisme.
3) La nature opère une sorte de tri, de sélection qui, au bout d’un grand nombre de générations,
produit l’adaptation de chaque espèce à son environnement.
Mais c’est un processus aléatoire, imprévisible, sans direction préétablie, sans téléologie.
Les théories de Darwin ont été critiquées, rejetées, affinées, complétées, par les biologistes, les
généticiens, les paléontologues… comme il est normal de toute hypothèse scientifique. Elles ont été
étayées depuis par les découvertes de la génétique avec le moine morave Gregori MENDEL (1822-
1884). Mais il a fallu attendre 1947 pour avoir la première preuve directe de la théorie de la sélection
naturelle avec la phalène du bouleau.
A la lumière de ces nouveaux éclairages, la nouvelle discipline intitulée génétique des populations
(LEGANEY, Philosophie de la biologie, Belin) pourrait aujourd’hui reformuler ainsi la théorie
darwinienne :
Dans le processus de la reproduction, des erreurs techniques, dues au hasard, peuvent se produire
dans la transmission des gènes. Ces mutations peuvent être défavorables : elles vont donc entraîner
une mort plus rapide de l’individu, un taux de reproduction plus faible, ce qui risque d’aboutir, au
bout de nombreuses générations, à l’extinction de l’espèce. Mais si ces mutations sont favorables,
elles permettent le développement et l’extension de l’espèce. Les espèces sont donc en concurrence
pour leur survie (« struggle for life »). D’ailleurs les espèces sont condamnées à s’adapter en
permanence aux changements sous peine de disparaître
(le théorème de la reine rouge dans Alice au pays des merveilles).
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Jean-Baptiste de MONET, chevalier de LAMARCK
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Le paléontologue américain Stephen Jay GOULD (1942-2002) avait apporté quelques précisions aux
théories de l’évolution. Il rejetait l’idée darwinienne de processus lent et continu, au profit d’une
alternance de changements brutaux et de périodes de ralentissement (concept d’« équilibre
ponctué »)
1.1.2) Les répercussions philosophiques et sociales
Une controverse partage depuis toujours les spécialistes des sciences humaines, les historiens des
sciences, les épistémologues, sur le véritable apport de Darwin, sur le scandale qu’il a causé à son
époque et sur sa responsabilité dans les dérives sociales de ses théories. Le débat oppose encore
actuellement les philosophes des sciences : Patrick TORT dédouane Darwin de toute responsabilité,
contrairement à André PICHOT (2000)
Si l'homme est le résultat aléatoire de l'évolution progressive des espèces, c’est donc un animal parmi
les autres, régi par l'instinct. Les sciences humaines peuvent donc être considérées comme une
extension des sciences naturelles.
Les théories de Darwin vont provoquer de violentes réactions, reposant souvent sur des déformations
de sa pensée, des incompréhensions et des contresens :
hostilité des conservateurs qui défendent le « fixisme », notamment au nom de la religion, puisque
les théories évolutionnistes semblent s’opposer au créationnisme.
Cette opposition va perdurer jusqu’à aujourd’hui. On note même ces dernières années un retour en
force de l’opposition aux théories évolutionnistes qui semblent contredire le récit de la Genèse, dans
certains états américains, notamment dans la «Bible Belt ». A l’été 1999, les théories de Darwin,
comme d’ailleurs celles du Big Bang, ont été interdites dans les programmes scolaires de l’état
d’Arkansas. On peut craindre que l’offensive actuelle des courants américains néo-conservateurs aille
dans le sens d’un renforcement de cet obscurantisme.
Comme dit avec humour Yvon Corbeil, « Si la théorie de Darwin était vraie, il y a longtemps que les créationnistes
auraient disparu ».
enthousiasme et récupération par les progressistes.
Selon Freud, c’est une des trois grandes révolutions de la pensée humaine, après la révolution
copernicienne et avant la sienne : Darwin porte une rude atteinte au narcissisme humain.
Pour Marx, la sélection remplace Dieu. Laplace s’était passé de « l’hypothèse Dieu » pour expliquer
le monde physique. Darwin poursuit cette démarche avec le monde du vivant. Ce n’est pas Dieu qui a
créé l’homme, c’est le hasard.
