Marie les trouva amusantes et, n'éprouvant aucun dégoût pour les souris, elle aurait
très vite retrouvé tout son calme si elle n'avait tout à coup perçu un petit cri perçant qui la
fit frissonner de la tête aux pieds. A ses pieds, du sable, de la chaux et de la pierre pilée
surgirent du sol comme poussés par une force souterraine, et sept petites têtes de rat,
surmontées de sept couronnes rutilantes, apparurent en couinant de façon abominable et
en poussant des cris stridents.
Puis le corps du rat, auquel étaient rattachées les sept têtes, sortit complètement
du sol. Aussitôt, la bête monstrueuse, couronnée de sept diadèmes, fut acclamée par toute
l'armée qui poussa trois couinements retentissants, avant de se mettre en marche, tout
droit vers l'armoire aux jouets, droit vers Marie qui se tenait près de la vitrine. Marie
sentit son cœur battre si fort de peur et d'horreur qu'elle crut qu'il allait sauter de sa
poitrine et, qu'elle en mourrait. Puis, il lui sembla que son sang se figeait dans ses veines.
Près de s'évanouir, elle chancela en arrière, et la vitre qu'elle heurta du coude se brisa en
mille morceaux. Pendant l'espace d'un instant, elle ressentit une vive douleur au bras
gauche, mais, en même temps, son cœur se fit plus léger. Elle n'entendit plus ni
couinements ni piaillements, et bien qu'incapable de regarder autour d'elle il lui sembla que
les rats, effrayés par le fracas du verre brisé, avaient regagné leurs trous.
Et que se passa-t-il alors ? Juste derrière Marie, d'étranges bruits sortaient de
l'armoire et de petites voix murmuraient :
« Réveillez-vous, réveillez-vous ! Venez au combat, c'est pour cette nuit, debout..
Réveillez-vous, réveillez-vous ! »
Au même moment, les notes gracieuses de clochette s'égrenèrent.
« Oh, c'est mon petit carillon ! » s'écria joyeusement Marie en faisant un bond de côté.
Puis elle vit une étrange lueur à l'intérieur de l'armoire aux jouets. Tout ce petit
monde s'agitait. Plusieurs poupées couraient en tous sens, battant l'air de leurs petits
bras. Tout d'un coup, Casse-Noisette se redressa, rejeta sa couverture, sauta d'un bond
du lit et s'écria de tous ses poumons:
«Crac, crac, crac ! Affreux rats dégoûtants On va vous battre comme plâtre On va vous
écraser comme des araignées Crac, crac, crac ! »
Sur ces bonnes paroles, il dégaina son petit sabre, le fit tournoyer dans les airs et
s'écria :
« Mes chers sujets, frères et amis, voulez-vous me prêter main-forte dans ce rude combat
?
- Oui, monseigneur, nous vous suivrons fidèlement dans tous les dangers, à la mort, à la
victoire, au combat! »
Et que se passa-t-il alors ? Au moment où Casse-Noisette sauta à terre, les
couinements et les cris perçants reprirent de plus belle. Sous la grande table, les hordes
sanguinaires de rats et de souris s'étaient arrêtées, et, au milieu, l'horrible rat les
dépassait de ses sept têtes.