I. LE ROMANTISME, PREMIERE RÉVOLUTION LITTÉRAIRE MODERNE. Le

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I. LE ROMANTISME, PREMIERE RÉVOLUTION LITTÉRAIRE
MODERNE.
Le Romantisme, premier grand chapitre de l'histoire littéraire du XIXe
siècle, est à la fois une remise en question de la doctrine classique et
l'affirmation de nouvelles valeur spirituelles. L'esprit romantique naît sous le
signe d'un changement profond dans la représentation que l'homme se fait de
lui-même et de ses rapports avec le monde, ce qui engendre une nouvelle
conception sur l'individu, la société et l'histoire, mais aussi une manière
originale de sentir, de vivre et de s'exprimer. Selon Baudelaire, "le
romantisme n'est précisément ni dans le choix des sujets, ni dans la vérité
exacte, mais dans la manière de sentir…Qui dit romantisme dit art moderne c'est-à-dire intimité, spiritualité,
couleur, aspiration vers l'infini, exprimées par tous les moyens que
contiennent les arts".
Le Romantisme apparaît à la fois comme rupture et continuité dans le
domaine de la pensée, de la littérature et des beaux-arts. En ce sens, on doit
placer le romantisme français dans le contexte d'un romantisme européen (en
particulier anglais et allemand), sans oublier les éléments préromantiques de
la littérature française du XVIIIe siècle. En France, les bouleversements
socio - politiques de l'époque (la Révolution de 1789, l'Empire napoléonien,
la Révolution de 1830) ont aussi agi sur la pensée philosophique, artistique
et littéraire. Le Romantisme a représenté un renouvellement des principes,
du contenu et des formes littéraires, ainsi qu'une nouvelle conception sur
l'homme, la société et l'histoire, une attitude morale et philosophique, basée
sur la liberté sur tous les plans. L'idée du devenir et du progrès constitue une
dominante de la pensée des romantiques, qui veulent prendre part à
l'évolution de la société. Mais ils sont en désaccord avec la société et ce
malaise spirituel est connu sous le nom de "mal du siècle". Ils préfèrent
s'isoler et chercher un refuge dans leurs sentiments les plus intimes, dans la
nature consolatrice, dans l'aspiration vers la mort et le néant. D'autres
éprouvent
le désir d'intervenir, par la littérature, dans l'évolution de la société
contemporaine, transformant leur mécontentement en une révolte, en une
attitude active, sous l'influence de la révolution de 1830. Cette responsabilité
humanitaire constitue l'un des héritages les plus chers laissés à la postérité.
La complexité des phénomènes littéraires au XIXe siècle rend difficiles
toute classification. parlent de périodes dans l'histoire du Romantisme
français, ayant des caractères distincts : la Ière période (1800 - 1830) est
dominée surtout par des préoccupations théoriques et les debats dans les
groupes et les cénacles romantiques, où se préparait l'élaboration d'une
doctrine. Mme de Staël a le mérite d'avoir élaboré les principes de la
littérature romantique, dans les ouvrages De la littérature (1800) et De
l'Allemagne (1810), où elle souligne la perfectibilité de l'esprit humain; la
relativité du goût; la différence entre la littérature du Nord et la littérature du
Midi. Le "romantisme"
désigne une littérature moderne, issue de l'âme moderne. D'autres écrits
théoriques sur le Romantisme sont Racine et Shakespeare, par Stendhal et la
Préface du drame Cromwell (1827), par V. Hugo. La IIe période du
Romantisme (1830 - 1850) est dominée par les grands chefs-d'oeuvre de la
littérature romantique: après 1830, il n'y a plus d'école, il y a de grands
créateurs.
Alphonse de Lamartine (1790-1869). La publication de ses Méditations
poétiques
(1820) est l'une des grandes dates de la littérature française du XIXe siècle.
Ce recueil eu un succès éclatant, car les lecteurs attendaient la transposition
en vers des tendances profondes du romantisme: subjectivité, étalage du
Moi, sensibilité extrême, sentimentalité, communion avec la nature
aspiration vers l'infini. Lamartine a su insuffler à la poésie lyrique l'émotion
sincère d'une âme qui dévoilait ses sentiments les plus délicats, l'expression
d'un état d'âme. Sa poésie cessait d'être seulement un jeu de
l'intelligence et de l'imagination, elle devenait sentiment et émotion. Ses
élégies L'Isolement, Le Lac, Le Vallon, Le Soir, L'Automne - reflètent la
confession d'un Moi, qui raconte ses sentiments et ses tristesses, une mélodie
intérieure, rêveuse et mélancolique, un "cri de l'âme", un chant intime, qui
résonnait dans le coeur de ses contemporains.
