GE.04-42251 (F) 220604 020704
Pacte international
relatif aux droits civils
et politiques
Distr.
RESTREINTE*
CCPR/C/80/D/1008/2001
15 juin 2004
FRANÇAIS
Original: ESPAGNOL
COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME
Quatre-vingtième session
15 mars-2 avril 2004
DÉCISION
Communication no 1008/2001
Présentée par:
Isabel Hoyos Martínez de Irujo
(représentée par M. José Luis Mazón Costa)
Au nom de:
L’auteur
État partie:
Espagne
Date de la communication:
4 septembre 2001 (date de la lettre initiale)
Références:
Décision prise par le Rapporteur spécial en application de
l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie
le 11 novembre 2001 (non publiée sous forme de document)
Date de l’adoption
de la décision:
30 mars 2004
[ANNEXE]
* Rendue publique sur décision du Comité des droits de l’homme.
NATIONS
UNIES
CCPR
CCPR/C/80/D/1008/2001
page 2
ANNEXE
DÉCISION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE
DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL
RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
− Quatre-vingtième session −
concernant la
Communication no 1008/2001**
Présentée par:
Isabel Hoyos Martínez de Irujo
(représentée par M. José Luis Mazón Costa)
Au nom de:
L’auteur
État partie:
Espagne
Date de la communication:
4 septembre 2001 (date de la lettre initiale)
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1008/2001, présentée par Isabel Hoyos
Martínez de Irujo en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été transmises par l’auteur
de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication:
M. Abdelfattah Amor, M. Nisuke Ando, M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, M. Alfredo
Castillero Hoyos, Mme Christine Chanet, M. Franco Depasquale, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo,
M. Walter Kälin, M. Ahmed Tawfik Khalil, M. Rafael Rivas Posada, Sir Nigel Rodley,
M. Martin Scheinin, M. Ivan Shearer, M. Hipólito Solari-Yrigoyen, Mme Ruth Wegwood,
M. Roman Wieruszewski et M. Maxwell Yalden.
Le texte de trois opinions individuelles signées de Mme Ruth Wedgwood, M. Rafael
Rivas Posada et M. Hipólito Solari-Yrigoyen est joint à la présente décision.
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page 3
Décision concernant la recevabilité
1. L’auteur de la communication datée du 4 septembre 2000 est Isabel Hoyos Martínez
de Irujo, de nationali espagnole, qui seclare victime de violation par l’Espagne des articles 3,
17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un
conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 janvier 1985.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1 L’auteur est la fille première-née de M. Alfonso de Hoyos y Sánchez, décédé
le 15 juillet 1995. Après le décès, l’auteur a sollicité du Roi l’autorisation de succéder aux titres
et grandesses que possédait son père, parmi lesquels le Ducado de Almodóvar del Río,
con Grandeza de España. L’auteur affirme qu’elle a fait cette demande afin qu’il soit clairement
établi qu’elle était mieux fondée à faire valoir son droit à la succession de ce titre.
2.2 Par ordonnance publiée au Journal officiel le 21 juin 1996, la succession au titre de
Duque de Almodóvar del Río a été accordée à Isidoro Hoyos Martínez de Irujo, frère de l’auteur.
2.3 L’auteur affirme que, outre que son droit est mieux fondé car elle est la première-née, elle
avait accepté de renoncer au titre en vertu d’un accord conclu avec ses frères quant au partage
des titres nobiliaires de leur père. Elle soutient qu’au moment des faits le principe établi par
l’arrêt de la Cour suprême du 20 juin 1987, selon lequel la préférence masculine en matière de
succession de titres nobiliaires était discriminatoire et inconstitutionnelle, prévalait. Toutefois,
cet arrêt a été annulé le 3 juillet 1997 par la Cour constitutionnelle, qui a estimé que la primauté
de l’héritier mâle dans l’ordre de succession aux titres nobiliaires prévus par la loi du 4 mai 1948
et la loi du 11 octobre 1820 n’était ni discriminatoire ni inconstitutionnelle, et que, partant,
l’article 14 de la Loi fondamentale espagnole, qui garantit l’égalité devant la loi, n’est pas
applicable compte tenu du caractère historique et symbolique de l’institution
1
. L’auteur fait
valoir que cet arrêt a incité ses frères à engager des actions en justice pour lui soustraire ses titres
nobiliaires.