Cette opposition un peu simpliste entre la science et la religion semble largement dépassée
aujourd’hui. Ce que les scientifiques appellent le hasard, c’est ce qui n’a pas de sens perceptible pour
la science. La science ne peut pas s’intéresser à Dieu, qui n’est pas une hypothèse réfutable. Les
chrétiens, dans leur immense majorité, acceptent la théorie de l’évolution et ne font pas de confusion
entre science et religion.
Voir les dossiers réalisés par les revues La France Catholique et Résurrection
[evolution-France Catho_.html]
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Pierre TEILHARD de CHARDIN (1881-1955), jésuite et paléontologue français, a tenté de concilier
la religion avec un évolutionnisme optimiste, plan divin qui passe par la cosmogenèse, la biogenèse
et la noogenèse pour aboutir à l’hominisation, la spiritualisation progressive de la matière qui part de
Dieu et y retourne (l’alpha et l’oméga). cf. Le phénomène humain (1955), L’apparition de l’homme
(1956), Le milieu divin (1957), L’avenir de l’homme (1959).
Cette théorie s’inscrit dans un courant plus large qu’on a appelé l’« intelligent design », qui
réconcilie évolutionnisme et créationnisme, en rejetant la théorie darwinienne de la sélection
naturelle : l’évolution n’est pas due au hasard, à l’adaptation aux conditions extérieures, mais à un
moteur interne, qui serait encore actif et nous entrainerait vers de nouvelles évolutions. C’est
l’hypothèse défendue actuellement par Anne DAMBRICOURT, en opposition à l’ensemble de ses
collègues paléontologues. Sa théorie est présentée dans un film documentaire de Thomas JOHNSON
(2005), Homo Sapiens, une nouvelle histoire de l’homme, diffusé le 29 octobre 2005 sur Arte.
Ce n'est pas l'homme qui a inventé la société
puisqu'il y a des sociétés animales qui précèdent les sociétés humaines.
Références :
- www.arte-tv.com/evolution
- l’ICDI – Institut Charles Darwin International, Romainville (dirigé par Patrick Tort) a entrepris l’édition des
Œuvres complètes en voie de publication par les éditions SYLLEPSE
- La filiation de l’homme,1999
- La sélection liée au sexe, 1999
- Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, sous la direction de Patrick TORT, PUF, 3 vol.
- Patrick TORT, Darwinisme et société
- Un dossier très complet : « Darwin, les nouveaux enjeux de l’évolution », Magazine littéraire, n° 374, mars 1999
- BOWLBY John (1995), Charles Darwin, une nouvelle biographie, PUF, 509 p. [par le psychanalyste]
- BOWLER Peter J. (1995), Darwin. L’homme et son influence, Flammarion, « Figures de la science », 326 p.
- BUICAN Denis, Darwin et le darwinisme, PUF, « Que sais-je ? », n° 2386.
- BUICAN Denis, Charles Darwin, Critérion, 1992
- CHAUVIN Rémy (1997), Le darwinisme ou la fin d’un mythe, Ed. du Rocher [remise en cause de la théorie de
l’évolution].
- CHRISTEN Yves (1982), Le dossier Darwin, Copernic
- CONRY Yvette (1983) sous la direction de, De Darwin au darwinisme. Science et idéologie, Vrin.
- COSTAGLIOLA Jacques (1995), Faut-il brûler Darwin ?, L’Harmattan.
- GAYON Jean, Darwin et l’après-Darwin : une histoire de l’hypothèse de sélection naturelle, Kimé, 1992.
- GAYON Jean, « Comment le problème de l’eugénisme se pose-t-il aujourd’hui ? », in L’homme et la san, Seuil,
1992.
- PICHOT André (2000), La société pure. De Darwin à Hitler, Flammarion, 458 p.
- Bertrand RUSSELL, « L’évolution », in Science et religion, Paris, Gallimard, 1971, « Folio Essais », 3° chapitre,
p. 38-61
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