M. SCHUMM LLHUM134B TD GROUPES 2 ET 3 SEANCE DU 16.10.09 Voici des textes évoqués durant la séance du 16 octobre. Le premier a été traité au sein du groupe 3, et montre l’importance qui a pu être accordée au rôle de la théorie darwinienne quant à la question du statut de l’homme. Le second et le troisième texte ont été évoqués dans le groupe 2. Ils traitent de la « conception scientifique du monde », et des rapports entre la science basée sur des énoncés logiques et empiriques, et la métaphysique dont les auteurs considèrent qu’elle ne s’appuie pas sur des énoncés dotés de signification. Le dernier texte porte sur la méthode scientifique selon Bacon. FREUD : « Le narcissisme universel, l’amour propre de l’humanité, a subi jusqu’à ce jour trois grandes vexations de la part de la recherche scientifique. […] Au cours de son évolution culturelle, l’homme s’érigea en maître de ses co-créatures animales. Mais non content de cette hégémonie, il se mit à creuser un fossé entre leur essence et la sienne. Il leur dénia la raison et s’attribua une âme immortelle, allégua une origine divine élevée, qui permit de rompre le lien de communauté avec le monde animal. […] Nous savons tous que les recherches de Charles Darwin, de ses collaborateurs et de ses précurseurs, ont mis fin il y a un peu plus d’un demi-siècle à cette présomption de l’homme. L’homme n’est rien d’autre ni rien de mieux que les animaux, il est lui-même issu de la série animale, apparenté de près à certaines espèces, de plus loin à d’autres. Ses acquisitions ultérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence, présents tant dans son anatomie que dans ses dispositions psychiques. Or c'est là la deuxième vexation pour le narcissisme humain, la vexation biologique. »1 « Une difficulté de la psychanalyse » in L’inquiétante étrangeté et autres essais, trad. Bertrand Féron. Paris, Gallimard, 1985, p. 181, sqq. 1 HAHN, NEURATH, CARNAP (LE CERCLE DE VIENNE) : « La conception scientifique du monde ne se caractérise pas tant par des thèses propres que par son attitude fondamentale, son point de vue, sa direction de recherche. Elle vise la science unitaire. Son effort est de relier et d’harmoniser les travaux particuliers des chercheurs dans les différents domaines de la science. Cet objectif explique l’accent mis sur le travail collectif ainsi que la valeur accordée à ce qui peut être intersubjectivement saisi. De là, la recherche d’un système formulaire neutre, d’un symbolisme purifié des scories des langues historiques, de là aussi la recherche d’un système total de concepts. La netteté et la clarté sont visées, les lointains sombres et les profondeurs insondables refusées ; en science, pas de « profondeurs », tout n’est que surface. [ …] La conception scientifique du monde ne connaît pas d’énigmes insolubles. La clarification des problèmes philosophiques traditionnels conduit en partie à les démasquer comme de simili-problèmes, en partie à les transformer en problèmes empiriques, par là même soumis au jugement de la science de l’expérience. Clarifier des problèmes et des énoncés, et non poser des énoncés proprement « philosophiques » constitue la tâche du travail philosophique. La méthode de cette clarification est celle de l’analyse logique. »2 CARNAP : « C'est un point établi plus haut que le sens d’un énoncé est la méthode de sa vérification. Un énoncé ne dit que ce qui est en lui vérifiable. C'est la raison pour laquelle il ne peut affirmer, s’il affirme vraiment quelque chose, qu’un fait empirique. Une chose située par principe audelà de l’expérience ne saurait être énoncée, pensée ni questionnée. On peut ranger les énoncés (doués de sens) de la manière suivante : en premier lieu, ceux qui sont vrais en vertu de leur seule forme (ou « tautologies » d’après Wittgenstein. Ils correspondent à peu près aux « jugements analytiques » kantiens). Ils ne disent rien sur le réel. A cette espèce appartiennent les formules de la logique et de la mathématique ; elles ne sont pas elles-mêmes des énoncés sur le réel mais servent à leur transformation. En second, 2 Hahn, Neurath, Carnap « la conception scientifique du monde. Le cercle de Vienne. » (appelé aussi « manifeste du cercle de Vienne »), trad. collective, in Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, sous la direction de Antonia Soulez, Paris, Puf, collection « Philosophies d’aujourd’hui », 1985, p. 115, sq. viennent les négations des premiers (ou « contradictions ») qui sont contradictoires, c'est-àdire fausses en vertu de leur forme. Pour décider de la vérité ou fausseté de tous les autres énoncés, il faut s’en remettre aux énoncés protocolaires, lesquels (vrais ou faux) sont par là même des énoncés d’expérience, et relèvent de la science empirique. Si l’on veut construire un énoncé qui n’appartienne pas à l’une de ces espèces, cet énoncé sera automatiquement dénué de sens. Et puisque la métaphysique ne veut ni formuler d’énoncés analytiques ni se couler dans le domaine de la science empirique, elle est contrainte d’employer des mots en l’absence de tout critère, des mots qui sont de ce fait privés de signification, ou bien de combiner des mots doués de sens de sorte qu’il n’en résulte ni énoncés analytiques (éventuellement contradictoires), ni énoncés empiriques. Dans un cas comme dans l’autre, on obtient inévitablement des simili-énoncés. L’analyse logique rend dès lors un verdict de non-sens contre toute prétendue connaissance qui veut avoir prise par delà ou par derrière l’expérience. Ce verdict atteint d’abord toute métaphysique spéculative, toute prétendue connaissance par pensée pure ou par intuition pure, qui croit pouvoir se passer de l’expérience. Mais le verdict s’applique aussi à cette métaphysique qui, issue de l’expérience, veut connaître au moyen d’inférences particulières ce qui se trouve hors de ou derrière l’expérience (ainsi, la thèse néo-vitaliste d’une « entéléchie » à l’œuvre dans les processus organiques et qui ne doit pas être conçue de manière physique ; ainsi la question portant sur l’ « essence de la causalité » par delà la constatation de certaines régularités de succession ; ainsi, le discours sur la « chose en soi »). […] Mais que reste-t-il alors finalement à la philosophie, si tous les énoncés qui disent quelque chose sont de nature empirique et appartiennent à la science du réel ? Ce qui reste, ce n’est ni des énoncés, ni une théorie, ni un système, mais seulement une méthode : la méthode de l’analyse logique. »3 Carnap « Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage », trad. collective, in Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, sous la direction de Antonia Soulez, Paris, Puf, collection « Philosophies d’aujourd’hui », 1985. p. 172, sqq. 3 BACON : « Ceux qui ont traité les sciences furent ou des empiriques ou des dogmatiques. Les empiriques, à la manière des fourmis, se contentent d’amasser et de faire usage. Les rationnels, à la manière des araignées, tissent des toiles à partir de leur propre substance ; mais la méthode de l’abeille tient le milieu : elle recueille sa matière des fleurs des jardins et des champs mais la transforme et la digère par une faculté qui lui est propre. Le vrai travail de la philosophie est à cette image. Il ne cherche pas son seul ou principal appui dans les forces de l’esprit ; et la matière que lui offre l’histoire naturelle et les expériences mécaniques, il ne la dépose pas telle quelle dans la mémoire, mais modifiée et transformée dans l’entendement. Aussi, d’une alliance plus étroite et plus respectée entre ces deux facultés, expérimentale et rationnelle (alliance qui reste à former), il faut bien espérer. » 4 4 Bacon, Novum Organum, Introduction, trad et notes par Michel Malherbe et Jean Marie Pousseur, Paris, PUF, Epiméthée, 1986, Livre I, Aphorisme 95, p. 156 sq.