La dernière version du génome humain

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Article pour « Le Minotaure »
Nous sommes tous des poissons ballon
Le poète japonais Yosa Buson (1716-1783) un soir de nostalgie improvisa ce
haïku :
Je ne peux pas la voir ce soir
Je dois renoncer à elle
Alors, je vais manger du fugu
Il ne s’agit pas d’un amoureux déçu qui se console en pleurant sur un plat de
nouilles …, mais d’un poète désespéré qui décide de prendre le risque de frôler
la mort. Car le fugu, le poisson Takifugu rubripes, délicatesse de la cuisine
japonaise, contient un poison mortel, la tetrodotoxine, neurotoxique qui paralyse
les muscles en bloquant l’influx électrique dans les nerfs et qui est 1200 fois
plus toxique que le cyanure. La victime paralysée ne peut ni bouger, ni parler, et
bientôt ne peut plus respirer et s’asphyxie, mais elle reste consciente durant son
agonie car la substance ne pénètre pas le cerveau ... Si on tient 24 heures, on est
sauvé. On peut rester paralysé, inerte mais conscient, longtemps, et il arrive que
l’on garde les victimes du fugu près de leur cercueil durant trois jours au cas où
ils seraient des morts-vivants. C’est parait-il ce type de poison, présent dans
plusieurs espèces d’animaux marins, que le Vaudou utilise pour fabriquer des
zombies … Le poison est dans le foie, les ovaires, les testicules et la peau, mais
pas dans la chair. Depuis 1958 il faut une licence spéciale pour cuisiner le fugu,
découpé avec des couteaux réservés à la séparation des parties dangereuses que
certains gourmets aiment cependant tâter …. La consommation du fugu a été
longtemps interdite par les Shoguns (et elle est rigoureusement proscrite à
l’Empereur). La chair n’est finalement pas si succulente que ça, il paraît que
c’est mieux avec des traces de poison. Le célèbre acteur de Kabuki, le « trésor
national vivant » Mitsugoro Bando VIII, en est mort après avoir mangé quatre
portions de foie en 1975. Chagrin d’amour ou pas, si le cœur vous en dit, vous
pouvez consommer du fugu au Japon dans les restaurants spécialisés, il en coûte
entre 100 et 200 euros … Le Takifugu appartient à la famille des poissons ballon
qui comporte bien d’autres espèces. Poissons de roche ils se gonflent jusqu’à
prendre une forme sphérique lorsqu’ils se sentent menacés. Ils ne fabriquent pas
le poison eux mêmes, il est produit par la bactérie Pseudomonas qui pénètre le
poisson avec sa nourriture.
Un génome court
Ce n’est pas le curieux jeu social japonais autour de ce poisson dangereux qui
fascine les biologistes. Il se trouve que Takifugu rubripes possède le plus petit
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génome de tous les vertébrés. Ce qui le rend plus facile à déchiffrer que celui
des autres. Un groupe de chercheurs français a récemment coordonné le
séquençage du génome d’un poisson d’aquarium cousin de Takifugu : Tetraodon
nigroviridis, plus petit, pas dangereux, et qui peut s’élever dans l’eau du robinet.
Nous partageons avec les poissons ballon un ancêtre qui vivait il y a 450
millions d’années. L’analyse détaillée des 21 chromosomes du Tetraodon a
montré que cet ancêtre commun avait seulement 12 chromosomes. Le génome
du Tetraodon ne comporte que 340 millions de paires de bases. On sait que le
génome s’écrit avec quatre « lettres » (A,T,G,C) représentant chacune l’une des
quatre bases nucléiques dont la succession court, relayée de chromosome en
chromosome, sur les brins de la double hélice de l’ADN. Sur ce « fil » la suite
des « lettres » compose la carte d’identité des espèces, mais aussi, dans les
détails, celle des individus. Certaines zones « codent » pour des gènes, éléments
actifs du génome qui dirigent la synthèse de protéines indispensables à
l’organisme et à son développement. Les protéines sont composées d’un
enchaînement d’acides aminés, chacun étant choisi parmi les vingt qui existent
dans le vivant. Chaque acide aminé est codé (c’est le code génétique) par une
succession de trois « lettres » sur le brin d’ADN. Comme pour les mammifères,
le génome de Tetraodon est une mosaïque de régions riches en gènes et d’autres
pauvres. 40% du génome du poisson correspond à environ 20000 gènes qui
dirigent la synthèse de protéines. En comparant avec le génome humain, on peut
prédire que celui-ci contient environ 900 gènes de petites tailles qui n’ont pas
encore été identifiés.
