SUJET 8 Comment la biodiversité est-elle touchée par ces changements et comment sera t'elle touchée d'ici 2100 ? Les espèces animales disparaissent environ cent fois plus rapidement que par le passé. Les estimations les plus optimistes montrent que la faune de la Terre est en train de subir sa sixième extinction de masse, selon une étude publiée vendredi 19 juin par des experts des universités américaines de Stanford, de Princeton et de Berkeley, notamment. Jamais, selon eux, la planète n'a perdu ses espèces animales à un rythme aussi effréné que depuis la dernière extinction de masse, il y a 66 millions d'années, celle des dinosaures. Leur étude, publiée dans le journal Science Advances, « montre sans aucun doute possible que nous entrons dans la sixième grande extinction de masse », a affirmé Paul Ehrlich, professeur de biologie à Stanford. Les humains en feront partie Et les humains feront probablement partie des espèces qui disparaîtront, préviennent-ils. « Si on permet que cela continue, la vie pourrait mettre plusieurs millions d'années à s'en remettre, et notre espèce même disparaîtrait probablement assez tôt », a précisé Gerardo Ceballos, de l'université autonome de Mexico. Cette analyse s'appuie sur des observations documentées d'extinctions de vertébrés — des animaux avec squelettes internes comme des grenouilles, des reptiles et des tigres — à partir de fossiles et de bases de données. Le rythme actuel de disparition des espèces a été comparé aux « rythmes naturels de disparition des espèces avant que l'activité humaine ne domine ». Fourchette basse Ces derniers sont difficiles à estimer, car les experts ne savent pas exactement ce qu'il s'est produit tout au long des 4,5 milliards d'années d'existence de la Terre. Si le taux du passé fait ressortir une disparition de deux espèces de mammifères pour dix mille espèces en cent ans, alors « le taux moyen de perte d'espèces de vertébrés au siècle dernier est cent quatorze fois supérieur à ce qu'il aurait été sans activité humaine, même en tenant compte des estimations les plus optimistes en matière d'extinction », selon l'étude. « Nous insistons sur le fait que nos calculs sous-estiment très probablement la sévérité de cette crise d'extinction, parce que notre objectif était de fixer un bas de la fourchette réaliste en ce qui concerne l'impact de l'humanité sur la biodiversité », précisent les chercheurs. Les causes de la disparition des espèces comprennent notamment le changement climatique, la pollution et la déforestation. D'après l'Union internationale pour la conservation de la nature, environ 41 % des espèces d'amphibiens et 26 % des espèces de mammifères sont menacées d'extinction. L'accroissement rapide de la démographie humaine (passant de 6 millions d’individus il y a 10.000 ans à 7.2 milliards aujourd’hui) a entraîné des impacts anthropiques clairement identifiés : Fragmentation des habitats Introductions d'espèces invasives Surexploitation des ressources Pollution / bio-contamination Changement climatique. Il n'en reste pas moins que les prévisions sur la gravité et l'ampleur/la vitesse de cette crise d'extinction sont difficiles à établir en raison de données souvent trop fragmentaires et d’un processus en cours. Pour certains groupes biologiques, seuls 10 à 20 % de la biodiversité est identifiée. Par ailleurs, les processus d'extinction d'espèces sont complexes, longs, interconnectés et difficiles à comprendre. Le terme même de "biodiversité" est relativement récent, créé en 1985 par Edward Wilson, et diffusé dans le langage public en 1992 ( > voir le reportage Canal IRD avec Edward Wilson). Des prédictions préoccupantes Plusieurs articles scientifiques ont fait état de prédictions inquiétantes. Ainsi Thomas et al. dansNature en 2004, estimaient une perte de 15 à 30 % de la biodiversité d'ici 2050 du fait du changement climatique. En 2012, Bellard et al. dans Ecology Letters compilait une synthèse des scénarii existants, plus affinés mais tout aussi préoccupants. Enfin dans édition de la revue Sciencedébut mai 2015, une autre publication de synthèse donne un taux moyen d'extinction de 8 % avec des variations selon les régions du globe, faisant notamment ressortir que les îles du Pacifique seront davantage touchées. D'autres indicateurs de mesure peuvent être considérés, comme la liste rouge de l'IUCN. Cette liste évalue un