Si la Gauche essayait1 ? (Carte blanche parue ce mardi 21 juin 2011 dans l’Echo) 1er mai 2018. L’Europe est enfin devenue l’affaire de tous. Les 27 pays membres de l’Union ont entériné hier la directive sur le salaire minimum garanti européen (SMIGE). Après l’harmonisation du taux de l’impôt des sociétés à 25% pour tous les pays membres, qui a sonné le glas du dumping fiscal intra-européen en 2015, il s’agit du deuxième objectif phare de la stratégie « Europe sociale 2020 ». On peut parler d’un pari gagné pour la Gauche européenne qui, en 2011, a opté pour la rupture avec l’Europe libérale et l’austérité en rejetant en bloc le « Pacte pour l’euro +», lui opposant le désormais connu « Pacte pour l’Europe ». Ce dernier avait alors provoqué de nombreux débats, surtout en France et en Allemagne, sur la reconquête idéologique, sociale, culturelle et économique entamée par les partis socialistes, sociaux-démocrates ou travaillistes. Le virage à gauche qui a suivi la crise économique et financière de 2008 ne s’est pas fait sans mal mais s’est avéré plus rapide que prévu. Flash back. En 2011, plusieurs pays étaient encore menacés de « faillite ». La Grèce, l’Irlande et le Portugal, pliant sous le joug de leur dette et des agences de notation, avaient été mises sous perfusion bancaire à des taux d’emprunt tellement élevés qu’elles engageaient au moins deux générations dans un cycle de privatisations et de régressions sociales sans précédent. Les « réformes structurelles » imposées par les institutions financières internationales ne faisaient qu’aggraver les choses. A l’époque, l’Espagne elle aussi s’approchait dangereusement du gouffre. Même la Belgique a risqué la sentence à cause de sa situation politique fragile. Sous l’impulsion de la Chancelière allemande Angela Merkel et du Président français Nicolas Sarkozy, le Conseil européen a brandi son pacte pour l’euro + (comprenez un plan d’austérité) pour relever les défis de nos sociétés ou, plutôt, le seul défi de la compétitivité économique. La prescription d’un régime budgétaire stricte aux 17 Etats de la zone euro et aux pays qui voudraient les rejoindre, s’accompagnait de sanctions financières envers ceux qui restaient à la traîne. Réponse très libérale à une crise qui ne l’était pas moins. La restriction des dépenses devait toucher prioritairement et profondément les services publics, les soins de santé, l’indexation des salaires, les allocations sociales, le temps de travail, l’âge de la retraite. En somme, les fondamentaux de la gauche. Les syndicats et la société civile ont reçu l’annonce comme une déclaration de guerre. Des manifestions et des assemblées citoyennes de plus en plus importantes ont fleuri dans toutes les capitales européennes sous un seul mot d’ordre : « La dette est illégitime. On ne la paiera pas ! ». Grâce à son Pacte pour l’Europe, la Gauche européenne, moribonde ou presque à l’époque, a prouvé qu’elle pouvait retrouver quelques lettres de noblesse. Prenant la mesure des revendications de la rue, sa force fut sans conteste d’avoir réussi à fédérer ses différentes composantes autour de dénominateurs communs, peu nombreux mais essentiels : l’harmonisation du taux de l’impôt des sociétés, l’établissement d’un revenu minimum, l’instauration d’une taxe sur les mouvements de capitaux et, à moyen terme, l’annulation de tout ou partie des dettes publiques liées à la crise bancaire. Sept ans plus 1 Référence au titre de l’essai de Serge Halimi : Quand la gauche essayait, Arléa, 2000. tard, les deux premières étapes sont franchies, n’ayant provoqué ni l’avalanche de délocalisations annoncées, ni l’effondrement de la compétitivité de nos entreprises, pourtant prédit par la droite. Il reste cependant du pain sur la planche. La taxe sur les transactions financières devrait enfin voir le jour l’année prochaine, malgré de féroces résistances, principalement idéologiques. Le projet de « sécurité sociale européenne », via le prélèvement d’une cotisation solidaire d’1% de la masse salariale de toutes les entreprises des pays membres, constitue également une ligne de force de la stratégie « Europe sociale 2020 ». Cette nouvelle ressource devrait financer des politiques liées à l’accueil de l’enfance et au vieillissement de la population. Débarrassé de la concurrence néfaste intra-européenne grâce à l’harmonisation fiscale, le Parti Socialiste Européen, rejoint par les Verts et la Gauche Unie Européenne, se bat aujourd’hui pour un projet de « protectionnisme solidaire ». L’idée, bien que soutenue par d’éminents économistes, doit encore convaincre dans le camp des progressistes car le concept est toujours associé à la droite. Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’une taxe perçue aux frontières de l’Europe et frappant des produits d’importation fabriqués dans des conditions sociales et environnementales inférieures aux normes européennes et qui menacent l’existence même de nos industries. Le budget dégagé serait partiellement redirigé vers les Etats qui progressent en matières sociales, environnementales ou de droit du travail. Que les adeptes du capitalisme débridé soient rassurés. Le Pacte pour l’Europe et sa stratégie « Europe sociale 2020 » n’est pas sur table. Le Pacte pour l’euro+, cet aller simple pour l’austérité et la régression sociale, devrait être scellé en juin 2011 au Parlement européen si personne ne réagit. Nous sommes pourtant convaincus, comme beaucoup, que l’Europe doit cesser d’exacerber la concurrence entre ses Etats membres et qu’elle n’a de meilleur choix que d’instaurer un système de solidarité entre eux pour sortir de cette crise par le haut. Face aux défis qui sont les siens, la Gauche doit pouvoir s’appuyer sur ce qui a fait son succès : des conquêtes sociales pour une société progressiste et solidaire. Nous signons volontiers cette phrase de Jaurès : « C’est en allant vers l’océan que le fleuve reste fidèle à sa source ». Thierry Bodson, Jean-Pascal Labille, Secrétaire général de la FGTB wallonne Secrétaire général de l’Union nationale des mutualités socialistes