Jusqu’à présent on n’a séquencé complètement qu’un nombre très réduit de
génomes en raison de la difficulté et du coût de ces opérations : les deux
poissons bulle, Takifugu et Tetraodon, la mouche drosophile, un petit ver
nématode (Caenorhabditis elegans), un moustique vecteur de la malaria, la
souris, le rat, l’homme, une plante (Arabidopsis thaliana, l’arabette des Dames)
et quelques bactéries. Sont en cours le séquençage du chimpanzé, du chien, de la
vache …
La dernière version du génome humain
La dernière version du génome humain, dont on avait annoncé à grands sons de
trompe en 2001 qu’il était définitivement séquencé, est publiée dans la même
revue que celui du Tetraodon (Nature 21 octobre 2004). La présente version
corrige les approximations des premiers résultats. Notre ADN est composé
d’une succession de 2.891.330.913 nucléotides (il reste 341 « trous » non lus sur
le « fil »), ce qui fait presque 10 fois plus que le Tetraodon. Le décryptage
couvre 99% de la partie qui contient les gènes. Mais il ne révèle pas plus de
gènes codant pour les protéines que le génome du poisson ballon ou celui du ver
nématode, c’est à dire entre 20000 et 25000. Il y a quelques années on pensait
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que le génome humain contenait entre 60000 et 100000 gènes. En fait, il y a
19438 gènes connus, et 2188 prédits, qui ont pu être répartis sur nos 24
chromosomes, couvrant 1,2% du génome analysé. Il faut dire que le génome
contient de multiples répétitions de séquences identiques et des zones où la
succession des « lettres » varie beaucoup selon les individus (ce qui permet
d’exploiter l’analyse génétique à des fins d’identification individuelle ou de
police). Dans le compte des gènes, ne sont pas incluses les zones ADN qui ne
codent pas pour des protéines mais qui contribuent à mettre en place les
différentes ARN, molécules très proches de l’ADN, qui servent de relais pour
transmettre les « ordres » du génome, ou qui exercent des fonctions régulatrices
dans les cellules, et qui font actuellement l’objet d’intenses recherches qui
pourraient bien changer à terme la vision que nous avons de la génétique.
Le génome n’est pas gravé dans le marbre il porte clairement des traces
d’évolution durant les dernières 40 millions d’années notamment par l’existence
de segments dupliqués qui se prêtent à des réarrangements avec comme
conséquences médicales l’expression de différents syndromes. Ce sont des zones
qui resteront si elles apportent un avantage sélectif aux individus qui les portent.
Le génome est un ensemble moléculaire où apparaissent de nouveaux gènes
(c’est le moteur de l’évolution) et sur ce plan le génome humain semble
particulièrement actif. Depuis que notre lignée s’est séparée de celle des
rongeurs, 3300 gènes se sont modifiés. Notamment des familles de gènes
impliquées dans les fonctions olfactives, les réponses immunitaires et les
fonctions reproductives, ce qui pourrait expliquer le temps de gestation long de
notre espèce. Il semble qu’une évolution du génome se soit en outre produite il y
a 3 à 4 millions d’années. Les gènes apparaissent mais meurent aussi par des
mutations qui les inactivent. Ceux qui ont été identifiés par comparaison avec le
génome de la souris et celui du chimpanzé concernent les récepteurs olfactifs.
