Joël Bernat (extrait)

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Joël Bernat (extrait)
Semmering, été 1925 : profitant de ses vacances, Freud écrivit quelques "petits articles" pour
lesquels, ainsi qu'il en informe Karl Abraham, il lui faudra "le temps de s'y reconnaître"1. Il lui en
communique les titres : "La négation", "Inhibition, symptôme" et "Quelques conséquences psychiques
de la différence anatomique des sexes" …
Au-delà du simple constat d'un "moment fécond" et en regardant de plus près cette trilogie, il
apparaît qu'elle correspond à une nouvelle mise en forme d'acquis récents. On peut y suivre le fil
conducteur que le texte sur "La négation" met au jour : le trajet psychique de la perception à la
conscience. Perception, par les sens, de l'extériorité du monde réel, de l'altérité, dont on connaît le
paradigme freudien dûment répété : la perception de la différence anatomique des sexes, altérité
sexuelle d'une extériorité radicale. Perception à l'origine de la problématique de la castration, mais
aussi d'inhibitions, de symptômes et d'angoisses - conséquences psychiques (majeures) de cette
perception – en rapport avec ces événements ou actes psychiques que constituent la négation et la
réfutation de la perception. Ces événements psychiques2, définis en 1911, ont pour visée de réduire les
excitations issues de la perception de la réalité, et traitent de la même façon les excitations internes –
motions pulsionnelles – déplaisantes comme si elles étaient externes.
Le texte sur "La négation" est un jalon important des travaux menés par Freud sur cette
question du trajet perception-conscience ; depuis l'enseignement de Franz Brentano, son professeur de
philosophie à l'Université, en passant par l'Esquisse, le schéma du chapitre VII de l'Interprétation des
rêves, L'Inquiétante étrangeté, Note sur le bloc-magique, Un souvenir sur l’Acropole, pour n'en citer
que quelques-uns. Freud s'intéresse à l'élaboration de la perception en représentation tout autant qu'aux
réfutations qu'elle subit.
Freud dégage peu à peu trois mécanismes principaux de négation de la perception ou de la
représentation : refoulement, déni, rejet (les trois Ver- : Verdrängung (refoulement), Verleugnung
(déni), Verwerfung (rejet), ayant chacun des effets cliniques différents : névrose, perversion et
psychose. On peut repérer les différents temps dans le texte freudien :
- le rejet apparaît dès 1894 dans Les psychonévroses de défense.
- le déni est présent dès les Études sur l'hystérie de 1895.
- en 1905, refoulement et rejet sont identiques, différenciés par une seule question d’intensité
(le rejet est un "refoulement réussi" puisqu'il concerne et la perception ou la représentation, et l'affect).
- en 1917, le refoulement est différencié du déni et du rejet, ces derniers étant équivalents
jusque en 1924.
- en 1925, Freud définit une quatrième Ver-, Verneinung, la dénégation ou négation, en même
temps qu'apparaît le terme de Bejahung, affirmation.
- enfin, c'est en 1927, qu'il isole le déni comme spécifique de la perversion, le rejet étant, lui,
réservé à la psychose.
Ce repérage3 doit être tempéré pour ne pas être pris dans une illusion structuraliste, puisqu'il
existe, par exemple, des dénis ou des rejets dans la névrose (bouffées délirantes, épisodes
hallucinatoires, etc.)4.
1 Correspondance Freud-Abraham, lettre du 27 juillet 1925, Gallimard 1969.
2 Freud S., (1911) "Principes du cours des événements psychiques", in Résultats, Idées, Problèmes, tome I, P.U.F 1984, p.
136, n. 2. Notons que le comme si est l'indicateur de cette opération. L'on peut tout aussi bien se référer au texte de 1915,
"Pulsions et destins des pulsions", où Freud pose que la perception d'une motion pulsionnelle repose sur le même
principe, sur la même extériorité, l'inconscient étant situé entre le monde externe ou le pulsionnel, et la conscience.
3 Notons que Freud emploie aussi le terme de Negation qui spécifie, non pas un processus, mais un résultat : le moi a posé
une négation sur un contenu déjà refoulé, mais il n'y a pas de négation possible, dans l'inconscient, de la perception
sensorielle, toujours inconsciente.
4 Voir "Constructions en analyse" (1937), in Résultats, Idées, Problèmes, tome II, P.U.F 1985. C'est le cas avec l'Homme aux
Loups et l'hallucination du doigt coupé.
