Profession de foi chrétienne et société post-moderne
Par Matthias SCHARER
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L’apport critique de la profession de foi chrétienne à l’orientation donnée par les
hommes à leur vie dans des sociétés pluralistes
La question qui détermine l’orientation de cet article est la suivante : est-ce qu’un
christianisme militant qui renforce l’identité chrétienne est compatible avec un christianisme
critique qui met l’idéologie moderne en question ?
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C’est une question à laquelle on ne peut
répondre simplement par oui ou par non. Il faut bien plutôt examiner de plus près le
caractère spécifique de la profession de foi chrétienne et soumettre à la réflexion l’image
qu’elle communique d’elle-même pour arriver à définir des critères concernant la
compatibilité ou l’incompatibilité d’un christianisme militant avec un christianisme critique. De
plus, ces critères sont en relation étroite avec le contexte actuel dans lequel se situent le
christianisme et l’Église, le contexte d’une société moderne tardive du savoir et de
l’information au cœur de l’Europe. Ce n’est que dans ce contexte que peut se définir le défi
spécifique auquel est confronté le « savoir » que les chrétiennes et les chrétiens déduisent
de leur foi, c’est-à-dire ce qu’ils professent et ce qu’ils peuvent communiquer de leur savoir
et de leur profession de foi dans une société pluraliste face aux idéologies modernes.
Décider comme Dieu
Pour saisir la signification théologique et existentielle de la question du caractère et de la
communicabilité de la profession de foi chrétienne dans le contexte des idéologies modernes
et de leur actualité brûlante, il faut d’abord jeter un coup d’œil sur le champ d’investigation
que constitue l’orientation que les hommes donnent à leur vie, un champ qui revêt dans les
sociétés moderne tardives une importance toute particulière. En effet, plus les sociétés font
l’objet d’une large différenciation, plus les détentrices et détenteurs de rôles spécifiques, dont
l’attribution dans les sociétés traditionnelles était relativement stable, perdent l’assurance de
jouer toujours le même rôle et se retrouvent au quotidien dans des rôles extrêmement variés
et en mutation rapide qu’il faut assumer, plus le besoin d’orientation prend de l’importance.
La variété des décisions qui doivent être prises chaque jour et qui parfois sont d’une portée
telle que, dans les civilisations traditionnelles, on laissait à Dieu, aux dieux ou au destin le
soin de les prendre, dépasse bon nombre d’êtres humains. Que l’on pense simplement à des
domaines comme la prolongation de la vie, la création d’une nouvelle vie etc. : ce sont des
questions qui poussent l’homme à « être comme Dieu » et à prendre les décisions à sa
place.
À la question de savoir comment les hommes doivent orienter leur vie, comment ils doivent
prendre leurs décisions et vers quoi ils peuvent se tourner dans les situations douloureuses
ou heureuses de la vie sinon vers eux-mêmes –, de plus en plus d’hommes ne trouvent
plus de réponse évidente. Il s’agit d’une perte d’orientation qui se situe non seulement au
plan intellectuel, mais aussi au plan émotionnel.
Vers où dois-je me tourner ?
À propos du manque de repères des hommes, il faut signaler un ancien cantique en
allemand qui comprend la question rhétorique suivante :
Vers où dois-je me tourner lorsque le chagrin et la douleur m’oppressent,
à qui faire part de mon ravissement quand mon cœur bondit de joie ?
Ce chant d’église chanté avec ardeur, dimanche après dimanche, par des générations de
femmes et d’hommes suggère une réponse qui va de soi : dans la douleur comme le
bonheur les hommes doivent s’adresser à Dieu. De qui peut-on attendre le salut, sinon de
lui ? Les croyants savaient et proclamaient qui ils pouvaient remercier pour les joies et
auprès de qui ils pouvaient se lamenter dans les souffrances quotidiennes :
C’est vers toi, vers toi, ô père, que je viens dans la joie et la souffrance.
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Matthias SCHARER, né en 1946, est professeur de religion catéchétique à la faculté de
Théologie de l’Université d’Innsbruck. - Adresse : Universitätstrasse, 4/II, A-6020 Innsbruck.
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Cette question avait été posée au départ par la rédaction pour susciter l’écriture de ce texte.
C’est toi qui envoie les joies, toi qui guéris toute douleur.