risque d’extinction à l’horizon 2100 de 13 % pour les oiseaux, 25 % pour les mammifères et 40 % pour les amphibiens. Dans ces deux derniers groupes, les causes d'une extinction récente est liée directement aux activités humaines. Ainsi sur 15 000 espèces de mammifères et d'oiseaux connus, au moins 225 espèces se sont éteintes durant les 500 dernières années. Cela témoigne d’une vitesse d'extinction qui dépasse très largement le rythme naturel d’extinction des espèces. Des processus complexes Dans ce contexte, comment le changement climatique influe-t-il sur ce phénomène ? Il est assez compliqué de comprendre la totalité des interactions entre biodiversité et changement climatique. Le changement climatique modifie les habitats et les ressources, entraine des glissements des aires de distribution des espèces, modifie les rythmes écologiques (migrations, floraisons, germinations), ce qui peut à terme conduire à la raréfaction/ fragilisation des espèces endémiques ou insulaires, et favoriser les invasions biologiques, et ces différents phénomènes interagissent et s’autoalimentent. Face à ces constats complexes, la recherche est plus que jamais nécessaire et doit se nourrir autant que possible de données de terrain, d’où l’importance des suivis à long terme et des sites ateliers permettant d’observer les changements de biodiversité. Les écosystèmes insulaires sentinelles Dans ce cadre, les écosystèmes insulaires représentent l'épicentre actuel de la crise extinction. Bien que ne couvrant que 5% des terres émergées, ils concentrent 25 % de la biodiversité mondiale et sont les sites de 65 à 80 % des extinctions récentes. Ils correspondent donc à des réelles sentinelles de la biodiversité face aux changements globaux. En Nouvelle-Calédonie, à titre d’exemple parmi bien d’autres, deux espèces sont aujourd'hui menacées d'extinction si les conditions climatiques et les habitats sont amenées à changer : le scinque géant de Bocourt (lézard géant) découvert en 1870, dont une population a été retrouvée en 2003 par le MNHN et une autre en 2012 par l’IRD et dont il ne reste probablement que quelques dizaines d’individus adultes confinés sur deux ilots près de l'île des Pins et une espèce de fourmi archaïque du genre Myrmecia, qui n'est plus présente que sur quelques sites à l'île des pins et qui a été redécouverte récemment par l’IRD. Les écosystèmes fragilisés Au cours de ce siècle, selon le quatrième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), la capacité de nombreux écosystèmes à retrouver un fonctionnement normal sera probablement insuffisante face à l'accumulation sans précédent des changements climatiques et des perturbations (inondations, sécheresses, incendies, insectes, acidification des océans etc.) qui leur sont associées. Si l'augmentation de la température mondiale moyenne dépassait 1,5 à 2,5°C, jusqu'à 20 à 30% de la faune et de la flore seraient probablement menacés d'extinction. Et la grande majorité des écosystèmes serait touchée : les pôles, les zones arides, les forêts, les fleuves et les lacs, les îles, les côtes et les mers. Or, pour subvenir à leurs différents besoins -se nourrir, se distraire, voyager, bâtir leur culture-, les êtres humains utilisent la majorité de ces écosystèmes. Si la biodiversité qu'ils représentent est touchée, c'est tout le fonctionnement des sociétés humaines qui en pâtira. Les pôles Les pôles d'abord où la faune, la flore, les êtres humains vivent dans des conditions extrêmes. Là, les morses, les ours polaires et les mammifères marins sont menacés faute de glace pour se reposer et trouver leur nourriture. Des exemples : en 1980 le poids moyen des ours polaires à l'ouest de la baie d'Hudson aux Etats-Unis avoisinait les 295 kilos. En 2004, il n'était plus que de 229 kilos. Raison probable ? La débâcle de plus en plus précoce des glaces. De même, la réduction de 50% de la population de manchots empereur en Terre Adélie serait due au rétrécissement des glaces marines. La diminution des bancs de krill - ces petites crevettes d'eau froide qui jouent un rôle important dans la chaîne alimentaire puisque les calamars, les mammifères marins, des oiseaux et des poissons s'en nourrissent - est également attribuée au retrait des glaces. L'ensemble de ces modifications n'est pas sans conséquences sur les pêches et les modes de vie des populations humaines locales. Les