Admission de la Bejahung en psychanalyse
Le point remarquable du texte n'est pas l’élément clinique : celui de la dénégation du patient
en séance. Deux nouveaux termes font leur apparition : Verneinung, et Bejahung, ce dernier venant
remplacer celui que Freud utilisait jusqu’alors, Behauptung. L'un et l'autre sont rendus
indifféremment, dans les traductions françaises, par affirmation, atténuant l'apport de ce texte qui tient
précisément à l'introduction du mot Bejahung. Une des raisons de l'effacement qu'opère la traduction
française par "affirmation" procède de ce que Freud théorise avec des concepts philosophiques, dont la
particularité est d'être issus de la langue ordinaire, à l'inverse du français, dont le vocabulaire
philosophique est plus souvent tiré de la langue "savante".
La Bejahung est, à l'origine, une notion philosophique spécifique aux anti-métaphysiciens, et
donc un des axes essentiels de l’enseignement de Brentano, le maître es philosophie de Freud. Franz
Brentano, "personnalité géniale", "homme diablement intelligent"5, enseigna jusqu'en 1895 à Vienne,
et fut une source très influente pour la philosophie du XXe siècle et la psychologie moderne. A titre
d'exemple, parmi d'autres, Husserl, le fondateur de la Phénoménologie, reconnaît lui devoir son choix
de la philosophie. Freud fréquente le séminaire de Brentano, trois fois par semaine, de 1874 à 1876, et
lui rend quelques visites à son domicile. Ainsi a-t-il suivit les séminaires sur "La philosophie
d’Aristote"6 qui sera très présente dans Les études sur l’aphasie, tout comme celui de "Lectures
d’écrits philosophiques" et les Cours de logique et de métaphysique.
Brentano passe pour le fondateur de la psychologie moderne comme science destinée à servir
de base à toute discipline et à résoudre les problèmes philosophiques. Pour ce faire, cette psychologie
se devait d'être, non plus "génétique" mais "descriptive". Il en pose les fondements en 1874 avec sa
Psychologie du point de vue empirique dont la thèse centrale est que le phénomène psychique est une
représentation construite à partir d'actes psychiques plus complexes, tels que les jugements, les désirs
et les affects. L’acte psychique porte en lui-même l’intention vers l’objet auquel il se réfère. Parcourir
les écrits de Brentano, permet de repérer sur quoi Freud appuie sa théorisation, notamment pour ce qui
concerne le passage du trajet de la perception à la conscience. Par exemple :
- L’affirmation de Brentano selon laquelle rien ne peut être jugé qui ne soit au préalable
représenté dans l’esprit ; ainsi, toute perception interne résulte d'un jugement, et tout jugement
est soit affirmation, soit déni.
- Le rapport de la perception et de la représentation à partir des jugements d’attribution et
d’existence, avec pour centre la distinction perception interne / perception externe.
- Il en résulte que toute réalité n’est qu’individuelle (soit la réalité psychique de Freud).
- Enfin, amour et haine constituent la base de ces jugements mentaux, selon le principe d’une
“ force originelle ” plaisir / déplaisir (l’on retrouve, sur ce point, le moi-plaisir et Empédocle
d’Agrigente).
Freud rejoint, à propos de la Bejahung, un élément clef présent également chez Nietzsche,
l'affirmation de la vie, LebensBejahung, et place celle-ci du côté d'Éros et de sa tendance à
l'unification, en opposition à Thanatos dont dépendent les formules de réfutation et de négation, c'està-dire l'expulsion et la destruction7.
En 1925, cette notion, jusqu'ici réservée à la philosophie ou à la psychologie, est admise dans
le vocabulaire technique et théorique de la psychanalyse, et vient préciser le terme précédemment
employé de Behauptung. Ce terme signifie également affirmation, mais avec une nuance de contrainte
exercée sur l'autre, celle de "prendre le pas sur l'autre". En complétant ainsi son vocabulaire, Freud
clarifie sa position et se dégage aussi bien de la Behauptungstrieb d'Adler, pulsion d'affirmation de
l'individu subordonnant le comportement sexuel aux motifs égoïstes, l'emblématique "volonté de
puissance", que de la Selbstbehauptung, l'affirmation de soi de Trotter. Le processus de la Bejahung
5 Voir la lettre de Freud à Eduard Silberstein, du 05. III. 1875, in Lettres de jeunesse, Gallimard 1990.
6 Par exemple, Brentano Franz, De la diversité de l’être d’après Aristote, Vrin 1992.
7 Voir "La négation" in Résultats, Idées, Problèmes, tome II, op. cit., p. 170.
est celui du trajet complet qui va de la perception par les sens vers la conscience et le jugement de
réalité, et la Behauptung devient une dénégation de la réalité, au service de Thanatos.