Le « Dieu père » était l’instance centrale qui orientait la vie des hommes. Ce n’était pas une
idée abstraite, ce n’était pas une idole vaine, mais bien une personne sensible au chagrin, à
la douleur et au ravissement, un vis-à-vis compatissant, tout anthropomorphe que puisse
être cette image de Dieu. C’est à ce père qu’on pouvait s’adresser, c’est avec lui qu’on
pouvait entrer en relation dans toutes les situations et vicissitudes de la vie. Il « envoyait »
les joies, il « guérissait » la douleur. Celui qui, selon la mentalité de ce chant, proclamait son
attachement à ce « père » ne le faisait pas sous la forme d’une profession de foi abstraite qui
aurait assuré l’orthodoxie et la « pureté » de sa conception de Dieu ; il le faisait sans guère
se soucier de la vérité du Dieu chrétien réfléchie dans la théologie : il elle se revendiquait
d’une relation qui lui permettait de sortir de la misère et qui l’aidait à vivre, c’est-à-dire la
relation avec Dieu.
Cependant, si parlante, si éclairante et si salvatrice que puisse à première vue apparaître
l’image du Dieu père évoquée dans ce cantique, cette image a aussi ses vices cachés.
Ceux-ci résident dans la prétention de vérité à laquelle le chant donne une forme
émotionnelle. On peut et on doit poser à l’image de Dieu reflétée par l’ancien cantique des
questions qui sont légitimes : qui est le « Dieu père » à qui s’adressaient les hommes dans
leur misère ou dans leurs joies ? pourquoi l’appelle-t-on père et non mère, alors que
généralement les enfants en larmes s’adressent d’abord à la mère ? que signifie le fait que
les hommes doivent s’adresser au père ? est-ce que peut-être on en appelle ainsi au surmoi
moral ? est-ce que se cache dans le cantique un appel à l’enfant désarmé présent à
l’intérieur de l’homme, un enfant qu’il faut garder petit et dépendant, particulièrement quand il
est dans la misère ? est-ce que le père divin ne serait peut-être rien d’autre que le père
humain présent en nous qui nous ordonne ce que nous devrions faire et ce que nous ferions
mieux de laisser tomber ? est-ce que la religion, et spécialement le christianisme, ne serait
rien d’autre que le grand récit des nostalgies et des désirs illusoires des hommes, récit tout à
fait étranger à la réalité, qui peut même devenir dangereux pour l’homme si celui-ci s’identifie
trop avec lui : dans les cas extrêmes, l’image de Dieu présentée dans le chant pourrait être
associée chez l’homme avec le traumatisme de Dieu mis classiquement en lumière par la
psychanalyse.
3
Certes la profession de foi en Dieu véhiculée par ce chant renforce, par la sécurité
émotionnelle qu’elle entraîne, l’identité chrétienne, mais elle peut tout aussi bien faire l’objet
d’un détournement idéologique. Il suffit de penser à la déstabilisation actuelle de beaucoup
de gens face à la menace d’une guerre en Irak. Le fait de se tourner avec « tout son chagrin
et toute sa douleur » vers le père qui guérit « toute douleur » peut, le cas échéant, paralyser
le potentiel typiquement chrétien que possède le christianisme et qui lui permet de résister
aux idéologies de guerre même fondées sur des motifs religieux et gêner ainsi
l’engagement résolu des chrétiennes et des chrétiens en faveur de la paix. Celui qui se
revendique de sa relation à Dieu est dès lors toujours confronté à la question suivante : en
fonction de quel Dieu oriente-t-il (-elle) sa vie ? de quelle vérité de Dieu les hommes se
revendiquent-ils ?
Vivre sans Dieu, croire en privé
En Europe centrale, la profession de foi explicite en un Dieu de la vie qui est un en trois
personnes, qui s’est fait homme parmi les hommes en Jésus-Christ (cf. Phil 2, 6-11) et qui,
en tant qu’Esprit de Dieu auteur de vie et de relations, vit et agit dans la Création, dans
l’histoire de l’humanité, dans chaque être humain et dans la communauté des Églises, cette
profession de foi explicite perd de plus en plus de sa capacité à donner une orientation à la
vie. La responsabilité de cette perte d’importance de la profession de foi chrétienne par
rapport à l’orientation prise par le sujet et par la société est à chercher dans un
« changement de paradigme » qui a commencé avec la philosophie des Lumières. Ce
changement de paradigme concerne la place accordée à la philosophie et à la religion dans
la nouvelle manière de comprendre le monde. Le « monde » moderne des hommes se
3
Cf. notamment l’autobiographie de Tilman Moser : Tilman MOSER, Gottesvergiftung
(Empoisonnement par Dieu), Ulm, 1980.
