— Le corps est incomplet, le corps n’est pas un être complet. Le corps pour être un
corps (et non plus simplement matière) requiert l’union avec l’âme (qui en sera la
forme), et ce, que l’on considère par le mot corps la matière première qui est puissance
pure (dont la forme sera l’acte) ou bien le corps organisé (matière munie des organes
nécessaires à la vie).
— L’âme n’est pas davantage un être complet. Et cette incomplétude touche ou frappe
aussi bien les âmes dites inférieures (végétative, sensitive) que l’âme raisonnable ou
intellective. Dire que l’âme est incomplète, qu’est-ce que cela signifie ? c’est dire qu’il
existe en elle une inclination vers le corps, à tel point que l’âme séparée du corps
(comme elle existe entre la mort de l’homme et sa résurrection), cette âme donc se
trouve dans un état qui, pour n’être pas violent n’est cependant pas naturel. L’âme est
incomplète, même séparée du corps.
En revanche, de l’union de ces deux substances incomplètes, doit surgir un être
complet. Il y a entre l’âme et le corps un rapport naturel, une sorte de proportion qui les
destine à constituer une unité substantielle.
Deux gouttes d’eau peuvent s’unir : mais c’est une possibilité purement négative au
sens où il n’y a aucune impossibilité, aucune répugnance entre elles à cette union.
Entre l’A et le C en revanche, c’est une union positive, stimulée par une inclination
naturelle et mutuelle dont l’objet est la constitution de cet « unum per se » (un par lui-
même) qu’est l’homme.
De ce point résulte une conséquence capitale concernant la théorie de la connaissance :
quand on parle des opérations de l’homme, il ne s’agit pas seulement des simples
opérations de l’âme, mais des opérations du composé humain càd de l’un par soi
constitué d’un corps et d’une âme unis entre eux. Dans la philosophie aristotélico-
thomiste, l’âme joue certes un rôle capital : elle est le principe de toutes les opérations
de la vie, elle est ce par quoi nous nous mouvons et nourrissons, ce par quoi nous
sentons et connaissons. Mais, si l’âme est le principe premier de la connaissance, cette
même âme n’en est pas moins forme du corps et elle n’est à proprement parler une âme
qu’en tant qu’elle constitue une unité substantielle avec un corps, son corps. D’où il suit
que, dans cette philosophie aristotélico-thomiste, l’acte de connaître n’appartient pas à
l’âme mais à l’homme, au composé tout entier.
Ce n’est pas à l’âme mais à l’homme qu’il revient de connaître. L’acte de connaître est
une propriété de l’homme en tant qu’homme, liée à l’âme raisonnable en tant qu’elle est
une partie de l’homme. Et de fait, c’est le même homme qui saisit comme percevant
par les sens et connaissant par l’intellect. Or si l’intellect se rattache à l’âme, les sens se
rattachent au corps. Le corps lui aussi fait partie intégrante de l’homme et donc de l’acte
de connaissance.
Conclusion : dans l’anthropologie aristotélico-thomiste, l’âme est dite « forme du
corps » et que pour cette raison, tout opération intellectuelle qui est vraiment une
opération de l’homme suppose l’intervention du corps. Cela ne signifie pas que l’acte de
connaître soit un acte corporel ou que la faculté de connaître soit l’acte d’un organe
corporel comme la vue est l’acte de l’œil.. Il faut bien considérer le statut de l’âme, à la
fois séparée et dans la matière : séparée, en tant que l’acte de l’intellect s’exerce sans
organe corporel ; dans la matière en tant que l’âme douée d’intellect est forme du corps
et en quelque manière pour lui.
C’est, du point de vue des aristotéliciens, toute l’erreur des platoniciens.
Pour les platoniciens, les formes (idées) subsistent en soi, hors des êtres particuliers et
l’intellect n’a plus besoin des espèces corporelles pour atteindre son sujet. L’âme,
quoique liée à un corps et non totalement séparée de la matière, peut appréhender seule