ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE L’enquête qualitative On attend du chercheur en sciences politiques un discours différent de celui que l’on entend dans les médias. Par ailleurs, il faut se prévenir de toutes considérations personnelles ou de philosophie politique. Les sciences politiques s’appuient sur des normes, des règles de travail qui font d’elles une science. Elles doivent gouverner le travail de terrain, de la manière la plus rigoureuse possible. La première règle, la plus importante, est celle de rupture épistémologique. L’épistémologie est la science des sciences : comment met-on une science, quelles sont les démarches vers la connaissance scientifique ? Max Weber ou Émile Durkheim nous recommandent cette rupture : abandonner les préjugés et les prénotions concernant l’objet ou la population que l’on étudie. C’est se départir d’un tas d’idées toutes faites sur l’objet que l’on étudie. On a tous une idée plus ou moins vague sur l’objet que l’on veut travailler, parce qu’on en a une connaissance éloignée par exemple. Petit à petit, c’est se défaire de ces prénotions pour avoir une connaissance plus précise de la population sur laquelle on travaille. C’est dépasser le sens commun, véhiculé par les préjugés. Ca peut être le sens commun, de ce que l’on entend à la télé ou lit dans les journaux. Ca peut être les premiers travaux faits dans les années 1960-1970, concernant la rencontre amoureuse. Le sens commun dit que c’est le hasard, une question de hasard. Lorsque l’on travaille sur ça, on se rend compte que ce sont les conditions sociales dans lesquelles on produit la rencontre amoureuse, ce qui explique pourquoi de nombreuses personnes se marient dans le cadre du travail par exemple. Le regard sociologique permet de rompre avec un certain nombre de préjugés, avec des sentiments ou ses propres projections personnelles. Ca consiste à refroidir l’objet. Les sentiments risquent de parasiter l’enquête, et les résultats risquent d’être décevants. Le passage par la rupture avec les mots du langage commun est un autre effort à fournir. Ces mots véhiculent eux-mêmes des croyances, des jugements voire des préjugés. L’important est d’utiliser des concepts pour traduire les phénomènes que l’on est en train d’observer. On peut les récupérer d’autres personnes qui ont travaillé sur les partis, ou en inventer soi-même. Dans tous les cas, il faut être le plus précis dans les définitions données. Quand on parle de populisme par exemple, c’est typiquement un mot que ne veut rien dire pour un sociologue. Pour les médias, ça veut dire quelque chose, lié notamment à un stigmate. Un leader populiste est mal jugé de nos jours. Les prénotions sont des filtres et des obstacles à la vraie connaissance sociologique des phénomènes. Face à l’objet étudié, il est demandé d’oublier ce que l’on connaît déjà, oublier le sentiment de familiarité déjà connu. De manière plus récente, une enquête particulièrement importante dans la sociologie américaine, de Paul Lazarsfeld, portant sur les soldats américains stationnés en Allemagne et dans le Pacifique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, émet des hypothèses concernant le lien entre les caractéristiques sociales des individus et leur état psychologique. La première idée est que les individus dotés d’un niveau d’instruction élevé présentent le plus de symptômes névrotiques que ceux qui ont un plus faible niveau d’instruction. Ceci repose sur le préjugé que l’homme de la rue est moins sensible que les individus qui ont fait plus d’études. Pendant leur service militaire, les ruraux ont meilleur moral que les citadins pendant leur service militaire, car habitués à une vie plus rude. Les soldats arrivés du sud des États-Unis supportent mieux le climat chaud du Pacifique que les habitants du nord du pays. Enfin, les soldats américains étaient plus impatients d’être rapatriés pendant la Seconde Guerre mondiale qu’après l’armistice. En interrogeant les soldats, pour chacune des hypothèses, il démontre que c’est exactement l’inverse. Ceux qui ont un faible niveau d’instruction présentent le plus des névroses et des PAGE 1 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE psychoses, les citadins ont un meilleur moral que les ruraux etc ... C’est l’inaction provoquée par l’armistice qui est plus pesante pour les individus que le danger du combat : il entretient une action permanente alors que le stationnement sur une zone créé plus de peur de se faire agresser par surprise. Il faut donc se méfier de ses évidences à soi, et qu’il faut pour combattre ces évidences mettre en œuvre un processus de vérification. Tout cela permet d’éviter trois grands obstacles, trois grands écueils, qui guettent le sociologue ou le politique. Le premier danger est le manque d’objectivité. Le regard porté sur l’institution familiale est parasitée par l’image que l’on a soi-même de la famille. Il faut rester le plus neutre possible à l’égard de ses valeurs. Le deuxième danger est l’ethnocentrisme. Dans le cadre d’une étude sur un scrutin régional, la question ne se pose pas beaucoup. Mais de manière générale, l’ethnocentrisme est d’observer une population à partir de ses propres normes culturelles. Lorsque l’on travaille sur une période historique éloignée ou sur un pays étranger notamment. Le troisième danger est le sociocentrisme. Ici, on ne juge pas à partir de ses normes culturelles ou nationales, mais à partir du milieu social dont on est issu. C’est regarder le politique et le social à partir des valeurs et de l’expérience qu’on a tiré de son milieu social d’origine ou d’existence. La première grande étape est la formulation de la question de départ. C’est cette grande question initiale qui va servir de fil conducteur. Elle va permettre