La nature devient un état d'âme, un élément consolateur, lié à la sensibilité,
aux joies et aux souffrances du poète. L'évocation d'un site, conçu comme un
"paysage intérieur", amène une méditation sur les problèmes humains,
d'ordre général - l'amour, la solitude, la fuite implacable du temps, la mort.
Chez lui, l'amour est un sentiment purifié, qui ennoblit les êtres et les fait
s'élever vers l'idéal, dans une communion avec l'univers. La femme, plutôt
adorée qu'aimée, est le symbole de l'éternel féminin. Le Lac, la plus célèbre
élégie inspirée par l'amour, est marqué par l'absence de la femme aimée et
par le pressentiment de sa mort prochaine. C'est une méditation sur la fuite
inexorable
du temps, sur la brièveté de la vie, par rapport à l'éternité de la nature, seule
capable de garder le souvenir de notre félicité passée. Le poème dévoile
l'échange mystique entre l'homme et la nature qui, seule, peut immortaliser
le souvenir d'un grand amour. La cadence des vers naît l'impression d'une
mélodie suave et enchanteresse. Le poète écrivait en 1823: "Classique pour
l'expression, romantique dans la pensée, à mon avis, c'est ce qu'il faut être".
Ses Recueillements poétiques (1839) marque la nouvelle orientation de sa
pensée et de sa poésie, sa foi au progrès, sa confiance dans un avenir
meilleur, sa pitié pour les souffrances humaines (A M.Félix Guillemardet;
La Marseillaise de la paix).
Le poème La Vigne et la Maison, chef-d'oeuvre lyrique, est un émouvant
témoignage de sa vie et de sa création. Lamartine a le mérite d'avoir
représenté la première manifestation poétique d'une nouvelle subjectivité: la
poésie lyrique devient une confession personnelle, l'épanchement d'une
affectivité et la recherche des profondeurs du Moi.
Victor Hugo (1802-1885). Poète, dramaturge, romancier, Victor Hugo
représente, au XIXe siècle, l'incarnation la plus illustre du génie universel.
Personnalité puissante, passionnée et active, tempérament excessif, Hugo a
dominé tout le siècle. Tout jeune il s'est imposé comme le chef de l'école
romantique. Le Cénacle (1827, tenu dans sa maison) préparait une
révolution artistique (v. "la bataille d' Hernani" (1830). Hugo est le poète par
excellence, qui a médité, dans ses poésies lyriques, épiques et satiriques, aux
problèmes de la destinée humaine, de l'histoire et de l'univers. Il y a une
grande distance entre l'auteur des premiers recueils et celui des poèmes de
maturité, qui révèlent un esprit interrogatif et inquiet, "le génie sans
frontières", selon Baudelaire. Sensibilité, imagination, don d'observation,
rêverie, curiosité méditative et génie visionnaire, excellente maîtrise du
langage poétique, vitalité et longévité, - le tout porté à l'échelle du "prodige"
et de la "démesure"" -, tout cela a fait de son oeuvre poétique l'expression
parfaite de l'art romantique en France. Son écriture fonctionne
comme réceptacle, miroir réfléchissant et instrument d'une élévation
thématique et formelle, concrète et réflexive, individuelle et collective.
Dans ses recueils de jeunesse Odes et Ballades (1828) et Les Orientales
(1829), l''intérêt
réside moins dans leur thématique, que dans leur souffle lyrique
authentique.. Il donne libre cours à sa fantaisie typiquement romantique,
éprise de légendes des temps anciens. Le poète se sent investi d'une haute
mission : "Il doit marcher devant les peuples, comme une lumière et leur
montrer le chemin".
