Echange intra-branche et spécialisation industrielle en Europe : l

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Echange intra-branche et spécialisation industrielle en Europe : l’enjeu de la qualité
Cristofari Catherine
Université de Corse, IDIM
E-mail : cristofari.catherine@libertysurf.fr
Septembre 2002
Introduction
Il est aujourd’hui largement reconnu que les processus d’intégration économique affectent la
nature des localisations industrielles ainsi que leur profil de spécialisation. Dans ce cadre,
l’observation récente des structures industrielles au niveau européen met en évidence de
nouveaux enjeux quant aux relations qui lient intégration, spécialisation, concentration et
nature des échanges. En effet, à l’opposé des scénarios théoriques adhérant au schéma
« intégration spécialisation commerce inter-branche », réapparus avec les modèles de la
Nouvelle Géographie Européenne au début des années 90, les analyses empiriques sur
longue période du commerce européen (Commission Européenne [1997], Freudenberg,
Fontagné [1998], [1999], Brüllhart [1996], Greenway et Milner [1986, 1987, 1994, 1996],
Greenway et Torstensson [1997]) suggèrent clairement que la majeure partie des échanges
intra-communautaires consiste en ce que l’on appelle communément aujourd’hui « l’échange
intra-branche », à l’opposé de l’échange inter-branche précédemment cité.
En outre, depuis les années 80, l’échange croisé de produits de différentes qualités émerge
de façon indéniable en Europe marquant une spécialisation par gamme au sein des
industries, à défaut d’une spécialisation par industrie.
La qualité des produits et les choix de positionnement de gamme faits par les producteurs
jouent désormais un rôle central, non seulement pour expliquer les forces de polarisation, et
donc anticiper sur le devenir des spécialisations régionales européennes, mais aussi pour
expliquer certains phénomènes de rattrapage tels que ceux de l’Espagne ou du Portugal.
L’objectif de cet article est donc de montrer que ce fait stylisé majeur de la dynamique des
échanges intra-communautaire constitue un enjeu empirique et théorique de premier plan,
laissant entrevoir une grande diversité de configurations d’échange possibles, ce qui devrait
inciter la théorie à s’intéresser à un positionnement basé sur la quali des produits,
dimension jusque écartée du champ d’analyse relevant de la Nouvelle Géographie
Economique (NGE).
Dans ce cadre, la première section de ce papier s’intéresse plus particulièrement à l’aspect
empirique des spécialisations industrielles européennes ainsi que de ses comportements
d’échange en mettant en lumière l’importance croissante prise par la différentiation verticale
dans la progression du commerce intra-branche en Europe sur les quinze dernières années.
La seconde section de ce papier présentera les fondements de notre réflexion théorique
visant à l’élaboration d’un modèle de Géographie Economique intégrant la dimension
« qualité », à travers la définition de la structure et des hypothèses de base du modèle
formel.
2
- I Echange intra-branche et spécialisation technologique des pays membres de
l’UE : une analyse empirique.
1. 1 Un commerce intra-branche faisant une large place aux échanges de
qualité.
L’émergence d’importation et d’exportation simultanées à l’intérieur d’une même industrie
entre pays à niveau de développement identique, est un des faits stylisés les plus importants
mis en évidence dans les années 60 concernant l’échange international et peut être
considéré comme le point de départ du renouveau de la théorie du commerce international.
En effet, l’émergence de phénomène a été vu et traité comme une invalidation des théories
traditionnelles basées sur les avantages comparatifs. Elle a donc induit un important débat
empirique, suite à l’article fondateur de Balassa (1963) visant à asseoir la pertinence du
phénomène, ainsi qu’un profond renouvellement théorique sous l’impulsion des travaux de
Krugman (1979).
Depuis le début des années 80 avec le veloppement des modèles de la nouvelle théorie
du commerce international, l’échange inter-branche n’est plus exclusivement associé aux
avantages comparatifs traditionnels : les économies d’échelle externes, les effets des
externalités, mais aussi l’existence d’économies d’échelle poussant à l’agglomération des
activités dans certains lieux jouent désormais un rôle central dans l’analyse de l’échange
international. C’est l’idée qu’a alors défendu Krugman (91) et les modèles de la Nouvelle
Géographie Economique (NGE), en s’intéressant davantage aux conséquences
géographiques des processus de spécialisation ainsi qu’aux processus d’agglomération et
de polarisation à l’œuvre lorsque les coûts de transport diminuent.
