Tadeusz Kantor
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Tadeusz Kantor (1915-1990) était considéré, depuis déjà bien longtemps, comme étant "le
plus mondial des artistes polonais et le plus polonais des artistes mondiaux". Déjà au cours
de sa vie, nombreux étaient ceux qui voyaient en lui un génie alors que d'autres le
prenaient pour un mystificateur ou, tout au plus, un habile imitateur. Aujourd'hui cependant,
plus personne n'émet de doutes à ce sujet, depuis qu'en 1990, Tadeusz Kantor, l'un des
plus grands artistes du XXè siècle, nous a quitté. Et cela même s'il nous est difficile
d'expliquer en quoi consistait le phénomène de son imagination. Kantor était un artiste
universel ou, comme il le disait lui-même, un artiste "total" et c'est pour cela qu'il serait
risqué de vouloir "diviser" son oeuvre en domaines spécifiques. Peintre, scénographe,
poète, acteur, auteur de happenings, Kantor avait acquit sa renommée mondiale en tant
qu'homme du théâtre.
Toutefois, la aussi, il était resté tout d'abord peintre, créateur qui pensait a travers les
images et qui, a la place des couleurs, se servait d'acteurs et d'accessoires. Le plus grand
succès de Kantor fut sans aucun doute le théâtre Cricot 2 dont les spectacles, en
commençant par La Classe morte (1975), obtinrent le statut de chef-d'œuvre. La formule
insolite du "Théâtre de la Mort" consistait à créer une illustration plastique des mécanismes
de la mémoire. Les séquences successives des images irréelles, des bribes de souvenirs,
des scènes qui reviennent avec obsession, des situations absurdes. Chacun d'entre nous
l'a vécu, nous avons tous la même confusion dans la tête : des traumatismes douloureux
qui s'enchevêtrent, des nostalgies audacieuses, des fragments de phrases dont on se
souvient, des miettes comiques du passé. Nous sommes corporels, physiques mais il
s'avère aussi, qu'il en est de même avec notre mémoire et notre imagination. Nous
n'existons pas sans la forme ; nous pensons et parfois nous ressentons a travers les
images.
Et Kantor savait le montrer sur scène. Il a créé un espace extrêmement suggestif dans
lequel s'entremêlent les vivants et les morts, où jaillissent les désirs les plus honteux et les
réminiscences les plus effrayantes : la guerre, l'amour et le crime, la peur, la passion et la
haine. Sur les clichés délavés et déteints d'un album de photographies de famille, la
biographie individuelle s'entrelace avec l'histoire, avec les mythes nationaux et les
obsessions intimes reviennent tel un écho accablant, comme reflétés par un miroir opaque.
(Krystyna Czerni, www.cricoteka.com)