Dans les années 1830 - 1840, considérées "la période moyenne" de sa
création, Hugo publie "la tétrade lyrique" (les 4 livres - frères) - Les Feuilles
d'automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures
(1837), Les Rayons et les Ombres (1840) -, qui révèlent un renouvellement
et un enrichissement constants de son inspiration et de son lyrisme. Les
Feuilles d'automne approfondissent la poésie du Moi, en la projetant sur une
verticale du regard et du souvenir-histoire et visions cosmiques. Les poèmes
Ce qu'on entend sur la montagne, La Pente de la rêverie et Pan renferment
des interrogations sur les énigmes de la vie et de la conscience humaine. Les
Chants du crépuscule combinent, à partir de l'ambiguïté du titre (crépuscule
du matin : crépuscule du soir), tous les contraires possibles, - "le jour et la
nuit", "le Oui ou le Non" (Préface),
"l'espoir et le doute", "le passé et l'avenir", et rend une vision aux
connotations politiques et sociales marquées (cf. Dicté après 1830; A la
Colonne). Dans Les Voix intérieures, les trois voix qui se font entendre dans
l'âme du poète sont la voix de l'homme, la voix de la nature et la voix des
événements, visant à en dégager un "sage enseignement". Le dernier recueil,
Les Rayons et les Ombres, achève et accomplit "la seconde période de la
pensée de l'auteur" (cf. Préface), sous un horizon "plus élargi", "un ciel plus
bleu", "un calme plus profond". La Préface du recueil condense l'expérience
majeure de la tétrade : "Tout se tient, tout est complet" Le poème Fonction
du poète y est un plaidoyer pour le poète,
qui participe aux luttes de la cité. Homme, nature, société; passion, action,
rêverie; savoir, penser, rêver, y figurent parmi les thèmes qui font de la
poésie de Hugo une illustration de la totalité universelle. L'horizon élargi de
ce recueil reflète le triple clavier du politique, du métaphysique et de
l'esthétique. Le recueil reprend aussi les thèmes de son lyrisme: l'amour,
comme instant privilégié de la vie humaine (Tristesse d'Olympio), la nature
en accord avec les sentiments humains (Océano Nox). Tristesse d'Olympio
contient les thèmes romantiques de la poésie lyrique: la communion avec la
Nature; l'amour; la fuite inexorable du temps; la méditation sur la destinée
humaine. Par la mémoire affective, le poète vise à établir une continuité
entre le passé, le présent et l'avenir, et à confier à la
Nature éternelle le souvenir du bonheur de l'amour. Epoque des chefsd'oeuvre poétiques. Treize ans vont s'écouler jusqu'à la parution d'un
nouveau volume de vers. Deux expériences majeures, - le deuil ((la mort de
sa fille Léopoldine, en 1843) et
l'exil (1851-1870) - orientent la méditation du poète sur les grands
problèmes de la destinée humaine, élevant sa création aux plus hauts
sommets. Ennemi de Napoléon III, Hugo est l'Exil, la Patrie, la Liberté, la
Justice. C'est le Prophète, le Guide qui annonce les temps meilleurs.
L'itinéraire politique de Hugo connaît, sous le coup de 1848 et de 1851, une
orientation définitive vers la gauche, vers les idées libérales et républicaines.
Après le coup d'Etat du 2 déc. 1851, il part pour l'exil et ne rentrera en
France qu'à la chute du Second Empire (1870). Le témoignage de cette
époque ardente, de cette expérience de la colère et de la lutte, c'est d'abord le
pamphlet Napoléon le Petit (1852), dont l'énorme
succès élevait Hugo à la hauteur historique de son adversaire et le confirmait
dans la mission du poèteguide, défenseur de la Justice. En 1853 paraît le
recueil de vers satiriques Châtiments, véritable "art poétique de la colère"
(cf. Jean Gaudon): par le crime contre Napoléon Ier, ajouté au crime de la
République, Hugo dénonce l'usurpation du faux empereur (Louis Napoléon).