d’orienter l’enquête dans un sens précis. On ne part pas comme ça, sans bases de travail, sur un terrain. La deuxième grande étape est la phase qualifiée de terrain, ou exploratoire. Cette phase consiste à recueillir différents types d’information en lien avec la question de départ. Ces informations peuvent être théoriques (ouvrages, articles, données I.N.S.E.E. ...) et empiriques (issues du travail du terrain par entretien, par archives ...). Démarre ensuite une interprétation qui repose sur une problématique. Ce n’est pas exactement la même chose que la question de départ. La problématique est déjà une mise en forme de la réflexion. Ensuite, on suivra le travail d’écriture proprement dit du mémoire qui sera un travail d’interprétation des données. Une idée à retenir est celle de : ne pas partir sur le terrain sans rien. On a des questions auxquelles on cherche des réponses. Le fait de questionner cet objet est de le démystifier, de construire son objet de recherche. Ces questions, peut-être que d’autres se le sont déjà posées. On peut aussi se poser des questions non posées. On risque, face au discours des hommes politiques, de n’avoir affaire qu’à des discours plats et sans intérêt. Pour poser des questions à l’égard de l’objet, ça suppose que l’on aille s’informer sur le sujet. On peut commencer par de la presse. Les méthodes qualitatives s’appuient sur un nombre moins important que les méthodes quantitatives. Pour être réputé représentatif, un sondage doit interroger au minimum un millier d’individus. Dans une enquête qualitative, on n’a pas besoin de ce chiffre là : elle peut s’appuyer sur un petit nombre d’individus. Avec 10-15 individus bien choisis, on peut sortir des éléments sociologiques très intéressants. Certains mobiliseraient une centaine d’interrogés. Les méthodes qualitatives ont pour intérêt d’étudier les pratiques des individus. Elles mettent l’accent sur le discours tenu à propos de leurs pratiques. Elles s’intéressent aux interprétations que les individus donnent de leurs pratiques. Chaque acteur va avoir un discours différent sur ses pratiques. On cherche aussi à recueillir un maximum d’informations. Les enquêtes qualitatives vont faire feu de tout bois : on cherche à tout observer. On travaille aussi sur la manière dont les personnes parlent, dont elles se tiennent, dont elles s’habillent, où ils habitent. Tout ça s’appuie sur l’idée qu’en recueillant le discours des acteurs, on va réussir à accéder de l’intérieur au sens que les individus donnent de leurs pratiques. Ceci s’appuie sur une école qui a plus d’un siècle aujourd’hui mais qui continue d’être dominante dans les sciences sociales : celle de Max Weber. PAGE 2 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE Weber construit sa méthode sociologique à l’inverse de Durkheim, qui s’appuie sur les méthodes quantitatives. Weber prône la dite «méthode compréhensive» qui consiste à essayer de comprendre de l’intérieur pourquoi les individus se comportent de telle ou telle manière. Ca passe par une phase de recherche dite d’«empathie» : j’essaie de me mettre dans la tête de l’acteur que j’interroge pour comprendre pourquoi il agit comme ça. Ceci permet d’éviter les obstacles de sociocentrisme par exemple. L’entretien naît avec Freud et la psychanalyse : le spécialiste a un rôle d’accoucheur. La démarche-même a quelque chose à voir avec l’introspection psychanalytique. L’entretien policier, l’interrogatoire, est aussi envisageable : on interroge les faits et gestes de l’individu. L’enquêté peut aussi se braquer s’il se sent trop interrogé. En tant qu’observateur, on est à la fois extérieur à l’objet qu’on regarde (peut être perçu comme une gêne, comme un intrus), et partie intégrante de l’objet. Il faut arriver à se défaire de tous les préjugés, tous les biais que l’on a. Donc, on est toujours dans l’hésitation quand on travaille sur le terrain. Il y a un engagement individuel minimum de la part de l’enquêteur. Il faut ensuite se distancier pour produire une analyse. Ce que l’on met d’affectif dans le terrain, il faut ensuite s’en défaire au niveau de l’analyse pragmatique. On peut aller sur le terrain avec un visage couvert, se faisant passer pour un simple militant par exemple, ce qui explique une discrétion de bout en bout, de s’assurer que personne ne connaît le chercheur. Une fois l’enquête sur le terrain commencée, il faut trouver la juste distance entre un engagement sur le terrain et la nécessaire distanciation pour l’interpréter. Par exemple, une erreur souvent commise est, lorsqu’on travaille sur entretien, que l’on croit que l’on doit être neutre, avoir le visage froid. Quelque soit la technique utilisée, réajustements nécessaires. Il se peut que lors des premiers pas sur le terrain on se rend compte que ce n’est pas la bonne méthode. On a le droit de réajuster les grilles d’entretien, les manières de procéder etc ... Les méthodes biographiques. On range dans un premier temps les récits de vie, puis les documents d’ordre privé. Les récits de vie sont les récits d’expérience (interroger sur une expérience particulière, pour un candidat ou un militant par exemple), les récits de vie (ensemble de leur biographie ; peut impliquer de revenir voir la personne. Voir comment on ne réagit pas tous de la même manière à la mémoire. Dans les milieux populaires on se souvient peu d’événements familiaux au-delà des parents, avec l’inverse pour la haute bourgeoisie et surtout dans l’aristocratie.). On peut aussi travailler sur des documents d’ordre privé : journaux intimes, documentation personnelle ... Les enquêtes de milieux sociaux, un parti pouvant être un milieu social. On trouve dans ce milieu la technique de l’observation ethnographique : on fait comme les anthropologues de la fin du XIXe siècle, voir