Les personnages de théâtre ont rarement un passé. Figaro, lui, plonge dans un passé, dans une
mémoire qui en font un personnage de roman égaré dans la comédie. Il évoque ses origines
obscures fils de je ne sais pas qui, son éducation dissolue volé par des bandits, élevé dans
leurs mœurs, ses études et leur résultat décevant peut à peine me mettre à la main une lancette
vétérinaire. Il s’étend sur ses tentatives d’ascension sociale, sur ses ambitions et ses déboires
d’auteur : au théâtre, sa comédie est censurée voilà ma comédie flambée ; un mémoire, un
essai économique lui vaut la prison à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté.
C. Figaro, un personnage émouvant
Jusque là Figaro s’imposait comme beau parleur et homme d’intrigues plein d’imagination.
Ici, il nous touche par son désarroi, sa combativité ; il devient attachant. Figaro souffre. Sa
souffrance est fondée sur un double sentiment de trahison et d’humiliation. Figaro se croit
trahi par Suzanne et voit une fois de plus s’écrouler l’espoir de trouver une place dans le
monde et partout je suis repoussé !Il souffre aussi de se retrouver dans la position ridicule du
cocu me voilà faisant le sot métier de mari. Le fait que le comte lui prenne sa femme a un
retentissement social qui va bien au-delà de l’humiliation personnelle ; cela signifie à nouveau
la défaite de l’homme humble face au grand seigneur. L’humiliation présente réveille et avive
les humiliations passées. Figaro est un homme blessé, faillible et sensible qui éveille une forte
sympathie chez le spectateur.
D. Les allusions autobiographiques de Beaumarchais
Beaumarchais avait été emprisonné arbitrairement en 1773. Auteur dramatique, il a dû
franchir le barrage de six censeurs successifs pour parvenir à faire jouer le Mariage de Figaro.
Beaumarchais n’a été ni vétérinaire, ni banquier de pharaon, mais il a commencé sa carrière
en étant horloger, il a servi d’agent secret… le personnage comme son auteur ont des vies
passionnantes.
2. Une écriture dynamique
Un monologue marque un temps d’arrêt dans le développement de l’action. Le risque, surtout
dans le cas de ce monologue exceptionnellement long, est que l’attention du spectateur se
relâche. Beaumarchais résout cette difficulté en conjuguant ampleur et dynamisme.
A. Les gestes animent le discours
Beaumarchais se sert des déplacements, des changements d’attitudes corporelles de Figaro
pour ponctuer le monologue, en souligner les principales articulations. Figaro se lève, s’assied
à plusieurs reprises et toujours à des moments décisifs (cf didascalies).
B. La vivacité du récit
L’emploi des temps. L’essentiel du passage rétrospectif est raconté au présent ce qui
a pour effet d’actualiser des événements lointains, de les donner à voir comme s’ils
se déroulaient sous nos yeux : j’apprends, je me jette, je broche, j’écris…
Les raccourcis narratifs. Ils donnent beaucoup de vitesse au récit, enchaînant les
actions de façon accélérée. Les phrases inachevées, lourdes de sous-entendus,
impriment au début du monologue un rythme brisé, presque incohérent qui traduit
l’égarement de Figaro, submergé par la jalousie, la colère. L’énumération noblesse,
fortune, un rang, des places accélère le débit tandis que l’ellipse du verbe permet des
raccourcis frappants : et moi comme un benêt ; du reste, homme assez ordinaire qui
procèdent de cet art de la concentration des effets caractéristique du style de
Beaumarchais.
La modalité exclamative. L’abondance des exclamations permet de glisser de
l’indignation au défi en passant par le trouble, l’hésitation, la colère et illustrent les
différents états par lesquels passe Figaro.