2.4 C’est dans ce contexte qu’en juin 1999 l’auteur a engagé une action en justice contre son
frère Isidoro, devant le tribunal de première instance no 6 de Majadahonda, s’estimant mieux
fondée à faire valoir un droit au titre en question.
2.5 Par décision du 11 mai 2000, la juge du tribunal de première instance no 6 de Majadahonda
a débouté la requérante sur le fondement de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 juillet 1997.
La juge a précisé que, bien que partageant l’avis de l’auteur, elle ne pouvait s’écarter de
l’interprétation que la Cour constitutionnelle avait donnée des lois et normes constitutives
de l’ordre juridique.
2.6 L’auteur indique que le paragraphe 2 de l’article 38 de la loi organique relative au Tribunal
constitutionnel dispose: «Les décisions rejetant les recours en inconstitutionnalité et les recours
en défense de l’autonomie locale empêcheront que la même question soit soulevée de nouveau
1
Trois magistrats ont émis des opinions dissidentes au sujet de l’arrêt, estimant que la norme
en question aurait dû être déclarée inconstitutionnelle.
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par l’une quelconque des deux voies, au motif de la même atteinte au même principe
constitutionnel.». Compte tenu de cette disposition, et suite à la décision prise par le Tribunal
constitutionnel le 3 juillet 1997, l’auteur considère qu’aucun recours utile ne lui est ouvert. Elle a
cependant interjeté appel devant l’Audiencia Provincial.
2.7 Le 15 avril 2002, l’État partie a informé le Comité que l’Audiencia Provincial avait statué
le 23 janvier 2002, sur l’appel interjeté par l’auteur et que celle-ci s’était ensuite pourvue
en cassation devant la Cour suprême, laquelle ne s’était pas encore prononcée.
Teneur de la plainte
3.1 L’auteur fait valoir que l’État partie a violé l’article 26 du Pacte qui garantit que toutes les
personnes sont égales devant la loi et interdit toute discrimination fondée, notamment, sur
le sexe. Elle affirme que la loi qui régit la transmission des titres nobiliaires est discriminatoire
à son encontre simplement parce qu’elle est une femme, puisque le titre a été accordé à son frère
cadet en raison de la préférence donnée à l’héritier mâle. Selon l’auteur, la succession aux titres
nobiliaires est régie par la loi, et la juge de première instance n’a pas pu appliquer l’article 26
du Pacte car la jurisprudence de la Cour constitutionnelle s’impose aux juges et aux juridictions,
comme le prévoit la législation espagnole.
3.2 L’auteur rappelle que dans son Observation générale no 18, relative au droit à la
non-dicrimination, le Comité a précisé que: «Alors qu’aux termes de l’article 2 les droits qui
doivent être protégés contre la discrimination sont limités aux droits énoncés dans le Pacte,
l’article 26 ne précise pas une telle limite», et que «de l’avis du Comité, l’article 26 ne reprend
pas simplement la garantie déjà énoncée à l’article 2, mais prévoit par lui-même un droit
autonome. Il interdit toute discrimination en droit ou en fait dans tout domaine réglementé et
protégé par les pouvoirs public.». L’auteur soutient que l’article 26 se réfère par conséquent
aux obligations qui s’imposent aux États en ce qui concerne leur législation et l’application de
celle-ci, et que l’État partie doit donc veiller, lorsqu’il approuve une loi, à ce que les dispositions
de l’article 26 soient respectées, en ce sens que la loi ne doit pas être discriminatoire. Elle fait
valoir qu’étant la première-née l’octroi du titre à son frère cadet constitue une violation
inacceptable du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
3.3 L’auteur affirme également que l’article 3 du Pacte, lu conjointement avec l’article 26,
a été violé dans la mesure où l’État partie est tenu d’assurer le droit égal des hommes et des
femmes d’exercer tous les droits civils et politiques. En outre, elle fait valoir qu’il existe un lien
entre ces dispositions et l’article 17 du Pacte puisque le titre de noblesse constitue, selon elle,
un élément de la vie privée de la famille concernée. À ce sujet, l’auteur rappelle que, dans son
Observation générale no 28 relative à l’article 3 du Pacte, le Comité a reconnu que «l’inégalité
dont les femmes sont victimes partout dans le monde dans l’exercice de leurs droits est
profondément ancrée dans la tradition, l’histoire et la culture…». Elle ajoute qu’au paragraphe 4
du même texte le Comité a précisé que «les articles 2 et 3 font obligation [aux États parties] de
prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’interdiction de toute discrimination fondée
sur le sexe, pour mettre un terme aux pratiques discriminatoires qui nuisent à l’égalité dans
l’exercice des droits tant dans le secteur public que dans le secteur privé».