comment les gens se comportent. Le principe est de décrire ce que l’on observe. C’est faire de l’observation ethnographique de ce qui se passe dans un bureau de vote, y compris ce qui paraît être le plus naturel, ce qui permet de comprendre pourquoi les individus se comportent de cette manière là. Ca peut être un meeting, des meetings, comme si les gens qui viennent parler à la tribune seraient des inconnus totaux pour le chercheur. Quels sont les rituels ? Qui sont les individus qui ne le respectent pas ? L’observation participante, contrairement à l’observation ethnographique, fait participer aux activités de l’objet lui-même. Dans le cas des élections, il n’y a pas beaucoup de solutions. Les entretiens compréhensifs sont une autre méthode : une grille d’entretien est un ensemble de questions que l’on a prévu de poser, et en général il faut que l’on pose les mêmes questions à chaque individu interrogé. Dans la pratique, on se rend compte qu’à plusieurs entretiens, on n’a pas pu poser toutes les questions. Les entretiens sont souvent faits de manière individuelle. Il existe des méthodes d’entretien collectif, mais ce sont des méthodes assez difficiles à gérer. L’entretien doit se faire en face à face. Après, il faut réfléchir aussi à la manière dont on va solliciter la personne pour l’entretien : il faut PAGE 3 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE souvent montrer page blanche. Le questionnaire ne rentre pas dans les méthodes qualitatives, mais dans l’étude des milieux sociaux. Les études de localité. C’est quand on travaille dans un espace, dans un territoire spécifique. Ca peut être un village, un quartier, plusieurs villages etc ... La dimension territoriale va être forte dans ce type d’études. On peut aussi avoir comme techniques l’étude des archives municipales ou départementales. Les déterminants sociaux du vote La littérature sur le sujet est très abondante, notamment en anglais. Dès la fin du XIXe siècle, cela s’accompagne de l’introduction du suffrage universel dans de nombreux pays. C’est le cœur historique dans de nombreux pays. C’est notamment le cas des chercheurs du C.E.VI.PO.F. (Centre d’Études sur la Vie Politique Française). L’élection et le vote comme construction sociale. On peut dire d’une élection est qu’elle a une fonction : la désignation des représentants et des gouvernants. Au départ, dans la plupart des pays qui ont instauré une forme de démocratie, ça a été la désignation des parlementaires, principalement concernant l’élection de la chambre basse, où elle est souvent élue au suffrage universel direct. Là se jouent un certain nombre de phénomènes. Les personnes qui ont travaillé sur l’histoire des élections se sont rendus compte que ces élections étaient l’occasion de rituels importants. Ces rituels ont mis du temps avant de venir de manière naturelle. Notamment au XIXe siècle, il y a eu beaucoup de résistances à l’égard de l’élargissement du suffrage. Pendant ce XIXe siècle, on a vu des groupes sociaux particulièrement opposés au suffrage universel qui ont essayé de le contrôler, de l’utiliser pour leur propre bénéfice. C’est le cas de ce que l’on appelle les notables, les bourgeois, et le clergé, qui vont s’opposer à l’élargissement du suffrage universel au moins jusqu’au début du XXe siècle. Progressivement, tous vont se rallier à l’idée de l’élection comme mode de désignation des gouvernants. Ils essayent de conserver leur autorité, et vont utiliser tout un tas de stratagème pour continuer à obtenir des postes de pouvoir. Contrairement à ce que l’on peut penser, on se rend compte que le suffrage universel n’annule pas d’autres types de pratiques, dont celles du clientélisme (je suis un notable, j’offre des biens matériels, des gratifications ou des promesses de gratifications à des clientèles en échange de leur vote). C’est ce que vont montrer les travaux sur les élections aux États-Unis, et la manière dont certains candidats utilisent certaines clientèles pour leur bénéfice, y compris auprès de certaines communautés dont le candidat est issu (irlandaise, italienne ...). Les travaux d’anthropologues montrent qu’à Perpignan par exemple, le vote gitan ou le vote maghrébin a permis à la municipalité en place de tenir. En s’assurant de leur vote, on les laisse tranquille ou on leur accorde des privilèges. L’élection comme mécanisme de sélection politique Oui, l’élection est la technique de sélection des gouvernants dans la démocratie, notamment représentative. Mais cette technique n’a pas été valable en tous temps et tous lieux de la même manière. Le suffrage universel est le produit d’une histoire longue, et surtout d’une opposition entre plusieurs groupes pour aboutir à cette technique depuis le XVIIIe siècle. Le suffrage universel est une idée relativement récente, et une pratique relativement récente. À partir du moment où on va évoquer le principe de suffrage universel, on va voir que beaucoup de catégories de population sont exclues de ce suffrage supposé universel. On va exclure du suffrage universel les femmes, les militaires par périodes ... On a exclu les étrangers, ceux avec un casier judiciaire, les SDF. On a aussi imposé une limite d’âge. Il y a un mécanisme d’oubli qui tend à faire croire que le vote s’est toujours déroulé de cette manière. Ceci est notamment ce que montre le travail d’Alain Garrigou : il y a une sorte d’évidence liée aux pratiques électorales, qui occulte les intérêts, les conflits qui ont PAGE 4 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE présidé à la mise en place du suffrage universel. On se rend compte auprès des populations exclues du suffrage, mais aussi au travers des divers perfectionnements technologiques liées au développement du suffrage universel. Histoire politique faite