une fréquentation suffisante aux établissements de soins qui ont donc intérêt à investir.
Ces derniers, plus modernes et mieux équipés, sont donc plus efficaces.
À partir de 1958, cette logique va encore s’accroître. Les changements de
majorité au sein du pouvoir vont accélérer l’émergence d’une réflexion sur le système
de santé publique et conduire les pouvoirs publics à élaborer une réforme profonde.
Après deux ans de débats au sein des milieux médicaux, le gouvernement entérine, par
une ordonnance du 30 décembre 1958, une réforme chère à Robert Debré
. Celle-ci
institue les Centres hospitaliers et universitaires (CHU) et leur confère une triple
mission de soins, d’enseignement et de recherche. Elle organise le plein temps
hospitalier afin de recentrer l’activité des praticiens autour des établissements et modifie
les procédures de recrutements en mettant en place un concours
.
Cette réforme a considérablement accéléré l’apparition de l’hospitalo-centrisme.
Celui-ci peut se définir comme étant le « trait fondamental d’un système qui soumet au
principe et à la loi de l’autorité médicale hospitalo-universitaire l’ensemble du champ
de la production médicale »
. Le CHU matérialise, aujourd’hui, la conception
scientifique de la médecine à partir de laquelle l’ensemble du système de soins
s’articule. Il constitue l’un des fondements du savoir médical, le « modèle organo-
techniciste »
comme le constate Patrice Muller et trouve dans les malades un support
intéressant pour les analyses thérapeutiques.
Dans les faits, la prise en compte de la santé dans la logique économique se
caractérise par une densification des soins dans le monde hospitalier. En l’espace de
quelques années, l’activité des établissements de soins s’est considérablement élargie.
L’analyse de la production hospitalière sur une longue période laisse apparaître une
forte progression du volume d’activité des hôpitaux. En 1946, 1 555 000 personnes
étaient soignées dans les établissements. En 1993, il dépassent sept millions. Le nombre
d’admissions a été multiplié par 5. En revanche le nombre de journées de présence a
très peu augmenté. Cette évolution résulte de la diminution de la durée
d’hospitalisation. En 1946, celle-ci dépasse 26 jours (service de médecine et de
chirurgie) alors qu’en 1993 elle n’est plus que de onze jours (dans les services de court
séjour). On assiste à un phénomène de densification des soins qui se manifeste par une
À la fin des années 1950, les milieux médicaux sont conscients de la nécessité d’une réforme de la
médecine autour de quelques grands principes tels que la refonte des études médicales et le plein temps
hospitalier. Les réformateurs sont de “jeunes turcs”, militants de la SFIO ou partisans de Pierre Mendès
France. Après la victoire du Front Républicain aux élections du 2 janvier 1956 et la formation du
gouvernement de Guy Mollet, des médecins radicaux sont nommés dans les cabinets des ministres de la
Santé publique et de l’Éducation nationale. Le 18 septembre 1956 un comité interministériel, dirigé par
Robert Debré, est créé afin de réfléchir aux conditions de la réforme. Dès 1957 un avant-projet est soumis
aux ministres concernés. Mais il faudra attendre les changements de 1958 pour que Robert Debré, avec
l’aide de son fils Premier ministre, puisse faire entériner sa réforme. Sur cette question, on pourra lire
Dausset P., « Pierre Mendès France, initiateur de la grande réforme 1945-1958 », in Bedarida F., Rioux
J.-P. (dir), Pierre Mendès France et le mendésisme, Fayard, Paris, 1985 et Debré R., L’honneur de vivre,
Stock, Paris, 1974.
Jamous H., Sociologie de la décision, la réforme des structures hospitalières, Éditions du CNRS,
Paris, 1969.
Arliaud M., Les médecins, Éditions de la Découverte, Paris, 1987.
Muller P., « La profession médicale au tournant », Esprit, n° 229, février 1997, p. 34-42.