Ainsi, plusieurs visions et conjectures ce sont opposées quant aux conséquences du
processus d’intégration économique européenne. Alors que le scénario attendu par les
enseignements de la Nouvelle Géographie Economique suggère une accentuation du
commerce inter-branche
1
, les évaluations ex post du marché unique, et notamment celles
réalisées par le CEPII (Commission Européenne, 1997, 1999), confirment la progression du
caractère intra-branche des échanges intra-communautaires depuis les années 80.
Dès lors, une nouvelle vague de travaux empiriques est intervenue en réaction à un contexte
nouveau où, non seulement il y croissance du commerce intra-branche, mais aussi et surtout
dans un contexte cette augmentation concerne davantage le commerce croisé de
produits différenciés par leur qualité.
Parmi les méthodes d’analyse empirique qui ont émergées pour différencier la nature
horizontale et verticale des biens échangés (Abd-el-Rahman (1986) et reprises par
Greeaway, Hine et Milner (1994, 1995), notamment), celle qui apparaît la plus précise et qui
a retenu notre attention est la méthodologie développée par Fontagné et Freudenberg (1997,
1998, 1999).
L’analyse des configurations d’échange y est conduite sur une base strictement bilatérale et
au niveau le plus détaillé de la nomenclature rendu possible par la disponibilité des
statistiques (données publiées par Eurostat de la Nomenclature Combinée à 8 chiffres pour
quelques 10 000 produits). L’étude couvre la période 1980-1999, pour 15 Etats membres de
l’Union Européenne.
1
Rappelons, que selon l’hypothèse retenue concernant la mobilité interrégionale de la main d’œuvre, les
modèles de NGE prévoient aussi, lorsque l’intégration est très poussée, une redispersion des activités
économiques dans l’espace, laissant la place de nouveau à l’émergence d’un commerce intra-branche.
3
Dans cette approche, chaque flux d’échange bilatéral élémentaire (défini par les pays,
partenaires, le produit, les exportations ou importations et l’année), est classé dans l’une des
rois catégories suivantes : le commerce intra-branche en différentiation verticale, le
commerce intra-branche en différentiation horizontale et enfin, le commerce inter-branche.
Pour cela, deux critères sont appliqués selon des seuils fixés arbitrairement : l’un concerne
le degré de similarité des produits et l’autre, le degré de recouvrement des échanges. Plus
précisément, le commerce intra-branche de produits différenciés horizontalement se
caractérise par un degré de recouvrement significatif et de faibles différences de valeur
unitaire (VU), le commerce intra-branche de produits différenciés verticalement par un
recouvrement important des échanges ainsi que par de fortes différences de VU ; enfin, un
recouvrement des exportations et des importations très faible ou nul laisse apparaître un
commerce inter-branche.
En outre, cette décomposition de l’échange et complétée par une analyse de la
spécialisation de l’Europe et de ses pays membres en termes de positionnement sur les
gammes de qualité/prix identifiées au nombre de trois : produits de haut de gamme, de
gamme moyenne et produits de bas de gamme
2
.
Enfin, la distinction entre la spécialisation par gamme de qualité/prix des pays membres et
leur spécialisation en termes technologiques constitue une dernière dimension importante de
l’analyse permise par la méthodologie de Fontagné et Freudenberg. Nous verrons qu’elle est
particulièrement intéressante au regard des nouvelles théories de la croissance endogène
notamment celles basées sur les échelles de qualité qui conduisent souvent à faire un
amalgame de ces deux dimensions.
Poids relatif des échanges intra-branche différenciés verticalement.
Les résultats des travaux menés selon la méthodologie de Fontagné et Freudenberg
montrent certaines tendances communes à l’ensemble des pays européens ainsi que
d’autres qui diffèrent fortement selon ces mêmes pays et qui correspondent essentiellement
au clivage Centre-Périphérie.