d’individus qui réclament et veulent et d’autres qui s’opposent. Très concrètement, il faut attendre 1913 pour que soit garanti le secret du vote (enveloppe). Jusqu’à cette date, on n’utilise pas les enveloppes pour le vote. C’est à cette période là où on va utiliser les bulletins pré-imprimés. C’est aussi à cette date qu’on va en France mettre en place un système d’affichage public avec tirage au sort. C’est aussi en 1913 qu’on met en place les isoloirs, qui garantissent le secret du vote. Puis, on va aussi réglementer alors que le suffrage universel a déjà été utilisé en France. On instaure le bulletin pré-imprimé. On a aussi essayé d’instaurer le vote électronique, espérant éviter les problèmes dans les comptages. En vérité le vote électronique pose plus de problèmes qu’il n’en résout, notamment aux États-Unis. Avec une grosse variété de machines, on se rend compte du trafic des machines, ou des erreurs entre les listes d’émargement et les votes comptabilisés par la machine. Certains pays obligent le suffrage universel : Nouvelle-Zélande, Brésil, Belgique, Italie théoriquement ... Le vote n’a pas toujours été conçu comme ça. Il y a aussi l’idée que la pratique électorale résulte d’un apprentissage des électeurs sur la longue durée. Cet apprentissage a connu la résistance de la part de plusieurs groupes sociaux, qui ne concevaient pas la participation politique par le vote. On s’est rendus compte qu’à la fin du XIXe siècle, on avait une proportion importante d’électeurs potentiels qui ne s’inscrivaient pas sur les listes électorales. C’était notamment le cas en milieu urbain : à Paris, un quart des électeurs potentiels n’étaient pas inscrits, 1/3 à Bordeaux ... À cette époque, le vote n’était pas aussi valorisé en tant que pratique citoyenne. On constate aussi que la pratique du suffrage est tout aussi lié à la légitimité du régime en question. C’est ce qu’on observe lorsqu’après une période longue de guerre ou d’État autoritaire, la pratique du vote est souvent difficile à se remettre en route. L’élection est aussi un mécanisme de sélection sociale. On doit beaucoup à Pierre Bourdieu dans cette analyse, dans cette nécessité de se défaire de cette vision naturaliste du vote. Bourdieu va constater que la logique même du vote en démocratie est doublement défavorable aux classes dominées. Premièrement, le vote est défavorable aux dominés parce que nous n’avons pas tous le même degré de capital culturel nécessaire pour produire une opinion autonome. Les dominants peuvent élaborer des stratégies individuelles de vote alors que les dominés n’ont pour seule alternative soit de pratiquer un vote collectif (de voter de la même manière que leur groupe), soit la démission par l’abstention. Pierre Bourdieu est le premier à démythifier l'acte électoral, du citoyen éclairé qui va voter. Daniel Gaxie poursuit ces recherches, et a notamment travaillé dans les années 1970 sur le vote en démocratie, Le cens caché (1975). C'est un ouvrage majeur dans la compréhension de certains phénomènes électoraux, dont la participation des individus à la vie publique. L'idée du cens date des premières heures de la révolution française, car il n'était pas question d'accorder le droit de vote à tous selon certains. Sous l'impulsion de l'abbé Sieyès, la souveraineté appartient à la nation et non aux individus qui composent la nation. Ce qu'on va constater au fur et à mesure de la Révolution française jusqu'à la IIIe République, c'est un élargissement progressif de la base électorale. Sous l'impulsion de la bourgeoisie, le cens va diminuer et automatiquement le nombre d'électeurs va augmenter. On retrouve le suffrage censitaire dans la Constitution de 1791, dans la Constitution de l'an III (1795) qui débouche sur le Directoire, sous la Restauration (1814 à 1830), la monarchie de Juillet qui marque la fin du suffrage censitaire impose un cens pour être électeur et être éligible. Sous la Restauration, il faut être âgé de plus de 30 ans et payer plus de 300F de cens pour être électeur. On 94 500 électeurs à la fin du régime. Pour être éligible, il faut avoir plus de 40 ans et payer plus de 1000F de cens. Les deux autres types de suffrage sont le suffrage universel et le suffrage capacitaire, ce dernier utilisé par moments dans l'histoire du suffrage en démocratie : il repose sur des capacités, des diplômes ou des compétences scolaires validées par des tests. Ca a été le cas dans certains États du PAGE 5 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE sud des États-Unis jusque dans les années 1960, au mouvement des droits civils, où il fallait démontrer qu'on savait lire, écrire, qu'on connaissait les articles de la Constitution ... Ce système a été utilisé en France sous la monarchie de Juillet, parmi la bourgeoisie diplômée mais insuffisamment riche pour payer le cens par exemple. GAXIE s'appuie sur cette remise en cause de la vision idéale du citoyen, qui s'impose entre la fin du XVIIIe et le XIXe siècle, citoyen capable de se faire une opinion par lui-même, et d'exprimer cet opinion à travers son vote. Le citoyen est censé s'intéresser aux affaires publiques, et est censé y participer. De la même manière, il est censé être informé, lire la presse. Il est censé comprendre correctement les réalités politiques. Il est même capable d'en débattre avec d'autres citoyens. Tout cela selon le principe de l'intérêt général. Or, à partir des premières grandes enquêtes qui sont menées sur l'intérêt des individus sur la chose politique, on constate qu'il y a un écart entre cette conception idéale et une grande majorité d'individus, qui par leur position sociale sont en fait à l'écart des activités politiques, un peu comme dit Gaxie comme s'il y avait une forme moderne de cens. En fait, on constate que dans les élections, on