terres arides et sub-humides Ce sont dans les zones sub-humides et semi-arides que vivent la plupart des populations humaines du continent africain. De petits changements de température, ou de régime des précipitations peuvent avoir, dans ces terres fragiles, des conséquences très graves sur la diversité biologique et les écosystèmes. Selon les prévisions du Giec, la désertification serait aggravée par une diminution des précipitations annuelles moyennes. Ces effets conduiraient à une diminution des ruissellements et de l'humidité des sols. Les risques de feux seraient alors accrus. Les plantes et les animaux à mobilité limitée et qui vivent dans des réserves ou dans des paysages plats ne pourraient pas migrer vers des zones plus favorables à leur survie. Les grands pâturages libres sont également menacés ainsi que les zones humides dans les régions arides. Or, ces terres nourrissent deux milliards de personnes grâce à des cultures vivrières et des animaux d'élevage. Les forêts Selon l'Organisation mondiale pour l'agriculture (FAO), les forêts qui recouvrent un tiers de la surface de la Terre renferment environ les deux tiers de toutes les espèces terrestres connues et représentent d'énormes ressources pour les humains. Or, ces vastes étendues d'arbres, de plantes, de broussailles (et la vie animale associée) sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques : les modifications de température et de précipitations peuvent avoir des conséquences importantes sur leur croissance. Selon le Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), un accroissement de 1°C suffit à modifier le fonctionnement et la composition des forêts. En parallèle, la moitié des primates et 9% des espèces d'arbres connues courent déjà le risque de disparaître. Et les plantes ligneuses (arbres, arbustes) sont peu capables de se déplacer vers les pôles. Au Canada par exemple, il est peu probable que les espèces d'épinette blanche, cet épicéa emblématique du Manitoba et du Dakota du Sud au Canada, puissent migrer à un rythme qui suivrait le changement climatique. De plus, les forêts pourraient être de plus en plus menacées par les feux, les parasites et les nuisibles. Selon une étude scientifique menée en France (1), un accroissement de la température moyenne de 2°C entraînerait un triplement de la surface occupée par des espèces méditerranéennes comme le chêne vert, l'olivier et les pins. Celles-ci occuperaient alors 28% de la superficie forestière métropolitaine contre 9% actuellement. Les forêts artificielles plantées par l'homme où une seule essence d'arbre prédomine, pourraient bel et bien disparaître, tandis que celles comptant de nombreuses espèces pourraient s'adapter. En parallèle, la période de croissance des arbres augmente en raison de l'accroissement de la température et du taux de carbone dans l'atmosphère. Les bourgeons apparaissent plus tôt et les feuilles tombent plus tard. Résultat positif, les arbres sont plus gros et plus hauts tels les pins d'Alep et les pins laricio en Provence (+ 4 mètres en 100 ans), ainsi que les chênes (+ 8 mètres). Les eaux intérieures Qu'elles soient douces ou salées, les eaux situées à l'intérieur des continents et des îles constituent de riches écosystèmes. L'eau douce de surface - lacs, rivières - par exemple qui ne représente que 0,01% de l'eau de la planète abrite une biodiversité importante avec près de 130 000 espèces soit environ 7,6% de toutes les espèces décrites. Or, le réchauffement climatique a déjà eu un effet sur certaines d'entre elles : durant les dernières décennies, 20% des espèces de poissons d'eau douce ont déjà disparu, sont en voie d'extinction ou menacées. La diminution de la diversité biologique des eaux douces est plus marquée que pour les autres écosystèmes terrestres et marins selon la Convention sur la diversité biologique et le rapport du groupe international de scientifiques « Millenium Ecosystem Assessment ». De plus, les transformations du rythme et de l'intensité des pluies et de la fonte de glace, modifieront les débits des cours d'eau et transformeront du même coup les habitudes de reproduction et d'alimentation de différentes espèces. En résumé, le réchauffement des rivières, la réduction des glaces, la modification des débits, l'accroissement de la fréquence des périodes de crues ou de sécheresse, auront des effets sur la diversité