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Séminaire de l’IEPF sur les perspectives de négociation
sur le changement climatique
Montréal, 17-19 mars 2004
Document introductif de
Pierre RADANNE
De la conférence de Rio de 92 à l’adoption à COP 7 à Marrakech du Protocole de Kyoto en
novembre 2001, nous avons vécu près d’une décennie de montée en puissance du sujet de l’effet
de serre et une phase constructive de prise en charge par la communauté internationale. Depuis,
c’est l’enlisement. Comment interpréter les refus de ratification des Etats-Unis et peut-être de la
Russie ? Quel bilan faire du Protocole de Kyoto à déjà mi parcours ? Comment amorcer la
négociation internationale pour la phase suivante ? Le but de ce texte est de contribuer à poser
ces questions. Le parti retenu n’est pas celui d’une analyse académique distanciée mais au
contraire celui d’une profonde immersion dans leur dimension politique et historique. Ces
différentes questions seront donc introduites dans cette note selon leur chronologie historique.
D’abord, on tentera de cerner la portée des positions américaines et russes et les impacts de leurs
diverses évolutions possibles. Ensuite, on dressera un bilan du Protocole de Kyoto (PK) et de la réalité
des politiques de lutte contre le changement climatique. Enfin, on posera les termes de la
négociation future sur les engagements à prendre au-delà de 2012.
1 L’enlisement du protocole de Kyoto
Le Protocole de Kyoto (KP) a nécessité 6 années pour que l’accord soit finalisé (du Mandat de
Berlin de 95 à novembre 2001 (COP 7 à Marrakech) en passant par le moment fort de la
conférence de Kyoto de décembre 97 (COP 3). Il est maintenant en panne faute de la ratification
de suffisamment de pays correspondant à au moins 55% des émissions. La non ratification des USA,
de l’Australie et de la Russie a suffi à bloquer l’entrée en vigueur du protocole.
Ces conditions vont naturellement lourdement peser sur le débat sur la nature et le niveau des
engagements pour la seconde période d’engagement dont la négociation devrait être engagée
dès 2005 sur la base des « progrès démontrables » de chacun des pays impliqués.
Dès lors, à court terme, deux scénarios sont possibles : un sauvetage du PK notamment par une
ratification russe permettant une entrée en vigueur tardive ou tout simplement son enterrement.
Le blocage des négociations multilatérales
La diplomatie mondiale est entrée depuis 3 ans dans une phase de blocage des négociations
internationales dont la manifestation la plus claire a été le sommet de Johannesburg d’août 2002.
La position américaine concernant tous les sujets en négociation, qu’ils concernent la lutte contre
la pauvreté, l’environnement, l’énergie ou la santé a mis un coup d’arrêt aux perspectives de la
Déclaration du Millénaire de l’ONU en exigeant ni calendrier contraignant, ni objectifs quantifiés, ni
moyens financiers supplémentaires.
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La ratification tardive du Protocole de Kyoto
La ratification russe
La ratification russe est en attente depuis maintenant 3 ans. Sur le plan interne, il est fort probable
que bien d’autres textes législatifs portant sur des réformes débattues pour les élections
présidentielles de mai seront présentés à la Douma en priorité à la ratification du protocole de
Kyoto. On voit en outre mal quel argument présidera à une ratification rapide intervenant entre
l’élection russe de mai et les élections américaines de novembre. Pourquoi Vladimir Poutine
prendra le risque de s’opposer à G.W. Bush avant une possible réélection de celui-ci ? Or, la
ratification russe n’a de sens que dans la mesure où le Protocole de Kyoto recouvre toute sa
légitimité et que la valorisation des ventes de carbone issues du hot air russe se fait à un prix
rémunérateur.
Dans ces conditions, il est très peu probable que la prochaine COP 10 de l’automne 2004 puisse
devenir la COP MOP 1 organisant l’entrée en vigueur effective du Protocole de Kyoto et marquant
le début des réflexions sur les efforts à engager concernant la prochaine période d’engagement
au-delà de 2010.
