Emmanuelle ROZIER Cours Terminales / La culture
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COURS TERMINALES
Le travail et la technique
PLAN DU COURS
I Qu’est-ce que la technique ?
II Le travail : autre manière de transformer la nature
PROBLÉMATIQUE GLOBALE DU COURS
La technique et le travail sont des facettes d’une modification fondamentale qu’opère
l’homme sur la nature. Par ce biais, il crée un monde spécifiquement humain et s’enferme
dans des modalités d’existence auxquelles il s’habitue au point de ne pouvoir revenir en
arrière. Technique et travail sont-ils libération ou aliénation ? En quoi ils sont deux manière
pour l’homme d’intervenir sur la nature pour la faire devenir « monde » ?
AUTEURS ABORDÉS
Descartes, Bacon, Platon, Heidegger, Locke, Marx.
DEFINITION TECHNIQUE
Du grec
technikos
, de
teckne
: art, technique
1- Comme substantif
a) ensemble de procédés définis et transmissibles, mis en œuvre afin de produire des
résultats jugés utiles.
Il ne convient pas de limiter la technique à des procédés fondés sur des connaissances
scientifiques. Les techniques et les sciences n’ont pas la même ancienneté ni le même
rythme d’évolution. Bien des techniques complexes ont précédé, sur des bases empiriques,
les sciences. Les techniques n’ont pris que récemment le caractère d’une application des
sciences.
b) ensemble de procédés se rapportant à l’emploi d’instruments, de matériaux déterminés, à
l’exercice d’une discipline ou d’un art. On ne limitera pas la notion à des procédés matériels
ou utilitaires : il existe des techniques du corps, du discours, du travail théorique.
2- Comme adjectif
a) relatif aux procédés qui permettent d’agir sur des matériaux et des données concrètes en
vue d’obtenir le résultat souhaité.
b) relatif au savoir-faire, aux procédés ou au vocabulaire d’un art ou d’une discipline.
DEFINITION TRAVAIL
a) sens général : activité par laquelle l’homme produit des biens et des services qui assurent
la satisfaction de ses besoins naturels mais aussi sociaux (en transformant la nature)
b) sens économique : activité rémunérée, obligatoire et souvent pénible (fatigante, etc.) ;
L'activité économique, productrice d'utilité sociale. L'activité professionnelle, socialement
organisée et réglementée.
c) L'activité ayant pour but de produire ou de contribuer à produire quelque chose d'utile,
dans l'ordre pratique et dans l'ordre théorique. En chimie : production d'un effet par une
cause agissant de façon continue et progressive.
PHILOSOPHIE
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INTRODUCTION GENERALE
Le travail et la technique apparaissent comme une caractère du rapport humain à la nature :
ils sont une manière fondamentale d’être en rapport avec la nature en ce qu’ils permettent
d’inventer l’histoire en sortant à jamais de l’animalité.
Le travail est en ce sens le produit de ce rapport fondamentalement technique : le travail est
rendu nécessaire par le besoin technique. Il fallut bien travailler pour produire les objets. On
essaiera de voir en quoi il y a une antécédence de la technique sur le travail. La technique
est plus fondamentale en ce qu’elle parle de ce qu’est l’homme : elle est liée à une
anthropologie. comprendre la spécificité de l’homme, c’est découvrir l’ampleur de son
caractère technique.
La question que nous nous poserons concerne la valeur même de cette importance de la
technique et du travail :
- d’un côté la modification du milieu naturel : la santé, l’habitat, la science, etc.
- de l’autre les aliénations multiples liées au travail et aux technologies
qu’il y a-t-il de positif dans ce qui est devenu notre histoire ?
Ces œuvres ont été décrites comme artificielles, ce qui signifie qu’elles ne sont pas issues de
la nature comprise comme (
phusis
) ce qui a en soi son principe de développement
autonome. En effet, les objets artificiels ne se reproduisent pas, ne germent pas ; ils
impliquent une intervention humaine. Ils doivent être produits. En quoi consiste cette
production (
poiesis
) ?
- Elle consiste en l’application d’un travail, c’est-à-dire d’une transformation opérée
par l’homme (en un temps donné, avec une dépense d’énergie déterminable),
- sur des matériaux naturels (organiques ou non) bruts ou déjà transformés,
- par des objets qui sont déjà eux-mêmes techniques : outils, instruments divers,
machines.