Freud reprend les deux temps successifs composant le processus global de la Bejahung8 : les
jugements d'attribution et d'existence. C'est l'ensemble de cette opération que Freud situe du côté
d'Éros en opposition à la dénégation qui, elle, est du côté de Thanatos.
Le système perception-conscience (Pc-Cs)
C'est ainsi que Freud rebaptise, dans ses textes de métapsychologie de 1915, l'ancien système
 de l'Esquisse. Résumons les acquis de Freud :
- l'accès à la conscience est avant tout lié aux perceptions que nos organes sensoriels reçoivent
du monde extérieur, et il n'y a de représentation possible que de ce qui fut perception.
- le moi-plaisir/déplaisir traite cette perception, se l'approprie ou l'expulse par les processus
primaires. Ce temps est celui du jugement d'attribution. La perception n'a à cet instant aucune qualité
de conscience. L'activité psychique se retire de ce qui suscite le déplaisir. Le refusé produit un reliquat
inconscient, tel un reste diurne, susceptibles de retours dans le rêve ou l'hallucination...
Selon les différentes étapes de ce trajet de la perception vers la conscience, l'expulsion peut
être produite selon différentes modalités :
- Le rejet, Verwerfung, que Freud connaît depuis les séminaires de philosophie de Brentano.
C'est le rejet d'emblée de la perception à "l'extérieur" (dans une extériorité psychique), qui fait retour
dans l'hallucination par exemple, ou dans la construction délirante. Pour Freud, ce rejet n'est pas une
forclusion (au sens lacanien du terme), parce que il reste lié à une acceptation du perçu, donc installé
dans la psyché (le rejet est une opération mentale), produisant un clivage9 entre le rejeté et sa trace, qui
coexistent sous forme de deux courants, en deux lieux différents10.
- Le déni, Verleugnung, qui reçoit sa définition terminale en 1927 dans l'étude conclusive sur
le fétichisme. Il porte sur la négation après-coup de la réalité de la perception, comme si elle n'avait
jamais existé : c'est une annulation rétroactive, et comme telle, elle vient aussi nier l'affect suscité par
la perception (Freud l'illustre avec l'histoire du roi Boabdil11). Avant 1924, ce processus était tenu
pour responsable de la psychose12. Un des modes de retour du dénié est celui du fétiche, comme
témoin et reliquat. Mais à côté de ce qui est dénié, existe aussi une forme d'attribution – ne peut être
dénié que ce qui fut perçu - avec pour conséquence, un clivage dans le moi.
Lorsque l'attribution a lieu, elle met en contact la perception avec le système des traces
mnésiques, produisant une représentation par liaison avec les restes verbaux13 inscrits, eux, dans le
système préconscient. Cette liaison, et elle seule, donne la qualité de conscience. Pour l'instant, cette
représentation n'est que préconsciente (le préconscient appartient au conscient14), mais a la capacité de
devenir consciente, et de s'inscrire en un autre lieu.
A ce moment du trajet de l'admission, peuvent intervenir d'autres modes d'exclusion qui vont
opérer sur la représentation de la perception.
8 Reprenant précisément des énoncés de "Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques", op. cit.,
pp. 135 à 137.
9 Voir L'Abrégé de psychanalyse, P.U.F, p. 82.
10 Voir "L'inconscient" in OCF-P XIII, P.U.F 1988, pp. 212 sq.
11 "Lettre à Romain Rolland. Un trouble du souvenir sur l'Acropole", in OCF-P. XIX, P.U.F 1995, p. 336 sq. Boabdil fit
couper la tête du messager lui portant la mauvaise nouvelle de la chute de Grenade.
12 Voir "La perte de la réalité dans la névrose et la psychose" in Névrose, psychose et perversion, P.U.F 1973.
13 "Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques", op. cit., p. 38.
14 "L'inconscient", op. cit.
- le refoulement, Verdrängung, produit un jugement de condamnation, Urteilverwerfung15,
qui interdit le devenir conscient et porte sur la représentation. Une représentation supplante l'autre
mais pourra faire retour sur les modes que nous connaissons :, les formations de l'inconscient, mais
aussi dans le déjà-vu ou déjà-raconté, la fausse reconnaissance16, l'Inquiétante étrangeté17.