a une forte proportion d'individus qui ne participent pas aux élections, et aussi une proportion importante de participants épisodiques. Finalement les individus n'établissent pas leurs choix électoraux sur des considérations idéologiques. Le choix électoral repose sur différents facteurs tels que l'âge, le sexe, le niveau d'instruction, le métier exercé etc ... On estime aussi que 90% des individus environ n'ont aucune activité politique spécifique en dehors des élections. Les travaux menés en France après la Seconde Guerre mondiale montrent que les individus parlent rarement de sujets politiques, et parlent souvent de sujets politiques au moment des élections. Pour Gaxie, la base de la réflexion est une cassure entre l'image idéalisée du citoyen et les premières enquêtes qui montrent qu'on n'a pas tant de citoyens éclairés qui s'intéressent à la chose politique. L'objet est de déconstruire cette idée, et voir les effets que ça a sur le plan social et politique. La principale idée de Gaxie est qu'on ne peut pas dire en démocratie que les électeurs ont effectué un choix, parce qu'en fait ils sont pour la grande majorité dépossédés des moyens de connaître et de maîtriser le champ politique. Gaxie considère qu'au lieu d'avoir un choix autonome, on a plutôt l'imposition d'une problématique politique. Ce sont les élites qui imposent une problématique politique, et qu'en face d'eux il y a des individus, des agents pour reprendre la terminologie bourdieusienne (plus une conception de passivité à l'égard des faits sociaux), qui sont inégalement préparés, formés, à répondre à cette problématique. Ceci produit de l'indifférence à l'égard de la chose politique, qui se double assez souvent d'un sentiment d'incompétence politique, et de l'inégalité. Les groupes socialement dominés qui sont dépourvus de capitaux s'auto-excluent du jeu politique, ou sont exclus de fait du jeu politique parce qu'ils n'ont pas la compréhension du langage politique et de ses règles. La non participation est une manifestation de cette dépossession. Les commentaires sur les élections présidentielles en France en 2002 ont stigmatisé les classes ouvrières. En approfondissant les résultats, on s'est rendus compte que le premier parti ouvrier français était l'abstention (sachant que le vote dépend aussi du type d'ouvrier). Contrairement à ce que l'on pensait, les individus ne votent pas en fonction de l'intérêt général. Les catégories "dépourvues de capital" (Gaxie) avaient tendance plus que d'autres à faire rentrer dans leur choix tout un tas d'autres éléments que la recherche du bien commun : l'image physique du candidat (facteur plus marqué que chez les couches supérieures où cette raison est également présente) ... Derrière la rupture avec une vision idéalisée du citoyen, on a beaucoup d'individus qui déclarent ne pas avoir d'opinion. Les électeurs qui se décident au dernier moment sont de plus en plus nombreux avec les ans. II. La sociologie électorale : courants et critiques On a cherché à mettre au point des modèles explicatifs du vote. PAGE 6 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE Le modèle de l'électeur captif L'individu est déterminé dans son vote par différents facteurs. À l'intérieur de ce groupe, on retrouve un premier courant dit d'études écologiques. C'est l'environnement social qui va expliquer le comportement des individus. Le pionnier de la sociologie écologique est André Siegfried, avec son ouvrage publié en 1913, Tableau politique de la France de l'Ouest sous la IIIe République. Travaillant à partir de cartes géographiques, son idée est de les superposer, selon les thèmes. Il va croiser ainsi les variables et voir quelles sont celles qui influent sur le vote. Il prend ainsi des cartes géologiques (sol granitique ou calcaire), des cartes de l'habitat (regroupé ou dispersé), des cartes de la propriété (petite propriété agricole ou de grande propriété agricole), régime de fermage ou fairevaloir direct, les cartes de résultats à l'élection. Ce qu'il va montrer est l'influence de l'organisation spatiale de la démographie et du mode de propriété de la terre sur l'organisation sociale. Il va travailler sur 15 départements situés à l'ouest de la France, et sur les 40 premières années de la IIIe République (1870-1910). Il va postuler qu'il existe une corrélation statistique entre les caractéristiques géographiques et les comportements électoraux, qui ont un lien avec le mode d'habitat, le mode de propriété, d'exploitation etc ... Il conclue que le calcaire induit plutôt un vote de gauche, vote républicain, et le granit un vote plutôt conservateur. Selon Siegfried, c'est le fait que le sol granitique va créer un relief accidenté qui va donc favoriser la dispersion de l'habitat (le bocage) ainsi que la grande propriété, et cet ensemble d'éléments va aussi favoriser le catholicisme (la pénétration de l'Église dans les zones granitiques et l'influence des curés). Ces zones sont refermées sur elles-mêmes et fortement hiérarchisées : le noble, les notables et le curé sont des personnalités influentes ... Ainsi, le nord de la Vendée va voter à droite par opposition au sud du département, situé sur les côtés atlantiques hors de la zone granitique, qui va voter à gauche. Ceci favorise un habitat plus regroupé. Les villages sont plus grands, deviennent des bourgs, avec des petites formes d'urbanité. On sait que ce sont dans les petites villes que se développent la petite bourgeoisie. Il y a moins d'inégalité entre les couches sociales, avec un peu plus d'égalité. On est moins soumis à la grande propriété, au curé car il y a plus de petits propriétaires. L'influence de l'Église est moins forte dans le sud vendéen. Ceci corrobore ce qu'il constate au niveau électoral : le sud vote plus républicain. L'idée