L’apparition et la disparition des gènes est un phénomène d’expansion et de
contraction. Le résultat brut est la notable diminution du nombre des récepteurs
olfactifs chez les hommes par rapport aux rongeurs. L’analyse récente du
génome du rat a montré qu’il possédait plus de gènes susceptibles de fabriquer
des molécules capables de nettoyer l’organisme des toxines que l’homme.
Comme le rat est utilisé comme modèle dans de nombreuses études
toxicologiques, il faut peut-être se méfier.
Les séquences du génome forment un formidable outil pour la recherche et la
pratique médicales. 1400 gènes humains ont été corrélés avec des maladies.
Certains troubles graves peuvent être repérés avant la naissance, par exemple la
trisomie sur le chromosome 21. Le gène responsable de la maladie de
Huntington, une maladie fatale qui se déclare tard dans la vie, est aussi bien
connu. On a localisé des gènes associés au diabète (sur le chromosome 19) et
d’autres liés au cancer du sein, à la leucémie et à la schizophrénie sur le
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chromosome 13. L’ADN de ce dernier comporte d’importantes zones qui sont
des « déserts génétiques », elles ne semblent pas contenir de gènes. Une
expérience récente a permis de fabriquer une souris pour laquelle ces zones
apparemment inactives, qui existent aussi à l’identique dans le génome humain,
avaient été tout bonnement enlevées du génome. Et bien les animaux ainsi
« castrés » se portent très bien, exactement comme leurs congénères intacts. Il
est donc possible qu’une grande fraction de l’ADN ne serve à rien puisque l’on
peut arracher des pages, communes aux mammifères, au « livre de la vie ».
Sur le plan social les avancées récentes sont un petit peu inquiétantes dans la
mesure où des techniques de séquençage accélérées pourraient éventuellement
atteindre le niveau du génome total individuel permettant de créer ainsi une carte
d’identité génomique personnelle qui étalerait l’intime du corps sur la place
publique. On pourrait prédire l’avenir, les maladies susceptibles d’atteindre un
individu à mesure qu’il prend de l’âge ou évaluer sa santé mentale et pointer
dans le passé vers les sources de ces problèmes à travers la parentèle. Il est vrai
que la connaissance est encore réduite, on sait par exemple que l’autisme a une
racine génétique mais l’on n’a pas encore pu désigner une section du génome
qui serait impliquée. La clef est peut être alors à chercher dans les mécanismes
chimiques encore très obscurs qui accompagnent ou dirigent l’expression des
gènes.
Comparer les génomes
Comme l’information est déjà relativement abondante la comparaison des
génomes des survivants de l’Arche de Noé devient une nouvelle science qui
plonge ses racines dans l’espoir d’expliquer l’évolution. Sachant que nos tout
premiers cousins dans l’échelle des êtres sont le chimpanzé et le bonobo, l’un
porté sur la guerre, l’autre sur l’amour, le séquençage du chimpanzé est attendu
avec impatience. Pour le moment il est partiel. Les résultats actuels confirment
que les deux génomes se ressemblent à 98,5%. Deux chromosomes qui se
correspondent ont été totalement étudiés. Ils différent très peu : une base
nucléique (une « lettre ») peut en remplacer une autre dans 1,4% des cas. La
différence la plus importante est l’observation de sections du génome qui
manquent d’un coté ou de l’autre. L’expression des gènes communs semble
toutefois différente, ce n’est donc pas à partir de la composition du génome que
nous allons comprendre pourquoi nous ne ressemblons pas à un singe … Les
deux génomes montrent qu’il y a beaucoup d’éléments mobiles en particulier au
niveau des défenses immunitaires Il y a cependant quelques indications, un
gène qui est responsable chez nous pour la capacité de parler est différent (par
deux amino acides correspondant à deux codons de trois « lettres » !) de celui du
chimpanzé, mais on sait qu’une altération chez l’homme de ce gène produit des
troubles du langage. D’autre part l’homme possède des gènes qui codent pour
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des protéines impliquées dans l’audition en particulier l’oreille interne.
