De : Ignacio Ramonet [email protected]
Envoyé le : Lundi, 2 Février 2009, 11h42mn 18s
Objet : "L'Humanité" - Entretien avec Ignacio Ramonet
"L'HUMANITÉ"POLITIQUE -Article paru
le 28 janvier 2009
FACE À LA CRISE
Ignacio Ramonet : « Nous devons
refonder l'économie sur de nouvelles
bases »
Entretien avec Ignacio Ramonet dont le
dernier ouvrage,
"Le Krach parfait" vient de paraître.
En quoi la crise actuelle peut-elle être considérée comme un « krach
parfait » ? De quel point de vue peut-on discerner une « perfection »
dans l'actuel séisme économique ?
Ignacio Ramonet. Le capitalisme connaît, en moyenne, une crise
grave tous les dix ans. Mais un séisme économique d'une aussi forte
intensité que celui que nous vivons actuellement ne se produit qu'une
fois par siècle. Et aucun autre, avant celui-ci, n'a conjugué une somme
de menaces croisées aussi alarmantes. Tout le système financier -
banques, bourses, caisses d'épargne, autorités de régulation,
agences de notation, normes comptables - a craqué. Et une doctrine a
fait faillite : celle du néolibéralisme, responsable de la
déréglementation des marchés et de la spéculation effrénée de ces
trente dernières années. D'abord immobilier, l'ouragan est devenu
bancaire puis boursier, et s'est rapidement propagé à l'ensemble du
champ économique pour devenir une tempête industrielle et enfin
sociale. Et cela, dans une atmosphère globale déjà alourdie par une
quadruple crise : énergétique, alimentaire, médiatique, climatique, et
dans un contexte géopolitique marqué par l'affaiblissement de
l'hégémonie américaine. La convergence et la confluence de toutes
ces tensions, au même moment, sur toute la planète, font de ce
cataclysme un « krach parfait », comme on parle aussi de « crime
parfait ».
Dans votre livre, vous évoquez la « nouvelle décadence » des États-
Unis que Barack Obama va devoir gérer. Vous jugez cette situation
« dangereuse ». Pouvez-vous préciser ?
Ignacio Ramonet. Dans son discours d'investiture, Obama a laissé
entendre que les États-Unis devront renoncer à leur rôle de tuteurs
autoproclamés du monde et constater les limites de leur hégémonie.
Or ce moment où une puissance prend conscience du début de son
déclin est dangereux. Parce qu'elle est tentée de compenser cette
baisse d'influence par l'exhibition de sa force, toujours redoutable.
Les réactions d'un lion blessé sont toujours à craindre. Au plan
mondial, l'histoire nous enseigne qu'il n'y a rien de bon à attendre des
crises économiques, elles engendrent plutôt des Hitler ou des Franco
que des Gandhi.
La crise actuelle aiguise le débat, à gauche, sur le « dépassement du
capitalisme ». Cette perspective vous paraît-elle crédible ? Si oui, doit-
elle s'articuler à un néokeynésianisme (régulations, retour de l'État…),
dont elle serait alors la simple radicalisation ?
Ignacio Ramonet. Qu'entend-on par « dépassement du capitalisme »
sinon que le socialisme renvoie lui-même à un processus, à la
radicalisation de la démocratie jusqu'à une irruption populaire
transformatrice des bases même de la société ? La crise fournit une
occasion de refonder l'économie sur de nouvelles bases. Déjà un très
net « retour à Keynes » est amorcé ; on relit avec un intérêt renouvelé
les oeuvres de Marx ; l'État redevient un acteur central. Cela implique
de mener le débat sur la finalité des « régulations », leur contenu réel,
la perspective historique dans laquelle on veut les inscrire.
Dans votre chapitre « Archéologie du krach », vous pointez la
« conversion de la social-démocratie » au néolibéralisme par le biais
d'une certaine conception du progrès technique. Plus précisément,
vous soulignez l'erreur qui a consisté à voir dans les progrès
techniques (Internet, etc.) des solutions aux crises à répétition du
capitalisme. Quelle serait, selon vous, une conception réellement
progressiste du progrès technique ?
Ignacio Ramonet. La gauche ne peut pas avoir peur du progrès
technologique. Ce serait contraire à son essence. Mais le progrès, au
même titre que la richesse que le capitalisme sait si bien produire,
doit être mis au service de la collectivité. D'autre part le concept de
progrès s'est modifié, il n'est plus machiniste, productiviste,
quantitatif et extractif. L'ère industrielle est terminée et elle s'est
achevée sur un désastre écologique. C'est donc une nouvelle
conception du progrès que la gauche doit défendre, plus équitable et
participatif, moins énergivore, se préoccupant des biens communs de
l'humanité.
Vous formulez dans votre ouvrage un certain nombre de propositions,
comme celle d'un fonds mondial contre la faim. Comment imposer
une telle mesure ?
Ignacio Ramonet. Les bénéficiaires du système économique dominant
sont environ un milliard de personnes (dont à peine quelques dizaines
de millions de nantis). Tandis que les laissés-pour-compte sont près
de cinq milliards et demi, dont trois milliards (un être humain sur
deux) vivent avec moins de 1 euro par jour. L'insatisfaction à l'échelle
planétaire est abyssale. Si elle se transformait en colère, elle balaierait
tout sur son passage. Chacun a donc intérêt à bâtir un monde plus
juste. L'altermondialisme a pour ambition, entre autres, de favoriser la
prise de conscience de cet intérêt.
Le mouvement altermondialiste est traversé par des clivages sur la
question du rapport aux institutions politiques, aux partis… Comment
vous situez-vous dans ce débat ?
Ignacio Ramonet. La crise surprend les grands partis de la gauche en
état de vide théorique. Aucune théorie ou presque n'a été produite
pour proposer un corps de doctrine alternatif, une architecture qui
fasse programme et permette de proposer un changement de
paradigme crédible aux citoyens. C'est la grande faiblesse de la
gauche institutionnelle. La situation sociale se dégrade très fortement
et très rapidement. D'ici quelques mois, elle pourrait devenir
prérévolutionnaire dans certains pays de l'Union européenne. Si on ne
veut pas que, comme en Grèce, cela aboutisse simplement à des
émeutes qui consument et épuisent leur propre énergie comme des
feux d'artifice, si on veut que cette formidable énergie protestataire du
mouvement social débouche sur de vrais changements, via les urnes,
l'heure, l'urgence est au rassemblement de toutes les gauches sur la
base d'un programme élaboré et accepté par tous.
Entretien réalisé par Laurent Etre
--
NOUVELLE / NUEVA / NEW ADRESSE EMAIL : <[email protected]>
IGNACIO RAMONET
Director de "Le Monde diplomatique en español"
www.monde-diplomatique.es
Président de "Mémoire des Luttes"
www.medelu.org
3, Avenue Stephen-Pichon
75013 Paris.
Tel : 33 (0)1 53 94 96 91
- Il vient de publier :
"Le Krach parfait"
Galilée, Paris, 2009.
www.editions-galilee.fr
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