va être reprise par d'autres chercheurs français qui vont reprendre les travaux de Siegfried dans les années 1950, cherchant à durcir le cadre d'analyse, sortant de cette obsession géologique que l'on observe chez Siegfried. C'est ce que tente de faire Paul Bois, historien qui travaille sur la sociologie électorale, en publiant Paysans de l'Ouest (1960). En se concentrant tout particulièrement sur la Sarthe, il va voir s'il n'y a pas des éléments dans l'histoire politique du département une explication plus convaincante que la nature du sol dans la détermination du vote. Il observe ainsi ce qu'a provoqué la Révolution française à l'échelle locale. Il va démontrer que dans la Sarthe, le phénomène de la vente des biens nationaux a provoqué les conflits importants dans le département, engendrant des révoltes notamment des paysans qui s'opposaient à cette vente, ce qui sera réprimé par l'envoi massif de soldats, ainsi que des prêtres réfractaires refusaient de prêter serment à la constitution civile du Clergé. Certains ont critiqué son modèle, mettant en avant le fait qu'il y a eu une homogénéisation progressive des comportements au niveau national, notamment avec le phénomène d'urbanisation, ce qui réduit les spécificités locales. Au-delà de cette évolution historique, on lui a reproché de travailler sur les invariants, ce qui ne bouge pas, et non sur les évolutions au cours de l'Histoire des comportements électoraux. François Gogel, en matière de dispersion de l'habitat, observe également les influences sur le vote, notamment en ce qui concerne la participation. Plus on est dans un habitat dispersé, et plus on a tendance à s'abstenir de voter. Les modèles psychosociaux L'idée est de mêler l'analyse par les milieux sociologiques d'appartenance et le comportement électoral. Là, on va beaucoup travailler dans ces études par la statistique et les mathématiques pour PAGE 7 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE calculer les probabilités de corrélation entre plusieurs variables. Le terme probabilité a ici une importance. Ce type de travaux cherche à comprendre en aval ce qui a influencé les individus. Les premiers travaux psycho-sociaux se développent dans les années 1940 aux États-Unis, et se diffusent à l'ensemble des démocraties qui ont les moyens de financer ce type d'études (particulièrement coûteuses). Elles vont s'intéresser à la socialisation des acteurs. On va travailler sur des individus, alors que Siegfried travaille sur des groupes, des échelles territoriales. La première école est celle de Paul Lazarsfeld, à l'université de Columbia aux États-Unis, The People's Choice (1944). Les choix des électeurs sont faits avant les campagnes électorales, avec des orientations politiques stables et conformes au milieu familial, social et culturel. Une des conclusions est que les campagnes électorales ont un rôle mineur dans le choix électoral. Les groupes sociaux ont tendance à se comporter de manière homogène, en ce qui concerne la politique. Par exemple, les 3/4 des électeurs du parti républicain correspondent au modèle du WASP (White Anglo Saxon Protestant). L'origine anglo-saxonne des citoyens américains va fortement déterminer un vote pour le parti républicain. Le parti démocrate s'est lui développé par des NWASP (Irlandais, immigrés de l'Amérique du Sud ...). La deuxième école est celle de l'université du Michigan, dont l'un des principaux représentants est Campbell (The American Voter en 1960). Cette école s'intéresse toujours aux facteurs sociaux, mais veulent introduire une variable psychologique, car ils posent l'hypothèse que le vote est déterminé par la charge affective, émotionnelle, que les électeurs portent à l'égard d'un des deux grands partis américains. Les électeurs sont finalement peu informés et peu intéressés par les questions politiques. Donc leur principal point de repère pour exprimer un jugement sur la politique va être des points de repère affectifs. Si on s'identifie à un parti politique, on va avoir du mal à s'en détacher, et cet attachement est héréditaire. Aujourd'hui toujours une proportion non négligeable d'individus votent d'un côté parce que leurs parents votaient de ce côté. Annick Percheron ou d'A. Muxel ont étudié la construction de l'identification politique chez les enfants au travers de la politisation de leurs parents et du milieu dans lequel ils grandissent. Outre les facteurs psychologiques tels que les développent l'École de Michigan, on trouve dans cet ensemble de travaux trois types de variables : - les variables socio-démographiques : aujourd'hui, on ne fait plus d'études électorales sans s'intéresser à l'âge, au sexe et lieu de résidence de l'électeur. - les variables socio-économiques : la CSP, le niveau de revenu, le patrimoine des individus, le secteur dans lequel ils travaillent ... - les variables socio-culturelles : niveau du diplôme, appartenance et pratique religieuse (le plus déterminant dans le vote avec l'appartenance socio-professionnelle) ... Rational Choice Deuxième grand paradigme qui parle d'électeur-stratège. Vladimen O. Key est le premier à travailler dans ce sens. Les premières études de rational choice datent des années 1960. Là, on critique cette idée d'électorat captif puisqu'on considère que les individus sont tout à fait capables de porter un jugement positif ou négatif sur les candidats. Ce premier travail va être repris par Nie, Verba et Petrocik dans The changing American voter. Eux , dans leurs études, voient qu'il y a de moins en moins d'individus qui s'identifient dans un parti, et donc du vote par identification partisane. Dans le même temps, on a une augmentation de la proportion d'électeurs mobiles (électeurs qui votent sur enjeux politiques et non sur identification partisane). L'électeur