L’homme aurait-il finalement un avantage dans la communication ? Pour rester
dans le domaine sensoriel, on remarque que les chimpanzés ont moins perdu que
nous de capacités olfactives par rapport aux souris …
Une équipe de recherche suisse a montré récemment qu’une enzyme impliquée
spécifiquement dans le traitement du neurotransmetteur glutamate dans le
cerveau était apparue chez l’ancêtre des hominidés il y a 23 millions d’années.
Or, ces molécules sont actives dans les phénomènes de mémorisation et ont
donc pu contribuer à augmenter les capacités cérébrales des hominoïdes et la
taille de leur cerveau. Le gène qui code pour l’enzyme, et aurait donc contribué
à l’amélioration des fonctions cognitives, est situé sur le chromosome X et s’est
formé à partir d’un autre gène associé également au traitement du glutamate
dont il diffère par la modification de deux amino acides. Il y a trois ans on avait
découvert une différence chimique entre le chimpanzé et l’homme, un gène qui
code pour une enzyme qui fabrique un sucre, l’acide sialique, qui intervient au
niveau des membranes extérieures des cellules et qui est présent chez les grands
singes mais pas chez l’homme.
Une solution plus globale aux problèmes de l’évolution ?
Entre homme et singes le catalogue des différences moléculaires est plutôt limité
alors que l’aspect physique, la physiologie et le comportement sont évidemment
très très différents ! La paléontologie humaine peut-elle offrir une piste ? Les
premiers hominidés apparaissent il y a sept millions d’années, il existe plusieurs
branches, toutes éteintes, sauf une, celle du sapiens. Ce qui fait l’homme c’est
essentiellement la station debout. L’homme est bipède, le singe quadrupède.
L’homme est aussi un coureur de fond et cette caractéristique, qui a pu émerger
il y a deux millions d’années, dépend de la solidité de son squelette et de
plusieurs détails anatomiques, qui apparaissent avec Homo erectus, comme
l’augmentation de la surface des articulations des membres inférieurs pour
absorber les chocs et les vibrations produits durant la course. La bipédie est liée
à la physiologie de la base du crâne. Anne Dambricourt-Malassé, chercheuse
CNRS à l’Institut de Paléontologie humaine, fait remarquer que la position
debout trouve son origine dans la situation anatomique d’un petit os de la base
du crâne, le sphénoïde. Une rotation de celui-ci conduit à la formation d’un
angle qui positionne la colonne vertébrale par rapport à la base du crâne chez les
hommes et entraîne la bipédie. Cela se décide lorsque le fœtus a 8 semaines. Les
angles correspondants chez les grands singes sont différents et n’assurent pas la
bipédie. Contrairement à ce qui se passe chez les singes, chez l’homme, la
croissance de la face est lente, elle se poursuit longtemps, plusieurs années,
jusqu’à ce que le sphénoïde se bloque définitivement. Quelques dentistes
dérivent de leur pratique l’idée que l’évolution humaine est toujours en cours …
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Ces observations renvoient aux problèmes du développement embryonnaire
comme facteur essentiel parmi les sources de l’évolution humaine (par rapport à
d’autres moteurs proposés par les paléontologues comme l’environnement, le
climat, etc …). L’embryon se construit selon un plan qui est sous la dépendance
de « gènes architectes » qui commandent l’ordre du développement et la
position des organes dans l’espace du corps sous le contrôle sans doute d’une
foule de molécules encore inconnues. Ce problème se rattache à l’une des
ambitions majeures de la recherche aujourd’hui qui est l’étude des cellules
souches et de la biologie du développement des organismes pluricellulaires. Le
génome dans cette perspective est une pièce maîtresse mais qui ne représente
probablement que la porte monumentale d’un monde complexe qui prendra bien
du temps avant d’être compris …
La connaissance est bien dure à obtenir,
reprenons encore une portion de fugu
pour nous consoler de notre ignorance …
Paul Caro
25 novembre 2004
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