Le poète y a voulu donner une structure interne cohérente, correspondant à
une vision d'ensemble, par les 2 poèmes: Nox (au début), exprimant la nuit
du coup d'Etat et Lux (à la fin), symbole de l'avenir républicain. Les six
premiers livres reprennent ironiquement les formules officielles, par
lesquelles Napoléon III voulait légitimer le coup d'Etat: La Société est
sauvée/ L'Ordre est rétabli / La Famille est restaurée / La Religion est
glorifiée/ L'Autorité est sacrée/ La Stabilité est assumée. Le septième livre
contient une conclusion suggérée par le titre même: Les Sauveurs se
sauveront. A souligner l'extrême variété des vers et la richesse du
vocabulaire, de l'invective et de la polémique, aux accents touchants de pitié
pour les pauvres (Souvenir de la nuit du 4). Le recueil est basé sur une
immense antithèse historique: d'une
part, la figure légendaire de Napoléon Ier , d'autre part, sa caricature sans
gloire, Napoléon III (cf. L'Expiation). La perspective d'un avenir lumineux
en contraste avec le présent sombre, le sentiment d'être responsable pour
l'avènement de cet avenir, rehaussent la satire et l'épopée, au niveau d' un
messianisme généreux. Le poète a la certitude d'être du côté de la lumière,
de la justice et de la liberté.
A remarquer aussi l'extrême richesse de ses moyens artistiques, depuis la
chanson populaire, l'élégie, la diatribe, jusqu'à la fresque historique. "C'est
avec les Châtiments que naît ce plus grand poète: le Victor Hugo de
l'exil"(Albouy).
En 1856 Hugo fait paraître, à Bruxelles et à Paris Les Contemplations,
son second chef-d'oeuvre, où il atteint l'apogée de son lyrisme. La longue
méditation du poète sur la destinée humaine y parvient à l'expression la plus
profonde et la plus complète. Recherche du sens de l'existence, le recueil
évoque et opère une double progression: celle qui ouvre le Moi à maintes
expériences, de valeur croissante: la jeunesse, l'amour, les luttes, les rêves, le
deuil, l'exil, la contemplation. Véritable "miroir de l'âme" (Préface), cet
ample chef-d'oeuvre de la poésie lyrique (11.000 vers) retrace son itinéraire
psychologique et moral, durant 25 ans. Dans ses "mémoires d'une âme", il a
mis " toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les
fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience.. C'est
l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme
du cercueil.. Une destinée est écrite là, jour à jour" (Préface). C'est une âme
qui se raconte dans ces 2 volumes: Autrefois (1830-1843) et Aujourd'hui
(1843-1855). Un abîme les sépare: le tombeau" (Préface). Autrefois contient
3 livres: I. Aurore (évocations de jeunesse); II. L'Ame en fleur (premiers
frissons de l'amour); III. Les luttes et les rêves (la misère, la pitié).
Aujourd'hui contient à
son tour 3 livres: IV. Pauca meae (le deuil); V. En marche (la politique, la
solitude); VI. Au bord de l'infini (le message philosophique). Les
Contemplations forment un tout indissociable, mais pouvant se lire sur
plusieurs plans: a) sur le plan extérieur, comme un recueil de souvenirs
personnels de l'écrivain discuté (Réponse à un acte d'accusation), de
l'homme raillé (Ecrit en 1846), du proscrit, de l'amant (Lise), du père
cruellement éprouvé (A Villequier; Demain, dès l'aube, Veni, vidi, vixi), du
penseur (Ce que dit la Bouche d'Ombre). La démarche contemplative
approfondit la vision, visant à dépasser le niveau de la sensation, pour
aboutir à la méditation philosophique; b) sur le plan largement humain,
comme tentative de suggérer à travers les événements de l'existence, le sens
de la condition humaine; c) sur un plan plus bouleversant, comme un
admirable poème de l'Amour et de la Mort.
Selon Baudelaire la création hugolienne a acquis "un caractère
méditatif et interrogatif". Hugo lui apparaît comme "la Statue de la
Méditation qui marche". Il considère que Hugo est le mieux doué pour
exprimer, par la poésie, le mystère de la vie: "Génie sans frontières", Hugo
possède "la curiosité d'un OEdipe obsédé par d'innombrables Sphinx" (cf.
L'Ame romantique, 1865).