On voit donc que dès la question de la production, on est confronté non pas à un objet
artificiel, mais à tout un réseau d’objets artificiels qui s’entreproduisent sans se reproduire au
sens naturel. Ce réseau forme un système (un ensemble de relations déterminantes
intégrées) qui nous permet de parler de véritable monde : chaque objet technique implique
une structure de renvoi à une multiplicité d’autres objets techniques.
I Qu’est-ce que la technique ?
La technique serait donc le sous-ensemble de ces objets artificiels qui serait destiné à
des fins pratiques. Mais ne peut-on tenter alors de le mieux caractériser ? N’y a-t-il pas des
critères permettant de reconnaître la présence ou l’œuvre de la technique ?
- Elle a un caractère culturel, i.e. elle relève de « ce qui pourrait être autrement » ;
- elle suppose un apprentissage, opposé à une hérédité biologique : elle est du
domaine de l’acquis ; cela implique également le caractère historique des
techniques, opposé à l’évolution biologique ;
- la technique constitue dans son ensemble un système (ensemble intégré de
techniques particulières, d’une complexité variable). Cela explique, non plus son
historicité, mais le déroulement particulier de l’histoire des techniques ;
- l’homme, comme animal privé d’instincts spécifiques a une vocation
polytechnique. Cette indétermination instinctuelle confère à l’homme une certaine
plasticité, qui le rend capable, et même appelle, la technique comme capacité de
l’espèce humaine. La technique apparaît alors comme protection eu égard à sa
vulnérabilité vis-à-vis du milieu naturel hostile.
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- Les techniques sont visibles ou invisibles, c’est-à-dire réalisés dans des objets
matériels (y compris le corps humain) ou non : elles peuvent abstraites,
intellectuelles.
On peut caractériser la technique comme une activité visible (ou invisible)
essentiellement sociale et donc acquise, qui a pour effet d’établir entre l’homme et son milieu
une barrière qui s’organise en système avec des activités de même nature.
Ce faisant, on voit que la technique ne se réduit pas à une somme d’objets issus de
l’artifice, mais s’intègre bien dans un pôle pratique, autrement dit au sein de l’activité
humaine. Elle doit donc être définie au regard de ce que l’on a nommé activité.
La technique s’inscrit au sein d’une activité, qui est orientée vers des fins qui sont
choisies donc libres. « La technique d’une activité est dans notre esprit la somme des
moyens nécessaires à son exercice, par opposition au sens ou au but de l’activité qui, en
dernière analyse, en détermine (concrètement parlant) l’orientation ».
Dans son sens le plus vaste, on entendra par technique tout mode de composition
d’éléments d’une activité dont l’agent, individuel ou collectif, se représente les effets. Sont ici
en cause la structure générale de l’activité humaine, c’est-à-dire la capacité de se
représenter un but et d’enchaîner virtuellement des procédures utilisant judicieusement les
ressources disponibles pour les ajuster aux fins. La séquence du « si… alors » représenterait
le schéma épuré de l’intrusion technique dans l’univers naturel, en proposant une pensée
foncièrement calculatrice, et utilitaire.
1 - ANTHROPOLOGIE DE LA TECHNIQUE
La technique, que ce soit comme monde ou système d’objets ou comme ensemble de
moyens nécessaires à l’exercice d’une activité, nous caractérise en tant qu’hommes. Les
animaux sont dotés d’instruments organiques qui déterminent leur survie. Les
transformations de ces instruments se font à l’échelle de l’évolution des espèces. En ce qui
concerne les hommes, nous avons vu qu’ils étaient relativement indéterminés au niveau
instinctuel, mais c’est également vrai au niveau des instruments corporels : il n’en possède
pas un spécifique, mais un indéterminé et relativement plastique qui lui autorise toute sorte
d’utilisation dérivées de la préhension : la main. La main est ce qui va lui permettre de
prolonger son corps dans et par des objets techniques. L’objet technique peut, en ce sens,
être considéré comme un prolongement inorganique du corps de l’homme, comme une
projection de son corps dans la nature.
Par ce prolongement, cette projection, l’homme se libère bien d’un certain nombre de
contraintes et déterminations naturelles, puisqu’il s’organise, au sens propre du terme, pour
atteindre ses buts, pour accomplir ses fins. Ainsi, la technique peut être dite caractériser
l’homme, peut être dite constituer une donnée fondamentale de l’anthropologie. Il n’y a pas
d’homme sans technique (ni bien sûr, de technique sans l’homme).
En quoi la technique nous libère-t-elle de l’emprise de la nature ? Quels
possibles nous ouvre-t-elle que la seule nature nous interdisait ?