Les élections américaines
Dès lors, l’événement décisif de l’année sera l’élection américaine de novembre. De nombreux
scénarios sont possibles du plus simple au plus complexe. Y compris, un président favorable au
retour des USA dans le protocole de Kyoto, mais avec un Sénat défavorable. Ou le contraire. Trois
hypothèses principales émergent néanmoins :
- Un retour des USA dans le Protocole de Kyoto. Cette première voie apparaît de fait improbable
car le dérapage des émissions américaines par rapport au chiffre de réduction de 6% fixé à Kyoto
rend définitivement impossible un respect de leurs engagements sauf à passer par les conditions
financières fixées par les russes pour acquérir l’essentiel de leur hot air.
- Deuxième hypothèse plus probable, un refus des USA de revenir dans le Protocole de Kyoto dans
les termes précis il a été maintenant ratifié par les parlements d’une centaine d’états mais avec
la volonté de se réimpliquer dans la lutte contre le changement climatique. Cela pourrait passer
par une prise d’engagement quantifié interne des USA plus modéré que celui fixé à Kyoto et la mise
en place d’un mécanisme de « trading » interne. Parallèlement, les pays ayant ratifié le Protocole
de Kyoto s’activeraient à atteindre les objectifs fixés. Dans ce contexte de crédibilité et cohésion
collective retrouvée, s’engagera surtout la négociation pour la seconde période d’engagement
en continuité avec le processus et les mécanismes issus de Kyoto.
- La dernière hypothèse se situe malheureusement dans la continuité de la politique américaine
actuelle. Les Etats-Unis considèrent le Protocole de Kyoto comme défavorable à leurs intérêts
économiques et décident de rester à l’écart profitant de leur position dominante actuelle sur la
scène internationale. Cette hypothèse ne marque pas seulement l’échec du Protocole de Kyoto
concernant les engagements portant sur la période 2008-2012 mais aussi le blocage complet de la
négociation sur les engagements de la période suivante.
Il est impossible de dire aujourd’hui quel est le scénario le plus probable. L’année 2004 va être une
année d’attente. Tout va se jouer début 2005 après l’entrée en fonction du nouveau président
américain issu des urnes. D’ici là, la Commission Européenne aura été également renouvelée en
juin 2004. Les présidences irlandaises et néerlandaises auront été mises à profit pour élaborer de
nouvelles propositions en fonction du contexte pour réengager le dialogue.
Une impossibilid’entrée en vigueur du protocole de Kyoto ouvrirait une période de crise grave. Il
apparaîtra vite que la convention de Rio, elle toujours en vigueur, tombera aussi en désuétude car
elle constitue un cadre insuffisant pour imposer des efforts aux états signataires.
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La période du prochain mandat américain
Ce qui sera alors en jeu est bien moins le sort du Protocole de Kyoto que celui des accords
internationaux futurs de lutte contre le changement climatique.
Que les USA s’affirment pendant un nouveau mandat présidentiel (soit d’ici fin 2008) à l’écart du
cadre de négociation de l’ONU et il n’y a plus aucune dynamique qui soutienne les efforts dans
aucun pays. Dès lors, la plupart des états de l’annexe 1 déraperont par rapport à leurs
engagements de Kyoto et il ne subsistera plus que des efforts expérimentaux concernant les
mécanismes de Kyoto. Le plus notable sera la directive européenne organisant un marché de
permis d’émissions à destination des industries lourdes dans le cadre d’observance rigoureux et
contraignant qui est celui des traités européens. Si la période du prochain mandat américain est
ainsi figée, il sera impossible de ressusciter le Protocole de Kyoto pour la première période
d’engagement. Un retour ultérieur à la table de négociation concernera la fixation d’une nouvelle
échéance et la mise en place de mécanismes probablement très différents de ceux du Protocole
de Kyoto compte tenu du passif lourd de l’échec vécu. Il est évident qu’un tel scénario de retrait
durable des Etats-Unis n’est favorable à un retour dans la négociation ni de l’Australie ni de la
Russie.
Le spectre du blocage
Une période d’enlisement prolongée allant ainsi de fin 2001, date de l’accord de Marrakech à un
possible retour américain dans la négociation après les élections de fin 2008 marquerait une crise
politique profonde.
L’ampleur de cette crise dépendra de l’évolution du climat elle-même. quand des
catastrophes climatiques surviennent, au lieu de parvenir à faire son deuil à la fois en acceptant la
fatalité et en exigeant un soutien de la communauté, les populations touchées mettent maintenant
directement en cause les responsables politiques. L’accident climatique se transforme maintenant
une crise sociale et politique de plus en plus explosive.