3.4 Dans une lettre datée du 28 août 2001, l’auteur fait des observations sur les effets de la
discrimination dont elle se dit victime. Selon elle, et bien que le titre de noblesse n’ait aucune
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valeur économique, le fait qu’il lui ait été refusé en raison de son sexe l’a blessée dans sa dignité
de femme et l’a de plus contrainte à consacrer du temps et des efforts, y compris des moyens
financiers, afin de défendre son droit de ne pas faire l’objet de discrimination. L’auteur soutient
qu’elle a été privée du droit qui lui est propre de figurer en qualité de Duchesse de Almodóvar
del Río dans la liste officielle des détenteurs de titres de noblesse, publiée par le Ministère de
la justice sous le titre «Guide des grandesses et titres du Royaume d’Espagne».
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
4.1 Dans sa réponse datée du 16 novembre 2001, l’État partie fait valoir que, conformément à
l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, la communication doit être
déclarée irrecevable étant donné que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il affirme que
l’appel interjeté par l’auteur devant l’Audiencia Provincial de Madrid suit son cours et que la
procédure n’est pas d’une durée excessive.
4.2 D’après l’État partie, il n’est pas possible de faire valoir une violation du Pacte, ni
eu égard aux dispositions du Pacte lui-même et du Protocole facultatif, ni en ce qui concerne
l’ordonnancement juridique interne. Il souligne que dans l’ordre juridique espagnol, la procédure
judiciaire et les recours successifs possibles sont dûment réglementés. En effet, il était possible
de faire appel du jugement du tribunal de première instance devant l’Audiencia Provincial, dont
la décision pouvait elle-même faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême;
enfin, quiconque estime qu’un de ses droits fondamentaux a été violé peut saisir la Cour
constitutionnelle d’un recours en amparo. L’État partie fait valoir que «le fait d’introduire un
recours en appel dans le seul but de donner le temps au Comité de se prononcer sur la présente
affaire, et de présenter parallèlement une communication au Comité, dont les observations
futures seraient susceptibles, le cas échéant, de valider efficacement le recours en appel, revient
à vouloir obtenir du Comité une ingérence indue dans une juridiction interne, ce qui relève de la
compétence du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats».
4.3 L’État partie affirme que la même question a été soumise par d’autres femmes à la Cour
européenne des droits de l’homme, laquelle a déclaré leur demande irrecevable ratione materiae,
non pour la raison invoquée par l’auteur, mais parce qu’elle est parvenue à la conclusion que
l’usage du titre de noblesse est sans rapport avec le droit à la vie privée et à la vie de famille.
4.4 L’État partie fait valoir que l’auteur de la communication n’apporte aucun élément étayant
le grief de violation de l’article 26, étant donné que le port d’un titre de noblesse est uniquement
un usage honorifique, dépourvu du moindre contenu juridique ou matériel. Il ajoute que
si l’usage du titre de noblesse avait un quelconque contenu matériel, c’est-à-dire s’il constituait
un droit fondamental, tous les enfants en hériteraient, sans distinction fondée sur l’ordre de
primogéniture ou le sexe, comme c’est le cas de la transmission des biens du défunt régie par
le Code civil. L’État partie ajoute que si le titre de noblesse avait un contenu matériel, il serait
inconstitutionnel puisqu’il serait l’expression de «la discrimination la plus haïssable, celle qui
est fondée sur la naissance, celle-là même qui pendant des siècles a empêché que les êtres
humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». L’État partie affirme enfin que l’auteur
n’avance aucun argument pour montrer qu’il pourrait y avoir inégalité devant la loi ou violation
des articles 3 et 17 du Pacte; il conteste donc la recevabilité de la communication ratione
materiae conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
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