On a vu que l’indétermination instinctuelle nous libérait en quelque sorte, ou plutôt,
nous offrait une certaine condition de possibilité de la liberté. Par la technique également,
l’homme devient actif dans la nature, c’est-à-dire vis-à-vis de ce qui le détermine et s’impose
à lui, au lieu de demeurer passif comme l’ensemble des autres espèces du vivant. Il prend en
main son rapport à la nature, et le médiatise par le biais de la technique. Cette
médiatisation peut consister par exemple en :
- une bulle de protection vis-à-vis de la nature, i.e. par le biais d’armes, de
vêtements, d’habitat, etc.
- un certain nombre de moyens d’actions, i.e. de locomotion, de transformation de
matériaux, de captation et d’accumulation de ressources ou d’énergie, etc.
Enfin et surtout, la technique nous libère en ce sens qu’elle nous offre les
moyens de réaliser nos actions, nos fins, en dépit des forces de la nature, en triomphant de
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celle-ci. Grâce à elle, nous pouvons soutirer à la nature beaucoup plus qu’elle n’est disposer
à donner, et ce en ayant librement décidé des buts de notre intervention.
Or, en quoi consiste cette action sur la nature ? Notre libération, peut-être relative,
n’inverse-t-elle pas l’ordre de nos relations avec elle ? Face à une certaine nécessité
qu’elle nous inflige, et à laquelle sans doute ne pouvons-nous totalement échapper, notre
action sur elle ne se transforme-t-elle pas en domination ?
En quoi consiste cette domination ? Dans les faits, elle consiste dans les opérations
suivantes :
- nous plions les forces naturelles à nos volontés en les utilisant (vent, rivières,
marées, énergie solaire) ;
- nous mobilisons du minerai et des hydrocarbures, c’est-à-dire l’ensemble des
ressources du sous-sol à la fois comme matière première et comme source
d’énergie ;
- nous démultiplions les capacités du sol (agriculture mécanisée et assistée
d’engrais divers) et réduisons les animaux à l’état d’objet ;
- nous dressons la nature contre elle-même par l’intermédiaire des machines,
qui captent et contraignent les forces naturelles pour les transformer en
mouvement ;
- nous intervenons au cœur même de la matière (fusion, fission, antimatière par
ex.), au cœur même du vivant, au point d’être désormais capables de transformer
les grands équilibres du monde vivant de manière irréversible.
Cette domination, ce pouvoir que la technique nous offre sur la nature, provient de
l’essor conjoint de la science et de la technique à l’époque moderne, qui a radicalement
inversé nos relations à la nature, et la manière de la penser.
2 « MAITRES ET POSSESSEURS DE LA NATURE » : BACON ET DESCARTES
Ce qu’il y a de commun à Bacon et Descartes, c’est une nouvelle évaluation de la
technique, qui va entraîner une réflexion inédite sur les rapports entre l’art (au sens de
technique) et la nature. Du même coup, la technique deviendra une puissance autonome par
rapport au domaine strictement anthropologique du besoin. « S’il se trouve un mortel qui
n’ait d’autre ambition que celle d’étendre l’empire et la puissance du genre humain sur
l’immensité des choses, cette ambition, on conviendra qu’elle est plus pure, plus noble et
plus auguste que toutes les autres » (
Novum organum
). Même idéal interventionniste
chez Descartes : « Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles,
on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de
l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent aussi
distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre
comme maîtres et possesseurs de la nature » (
Discours de la méthode
, partie VI). Cette
comparaison entre le maître d’école et l’artisan, qui tourne à l’avantage de l’artisan, nous
montre que l’échelle des valeurs s’est inversée depuis Platon.
Le but de l’activité technique est la maîtrise sans cesse accrue sur les choses. Mais s’il
faut agir « en vue d’étendre les limites de l’empire de l’homme sur la nature entière et
d’exécuter tout ce qui lui est possible » (
La Nouvelle Atlantide
), on ne « commande à la
nature qu’en lui obéissant » (
Novum Organum
). Il précise « La science et la puissance
humaine se correspondent dans tous les points et vont au même but ; c’est l’ignorance
nous sommes de la cause qui nous prive de l’effet ; car on ne peut vaincre la nature qu’en lui
obéissant ; et ce qui était principe, effet ou cause dans la théorie, devient règle, but ou
moyen dans la pratique » (
Novum Organum
). Cette rigoureuse correspondance entre
principe et règle, effet et but, cause et moyen signifie qu’il n’y a plus lieu de considérer
l’action de l’art comme une action naturelle moins parfaite : l’art et la nature fonctionnant
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exactement de la même façon, la perspective de l’imitation devient obsolète. « Les hommes
auraient dû… se pénétrer profondément de ce principe : que les choses artificielles ne
diffèrent pas des choses naturelles par la forme ou par l’essence, mais seulement par la
cause efficiente… lorsque les choses sont disposées pour produire un certain effet, que cela
se fasse par l’homme ou sans l’homme, peu importe » (
De dignitate et augmentatis
, II, 2).