Il faut craindre que cette incapacité à gérer le destin commun de la planète sape en profondeur
les discours politiques et les institutions.
Les milieux scientifiques et environnementaux et derrière eux, les médias, l’opinion publique et une
grande partie des responsables économiques et politiques émettront des jugements sévères face à
l’égoïsme des états et l’impuissance de l’ONU.
Un divorce s’agrandit de jour en jour entre une conception libérale de l’économie qui remet en
cause les modes de régulation pour réduire les coûts à court terme et les exigences du
développement durable et équitable à long terme.
Derrière la question du multilatéralisme, c’est concrètement celle de la capacité de l’humanité à
faire face collectivement à son destin qui est posée. Rien n’indique que ce siècle sera moins violent
que le précédent.
Un Kyoto élargi
A côté de ce scénario sinistre, l’hypothèse d’un retour des Etats-Unis à la table de négociation
début 2005 apparaît un scénario rose, y compris s’il s’avère trop tard pour eux pour ratifier le
protocole de Kyoto en l’état concernant le première période d’engagement. On voit par
contraste, qu’il faudrait alors vivre sous un jour positif et constructif leur retour et s’atteler à préciser
le contenu des efforts à convenir pour la période d’engagement suivante plutôt que de pointer
leurs insuffisances. Une voie pourrait consister à enjamber la période couvrant l’accord de Kyoto
dans une période plus large par exemple 1990-2020 pour laquelle de nouveaux objectifs et moyens
seraient négociés. Cette hypothèse aurait l’avantage de récompenser les pays s’étant déjà
fortement engagés dans le processus de Kyoto puisque leurs efforts de duction de leurs émissions
seraient ainsi pris en compte.
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Une application stricte de Kyoto
Il reste donc à décrire le scénario le plus en continuité avec les objectifs et le cadre fixé à Kyoto.
Sous la pression de la probation de l’opinion publique internationale, le président américain issu
des urnes obtient du parlement américain le vote d’une loi de ratification du PK. Celui-ci est
accompagné par une ratification russe et australienne et le PK de Kyoto entre en vigueur. Une
COP-MOP 1 est tenue fin 2005 pour assurer la mise en œuvre des mécanismes. Le sauvetage du
processus s’accompagne d’un retour de crédibilité collectif. Celui-ci est utilisé pour assurer la
réussite de la mise en œuvre des 3 mécanismes prévus au Protocole (permis négociables, mise en
œuvre conjointe et mécanisme de développement propre) tandis que s’engage dans un contexte
apaisé l’élaboration du dispositif pour la période d’engagement suivante.
2 - Le passage de l’échéance 2008-2012
Mais même avec la dernière issue positive qui vient d’être décrite, l’impact d’un blocage de 4 ans
(de fin 2001 à fin 2005) aura eu un effet négatif y compris dans les pays ayant ratifié. L’absence de
ratification américain et surtout russe y a réveillé les oppositions internes. Les milieux économiques
s’y inquiètent justement des surcoûts qu’ils doivent consentir tandis que les concurrents américains,
russes ou ceux des pays non annexe 1 en sont exonérés. Cela s’est traduit dans de nombreux pays
par le rejet ou le report de mesures prévues. Et pendant ce temps, les émissions dérapent.
Les performances effectives des pays
La grande majorité des pays de l’annexe 1 n’atteindront pas les objectifs qu’ils se sont fixés
(majorité des pays de l’UE, Japon…) à partir des politiques domestiques.
Au sein de l’Union Européenne, 3 catégories de pays sont à distinguer. Les pays ayant mis en place
des politiques effectives qui atteindront leurs objectifs fixés dans le cadre de la bulle européenne
(Royaume Uni, Allemagne, France), les pays dont les émissions dérapent inexorablement en
l’absence de toute politique sérieuse (Italie, Belgique…) et des pays qui bien qu’ayant des
possibilités d’accroissement de leurs émissions dans le cadre de la bulle européenne ont laissé leurs
émissions exploser (Espagne, Grèce, Portugal, Irlande) du fait de leur vive croissance depuis 1990.
Au terme, de l’échéance fixée à Kyoto, il faudra décider comment prendre en compte l’extrême
éventail des performances effectives des pays signataires. Les décomptes finaux des émissions de
la période 2008-2012 ne devraient pas être connus avant 2015.