- la dénégation, Verneinung, qui admet la représentation dans la conscience, mais sans
l'affect, afin d'affaiblir la représentation, ne produisant qu'une reconnaissance intellectuelle.
Lorsque ces négations sont levées ou n'interviennent pas, se produit un jugement d'existence :
la représentation reproduisant la perception, est retrouvée, soit dans la réalité extérieure et la chose
représentée existe donc réellement (ce que Freud illustre avec Un souvenir sur l'Acropole), soit dans
l'inconscient s'il s'agissait de la perception d'une motion pulsionnelle : elle devient alors "juste au sens
de l'inconscient" et "je peux m'y reconnaître". Si ce n'est pas le cas, intervient le renoncement : la
représentation est abandonnée, infirmée par l'expérience. Ceci relève du principe de réalité et
contribue à une représentation réelle du monde, agréable ou non.
Soulignons deux points : toute forme de négation remplace une perception par une autre, ou
une représentation par une autre. Ces opérations de négation sont des actes psychiques. Qui plus est,
ces événements produisent chaque fois un clivage. Ainsi trouvons-nous toujours deux courants de
pensée en deux lieux différents dans la psyché ; par exemple, la coexistence de l'attribution et de sa
réfutation, ou encore la coexistence du moi-plaisir et celui du moi-réalité relevant du jugement
d'existence selon l'épreuve de la réalité18. Mais il y a, de toutes façons, clivage du moi selon l'étude
que Freud ébauche en 1938 : si une réfutation est maintenue, elle coexiste toujours, dans la psyché,
avec son attribution, en un autre lieu. L'interprétation doit tenir compte de cette double inscription et
viser les deux lieux. Dans le cas d'Andréa, ma construction associait :
- la conscience de la voix, et son extériorité
- l'inconscience du souvenir de l'origine de cette voix, et son intériorité ;
double inscription dont doit tenir compte l'interprétation, ainsi que Freud l'indique pour l'interprétation
du symptôme ou celle du fantasme hystérique (dans sa dimension et masculine, et féminine).
Conséquences quant à la cure
Elles peuvent être envisagées selon chacun des protagonistes. Du côté du patient, à l'Einfall,
l'idée incidente illustrée par la vignette clinique du texte de Freud, la dénégation oppose un refus du
jugement d'existence. L’intervention de l’analyste propose un jugement d'existence soumis à l'épreuve
de réalité par le patient conduisant à la reconnaissance ou au renoncement.
Il ne s'agit pas, face à "ma mère, ce n'est pas elle", de dénoncer la dénégation comme
résistance du patient. Celle-ci indique, pour Freud, le surgissement d'une représentation inconsciente.
La formulation négative est le moyen d'accès à la motion inconsciente. Mais son admission dans la
réalité (jugement d'existence) est niée par (et pour) la seule reconnaissance intellectuelle. L'admission
de la représentation sans l'affect, ainsi maintenu refoulé, réduit l'effet de la représentation consciente.
Si l'analyste devine et communique cette représentation inconsciente au patient, cela ne
change rien, voire, contraint le patient à répéter la récusation19. Qui plus est, ajoute Freud, le patient
dispose alors de deux représentations différentes en deux lieux différents, répétant et renforçant le
clivage et l'écart entre l'avoir-vécu et l'avoir-entendu. L'analyste n'a produit que du savoir sur
l'inconscient et son interprétation n'est pas entrée en contact avec les traces mnésiques du patient.
15 Voir "Le trouble psychogène de la vision", texte de 1910, in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 169.
16 Voir l'article du même nom in La technique psychanalytique, P.U.F 1972.
17 Freud S., L'inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard 1985, p. 217.
18 "Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques", op. cit., pp. 138-9.
19 "L'inconscient", op. cit., pp 212 sq. Un autre illustration est extraite de la cure de l'Homme aux Loups et développée dans
"De la fausse reconnaissance (déjà raconté) dans le traitement psychanalytique" (1913) in La technique psychanalytique,
P.U.F 1953.