Descartes refuse également à voir une différence essentielle entre l’ordre naturel et l’ordre
mécanique : « Il est certain que toutes les règles descaniques appartiennent à la
physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles »
(
Principes de la philosophie
, VI, 203).
Si la technique s’inscrit dans la nature humaine, si elle répond à un besoin humain,
manifeste-t-elle vraiment notre liberté, ou une certaine servitude à l’égard de cette nature ou
vis-à-vis de ce besoin ? N’avons de liberté que dans le choix des moyens ? Cette liberté
n’est-elle qu’ustensile, ou concerne-t-elle les fins de nos actions et activités (donc la
pratique), et enfin concerne-t-elle alors le choix technique lui-même ?
Par ailleurs, peut-on se libérer de la nature en la dominant ? sur cet autre qui nous
déterminait (en l’occurrence la nature) ? Autrement dit, ne pouvons-nous nous libérer qu’en
exerçant un pouvoir, une puissance sur la nature ? Et ce pouvoir nous libère-t-il vraiment ?
Ne s’impose-t-il pas à nous à son tour, ne nous détermine-t-il pas ?
L’approche anthropologique de la technique, qui en fait un prolongement nécessaire
du corps humain (que celui-ci soit conçu de manière continuiste ou discontinuiste vis-à-vis de
la nature) présente la technique comme une certaine nécessité pour la survie de l’espèce. La
liberté que la technique nous octroie, ne peut alors porter sur le choix de la technique elle-
même. Elle consiste bien dans les fins de la pratique à laquelle la technique contribue en tant
que système de moyens, si cette fin n’est pas elle-même nécessaire (notamment lorsqu’elle
touche à la survie). Mais plus fondamentalement, puisque la liberté des fins n’a rien à voir
avec la technique (mais avec une certaine capacité de l’esprit humain à déterminer
consciemment ce qui le motive - que cette liberté soit effective ou illusoire), la liberté à
laquelle nous dispose la technique est celle des moyens. La technique démultiplie en effet les
moyens possibles pour réaliser telle fin, tel but ou objectif. Elle instaure un système, et
même un système de systèmes de médiation qui peut être complexifié pratiquement à
l’infini.
La liberté s’exerce alors dans le choix des moyens, c’est-à-dire dans les trajectoires
entre causes et effets attendus. Toutefois cette liberté rencontre ses limites : si ces trajets
sont en droit infinis, parce qu’indéfinis, ils sont de fait soumis à des principes économiques.
Les moyens obéissent à des principes d’économie, et c’est en grande partie ce qui les
motive, donc ce qui limite la liberté : on peut privilégier l’économie de dépense d’énergie, ou
celle de temps, de matériaux, de main d’œuvre, de prise de risque, etc. Tous ces objectifs
secondaires, vis-à-vis de l’accomplissement de l’activité, grèvent d’autant la liberté de
recours à certains moyens.
La technique étant de l’ordre des moyens et non des fins, elle ne peut décider elle-
même de ce qui mérite, de ce qui vaut d’être réalisé techniquement. Qu’est-ce qui fait la
valeur d’une technique par rapport à une autre, ou même en soi ? Certes, l’économie
décidera sans doute, en dernier ressort, de la survie d’une invention technique en ce que le
rapport coût/gain devra être bénéficiaire (que ce soit en termes financiers, en termes de
qualité de vie, de relations sociales ou autres). Mais cette valeur finalement, reste encore
beaucoup trop au niveau des moyens pour être une véritable valeur : même si elle prend à
l’occasion en compte la valeur d’usage, elle reste inféodée à la valeur d’échange.
Quelle est alors la véritable valeur de la technique ? Peut-on évaluer la technique ?
3 EVALUATION DE LA TECHNIQUE
La technique a fait l’objet de multiples évaluations, souvent négatives. On parle alors
de technophobie. Cependant, on peut repérer une rupture au moment la technique
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