biologique des ruisseaux, entraîneront le déplacement vers les pôles de certaines espèces, et des changements dans la reproduction des oiseaux migrateurs. En parallèle, des températures plus élevées modifieront les cycles thermiques des lacs, des rivières et la solubilité de l'oxygène et d'autres éléments. Une diminution de l'oxygène dans l'eau pourrait modifier la structure des communautés d'organismes vivants, généralement dans le sens d'un appauvrissement, car certaines espèces à forte valeur économique telles que la truite, le saumon de fontaine, ou l'omble chevalier ne vivent que dans des milieux propres, frais et oxygénés. Les coraux de la planète en voie d'extinction ? Ils font le bonheur des plongeurs sous-marins en raison de la beauté et de la richesse des trésors biologiques qu'ils abritent. Avec leur 600 000 km2, ils occupent à peine 0,2% de la superficie des océans. Près de 8% des êtres humains de la planète vivent à moins de 100 kilomètres d'un récif corallien. On compare souvent les coraux aux forêts tropicales en raison de la complexité des relations entre les organismes qui les constituent et en raison de leur fragilité. Or, ils sont l'habitat de 93 000 espèces, soit un tiers de toutes les espèces marines. Par exemple à Lifou (Iles Loyauté, Nouvelle Calédonie), sur 5000 hectares de coraux, on recense 2500 espèces de mollusques, soit 40% de plus que dans toute la Méditerranée (1800 espèces) qui s'étend sur 300 millions d'hectares. D'un point de vue économique, on estime à 375 milliards de dollars la valeur annuelle des ressources qui en sont issues : matériaux de construction, nourriture, emplois dans les secteurs de la pêche et du tourisme. En ce qui concerne la pêche, 6 millions de tonnes de poissons par an proviennent des récifs coralliens, ce qui représente 25% des poissons pêchés dans les pays en développement. Or, le réchauffement qui s'est manifesté à l'échelle mondiale sur les dernières décennies a eu des conséquences sur les récifs coralliens en accentuant les températures extrêmes lors des évènements « El Niño ». Ces courants marins chauds surviennent dans l'océan Pacifique associées à des conditions océanographiques anormales. Pourquoi ? Parce que les coraux qui constituent les grandes formations récifales, vivent en association avec des algues symbiotiques, les zooxanthèles. A la suite du stress thermique, ils les perdent, blanchissent, puis à terme, meurent sur de vastes étendues. Il suffit d'une anomalie de température de 1°C au-dessus des moyennes maximales durant quelques semaines pour engendrer une mortalité massive des coraux. Le phénomène d'El Niño de 1997-1998, associé à des élévations de température d'une ampleur jamais égalée au 20e siècle, a provoqué la disparition de coraux vieux de 700 ans, ainsi que la perte de 7% à 99% des coraux dans certains sites de l'océan Indien. Deux espèces de coraux (Siderastrea glynni et Millepora boschmai) qui constituaient l'habitat de plusieurs espèces de poissons ont disparu. Par ailleurs, une étude scientifique réalisée en Nouvelle-Calédonie et parue en 2008, montre que le réchauffement climatique amplifiera très probablement le développement d'espèces d'algues toxiques contaminant certains mollusques des récifs coralliens consommés par les populations de pêcheurs. Outre l'aspect sanitaire, le risque est grand de voir se détourner ces populations des produits de leur pêche au profit d'autres sources de protéines animales, comme cela semble déjà être le cas dans certaines îles de Polynésie française. Conclusion Actuellement, la perte de biodiversité et les changements dans l'environnement qui y sont liés sont plus rapides qu'à aucune période de l'histoire de l'humanité. De nombreuses populations animales et végétales sont en déclin, que ce soit en termes de nombre d'individus, d'étendue géographique, ou les deux. La disparition d'espèces fait partie du cours naturel de l'histoire de la Terre. Cependant, l'activité humaine a accéléré le rythme d'extinction, qui est au moins 100 fois supérieur au rythme naturel d'extinction, un rythme qui ne cesse d'augmenter, certains biologistes renommés comme E.O. Wilson parlent de 1000 fois ! Résultat : l'extinction actuelle, provoquée par les activités humaines, est comparable à une crise biologique majeure puisque d'ici à 2050, on considère que 25 à 50 % des espèces auront disparu.