décompose clairement en un domaine « public » et un domaine « privé ». Dans ce
processus, philosophie, foi et religion sont classés dans le « privé » ; dès lors, la
responsabilité de l’orientation donnée à la vie est aussi reléguée dans le domaine privé. « Ce
que l’autre croit ne me regarde pas. » « Ce que je crois ou non, c’est mon affaire privée, je
ne laisse personne s’en mêler. » La foi et la religion ne doivent plus être assumées en
public ; elles sont clairement comprises comme étant des domaines « exotiques » séparés
qui n’ont guère à voir avec la maîtrise de la vie au quotidien. Les discussions sur la valeur
des orientations données à la vie sont à présent tabou dans l’espace public ; elles sont
rejetées dans l’espace privé. Chacune, chacun veut vivre comme il ou elle le trouve bon et
« devenir bienheureux selon ses goûts propres ». C’est ainsi que naît une variété de
convictions religieuses « tissées » à la manière d’un patchwork à partir de pièces rapportées
de la foi chrétienne, mais aussi de convictions ésotériques et de convictions partielles
empruntées à des religions non chrétiennes. Dans ce patchwork de convictions il est difficile
aux hommes c’est bien compréhensible de trouver l’orientation qu’ils peuvent donner à
leur vie. Les hommes se retrouvent à pieds joints dans une vie « sans Dieu » ; leur foi
devient une affaire privée, de piété privée.
Bâtir sa vie « sans Dieu et sans seigneur »
Sur quel arrière-plan se joue la perte de crédibilité publique de la profession de foi
chrétienne, qui va de pair avec un « bénéfice » plutôt qu’une « perte » de religion au plan
privé ? Pendant des siècles, les Églises chrétiennes ont fourni même si la manière était
problématique à beaucoup de points de vue un savoir public concernant l’orientation à
donner à la culture de vie d’individus, de groupes humains et même de peuples entiers. Avec
le « changement de paradigme » en direction de la culture moderne tardive, les Églises
représentent, aux yeux de la société, un point de vue « exotique », celui d’un domaine
séparé spécialisé, ce qui rend compréhensible la chute de crédibilité de la profession de foi
chrétienne. En même temps, les hommes ne doivent plus assumer en public la
responsabilité du savoir qui leur permet d’orienter leur vie ; de plus en plus on met à l’avant-
plan la recette qui permet « d’être bienheureux à sa manière ». Le souci de soi, le modelage
de soi, la création de soi (à la manière de Foucault) se pratiquent « dans la solitude » et sans
devoir rendre de comptes à qui que ce soit. La question de savoir sur quoi va déboucher le
souci de soi n’est pas posée, la création de soi est pratiquée « sans Dieu et sans seigneur ».
En effet, cette création de soi est comprise comme la véritable libération de l’homme de la
« tutelle des pères » permettant d’accéder à la « majorité » de femmes et d’hommes
autonomes qui enfin peuvent vivre leurs relations en fonction de leurs propres besoins.
Maintenant que l’orientation donnée à la vie ne peut plus faire l’objet d’une interrogation
publique, on a affaire à un patchwork non seulement dans le domaine religieux, mais aussi
dans les cultures de vie. La variété des orientations possibles doit aider les hommes à
trouver chacun ce qui lui est propre dans la manière de pratiquer la vie, à trouver le bonheur
tout à fait personnel dans la vie et les relations, sans s’orienter en fonction de quelque chose
ou de quelqu’un. Mais alors se pose la question suivante : peut-on vraiment trouver une
orientation sans être conscient d’où on va ? peut-on rechercher quelque chose si on ne
connaît pas les critères de recherche ? Est-ce qu’une orientation de la pratique de la vie
humaine est vraiment possible sans ligne directrice, pour ainsi dire « sans Dieu et sans
seigneur » ? Ou l’absence de direction est-elle peut-être la véritable libération de l’homme lui
permettant de fabriquer son bonheur en toute autonomie et la seule voie lui permettant de
jouir vraiment de ce bonheur ?
Est-ce que la pratique de la vie sans profession de foi chrétienne, et donc indépendamment
de la relation à Dieu, est une illusion ou bien l’expression de la liberté et de
l’autodétermination de l’homme ? Il n’est pas facile d’en juger. Pour trouver une possible
réponse, on ne peut pas se laisser aveugler par la liberté et la capacité d’autodétermination
ainsi gagnées par l’homme. On doit se demander qui sont donc les nouveaux « seigneurs »
en fonction desquels se dirige la pratique de vie des hommes. Comment peut-on les
reconnaître ?