Somme de la poésie épique, La Légende des siècles (1859; 1877;
1883) offre, après Les Contemplations, un éloignement de Moi individuel,
en même temps qu' une vue d 'ensemble de 'histoire humaine.. Pour le poète,
raconter l'histoire de l'humanité devient sa propre manière de 'exprimer,
illustrant les légendes de l'Antiquité (la Grèce, Rome), La mythologie
biblique (Le Sacre de a Femme; Dieu; La Fin de Satan), les civilisations
anciennes, le Moyen Age (Le Mariage de Roland) et le XVIe siècle (Le
Satyre), ainsi que le temps présent (Le Cimetière d'Eylau). "Cette épopée a
pour
héros L' HOMME et une pensée commune, LE PROGRÈS", affirme-t-il
dans la Préface, en précisant qu'il voulait illustrer "les étapes de la
civilisation humaine, depuis Eve, mère des homes, jusqu'à la Révolution,
mère des peuples"..Le poète exprime sa foi au progrès, à l'avènement de la
Justice et de la Lumière. Le recueil possède une grandeur monumentale, qui
assure son unité et qui est celle de l'épopée. Baudelaire soulignait la portée
légendaire et mythique de cette "l'épopée moderne".
La qualité de la poésie hugolienne est due, à la fois, à l'extrême
richesse d'images (à "l'imagination des yeux") et à la grande virtuosité
technique de son créateur. Chaque spectacle, chaque vision semble trouver
spontanément, chez lui, sa forme idéale d'expression, à travers les images,
tout d'abord. Il utilise toutes les ressources de l'imagerie poétique
(comparaisons somptueuses, métaphores saisissantes etc.). Son génie
inventif osa tout remodeler dans le domaine des formes poétiques.
Selon Baudelaire, "Hugo possède non seulement la grandeur, mais
l'universalité"
Les catégories narratives du roman balzacien
La temporalité narrative. Pour encadrer la fiction dans le contexte sociohistorique, Balzac commence son récit "in medias res" : "Vers la fin du mois
d'octobre de l'année passée…"(La Peau de chagrin) ou "Lors de l'expédition
française faite en Espagne…"(La Duchesse de Langeais), etc. Ces
indications visent à suggérer une certaine coïncidence entre le temps des
événements et le temps du récit. Parmi les distorsions temporelles, on
rappelle "le retour en arrière" (flash-back), procédé narratif justifié par le
modèle scientifique, analogique et causal (vu le conditionnement sociohistorique de
l'individu). L'auteur lui confère une fonction justificative et vise à récupérer
les antécédents du personnage, ce qui va motiver sa conduite ultérieure. Ces
"retours en arrière", assumés par le narrateur omniscient, permettent d'offrir
au lecteur un système informationnel complet et de faire redémarrer le récit
au moment présent (au début du roman, M. Grandet est déjà riche et maire
de Saumur, mais, grâce au "retour en arrière", on apprend le moment qui
avait favorisé son enrichissement).
L'alternance des scènes dramatiques dialoguées et des récits
sommaires (concentrant une riche substance événementielle) est à l'origine
de ce rythme de plus en plus accéléré vers le dénouement.
L'espace descriptif. La découverte de la socialité et de l'historicité de
l'individu, de l'interdépendance entre l'homme et le milieu, ainsi que l'impact
de l'histoire sur l'individu entraînent une véritable révolution de la narration
et de la description. La narration, qui veut rendre comte de la société dans
son intégralité, se dilate par n ample espace descriptif, pris en charge par le
narrateur. On recourt d'abord à la description du cadre, pour suggérer le
milieu où vivent ses héros. Les détails en sont "connotateurs de mimésis"
(G.Genette), devenant les signes d'une réalité profonde (v. La description de
la pension Vauquer ou de la maison de Grandet). D'autres détails
synthétisent la série paradigmatique des phénomènes similaires (la
description de la vie de Saumur renvoie à l'aspect de toute ville de province).
On remarque une approche par couches successives: ville - rue - maison intérieur de la maison. Il s'agit là de toute une mythologie nouvelle en
formation, à partir du détail, qui acquiert sa profonde signification par le
rapport, ce qui a fait Pierre Barbéris parler d' "un réalisme d'interprétation".
Balzac réalise une exploration du passé, grâce à cette lecture de signes, où
les détails, véritables "effets de réel", sont subordonnés à la narration. Le
portrait est aussi réalisé d'après des règles précises. Balzac imagine une fiche
signalétique du héros, contenant nom, prénom,
profession, vêtements, tics et manies, mimétisme du langage et quelques
traits de caractère, car le reste sera dévoilé au cours de l'action et par le
dialogue. Dans la réalisation du portrait, il y a aussi une approche
successive, de l'extérieur vers l'intérieur. Pour Balzac, créer, c'est avant tout
imaginer des documents humains. La tentation de connaître et de révéler les
secrets des hommes, de dominer le monde, par la connaissance, Balzac l'a
parfois attribuée à certains personnage, tels l'Antiquaire,l'Artiste, ou bien
Gobseck et Vautrin, maîtres des destinées et philosophes lucides.