Le tableau 3 permet analyse précise de l’importance relative des trois types d’échange pour
les 15 Etats membres de l’Union Européenne pour l’année 1999. D’un côté, il met en lumière
les tendances globales de l’échange. D’un autre côté, il permet de souligner de fortes
différentes de situations respectives des pays centraux et des pays périphériques en Europe.
2
Les auteurs utilisent les différences de valeurs unitaires des produits échangés comme reflétant les différences
de qualité. Ici, le positionnement par gamme est identifié par rapport à l’écart à une valeur unitaire moyenne,
celle de la Communauté européenne, et fixé à un seuil, toujours arbitraire, de 15%.
4
Tableau 3 : Part des trois types d’échange pour l’Europe des 15, 1999 (%).
Intra-UE
Extra-UE
Monde
Intra-
branche
Horizontal
Inter-
branche
Intra-
branche
horizontal
Intra-
branche
vertical
Inter-
branche
Intra-
branche
horizontal
Intra-
branche
vertical
Inter-
branche
France
Allemagne
Belgique-
Luxemblourg
Angleterre
Autriche
Pays-Bas
Espagne
Italie
Suède
Danemark
Irlande
Portugal
Finlande
Grèce
UE-15
23.1
18.1
24.8
13.6
15
16.2
20.8
14.8
7.2
9.1
5.6
11.5
5.5
2.9
17.2
29.7
31.3
34
34.1
42.8
40.6
44
45.4
54.6
55.5
59.3
61.1
68.8
85.7
39
10.3
5.7
10.9
4.8
8.3
3
2.1
2.8
4.2
4.7
5.9
1.1
2.3
1.1
5.7
29.1
33.2
17.9
31
25.1
16
11.6
20.1
23.4
16.8
23.3
3.8
12.5
6.1
25.5
60.6
61.1
71.2
64.2
66.5
80.9
86.4
77.1
72.4
78.6
70.8
95.1
85.3
92.8
68.8
18.5
13.1
20.9
9.8
12.8
11.9
15.3
9.8
6.1
7.7
5.7
9.4
4.2
2.2
12.9
40.7
42.6
34.7
43
36.6
34.2
28.2
31.6
32.5
29.4
30.7
22.5
20.3
9.4
36.8
40.8
44.3
44.3
47.2
50.7
53.9
56.6
58.6
61.5
62.9
63.6
68.1
75.5
88.4
50.3
Source : d’après Fontagné, Freudenberg (2000).
Trois grands faits stylisés peuvent alors être identifiés.
FS1 : Quelle que soit l’importance relative du commerce inter-branche (par rapport au
commerce intra-branche), c’est toujours le commerce intra-branche en différentiation
verticale qui domine par rapport au commerce intra-branche en différentiation
horizontale.
Il est notable que ce constat prévaut quel que soit le niveau de développement du pays
considéré, qu’il appartienne au noyau central de l’Europe ou à sa périphérie
3
.
On voit bien, à travers le tableau 3, que cette prédominance des échanges de qualités est
très fortement marquée au niveau des échanges intra-UE, dans la mesure la part du
commerce intra-branche en différentiation verticale est plus de deux fois supérieure à celle
du commerce en différentiation horizontale (17, 2%).
En outre, depuis le début des années 80 et dans la quasi-totalité des pays européens, la part
relative du commerce intra-branche a augmenté par rapport à celle du commerce inter-
branche et cet accroissement relatif est presque exclusivement rattaché à un échange de
qualité.
Les tendances en taux ont donc joué dans le même sens dans la majorité des pays
européens à l’exception toutefois de la Grèce qui montre une certaine stabilité de ce type
d’échange et de l’Irlande, qui montre un léger déclin.
FS2 : Il existe d’importantes différences entre le Centre de l’Europe et sa Périphérie
concernant l’importance relative des trois types d’échange.