Les seigneurs masqués
Aujourd’hui, « les seigneurs » se sont masqués. On ne peut plus les reconnaître et on ne
peut plus les chanter dans les services religieux. Ils mettent en scène leurs propres liturgies,
qui n’apparaissent pas comme telles aux hommes. Ils érigent des temples du capital et de la
consommation et complotent contre le monde entier si l’un de ces temples est détruit.
Contrairement à l’orientation de vie de la foi chrétienne, les « seigneurs modernes » se
cachent derrière de belles formules vantant la liberté et l’autodétermination. Ils font croire
qu’il s’agit d’accomplissement de soi et de souci de soi, tout en passant sous silence le fait
que c’est un prétexte pour faire passer le souci de soi imposé par l’économie et les médias.
Pour l’économie et les médias, il n’est pas question d’une vie « bonne », « réussie » pour
tous, mais bien de rendre possible pour quelques-uns la vie la plus confortable qui soit. On
peut difficilement échapper à ces nouveaux « seigneurs » parce qu’ils se sont associés aux
besoins. Ils « ensorcellent » les hommes, tant et si bien que ceux-ci ne peuvent plus
distinguer la vie bonne, réussie, riche de relations, d’une vie fixée sur les besoins, d’une vie
qui isole. Les hommes ne savent plus de quoi ils ont besoin et de quoi ils n’ont pas besoin.
Quel « seigneur » est-ce que je suis ?
Avec la perte de confiance dans la force d’orientation de la profession de foi chrétienne va
de pair la prise d’influence croissante des puissances (post-)modernes du marché et des
médias sur les hommes.
4
Cette influence s’étend jusque dans les sphères les plus intimes
des relations. Jusque dans les relations intimes, les mass médias imposent ce qui est
valable et ce qui est « répréhensible » dans une société moderne. Les nouveaux « dieux »
étendent leur puissance globale sur l’orientation de vie des hommes d’une manière telle
qu’un style de vie et de relation alternatif apparaît comme de plus en plus difficile à adopter.
La question centrale est donc celle-ci : quel « seigneur » est-ce que je suis ? L’orientation en
fonction de la profession de foi chrétienne est une orientation alternative et difficile,
notamment parce qu’elle n’est plus crédible.
Vérité exotique dans un monde qui a besoin d’orientation
La question de savoir en fonction de quoi et comment les hommes orientent leur vie dans ce
qu’on appelle les sociétés plurales compte comme nous l’avons vu parmi les grands
défis du christianisme à l’époque moderne tardive. D’une part, dans une culture ou plutôt une
variété culturelle dans laquelle (presque) tout est valable et dans laquelle des orientations de
vie différentes se côtoient dans une relative « in-différence », le christianisme, qui se
revendique d’une vérité générale, fait l’effet d’être par trop exotique. D’autre part, dans un
milieu de vie les institutions religieuses sont en perte constante de vitesse et les
hommes doivent se forger individuellement, en privé, leurs jugements portant sur la
conception du monde, de plus en plus de gens recherchent des repères pour s’orienter.
Étant donné que, dans la vie publique, l’orientation religieuse est de plus en plus tabou face
aux orientations données par la science et les médias et que la religion « émigre » dans le
domaine privé de l’homme, on voit naître un nouveau besoin d’orientation religieuse dont,
toutefois, la satisfaction n’est plus guère attendue de la part des Églises chrétiennes. De
moins en moins de gens croient les Églises capables d’établir une relation pratique, qui
puisse aider dans la vie, entre l’adhésion à la foi chrétienne et les besoins concrets
d’orientation. Ainsi donc, d’une part le besoin d’orientation dans le processus de réalisation
de soi de l’homme continue d’exister et, d’autre part, la profession de foi chrétienne en tant
que proposition d’orientation est de moins en moins communicable. Cela nous amène à la
question de savoir si vraiment il peut exister une relation que l’on puisse faire passer
concrètement dans la vie entre la profession de foi chrétienne et la réalisation quotidienne de
la vie des hommes. En fin de compte, il y a dans le christianisme pas mal de cultures
spirituelles qui prônent la sortie de la culture de vie concrète pour préserver une identité
chrétienne.
4
Cf. J. NIEWIADOMSKI, “Extra media nulla salus. Zum religiösen Anspruch der Medienkultur”,
dans J. NIEWIADOMSKI, Herbergsuche. Auf dem Weg zu einer christlichen Identität in moderner Kultur,
Münster, 1999, pp. 149-166.