Pou les conquérants, il y a une assimilation de l'homme par le milieu,
mais cela, au détriment de leur idéal de vie et de leurs rêves. Vautrin est
capable de s'intégrer à tous les milieux, de "hors-la-loi" jusqu'à "l'homme de
la loi". Ayant la vocation démiurgique, Vautrin est un alter-ego de l'écrivain.
Albert Thibaudet considérait Balzac "le plus grand créateur d'êtres
vivants, qui ait jamais existé". En effet, Balzac fait la typologie d'une société
à l'aide de 2-3000 personnages, représentant maintes catégories sociales; ce
sont autant de personnages typiques envisagés dans des conditions typiques.
Mais Balzac a eu aussi l'ambition de présenter l'infinie variété des espèces
humaines et sociales, à l'aide de quelques types fondamentaux (ou
archétypes), tels Goriot, "le nouveau roi Lear"; Gobseck, "le Brutus des
usuriers"; Nucingen, "le Napoléon des affaires".
Pour donner du relief à ses personnages et illustrer leur évolution,
Balzac a eu l'idée géniale du retour des personnages (dans plusieurs romans),
tels Vautrin, Nucingen, Rastignac. Une fois mis en place l'ample espace
descriptif, à fonction explicative, justificative et symbolique, le récit va
évoluer grâce à l'alternance de scènes dramatiques et dialoguées et de récits
sommaires, l'action s'accélérant de plus en plus, jusqu'au dénouement. Chez
Balzac, la perspective narrative appartient au narrateur
omniscient, qui possède plus d'informations que le personnage et qui veut
tout expliquer; à rappeler les célèbres digressions de l'auteur sur la
philosophie, la sociologie, l'économie, la science et les arts.
Le discours narratif stendhalien.
La perspective narrative: En tant que créateur de l'homme psychologique,
Stendhal opère un transfert de perspective à l'intérieur du personnage,
rejetant les attributs du narrateur omniscient de type balzacien. Le lecteur est
invité à percevoir la réalité (sites, situations, caractères) à travers le
tempérament et la capacité de compréhension du héros. En fait, Stendhal
mène double jeu dans ses romans, se trouvant simultanément avec et en
dehors de ses héros, par l'habile interférence des points de vue partiels et
subjectifs du protagoniste et des intrusions d'auteur (la description de la
bataille de Waterloo, vue dans la perspective discontinue et lacunaire de
l'inexpérimenté Fabrice, "qui à vrai dire ne comprenait rien à rien", est
enrichie par les propos ironiques et amusés du narrateur, qui avait été, dans
sa jeunesse, participant ou témoin oculaire aux batailles napoléoniennes).
Cette perspective variable exprime une vérité relative et plurielle et établit
un flux permanent entre le narrateur, le héros et le lecteur. Pourtant
l'intrusion d'auteur n'a jamais lieu au niveau des faits, mais au niveau de
l'esprit, contribuant à une meilleure compréhension de l'événement ou du
héros en question.
Etant donné la formation égotiste de l'auteur, le protagoniste est une
réverbération de l' Ego stendhalien et son devenir, une modalité de réaliser
ses Moi possibles, ses existences imaginaires.