3
On appelle pays périphériques, les pays les moins avancés où les plus excentrés de la zone, à savoir, le
Portugal, la Grèce, la Suède, le Danemark, la Finlande et l’Irlande. La France, l’Allemagne, la zone Belgique-
Luxembourg, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, sont quant à eux considérés comme des pays du centre, faisant
partie du « noyau dur » de la communauté européenne. L’Espagne, l’Autriche et l’Italie formant un groupe
intermédiaire.
5
A titre d’exemple au niveau intra-UE, l’échange intra-branche est beaucoup plus prononcé
pour la France, l’Allemagne, Belgique-Luxembourg et l’Angleterre. En revanche, l’échange
est principalement inter-branche pour les petits pays périphériques, et en particulier pour la
Grèce, la Finlande et le Portugal.
Toutefois, parmi les pays périphériques, certains se distinguent par un dynamisme beaucoup
plus marqué de la part de leur commerce liés à des échanges verticalement différenciés. Il
faut ici souligner les trajectoires particulières de l’Espagne et du Portugal.
En effet, ces deux pays semblent avoir réussi leur intégration dans les échanges intra-UE en
se rapprochant des structures industrielles des pays plus développés. Ce sont les seuls pays
dont l’échange intra-branche, à la fois en différentiation horizontale et verticale, augmente
simultanément dans de fortes proportions.
Ainsi, loin de la spécialisation résiduelle dans les activités abandonnées par le centre, ils
contrastent fortement avec la situation de la Grèce pour laquelle l’évolution de 1980 à 1999
du commerce intra-branche est restée très faible avec une moyenne de 85% d’échanges
inter-branche tout au long de cette période.
FS3 : Emergence d’un échange de qualités entre pays à niveau de développement
différent.
Lorsque l’on étudie la nature des échanges par couples de pays, l’analyse montre que le
commerce inter-branche caractérise principalement les échanges entre pays périphériques
4
,
alors que l’échange intra-branche, et notamment en différentiation horizontale, est avant tout
un phénomène caractéristique des pays centraux
5
.
Pourtant, le commerce caractéristique des échanges entre pays du centre et pays
périphériques se fait dans une large mesure, lorsqu’il est intra-branche, sous forme de
différentiation verticale, ce qui traduit l’émergence d’un échange de qualité entre pays à
niveau de développement différents
6
. Dès lors ; il semble que la similarité entre pays se
traduise par un commerce intra-branche en différentiation horizontale, alors que des pays
économiquement distants peuvent à la fois se lancer dans un commerce inter-branche mais
aussi dans un commerce intra-branche en différentiation verticale, indiquant une forme de
spécialisation plus fine, se faisant sur la base des échelles de qualité.
1. 2 Spécialisation de l’Europe par gammes de qualité et spécialisation
technologique.
La progression constante mise en évidence jusqu’à présent de l’échange intra-banche en
différentiation verticale, sous tend aussi, à travers ce flux simultané d’importations et
d’exportations à l’intérieur des branches, une spécialisation des pays membres sur les
gammes de qualité au sein des branches(cf. note 2).
De la même façon que précédemment, deux faits stylisés émergent :
4
En effet, le commerce entre la Grèce et l’Irlande (98%) ou le Portugal et la Grèce (96%) ou encore, mais dans
une moindre mesure l’Irlande et le Portugal ou la Grèce et l’Espagne (près de 80%) est presque exclusivement
du commerce inter-branche.
5
Les couples Allemagne-France (83% du total des échanges bilatéraux), Allemagne-RU (74%), France-RU
(70,5%), France-Espagne (70%) ou encore Pays-Bas-Belgique, montrent une prépondérance pour ce type de
commerce.
6
C’est notamment le cas des couples Grèce-Allemagne (2% d’intra-branche horizontal contre environ 13%
d’intra-branche vertical), Grèce-France et Grèce-Angleterre (de 5% contre plus de 15%), ou encore dans une
plus large mesure, les couples Angleterre-Portugal, qui double quasiment sa part d’échange intra-branche
vertical par rapport à celle en différentiation horizontale, ou encore la Grande-Bretagne et l’Irlande, l’Allemagne
et l’Espagne, la France et les Pays-Bas (13% environ d’échange intra-branche en différentiation horizontale
contre près de 45% d’échange intra-branche vertical).
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