L’histoire mouvementée de la relation entre la profession de foi chrétienne et les
cultures de vie
Il n’est donc nullement établi a priori comment la profession de foi chrétienne s’articule à
chacune des cultures dominantes ou dans notre cas à une pluralité de cultures de vie. La
question de la relation entre cultures (de vie) et profession de foi chrétienne a, depuis les
origines de l’Église jusqu’à aujourd’hui, fait l’objet de conceptions en constante évolution.
Dès l’époque des premiers témoins de la foi, on a débattu pour savoir si le christianisme ou
les Églises devaient s’adapter sans discrimination à la société et « faire leur nid » à l’intérieur
de la culture en vigueur, s’ils devaient refuser et combattre la culture dominante, ou encore
s’ils devaient l’aborder dans une relation à la fois critique et constructive. Selon le type de
relation entre culture et évangile, on pourrait parler d’un christianisme adapté, affirmé ou
critique constructif.
Si l’on considère l’histoire de l’Église (des Églises), il apparaît qu’une relation d’approbation,
de critique ou de refus entre culture et foi chrétienne ne dépend pas seulement de la mesure
dans laquelle la culture dominante comporte des caractères humains, chrétiens ou
compatibles avec le christianisme ; ce qui détermine fondamentalement le type de relation,
c’est chaque fois le « modèle » théologique qui est à la base de cette relation entre culture et
profession de foi chrétienne, cette pratique théologique donc qui est implicitement en vigueur
ou explicitement verbalisée. Nous trouvons des exemples vivants des manières combien
différentes dont les Églises chrétiennes peuvent aborder les différentes cultures dans les
relations avec les cultures latino-américaines, africaines et asiatiques avant et après Vatican
II. Les différences d’appréciation au cours des siècles de phénomènes culturels identiques
ou semblables par les Églises chrétiennes deviennent manifestes. Ainsi, bon nombre de
marques des cultures traditionnelles, que le christianisme aborde dans un esprit de critique
constructive, et pour l’examen approfondi desquelles l’Église catholique entretient ses
propres instituts de recherche, notamment dans les pays d’Amérique latine
5
, auraient été
considérées avant Vatican II comme hérétiques. D’autres cultures religieuses étaient
souvent regardées comme primitives et rejetées.
Le deuxième Concile du Vatican, par l’estime manifestée aux autres confessions
chrétiennes
6
et aux religions non chrétiennes
7
et par la définition de sa relation aux sciences,
a ouvert au débat entre culture et évangile une perspective qui, à première vue, semble
abandonner le caractère de profession qu’avait clairement le christianisme au profit de
l’établissement d’une relation dans un esprit de critique constructive. L’idée de l’insertion
culturelle du christianisme, qui vise une relation de reconnaissance mutuelle entre culture(s)
et évangile, est interprétée par certains dans le sens d’un abandon de la profession de foi
chrétienne. En effet, pas mal d’hommes d’Église craignent que l’esprit de confrontation du
christianisme, lié à sa revendication de détenir la vérité générale, se perde dans une
perspective de compréhension motivée par des considérations théologiques. Aux yeux de
différents milieux au sein de l’Église, mais surtout selon l’appréciation des groupes
évangéliques et pentecôtistes, le débat sur l’insertion culturelle constitue une menace très
grave pour le christianisme et l’Église dans leur identité.
Les théologies du dialogue et de la communication soupçonnées de s’adapter
Le reproche de pousser en avant la compréhension critique constructive entre l’évangile et
les cultures, et de l’échanger contre la revendication de vérité de la profession de foi,
concerne spécialement ces réflexions théologiques qui placent le dialogue
8
, la communion
9
5
Que l’on pense notamment aux instituts de l’Église pour l’étude des cultures aymara ou
quechua en Amérique latine ou aux efforts théologiques accomplis en Inde.
6
Le décret sur l’œcuménisme Unitatis redintegratio.
7
La déclaration sur la relation de l’Église aux religions non chrétiennes Nostrae aetate.
8
Cf. notamment B. HINZE, “Dialogical Traditions and a Trinitarian”, dans J. HAERS et P. DE MEY
ds), Theology and Conversation : Developing a Relational Theology. Proceedings from the Third
International Leuven Encounters in Systematic Theology. B. HINZE, Identitätsbewusstsein und
Kommunikationsfähigkeit. Religiöse Traditionen im Kontext des modernen Pluralismus. Eine
interkulturelle und interreligiöse Überprüfung westlicher Theorieansätze.(Conscience de l’identité et
capacité de communication. Traditions religieuses dans le contexte du pluralisme moderne. Un
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