est moins prévisible qu'autrefois. Les électeurs se comportent en politique comme en économie : ils se comportent de manière rationnelle (diminuer les coûts et maximiser les avantages). C'est donc ce comportement rationnel qui va expliquer leur choix électoral. L'électeur est une forme d'homo economicus appliqué à l'économie. PAGE 8 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE Le premier à exploiter jusqu'au bout la logique microéconomique est Anthony Downs. Il étudie le marché électoral sur lequel s'échangent des biens (programmes politiques des candidats). Downs dit que l'électeur va chercher à maximiser les biens qu'il pourrait retirer en votant pour tel ou tel candidat. On présuppose aussi que l'électeur, comme le consommateur ou l'acteur économique, est en situation d'information parfaite. Il nous présente deux situations pour lesquelles il estime rationnel pour l'individu d'aller voter : - celle ou l'électeur a le sentiment que sa voix va être efficace, parce qu'il y a une probabilité forte pour que beaucoup de personnes s'abstiennent. Du coup, sa voix va augmenter en importance dans le résultat final. - quand les candidats sont très proches, la voix de l'électeur a une importance forte parce qu'elle va permettre de départager l'un et l'autre des candidats. Si la voix ne pèse pas grand chose dans le résultat final, il n'est pas rationnel d'aller voter. La première raison est qu'en s'informant, en confrontant son point de vue avec celui des autres individus, en lisant les programmes des candidats, l'électeur perd du temps. À un certain moment, l'utilité marginale de l'information supplémentaire est nulle ou quasi-nulle. Ca lui coûte donc plus que ce que ça lui rapporte. Deuxième point : Downs indique que pour être sûr que son candidat va gagner, on peut lui donner de l'argent. On risque de perdre de l'argent. Il va même jusqu'à dire qu'en se déplaçant au bureau de vote, l'électeur use la semelle de sa chaussure et intègre cette dépense dans les facteurs d'irrationalité de produire un vote. Ceci fait que pour Downs, hormis les deux situations ci-dessus, l'abstention est le comportement le plus rationnel que peut adopter un électeur. Le changement par rapport aux travaux précédents est qu'on considère que l'individu vote essentiellement sur enjeux. Ceci expliquerait l'augmentation de la volatilité électorale. Si on lit des articles où on parle d'électorat flottant ou d'électeur mobile, c'est la même chose. La volatilité électorale se décline de plusieurs manières : être volatile est s'abstenir par moments, voter pour un parti de gauche ou voter pour un parti de droite. Critiques Concernant les critiques à l'égard du choix rationnel, on note d'abord que l'individu n'est jamais ou très rarement en situation d'information parfaite / complète. Du coup, le calcul coût/avantage devient plus difficile à effectuer. Le concept de rationalité limitée prend en compte le fait que l'information n'est ni totale ni parfaite. Les économistes raisonnent à partir d'un présupposé théorique qui est que les individus sont réellement rationnels. En tant que politiste, c'est quelque chose qu'on questionne dans les études de sciences politiques. La rationalité consiste-t-elle seulement à cumuler les avantages et réduire les coûts ? Les théories du choix rationnel minimisent par exemple tout ce qui s'apparente à la conformité au code moral : on vote parce que c'est bien de voter. Les élections sont aussi un moment collectif qui ne relèvent pas de la rationalité économique : surtout en milieu rural, elles sont l'occasion de fêtes (c.f. Bourdieu), ce qui motive aussi à aller voter. Parfois, on observe aussi que les individus émettent des votes protestataires : à travers le vote pour tel parti, il proteste à l'égard des autres candidats (cas du vote F.N.). La sociologie a ce rôle de déconstruction de mythes. La sociologie électorale a aussi permis de mieux comprendre le phénomène de l'abstention. On observe que le vote est inégalement distribué dans la population. Une traduction de cette inégale distribution est qu'à chaque élection, on observe qu'il y a une proportion non négligeable de personnes qui s'abstiennent de voter. III. La sociologie de l'abstention PAGE 9 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE L'image sociale de l'abstention en démocratie On constate deux phénomènes liés à l'abstention : une augmentation tendancielle et une stigmatisation. La plupart des études datent des années 1980-1990, car c'est la période où ce phénomène prend de l'ampleur. C'est une distance croissante qui se forme entre les partis et les électeurs. On est passés de quelques % d'individus à plusieurs dizaines de %, à tel point qu'aux élections présidentielles de 2002 le premier parti ouvrier français est l'abstention, et non plus le parti communiste. On a vu de plus en plus d'associations, de groupes d'intérêt, d'hommes politiques insister sur le devoir civique. Ce discours a été fortement relayé par les journalistes politiques. C'est un phénomène structurel et conjoncturel. On va voir se développer des discours accusateurs à l'égard des abstentionnistes, quant aux résultats des élections (cas des présidentielles de 2002). C'est un mythe récurrent de la sociologie de sens commun en France, qui veut que les gens de gauche ont moins de sens civique que les gens de droite, et qu'il faut par conséquent les inciter à aller voter. Les individus qui participent à chaque élection ne constituent que 50% du corps électoral en France. Si on s'intéresse à d'autres pays comme la Grande-Bretagne par exemple, ce corps électoral est encore moins important. Il y a un accroissement non négligeable des bulletins blancs et nuls dans les années 1980-1990. Si on prend les chiffres des élections présidentielles