Le statut du personnage. Le statut du personnage. Le devenir du héros
masculin constitue l'épine dorsale de la structure du roman stendhalien et
tous les autres personnages entretiennent des relations plus ou moins étroites
avec celui-ci. On perçoit l'évolution du héros, à la fois de l'intérieur (par le
Monologue intérieur ou par le style indirect libre) et de l'extérieur (par le
dialogue), ce qui lui donne une grande consistance psychologique. Doué
d'une grande disponibilité spirituelle, investi de sensibilité et d'énergie (deux
traits de sa propre nature, que Stendhal a idéalisés), le héros se trouve
toujours impliqué dans des "foyers conflictuels", qui régissent l'intrigue et en
assurent le dynamisme et l'authenticité. Julien, le plébéien supérieur par
l'intelligence et l'éducation, opposé aux vils potentats de son temps, est
tiraillé entre l'amour et l'ambition ; Fabrice, comblé de dons, insouciant et un
peu frivole, préoccupé de la joie de vivre, jouit du moment présent, sans se
soucier de l'avenir. Son devenir n'est pas entravé par des conflits intérieurs
(car la Sanseverina et Mosca veillent sur lui), mais par des conflits extérieurs
(liés à ses aventures amoureuses). Les femmes font partie du triangle
amoureux
(Julien Sorel, entre Mme de Rénal et Mathilde de la Mole; Fabrice, entre
Clélia et Sanseverina). Les personnages secondaires existent toujours en
fonction du héros: il y a des personnages au rôle actif, qui influencent le
devenir du héros (M.de Rénal; M.de la Mole, Mosca, M.Leuwen); des
personnages au rôle de médiateur (l'abbé Pirard, Mosca); des personnages
épisodiques (Valenod, Norbert, Conti).
La vision introspective du protagoniste engendre la prolifération du
monologue intérieur, modalité mimétique, capable de rendre les pensées et
les sentiments du héros (c'est un moyen d'éducation, un instrument d'autoconnaissance). C'est en général l'apanage des personnages-clé, pour suggérer
leur richesse spirituelle; il dévoile une multitude de sentiments, par la saisie
directe du Moi, dans un moment de trouble extrême. Deux exceptions: les
M.I. de M.de Rénal et de Mosca, générés par la jalousie (v. la beauté des
"métaphores dans le miroir" de Mosca - Julien). Les autres entrent en contact
avec le protagoniste, par le dialogue. L'alternance des registres narratifs se
réalise par une transgression subtile, variant le ton et assurant la pluralité la
relativité des "points de vue".
L'espace descriptif est présenté du point de vue du protagoniste, étant
marqué par le climat moral de celui-ci. Le changement du cadre sert
toujours à faire démarrer une nouvelle étape de la vie du héros. Le portrait,
pris en charge par le protagoniste cultive la technique du vague et du
clairobscur. Les mini-portraits successifs se constituent en métaphores de la
cristallisation en amour". Le langage des yeux sont de véritables "miroirs de
l'âme ".
La temporalité. Poursuivant la trajectoire d'une existence, Stendhal conçoit
le déroulement chronologique. En fait il y a plusieurs niveaux temporels (le
temps des événements, le temps du héros, le temps réfléchi du narrateur). Il
y a une correspondance entre le rythme intérieur des états d'âme et le rythme
intérieur des événements. Stendhal fait un large usage de l'ellipse narrative :
l'ellipse des sentiments, car peindre le bonheur, c'est l'affaiblir; l'ellipse des
intentions (l'achat des pistolets); l'ellipse à contenu idéologique, à travers la
conscience partisane de Stendhal). Par la collaboration avec
le lecteur, l'auteur réalise "le do it your self" ou "faites-le vous même" (Jean
Mouton). Le style de
Stendhal est sobre et concis, obéissant aux lois suprêmes de son art :
vérité et sincérité.
Le discours narratif flaubertien.
Vu les efforts incessants de l'écrivain de réaliser une parfaite unité entre
l'idée et la forme, et surtout "le souci de la beauté extérieure", la recherche
fébrile du mot unique et irremplaçable, on peut en déduire l'assouplissement
du discours narratif flaubertien et la spécificité de la technique narrative.
La perspective narrative. Rejetant la perspective omnisciente, Flaubert
choisit la "vision" avec le personnage. Il s'agit d'une focalisation variable:
tantôt sur le(s) personnage(s) (prédominante), tantôt sur le narrateur
(perspective discrète, au niveau métaphorique du texte), qui ennoblit le récit.
L'espace descriptif est subordonné dans une large mesure à l'optique d'un
personnage,
s'interposant entre l'objet et nous. Dans Madame Bovary et L'Education
sentimentale, Flaubert opère des variations permanentes de "points de vue".
Par exemple, on voit Emma à travers les regards de Charles, de Rodolphe ou
de Léon; on voit Charles, Rodolphe, Léon, à travers le regard d'Emma. La
petite Berthe, contemplée par Charles, est charmante et gracieuse; vue par
Emma, elle est laide. Les déterminations spatiales y sont non-pertinentes,
mais elles servent parfois à faire redémarrer l'action.