L'interprétation de l'analyste, si elle tient compte de ces deux lieux, suscite ce jugement
d'existence ou l'opère en lieu et place du patient afin que se lève le refoulement de l'affect, qui peut
advenir à la conscience. Dans la dénégation du patient, existe un noyau de vérité : une perception doit
être ramenée à l'existence, à "exister au sens de l'inconscient"20 selon l'expression de Freud. "Je
n'avais jamais pensé à cela !" dit le patient, à quoi l'analyste pourrait répondre : "Vous avez touché
juste l'inconscient"21. Mais pour avoir quelques chances d'aboutir, l'interprétation doit d'être aussi tenir
compte du fait que la dénégation est la répétition d'un refoulement ancien. Il ne suffit pas de forcer
l'existence de la représentation par un "si, c'est votre mère", il faut encore y inclure l'acte psychique du
refoulement lié à une nécessité de l'histoire du sujet.
Pour l'analyste, une autre conséquence concerne l'écoute. Celle-ci est également affaire de
perception, et s'inscrit tout autant dans le système Perception-Conscience. L'année précédant le texte
sur "La négation", Freud livrait une métaphore de l'écoute avec la "Note sur le bloc-magique" : à
l'instar du dormeur se défaisant de toutes ses prothèses, l'analyste doit renoncer aussi à la plupart de
ses acquisitions psychiques22, c'est-à-dire se défaire autant que possible des restes verbaux du système
Préconscient - Inconscient. On ne dort pas si l'on est excité, on ne perçoit pas non plus parole et pensée
de l'autre. L'attention liée, par exemple, à un souci clinique ou thérapeutique, ou encore une prise de
notes, va à l'encontre de l'impression des sens. L'attente passive23 et l'écoute flottante tendent à rétablir
la plus grande disponibilité du système Pc-Cs. L'admission de la perception sensorielle, toujours
inconsciente, n'est possible que si le système n'est pas (pré)occupé : "perception et mémoire s'excluent
mutuellement"24. Ce serait une des facettes les plus intimes de la règle d'abstinence. Ainsi pour
l'analyste, pas de notes en séance, mais se fier à sa mémoire inconsciente : "l'ics de l'analyste doit se
comporter à l'égard de l'ics émergeant du malade comme le récepteur téléphonique à l'égard du volet
d'appel."25
Dans le cas où une attribution admet une perception en l'analyste, le percept est traité d'abord
comme étant propre à l'analyste, éveillant ou résonnant avec les élaborations et représentations de
celui-ci. Il lui faut opérer un jugement d'existence pour repérer l'extériorité de cette perception, sa
qualité de transfert. Seul, percevoir son altérité permet de l'insérer dans l'histoire et la problématique
du patient.
Dans le cas contraire, l'analyste se trouve aux prises avec des effets de retour tels que
l'Inquiétante étrangeté ou encore l'explication télépathique, ses fantasmes ou théories sexuelles, son
idéologie. Il y aura alors collusion des scènes psychiques du patient et de l'analyste. Les contenus de
ses propres couches mnésiques viennent remplacer l'élément méconnu : "cette perception est
transférée". Il y aura alors collusion des scènes psychiques du patient et de l'analyste. Il est ainsi
amené à dénier en convoquant un savoir intellectuel, théorique ou clinique, plaqué sur la
représentation évoquée (il exerce une Behauptung et son effet de contrainte). Ce qui maintient refoulé
l'affect : c'est, à notre sens, le risque d'un abord purement technicien de la dénégation..
Cette opposition entre Bejahung et Behauptung se retrouve également à propos de la
construction de l'analyste26 : Freud a différencié l'interprétation comme portant sur un élément isolé et
de son contenu de représentation, de la construction, toujours temporaire et auxiliaire, visant à susciter
un nouveau matériel, et à lever une réfutation. Il s'agit bien de forcer à l'existence quelque chose
d'attribué mais à la condition que la construction ne soit pas une spéculation remplaçant ce qui est
omis, et ne vienne pas répéter le principe même de la récusation : une représentation pour une autre.
20 Voir, par exemple, "Le moi et le Ça", OCF-P XVI, P.U.F 1991.
21 "Constructions dans l'analyse" (1937), Résultats, Idées, Problèmes II, op. cit., p. 275 sq.
22 "Complément métapsychologique à la théorie du rêve", in Métapsychologie, Gallimard 1968, pp. 125-6.
23 "Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques", op. cit., pp. 135 à 137.
24 "Note sur le "Bloc magique"", (1924), OCF-P XVII, P.U.F 1992.
25 "Conseils aux médecins sur le traitement psychanalytique" (1912), in La technique psychanalytique", op. cit., p. 66.
26 "Constructions dans l'analyse" (1937), op. cit., p. 273.
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