en France : • 1965 : 15,2% d'abstention, et 0,9% de bulletins blancs et nuls • 1969 : 22,4% d'abstention, et 1% de bulletins blancs et nuls • 1974 : 15,8% d'abstention, et 0,8% de bulletins blancs et nuls (car contexte politique favorable à la participation) • 1981 : 18,9% d'abstention, et 1,3% de bulletins blancs et nuls • 1988 : 18,6% d'abstention, et 1,6% de bulletins blancs et nuls • 1995 : 21,6% d'abstention, et 2,2% de bulletins blancs et nuls • 2002 : 28,4% d'abstention, et 2,4% de bulletins blancs et nuls • 2007 : 16,2% d'abstention, et 1% de bulletins blancs et nuls Pour ne rester qu'en Europe, la Belgique ou la Grèce par exemple obligent à voter. Partout où il n'y a pas d'obligation de voter, il y a une augmentation de l'abstention, y compris au Luxembourg. Les facteurs explicatifs de l'abstention On distingue trois grands facteurs : • l'intégration politique "insuffisante" : le faible intérêt pour la politique fait que les individus se sentent peu mobilisés. Les populations les plus défavorisées s'abstiennent le plus régulièrement de voter. Les personnes les plus âgées et les jeunes ont aussi une forte tendance à s'abstenir, du fait de leur intégration générationnelle à la société moindre. Ce phénomène est lié dans les régimes démocratiques à une moindre emprise des institutions sur les individus : les familles, les Églises, les syndicats ... n'exercent plus comme ils l'exerçaient dans les années 1950 le contrôle social qui était le leur. Le phénomène de ghettoïsation urbain, liée au développement de perte de niveau de vie, de ségrégation sociale et spatiale, engendre un faible engagement politique. • L'abstention protestataire serait le produit d'une stratégie de manifestation d'une désapprobation. En essayant de mesurer la proportion d'individus qui se disent abstentionnistes à telle élection et pour des motifs de protestation, on constate qu'aux présidentielles de 2002 par exemple, 2/3 des non-votants ont montré une compétence en matière politique, un intérêt et une motivation pour PAGE 10 SUR 11 ANALYSE POLITIQUE APPLIQUEE la chose politique. Leur abstentionnisme n'est pas permanent mais intermittent. Là aussi leur sélection leur tri se fait selon un choix, selon une stratégie. • Les votes sans enjeux. Ils provoqueraient de l'abstention par l'absence d'importance accordée à l'élection. Ce n'est pas parce qu'on ne se retrouve pas dans l'offre partisane, mais parce que l'enjeu et les conséquences sont jugés faibles, et par conséquent on décide de ne pas voter. C'est le cas du brouillage du clivage entre gauche et droite, notamment à partir des années 1990. En effet, les programmes tels que rédigés avaient tendance à converger sur un certain nombre de points, ceci en concomitance avec la construction de l'Union européenne. Ce fait a réduit l'enjeu de nombreuses élections. On a constaté également qu'avec la modification du calendrier des élections en France depuis le début des années 2000 a eu un impact sur les élections législatives, considérées comme une ratification du vote des présidentielles. Lorsque plusieurs élections se suivent de manière rapprochées, cela fait perdre de vue les enjeux propres à chaque élection. Les élections intermédiaires ont tendance à mobiliser faiblement. Si le référendum sur le traité de Maastricht connaît 30% d'abstention, celui sur la Nouvelle-Calédonie en connaît 68%. Aux présidentielles de 1969, le P.C.F. avait appelé à boycotter l'élection. IV. La sociologie de la participation politique Les facteurs qui favorisent le vote, tels que le niveau de diplôme, l'appartenance à certaines catégories sociales ... vont entraîner une participation plus importante. Ce sont les mêmes variables qui jouent sur l'abstention. Il y a un effet de cens, constatant qu'une proportion non négligeable d'individus sont écartés des activités politiques routinières. On constate en France par exemple qu'il y a moins de 5% des individus qui ont le droit de vote sont inscrits dans un parti politique. À l'inverse, on estime que 90% des individus n'ont aucune activité spécifiquement politique. Ceux qui sont inscrits dans un parti politique cumulent les ressources sociales, professionnelles, culturelles etc ... Parce qu'elles produisent un sentiment de compétence politique. On entend par compétence politique l'aptitude des individus à reconnaître les différences entre les prises de position des hommes politiques. On entend aussi l'aptitude à situer ses préférences par rapport à leurs prises de position. Enfin, la croyance en l'importance de ces débats politiques est considéré comme une compétence, car, le cas échéant, on ne s'intéressera pas aux sujets traités, et donc manquer des clefs de compréhension. Dans les groupes dotés de faibles ressources, les jugements à l'égard des activités politiques se feront sur l'affectif. On a constaté en ce qui concerne la participation politique des femmes qu'il y avait des phénomènes de suivisme à l'égard des maris et des enfants, notamment pour celles qui manquent de capitaux culturels. Ceci ne veut pas dire que les individus des groupes défavorisés n'ont pas les moyens d'exprimer leurs opinions, mais ces dernières relèvent souvent plus du groupe dominant, parce qu'il y a production d'un sentiment d'incompétence produit et entretenu par les groupes dominants, notamment des professionnels du politique (communiquants, journalistes ...). Qu'est-ce qu'on va qualifier de politique ? S'arrête-t-elle au militantisme dans un parti politique ? Est-ce que l'engagement dans telle ou telle association n'est pas une forme de participation politique ? La multiplication des types d'activités, étiquetés non pas comme politiques mais comprenant des critiques de nature politique, peut inciter à mener des études dans ce sens. PAGE 11 SUR 11