Les romans y avancent par cercles interférents ou tangentiels. Selon M.
Zéraffa, on peut parler, surtout dans Madame Bovary, d'une orchestration
polyphonique, par les descriptions successives de Tostes,Yonville et Rouen;
rappelons aussi les dissonances de l'épisode des Comices agricoles, où l'on
distingue 3 niveaux superposés: en bas, les paysans et les animaux; au IIe
niveau, les notables, sur l'estrade, dont les discours prétentieux sonnent faux;
au IIIe niveau, il y a Emma et Rodolphe, qui nouent leur idylle amoureuse
La juxtaposition de paroles étoile le texte, le sens n'est plus que cohabitation
fluctuante des énoncés, sans blocage hiérarchique du discours.
Les détails du cadre sont, chez Flaubert, moins marqués du point de vue
sociologique, mais on remarque plutôt l'exploitation picturale du détail.
Selon Proust, "ce qui jusqu'à Flaubert était action devient impression"
(Chronique), ce qui constitue sa grande révolution. Par ex. au bal de la
Vaubyessard Emma regarde par la fenêtres et aperçoit les figures des
paysans qui, de l'extérieur, assistent au spectacle. Des images - souvenirs de
son enfance et de son adolescence lui reviennent en mémoire et, avec elles,
les aspirations et les rêves d'autrefois. Vu que le roman flaubertien est écrit à
la IIIe personne, la perspective du (des) personnage(s) sera généralement
rendue par le récit transposé en
style indirect libre, capable de suggérer la représentation mimétique des
paroles et des pensées des personnages, ce qui confère plus d'authenticité au
flux de conscience de personnage ( le rêve de la lune de miel plein de clichés
romantiques, dévoilant manière esthétisante d'envisager le bonheur ou les
proménades en bateau de Frédéric, illustrant l'écoulement paisible d'une vie
inutile). Toute métaphore est ressentie comme une présence étrangère et
c'est au niveau métaphorique qu'on constate "la présence stylistique" du
narrateur, rehaussant la valeur du discours des personnages: "l'odeur des
cataplasmes" se mêle à "la verte odeur de la rosée. Charles regarde Emma
d'un air émerveillé, au bal: "ses ongles brillants" sont "plus nettoyés que les
ivoires de Dieppe" (métaphore appartenant au niveau culturel de Flaubert).
L'écrivain transmet la fascination que les objets exercent sur lui et joue
parfois le rôle de médiateur entre les êtres et les objets du décor. Baudelaire
soulignait l'étonnante profondeur du double registre de Flaubert, rappelant
"les hautes facultés d'ironie et de lyrisme".
La temporalité narrative. Flaubert réalise une coïncidence temporelle entre
l'histoire et le récit.. L'emploi massif du récit itératif (à l'aide de l'imparfait)
suggère la monotonie de l'existence.
L'alternance des temps, le récit duratif ou répétitif (par l''imparfait) et du
récit singulatif (par le passé simple) est un trait caractéristique du discours
narratif flaubertien.
Malgré la volonté de s'effacer derrière ses personnages le narrateur remplit
certaines fonctions: narrative (il raconte les événements), idéologique, par
des commentaires implicites à l'égard de l'histoire (" le demi-siècle de
servitude" de la vieille servante). La fonction stylistique, grâce au registre
métaphorique, sert à ennoblir le discours, car ses personnages sont
médiocres et dépourvus de culture. Le narrateur poursuit toujours un accord
parfait entre les choses, les idées et les événements et leur expression
concrète par le langage.
Flaubert est très attentif au rythme de la prose, à la parfaite
harmonie musicale. Le rythme ternaire est typiquement flaubertien: "Il
appelait, criait , sacrait; "La conversation (de Charles) était plate comme un
trottoir de rue, sans exciter d'émotion, de rire ou de rêverie!", etc. Concision,
sobriété, propriété des termes, richesse de l'image, couleur, mélodie, font du
style de Flaubert l'un des plus parfaits de la prose française ("le style
artiste"). Par "la technique du non destin" ( "le roman sur rien"), Flaubert est
le premier écrivain non-figuratif du roman moderne.
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