La difficile mise en place des mécanismes
En outre, la mise sur place des mécanismes de flexibilité risque d’être encore plus confuse que
prévu dans le contexte complexe qui vient d’être décrit. La perspective que la majorité des états
seront en conformité « non-compliance » ne facilitera pas un haut niveau d’exigence dans la
performance des transactions. Seul le dispositif interne à l’Europe devrait fonctionner sérieusement.
Dans ces conditions, il est fort probable que l’air chaud des pays de l’ex-URSS ne sera pas valorisé
ou le sera à une valeur ridicule.
Rétrospectivement, on peut regretter que d’autres voies aient été abandonnées, notamment celle
de la mise en place d’une fiscalité concertée, finalement plus simple à mettre en œuvre et moins
soumise aux aléas politiques et économiques que les mécanismes de marché.
On le voit les atermoiements actuels ont profondément affaibli le processus de Kyoto et augurent
mal des débats sur l’avenir.
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3 Les causes profondes du repli
Une analyse sérieuse des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du PK doit de toute façon
être engagée et il faut bien se garder de renvoyer sur la seule position américaine la responsabilité
des difficultés rencontrées. Les causes sont multiples et imposent des révisions profondes.
La faiblesse de la lutte contre l’effet de serre dans l’ensemble des pays
industrialisés
Il faut lever un tabou, et se libérer du prétexte des difficultés de la négociation internationale et
dresser un constat honnête de la réalité des politiques de lutte contre l’effet de serre. Dans tous les
pays, la mise en œuvre du PK a été bien timide.
Changement climatique et libéralisation du secteur de l’énergie
Après les chocs pétroliers des années 80, les pays industrialisés ont fortement ralenti leurs politiques
d’efficacité énergétique. Le contexte d’affolement qu’avait causé la hausse du prix du pétrole,
s’était traduit par des investissements massifs de production d’énergie (programmes nucléaires,
investissements de diversification vers le charbon et surtout le gaz, amorçage du développement
des énergies renouvelables, investissements d’économie d’énergie). Il en a résulté dans tous les
pays industrialisés une situation de surcapacité (accroissement de l’offre et ralentissement de la
demande). La profonde détente des marchés de l’énergie, na pas été qu’un répit, elle a modifié
profondément la place de ce secteur dans le débat politique et économique. L’abondance des
ressources, la faiblesse des prix et l’absence de tension géopolitique prolongée ont accrédité l’idée
que finalement l’énergie devenait une activité industrielle comme les autres. Le thème dominant
des politiques énergétiques est ainsi devenu celui de la libéralisation du secteur au détriment des
anciens monopoles d’état. Le mouvement de libéralisation a été d’autant plus puissant que les
forces politiques de gauche, à l’origine de la conception des services publics se sont avérées
incapables de proposer un cadre de gestion publique dépassant les frontières nationales. Ainsi,
l’interconnexion électrique croissante qui a accompagné la construction européenne n’a pas eu
d’autre cadre pour s’organiser que celui d’entreprises privées ouvertes à la concurrence. Le même
débat concerne maintenant l’interconnexion des réseaux électriques africains. Mais dans ce cas
les limites apparaissent vite. L’extension des réseaux vers de nouvelles populations pauvres ne peut
être réalisée que dans le cadre d’une péréquation qui bénéficie de la solidarité des populations
déjà raccordées, que les compagnies soient publiques ou privées.
L’émergence de la question de l’effet de serre à la fin des années 90 alors que cette restructuration
du paysage énergétique est en cours a pris tout le monde de cours. La demande d’intervention
forte des états dans les politiques énergétiques intervient au moment ils s’activent à
l’abandonner.
En outre, le contexte de surcapacité hérité des années 80 ainsi que la prise de contrôle des
compagnies d’énergie par des actionnaires privés avant tout préoccupés de rentabilité immédiate
se traduisent par un niveau d’investissement très faible dans le secteur de l’énergie.
Il faut donc se poser la question suivante : la lutte contre le changement climatique ne va-t-elle pas
se traduire dans les décennies qui viennent par un retour de balancier avec une réimplication des
états dans le secteur de l’énergie à travers un cadre légal renforçant les obligations d’intérêt
général et de développement durable sur des entreprises privées présentes sur le marché
mondial ?
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