La multiplication des embrouilles et la banalisation des vannes et insultes Constat général Dans le cadre de leur mission, les animatrices(teurs) socioculturel(le)s sont souvent confrontés à la violence verbale et physique des jeunes. Notre Commission a décidé de se pencher sur le phénomène des "performances" langagières juvéniles, car supporter quotidiennement des jeunes qui parlent entre eux "en jurant comme des charretiers" et qui s'insultent "pour un oui ou pour un non" n'est pas simple. D'autre part, il arrive aussi que les animatrices(teurs) se fassent injurier avec un langage obscène et vulgaire. Dans l'animation socioculturelle, nous sommes fréquemment les témoins de tensions et de conflits qui "explosent" sans prévenir, ce qui nous pose des problèmes pour intervenir de manière adéquate. Outre la violence verbale clairement exprimée dans les insultes, les injures ou les vannes, ce sont les brimades et autres sévices qui sont souvent "administrés" de manière "discrète" ou "pour rigoler" qui peuvent rendre le quotidien des plus faibles insoutenable. Ces situations sont problématiques à prévenir par les animatrices(teurs) socioculturelles car elles sont insidieuses, donc malaisées à repérer. Sans porter de jugements de valeurs, il faut aussi prendre en compte les ambiguïtés de l'éducation dans l'évolution de la société actuelle. "En matière de violence physique, la transmission des normes de comportements obéit à des prodécures explicites et implicites qui se trouvent souvent en parfaite contradiction les unes avec les autres"1. En effet, les parents s'opposent de manière stricte aux agissements violents de leur progéniture et les sanctionnent alors que paradoxalement ils adoptent des pratiques contraires aux règles qu'ils veulent inculquer. Habituellement, les altercations violentes entre jeunes sont souvent la réponse à des atteintes à l'intégrité physique (coups, bousculades), à des agressions verbales directes (insultes, menaces) ou indirectes (paroles offensantes suite à des ragots, des rumeurs), au non respect de la loi du silence (dénonciations, trahisions), aux atteintes aux biens (différends concernant des vols, ces rackets, dettes non honorées) ou encore aux diffamations réelles ou symboliques envers la copine ou la mère. Si depuis la nuit des temps, ces faits ont toujours trouvé une certaine "légitimité" à l'usage de la violence, on trouve aujourd'hui d'autres prétextes pour recourir à la violence. En effet les sources de conflits parmi les jeunes semblent inépuisables: une simple phrase balourde, un mot "de trop" ou même un regard soi-disant "de travers" peuvent déclancher une agression individuelle ou une bagarre collective. Et enfin, des conflits violents peuvent être la conséquence d"embrouilles" dont les acteurs ne sont pas forcément présents et où les origines de la discorde sont soit oubliées, soit inconnues ou encore délibérément négligées par les protagonistes présents. Ce qui génère un sentiment d'inquiétude chez les travailleurs sociaux, c'est aussi cette rudesse des mœurs qui peut se lire dans les comportements et les réactions des jeunes et particulièrement chez ceux qui les adoptent dès le plus jeune âge. Pourtant la réalité concernant la brutalité des rapports - pas spécifique à la culture jeune - dans les centres socioculturels ne doit pas occulter des sentiments d'amitié, de solidarité et d'appartenance qui sont aussi des attitudes essentielles dans la conception adolescente des rapports sociaux. Heurté juste titre par la dureté des relations interpersonnelles juvéniles, il ne faut pas perdre de vue que ces jeunes, dont certains peuvent être désignés comme "en difficulté d'insertion" ou des "personnes déviantes", appartiennent avant tout à un monde social et culturel qui nous échappe tout au moins en partie. Ce langage de jeunes, aussi violent et insupportable soit-il dans certaines confrontations entre les ados eux-mêmes ou entre ados et adultes mérite qu'on s'y intéresse car son rôle est essentiel dans les relations sociales au sein des groupes de pairs et qu'il exprime, notamment à travers le rap, une vision du monde et des valeurs propres à la culture – ou du moins à une sous-culture – jeune. Dans son étude ethnographique de la culture des rues, Lepoutre met en évidence l’intérêt de ces diverses formes d’expressions verbales: «L’insulte, l’offense, le ragot, le mensonge et les jurements sont autant d’actes de paroles qui impliquent également, au même titre que l’usage du lexique argotique, verlan et obscène, ou au même titre que la pratique des combats oratoires rituels ou ludiques, une maîtrise linguistique, une intelligence des situations, de l’imagination, bref, de l’éloquence.»2 Enfin, il ne faudrait pas oublier que ces pratiques langagières qui procurent aussi la jubilation de transgresser interdits et tabous ont une dimension ludique que beaucoup d'entre nous ont certainement expérimenté dans leur enfance grâce aux "gros mots" de l'époque ! Questions Dans votre environnement de travail êtes-vous confrontés régulièrement à ces pratiques langagières ? Quelle attitude adoptez-vous lors d'échanges obscènes ou violents entre ados ou si vous êtes victime d'insultes ou d'injures ? Caroline Piguet 1 2 Lepoutre, D. (2001), Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Odile Jacob Poches, Paris. Lepoutre, D. (2001), op. cit.